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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> salopette 129<br />

D, et le premier étage sur la cochère et songeait : « On me couperait la<br />

tête avant que je dise ... mais enfin c’est vrai que le linge de Mademoiselle<br />

Ilse ... Ça date de la semaine de Pâques .. Peut-être qu’elle a acheté<br />

la même lavande que M’ sieur Jacques ... Mais j’ai du nez ! Elle a gardé<br />

son parfum de muguet qui se mélange à l’autre. Ah ! Jeunesse ! J’ai<br />

connu ça ...» Et elle souriait aux amours, sans rien dire. Si elle avait vu<br />

Liliane, en travers du lit, sous Jacques, soie blanche contre salopette, elle<br />

se serait réjouie d’apporter tant de soins au lessivage et repassage des salopettes<br />

puisqu’il pouvait arriver à la plus fanée d’être à pareil bonheur ;<br />

mais si elle avait entendu l’insulte suprême qui siffla, visage à visage : «<br />

Lâchez-moi ! Vous êtes sale ! Vous puez !», la <strong>La</strong>ngouste aurait rugi, à<br />

ébranler les casques de pierre et les carquois de <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>. Son Monsieur<br />

Jacques ! Qu’on en trouve un autre à lui comparer, de Montrouge à Pasteur,<br />

aussi propre qu’une assiette propre, parfumé de ce bon parfum, pas<br />

comme ces gandins ou garçons-coiffeurs, dont le parfum trop fort dissimule<br />

la mauvaise odeur ; plutôt, c’était la lavande qui devait prendre<br />

l’odeur de Jacques pour devenir cette fraîche lavande.<br />

Avant cette dernière insulte, Jacques jouait encore, presque certain<br />

qu’un genre de paix succéderait aux insultes, un sourire, qui serait le<br />

temps d’un baiser de paix, pour conclure. À l’insulte, de toute sa force,<br />

sans ménager, il maîtrisa, il immobilisa sous lui le bel animal, le front au<br />

front, la bouche à la bouche, ses mains à pleines mains tirant en arrière<br />

les cheveux en auréole, tout à fait comme Mme la Supérieure exigeait<br />

que l’on tirât quand on attendait la visite de Monseigneur. Puisqu’il était<br />

fou d’espérer un baiser de paix, un baiser de guerre donc, la rage d’un<br />

baiser, comme un cachet sur la cire, au bas d’une proclamation victorieuse.<br />

Humilier par un baiser ; de la caresse la plus spirituelle, la plus<br />

rêveuse, faire une meurtrissure stupide, une insulte pour une insulte, à<br />

dégoûter à jamais des baisers d’amour ; un baiser sans réponse, tout le<br />

contraire d’un baiser ! Mais ce ne fut pas un baiser sans réponse.<br />

« Ça alors !» comme aurait dit la <strong>La</strong>ngouste.<br />

Jacques qui s’élançait en zouave, à la rude manière de son père le<br />

héros-capitaine, il a suffi qu’il attaque et tout lui cède. C’est une fille pâmée<br />

qu’il sent sous lui, qui ne se rend pas mais qui s’offre, une bouche<br />

qui fond sous la sienne, qui reçoit comme elle recevrait le corps du Seigneur<br />

si 1’ Evêque-Archevêque la communiait, qui a de l’invention, une<br />

ardeur sauvage, l’entente spontanée de la réciprocité, le sens de l’extase<br />

et de la durée. Les lenteurs, les surprises, les reprises, l’art de différer, la<br />

supplication muette, l’air de martyre, le soupir comme d’un dernier sou-

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