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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

fin ce qu’ils n’attendaient pas, ce qu’ils attendaient, le clair de lune en<br />

personne, comme serait venu le Commissaire. Mais quel Commissaire,<br />

même corse, aurait pu danser le clair de lune ? Il y fallait le clair de lune.<br />

C’était lui, qui dansait comme on marche quand on sait marcher ; à<br />

larges pas, l’un après l’autre, également égaux, des pas de sagesse et de<br />

silence. Un homme dansait, marchait, qui n’était que des voiles, un pas de<br />

danse, des gestes, liés, déliés. Un visage ? Pas encore ... Et puis ce fut un<br />

visage. Depuis des années familier, chez la crémière ou le boulanger. «<br />

Quel diable noir » disait-on. Un temps plus tard, on attendit, car ce n’était<br />

plus un diable. On attendait sans doute que ce fût un dieu, un enchanteur,<br />

un homme. À la nuit de la Saint-Jean d’été, ce fut un homme, qui était un<br />

dieu.<br />

Si l’un des spectateurs avait regardé la lune, il aurait vu passer le<br />

temps. Mais ils ne regardaient plus que l’homme qui dansait. « À vos<br />

rangs, fixe ! » hurla Nestor. « Repos, mes amis, repos » dit le Colonel. Ce<br />

n’était pas un rêve, mais bien le Colonel. Sur ses joues d’aube un rose<br />

aristocratique que nul n’aurait osé comparer au rose de la <strong>La</strong>ngouste, tout<br />

populaire. Mais c’était le même rose, celui de l’aube. Un train siffla, sous<br />

le pont. Il montait de la torsade de vapeur, au-delà du pont. Une locomotive<br />

solitaire se mit à répéter sa colère du côté des rotondes de Vaugirard.<br />

Ensorcelés, prisonniers du rythme et du chant, ils n’avaient pas vu la lune<br />

disparaître derrière les toits, le bleu de lune s’éclairer de vert, et d’un vert<br />

de plus en plus tendre jusqu’à la nacre de chair, moirée de pourpre et<br />

d’or.<br />

<strong>La</strong> cochère s’ouvrit à deux battants ; voisins voisines se bousculaient<br />

à l’ouvrir. L’ordre, répercuté aux échos, avait réveillé de vieux réflexes<br />

de caserne chez les hommes. D’une main engourdie, ils esquissaient<br />

le salut militaire. Arthur avait sauté de son pliant. Il balbutiait au<br />

garde-à-vous :<br />

- Au régiment, on m’appelait Arthur !<br />

- Ôte-toi plutôt d’là, au lieu de raconter des histoires, et<br />

laisse passer le Colonel. Ce n’est plus ta fête.<br />

<strong>La</strong> <strong>La</strong>ngouste ne grondait que par respect pour le Colonel. Elle se<br />

frottait toute la figure à pleine main, de jubilation, comme elle faisait jadis<br />

quand son homme (le troisième ou le quatrième) la conduisait au théâtre.<br />

Elle fut la première à retrouver sa tête. « N’empêche que je l’avais<br />

perdue » se disait-elle à elle-même. « Ça m’apprendra à mijoter des persillades.<br />

Les hommes ne valent pas qu’on se brûle le nez aux casseroles.<br />

Ils n’apprécient pas. Mon cinquième appréciait. Un sur dix, ce n’est pas

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