La Folie - MML Savin

Le dixième homme 13
assez. Ou bien ils courent, ou bien ils boivent. Autant qu’ils boivent !
Quand ils sont trop jeunes, ils courent et ils boivent. Drôle d’espèce ! Et
ce serait fainéant (elle disait : faignant) si on ne les grouillait pas. Ça
dormirait comme des vipères... Seulement, voilà, ce sont les hommes,
c’est la coutume. À quoi ca me sert, à mon âge ? C’est pour ne pas dormir
seule. On a l’air malade. On ne peut pas dormir avec sa chienne, même si
c’est un petit trésor.» Cette sagesse un peu rude, à coups de balai sur le
trottoir, les pliants repliés, les voisins retirés à leur voisinage, « Ça, je le
dis à qui veut l’entendre...» Et qu’était-ce donc qu’elle ne disait pas, surtout
à qui aurait voulu entendre ?
Elle mordilla, immobile, le manche de son balai. Le dos à la cochère,
elle inspecta d’abord la rue, le bois du balai toujours aux lèvres, se
massant les lèvres Elle avait de vrais yeux de concierge, des yeux qui roulaient
si bien qu’elle pouvait inspecter tout, d’un bout à l’autre, sans bouger,
en roulant ses yeux. Les roula de l’horloge du carrefour Pasteur à
l’escalier du pont. « Ça, c’est plus fort que tout » dit-elle.. Elle regarda
longuement le grand mur, qui faisait de ce tronc de rue une impasse, et
l’escalier à droite du mur, cette nuit, l’escalier montait au clair de lune.
« On ne regarde jamais assez.» Belle devise, pour une concierge. Elle
reprit son balai en maugréant. « C’est la faute à cet ivrogne d’Arthur, aussi
! Quand on ne supporte pas le vin, on ne se mêle pas d’être ivrogne !»
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