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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

Ce clair de porcelaine sur porcelaine : Elle a soulevé le couvercle,<br />

qui était si chaud qu’elle a failli tacher le couvercle. Elle doit se dire : «<br />

Est-ce par tradition de Vidame qu’on vous mesure ainsi le chocolat ?» Et<br />

Nestor : « <strong>La</strong> petite demoiselle ma reine, encore une petite fille, qui ne<br />

sait pas tenir ce qui brûle sans se brûler. Nestor tiendrait le feu. Elle n’a<br />

pas appris. Nestor apprendra tout à la demoiselle, sa reine blanche, si la<br />

demoiselle le veut.» Un tintement d’argent dans un écho de porcelaine :<br />

elle a versé du chocolat, et tourne, sans savoir pourquoi. Ce n’est pas la<br />

peine ! Chocolat si bien lié qu’il est partout le même, sans dépôt, sans<br />

grumeau, chocolat de chocolat. <strong>La</strong> cuiller d’argent, un joujou d’argent<br />

joli, pas aussi joli que les mains blanches. Silence après l’argent. Elle<br />

boit. Nestor, par dedans Nestor, connaît ce que la reine boit. Lui, Nestor,<br />

n’a jamais bu son chocolat. Le respire seulement. L’esprit qui respire, qui<br />

aspire, que lui importe ? Boire, ce serait épuiser l’ivresse. Que la petite<br />

reine boive, qui n’a pas appris à ne pas boire, à suspendre, à songer, à se<br />

contenter d’aspirer et de respirer, comme un esprit, à s’enivrer de son<br />

ivresse, à retarder l’ivresse ! « Tous, ils se précipitent, se dit Nestor. Le<br />

Colonel aussi se précipite. Après le café Pompadour, le soir, il<br />

s’arracherait la moustache ; toute sa colère en colère. Son oeil froid, d’un<br />

bleu de froid. Il a beau se racler la gorge, pas la moindre chanson. Pauvre<br />

Colonel qui revient, au petit matin, par le sentier de la porte verte ! Nestor<br />

peut-être serait malheureux, s’il consentait à l’être ; il respire, il ne<br />

consent pas, il ne boit pas. Elle, de soie blanche, a si promptement bu<br />

qu’elle boit la deuxième petite tasse (il y en a trois !). » C’est même déjà<br />

la troisième, remarque Nestor, qui enchaîne et qui récapitule. <strong>La</strong> porcelaine,<br />

qui ne brûle plus, n’a pas le même clair de porcelaine. Un son<br />

brouillé ; l’âme brouillée.<br />

Demoiselle aux grandes ailes, comme un oiseau, d’un fauteuil aux<br />

deux autres qui se pose, qui marche et qui vole, qui va, qui vient, qui ne<br />

vole plus, qui marche. Un chocolat, qui se méfierait ? S’il ne s’agissait<br />

que d’un chocolat bonne femme, lourd et sucré, on s’endormirait, on en<br />

garderait du sommeil jusqu’à midi, jusqu’au soir ... Mais le chocolat Nestor<br />

est une liqueur insidieuse, qui émeut, qui trouble qui fume dans l’âme<br />

des vapeurs capiteuses, des esprits hilares, des songes bruns et roses,<br />

comme sont les mains alertes des sorciers noirs, noires dehors, roses du<br />

rose de la chair dedans. Il faudrait être sorcier pour conjurer. Un preux de<br />

la Première Croisade (Achille-Léonidas ou Léonidas-Achille) y serait<br />

naïf, incapable et vaincu d’avance. Un Philtre, dirait Monseigneur, qui<br />

avait de la doctrine. <strong>La</strong> Mère Supérieure, plus prudente encore, n’aurait<br />

considéré que le péché d’origine, démon fondamental, d’Europe ou<br />

d’Afrique, l’occasion quand on voudra, même celle d’un chocolat. Au

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