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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

- J’ai vu une jeune fille et j’ai vu le Colonel. Un Colonel<br />

ne peut pas ressembler à une jeune fille !<br />

- Misère de moi reprit la <strong>La</strong>ngouste. Je n’aurais jamais cru<br />

qu’un homme puisse être aussi bête. Et j’en ai eu dix, dont quelques uns<br />

étaient pourtant bien bêtes ... Que tu es bête, Arthur ! Tu as peut-être vu<br />

qu’elle était jolie ?<br />

- Ah ! oui ! Pour être jolie ! Ça ! c’est une jolie demoiselle<br />

! dit Arthur, enthousiaste.<br />

- Ça ne l’empêche pas de ressembler au Colonel. C’est la même façon<br />

de tenir la tête et de tout regarder de haut en bas. Tiens, je vais te dire<br />

: elle est encore plus Colonel que le Colonel. Ils nous ont salués, en passant<br />

; tu n’as pas vu ? Elle salue du même salut que le Colonel. On est<br />

tout fier d’être salué, mais on rentrerait dans un trou à rats. Quand il me<br />

parle, le Colonel (et qu’il est bien poli et bien honnête) je deviens presque<br />

aussi bête que toi. Eh bien, si la petite demoiselle m’avait parlé, je me<br />

serais flanquée par terre. Voilà. Il n’y a pas à dire : c’est le beau monde.<br />

Avec cela qu’elle est jolie, mais qu’elle n’est pas plus jolie que Mademoiselle<br />

Ilse, par exemple, qui est si jolie que je la regarderais des heures,<br />

comme on regarde une Sainte Vierge.<br />

Ilse, de sa fenêtre, avait vu elle aussi Liliane et le grand-père. Elle<br />

aurait été à peu près du même avis que la <strong>La</strong>ngouste. Elle avait toujours<br />

eu un peu peur du Colonel. Rien de plus naturel chez une si jeune fille,<br />

qui n’était pas timide mais qui était facilement intimidée. Pourtant, elle<br />

n’était intimidée ni par M. Jumièges, qui était un savant illustre, ni par<br />

aucun des amis de son père, qui, presque tous, avaient des titres plus imposants<br />

qu’un grade de Colonel.<br />

Au Conservatoire aussi elle avait des maîtres dont le monde entier<br />

connaissait les noms ; elle savait que, plus tard, on lirait dans les livres<br />

qu’ils étaient des hommes de génie. Elle n’avait besoin que de leurs oeuvres,<br />

qu’elle admirait, dont elle avait les partitions chez elle, pour<br />

s’assurer qu’ils avaient du génie. Rien de plus simple que ces hommes-là.<br />

Un bout de fille, comme elle était, pouvait vivre toute libre et familière à<br />

côté d’eux, faire réellement partie de leur compagnie. Ils l’appelaient Ilse,<br />

comme ses camarades l’appelaient, et rien ne la touchait davantage.<br />

C’était la mettre en cause directement : ce qu’elle savait, ce qu’elle sentait<br />

comme elle le sentait. Ils ne lui demandaient jamais autre chose que<br />

d’être Ilse, toute entière présente, ses cheveux blonds, son nez en l’air,<br />

son attention, son coeur et son violoncelle. Près d’eux, elle ne se privait<br />

pas de rire, si elle avait envie. Ils n’allaient pas se dire qu’elle se moquait<br />

parce qu’elle riait. Il était si gai, si franc le rire d’Ilse ! Eux, qui vivaient

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