La Folie - MML Savin

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25.06.2013 Views

122 La Folie *

Chapitre XVII La Salopette Et pourtant, il y avait quelque chose de politique en ce baiser, qui consommait la victoire éphémère d’un bleu de travail sur la soie aristocratique. Jacques avait réagi à l’insulte comme au fouet. D’ordinaire, il ne se précipitait pas ainsi à l’abordage. Il était sensible à la beauté : fille, musique ou paysage ; mais comme un artiste est sensible, plus contemplatif qu’emporté, plus enjôleur qu’agresseur, et, pour tout dire, sollicité et courtisé avant d’être tout à fait certain d’être séduit. Il lui déplaisait de mener l’amour comme une guerre. Le beau plaisir, qu’on a de vive force, comme un butin sur l’ennemi ! Il lui semblait que l’amour, et faire l’amour cela n’était pas séparable de la confiance, de l’amitié, d’une humeur de paix et d’échange. Celle qui résiste et qui se barricade comme une citadelle, tant pis pour elle ! Comme à la grille d’un parc, s’il lisait sur un écriteau : interdit de visiter, Jacques n’insistait jamais. «C’est leur droit» disait Jacques, et il se détournait sans regret. « On ne manquera pas de beautés à aimer, songeait-il, si l’on sait voir et si l’on sait aimer.» Quand il avait cru reconnaître, du haut de son quatrième, la pensionnaire à la valise contrebasse il avait jugé que l’aventure était piquante. Il n’était resté un assez long moment à la fenêtre que pour tacher de mieux reconnaître. C’était l’allure, c’était l’auréole. Mais il doutait encore. Sa vue de marin l’aurait convaincu ; il voulait douter de sa vue. Trois ou quatre croquis, dont un passable, rien de tel pour graver n’importe quoi dans la mémoire comme on graverait, réverbère ou pot à

Chapitre XVII<br />

<strong>La</strong> Salopette<br />

Et pourtant, il y avait quelque chose de politique en ce baiser, qui<br />

consommait la victoire éphémère d’un bleu de travail sur la soie aristocratique.<br />

Jacques avait réagi à l’insulte comme au fouet. D’ordinaire, il<br />

ne se précipitait pas ainsi à l’abordage. Il était sensible à la beauté : fille,<br />

musique ou paysage ; mais comme un artiste est sensible, plus contemplatif<br />

qu’emporté, plus enjôleur qu’agresseur, et, pour tout dire, sollicité<br />

et courtisé avant d’être tout à fait certain d’être séduit. Il lui déplaisait de<br />

mener l’amour comme une guerre. Le beau plaisir, qu’on a de vive force,<br />

comme un butin sur l’ennemi ! Il lui semblait que l’amour, et faire<br />

l’amour cela n’était pas séparable de la confiance, de l’amitié, d’une humeur<br />

de paix et d’échange. Celle qui résiste et qui se barricade comme<br />

une citadelle, tant pis pour elle ! Comme à la grille d’un parc, s’il lisait<br />

sur un écriteau : interdit de visiter, Jacques n’insistait jamais. «C’est leur<br />

droit» disait Jacques, et il se détournait sans regret. « On ne manquera pas<br />

de beautés à aimer, songeait-il, si l’on sait voir et si l’on sait aimer.»<br />

Quand il avait cru reconnaître, du haut de son quatrième, la pensionnaire<br />

à la valise contrebasse il avait jugé que l’aventure était piquante.<br />

Il n’était resté un assez long moment à la fenêtre que pour tacher<br />

de mieux reconnaître. C’était l’allure, c’était l’auréole. Mais il doutait<br />

encore. Sa vue de marin l’aurait convaincu ; il voulait douter de sa vue.<br />

Trois ou quatre croquis, dont un passable, rien de tel pour graver<br />

n’importe quoi dans la mémoire comme on graverait, réverbère ou pot à

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