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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

reconnaissait eût été une faute grossière, un manquement impardonnable<br />

à la politesse. Elle seule était juge de dire ou de ne rien dire. Il ne voulait<br />

même pas forcer le respect ; il ne s’adressait pas à la jeune fille comme il<br />

eût fait à une douairière. Il badinait sur les petits secrets à cacher dans<br />

tous ces tiroirs, puisqu’elle avait l’âge des petits secrets.<br />

Une autre aurait trouvé plaisant ce Monsieur le Réparateur qui était<br />

enjoué, qui avait la jeunesse de la jeunesse et qui n’était pas vulgaire.<br />

Mais Liliane, majestueuse et silencieuse, ne se déridait pas. Elle n’avait<br />

de regard que pour la salopette et méprisait. <strong>La</strong> moue de sa bouche, les<br />

ailes de son nez méprisaient, comme si le bleu de travail avait dégagé<br />

quelque odeur offensante. Lorsqu’il la pria d’avancer et qu’elle s’avança,<br />

sa façon de surveiller la distance de sécurité afin que la soie de la robe<br />

blanche n’eût pas à subir le contact de la toile immonde par le hasard<br />

d’un mouvement, les mains en avant, à demi ouvertes, prêtes à la défensive,<br />

tout en Liliane exprimait l’horreur et le mépris, non pas pour ce garçon<br />

qui étalait son pauvre savoir d’ouvrier (est-ce que cela compte, est-ce<br />

que cela existe seulement un ouvrier ?), mais pour l’ignoble salopette,<br />

dont il fallait supporter la présence dans la chambre jusqu’à la fin de la<br />

réparation. Suspecter ainsi une salopette dûment lavée et repassée, que<br />

Jacques avait enfilée après une toilette méticuleuse : la <strong>La</strong>ngouste<br />

n’aurait pas été contente !<br />

Jacques avait choisi cette salopette, qui était une des plus usées, des<br />

plus souvent lavées, parce qu’elle était légère et fine, tout à fait convenable<br />

à la chaleur, qui menaçait d’être torride. Elle était d’un bleu si aérien<br />

que les prunelles de Jacques s’en fleurissaient de lavande sombre. C’était<br />

le parfum de Jacques, qui, à tout propos, se frottait les mains et le visage<br />

d’eau de lavande, parce qu’il faisait chaud, ou pour se mettre en humeur<br />

de travailler, ou parce qu’il avait terminé son travail. Le matin, le soir,<br />

c’était de la débauche d’eau de lavande, et de qualité. «Il faut bien avoir<br />

un vice» disait Jacques. Il contait volontiers qu’au collège il ne se lavait<br />

que le dimanche, s’il était de sortie, ce qui était rare, car il était presque<br />

toujours puni. De son temps de matelot, où jamais il ne fut puni, il avait<br />

rapporté l’habitude de la propreté jusqu’à la manie. Il y avait ajouté l’eau<br />

de lavande à Paris, depuis qu’il avait de la clientèle.<br />

« Chez M’ sieur Jacques, disait la <strong>La</strong>ngouste, les chiffons, les torchons,<br />

c’est tout à la lavande. Sentez ! Cette salopette, qui a bouilli des<br />

heures, elle sent encore, aussi fort qu’un buisson de lavandes.» Et elle<br />

fourrait la salopette parfumée sous le nez d’une locataire. Puis elle roulait<br />

ses yeux, comme si elle regardait successivement le quatrième, escalier

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