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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

pir, les abandons, les réveils, l’éclair tragique, le regard de langueur et de<br />

béatitude, rien ne manquait à ce parfait baiser, qui rassura pleinement les<br />

petits amours spectateurs sur la pérennité des rites de l’amour. « Le Duc<br />

de ... en serait mort » dit le petit amour qui s’occupait à ne rien faire.<br />

« Nous avons eu un beau spectacle. C’était la somme de toutes les formes<br />

possibles du baiser, toutes les pratiques l’une après l’autre, du Cap Nord<br />

à Bonne Espérance, et des Caraïbes aux Caraïbes en faisant le tour. Le<br />

partenaire, je crois, fut matelot ; cela se comprend. Mais d’où vient la<br />

partenaire ?»<br />

Le partenaire se releva courbaturé et s’étira. Il avait un peu froissé<br />

sa salopette. <strong>La</strong> soie de la robe blanche était d’une si pure soie qu’elle<br />

était toujours aussi lisse, aussi pure ; fleur pudique, corolle immaculée,<br />

Liliane immobile, à peine une lueur de regard filtrant des cils. On aurait<br />

pu la prendre pour le gisant de Liliane, tuée par son premier baiser. Elle<br />

flottait entre deux mondes. Elle savait désormais qu’il y avait deux mondes<br />

; celui qu’elle venait de découvrir, plus vrai que l’autre ; le seul vrai,<br />

car c’était vraiment le sien. Elle retardait l’instant d’ouvrir tout à fait les<br />

yeux ; voir sans voir, entendre sans entendre, comme elle entendait à demi<br />

ces mots de la Supérieure : « Liliane, méfiez-vous de votre nature...»<br />

Et pourquoi se méfierait-elle ? Elle sentit au plus profond les délices<br />

d’une merveilleuse vengeance. À chaque fois qu’elle passerait à ce<br />

monde de sa vraie nature, ce serait aussi pour s’y épanouir dans la vengeance.<br />

Mme la Supérieure avait beau dire, Liliane refuserait d’entendre.<br />

À travers le discours de la Supérieure et son propre discours en réponse,<br />

elle entendit qu’on froissait ou qu’on prenait du papier dans la<br />

corbeille à papiers, qu’on ouvrait ou qu’on fermait un tiroir, qu’on tournait<br />

une clef, qu’on marchait. Liliane était si bien suspendue entre ses<br />

deux mondes qu’elle laissait faire. Il fallut que la Supérieure, dans le discours<br />

qu’elle lui prêtait, parlât (et de quel ton !) d’un homme (un homme<br />

!) pour que Liliane, comme tombant d’un monde sur l’autre, s’en réveillât.<br />

Redressée tout à coup, elle vit un homme, boîte d’outils à l’épaule,<br />

qui se dirigeait vers la porte. Elle faillit s’écrier : « Qui êtes-vous ?» Jacques,<br />

très naturel, simple ouvrier comme devant :<br />

- C’est fini.<br />

Et Liliane :<br />

- Que voulez-vous dire ? (Une question dont elle se mordit<br />

les lèvres aussitôt).<br />

- Que votre secrétaire est réparé, Mademoiselle. Que vous<br />

avez le secret. Nous sommes les seuls à le connaître, vous et moi. Si vous

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