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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> salopette 127<br />

cette arrogante. Elle apprendra bientôt qu’elle est plus belle qu’un beau<br />

cheval. Bon courage au cavalier !» Sur ce, il offrit en hommage l’un des<br />

croquis décents et descendit la contrebasse du bel animal.<br />

Avant d’entrer à <strong>La</strong> <strong>Folie</strong>, où il n’était jamais entré, il savait, par les<br />

quelques mots de Nestor, que c’était blason et non sardines et que la<br />

courbure s’appelait Liliane. Le bleu de travail ni la boîte à outils n’étaient<br />

pas pour embarrasser le fils d’un avoué de Sillé-le-Guillaume, élevé par<br />

les Jésuites, et dont presque tous les camarades, à <strong>La</strong>val, étaient des noblaillons.<br />

En cherchant un peu, Jacques aurait découvert de la particule,<br />

qu’il aurait pu porter. Il avait un oncle de <strong>La</strong> Châtelière, qui était aussi<br />

son parrain, un vieil homme fort riche entêté d’armoiries, qui démontrait<br />

que la famille avait du cousinage du côté de Du Guesclin. Le père de Jacques,<br />

le zouave capitaine, se moquait de ces prétentions-là et répliquait<br />

qu’un avoué à particule serait comique ou qu’un Du Guesclin avoué serait<br />

un noble déchu. Mais l’oncle, qui tenait bon : « Le jour où tu voudras,<br />

Jacques, je te communique ton dossier complet. Il ne te reste qu’à te<br />

commander la chevalière à tes armes.»<br />

« Si j’avais au moins cette chevalière » se disait Jacques quand<br />

Nestor présentait : « Monsieur Jacques.» Mais quel besoin d’une chevalière<br />

quand on a les doigts, tout le jour, à la dorure ou au vernis ? Jacques<br />

était bien décidé à jouer son rôle sans la moindre défaillance. Il s’amusait<br />

à regarder Liliane dans les yeux exactement comme il l’aurait regardée<br />

s’il ne l’avait jamais vue ; le respect de l’ouvrier pour la cliente de haut<br />

lignage (il avait beaucoup de ces clientes-là), sans donner dans le ton ni<br />

dans l’argot de l’ouvrier, naturel au plus naturel, parlant comme il parlait<br />

au Professeur Moser ou à son oncle <strong>La</strong> Châtelière, modeste mais vrai ;<br />

mêlant serrure et flûte ; mais quel règlement interdit à un jeune artisan de<br />

jouer de la flûte et de préférer la bonne musique à la mauvaise ? Bref, la<br />

noblesse et l’autorité du métier, qui a ses prérogatives, qui a le droit<br />

d’instruire sans craindre de blesser, qui peut être familier sans être importun,<br />

et l’ouvrier respectueux sans être vil.<br />

Ce principe admis : qu’il ne connaissait pas la demoiselle, Jacques<br />

n’avait pas à donner la comédie ; il était Jacques comme il était partout,<br />

comme il l’eût été en présence du Colonel, et ne se privant pas<br />

d’expliquer au Colonel en quoi consistait le secret d’un secrétaire. Jacques<br />

en arrivait, par moment, à oublier que c’était la Vénus de<br />

L’Espérance qui l’écoutait et qu’il avait un peu fait l’amour en croquis.<br />

Quand l’idée se présentait, il se délectait de la farce et redoublait de zèle<br />

technique. Mais était-ce une farce ? Tout ce qui aurait pu dénoncer qu’il

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