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La Folie - MML Savin

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Bavière 111<br />

quinze ou quatorze. Mais c’est une chose, savoir et dire, et même souffrir<br />

de se dire qu’on souffrira ; souffrir, à ne plus savoir de quoi l’on souffre,<br />

c’est autre chose. Quatorze ou quinze auraient été de bon conseil. Elles<br />

auraient eu la sagesse des enfants, qui est une profonde sagesse. « Ce<br />

n’est pas une preuve, cette fenêtre en face, la demoiselle en soie de lys,<br />

une ou deux minutes à regarder la fenêtre. Il n’a pas senti que tu verrais,<br />

que tu voyais ce qu’il voyait. Il avait le droit de voir. Tu n’as pas été bien<br />

sage de venir voir. Moins sage encore de pleurer comme tu as pleuré. Jalouse<br />

? Cela ne prouve pas qu’il soit infidèle.»<br />

Quatorze et quinze auraient conseillé de prendre un livre, le premier<br />

à portée de la main, et s’obstiner à lire, même une folle histoire<br />

d’enfance, comme Ilse faisait les jours de pluie, à quatorze ou quinze. Ou<br />

déchiffrer correctement une partition de Bach ; elle en aurait jusqu’au<br />

soir, à la rentrée du père. «Pauvre cher Pa!» soupira Ilse. Elle avait déjà<br />

oublié cette complication de Scarlatine et de Protecteurs, la menace d’un<br />

complot, l’anxiété du Professeur. Un complot contre la République par<br />

une matinée pareille, cela passait le sens ! L’été qui flambait la rue allumait<br />

maintenant les platanes, gagnait peu à peu la cour. Il ne restait rien<br />

de cette fraîcheur de puits qui, tout à l’heure encore, était celle de la cour.<br />

Un souffle chaud, comme d’un incendie, caressait le visage d’Ilse quand<br />

elle s’approchait de sa fenêtre, le regard invinciblement là-haut, vers<br />

l’atelier du quatrième. C’était l’orage du soir qui se préparait, heure par<br />

heure, comme se prépare un orage ou un complot, ou l’orage dans un<br />

coeur, la jalousie d’amour dans le plaisir d’amour.<br />

Immobile, distraite, elle avait aperçu Nestor, chargé de fleurs et de<br />

fruits. Il apparaissait et disparaissait sous les platanes. <strong>La</strong>ngouste devait<br />

être de lessive : ce fut Arthur, son homme, massif et titubant, qui distribua<br />

le courrier. Ilse avait entendu que l’on glissait du courrier sous la<br />

porte ; elle n’avait pas bougé. Quand Arthur, devoir accompli, à la porte<br />

de l’escalier D, elle songea au courrier. Parmi des enveloppes de tous<br />

formats, Amérique, Pays-Bas, Turquie, à l’adresse du Professeur, une<br />

carte bariolée de Moser à sa fille, comme si Moser n’était pas rentré. «<br />

Petite fée, écrivait Moser, ma sagesse et mon amour.» Sagement, elle alla<br />

poser sur le bureau du père la pile des enveloppes internationales. Puis, sa<br />

carte pour elle dans la main, d’une chambre à l’autre, baisant l’écriture,<br />

baisant la ville bariolée. Des persiennes fermées, par les fentes, du feu<br />

d’été coulait jusqu’à son coeur. Ilse parlait à son père, parlait à son coeur<br />

: « Même si je suis folle, je serai ta sagesse, Pa ! Je serai ton amour,<br />

même si ...» Elle n’osait pas dire à son père, ne fût-ce qu’a l’écriture de<br />

son père. Puis elle disait : « Tu sais bien que j’aime, qui j’aime. Tu ne

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