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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

haute voix « Adieu, Bavière !» Mais comment oser le dire ? Ilse aux tresses<br />

d’or, fille d’une fée, était Bavière pour toujours. « Ilse chérie, petite<br />

fée !» Et il la pressa sur son coeur.<br />

Elle ferma les persiennes de la chambre et du bureau de son père.<br />

L’été flambait la rue ; il n’était pas encore onze heures. Serge, le garçon<br />

du boucher, était de faction à l’étalage ; Nestor, de sa démarche nonchalante,<br />

d’une boutique à l’autre, l’oeil à tout. Il vit deux tresses, et salua.<br />

<strong>La</strong> chambre de la fée donnait sur la cour, qui avait, de l’ombre, un semblant<br />

de fraîcheur. Ilse ouvrit sa fenêtre toute grande. Elle regarda le décor<br />

familier, le pavé gras, les deux platanes. Escalier D, quatrième étage,<br />

il y avait là-haut en retrait, face aux platanes, une verrière d’atelier qu’on<br />

ne voyait pas.<br />

Elle regarda sa chambre. Elle l’aimait d’être une chambre si petite,<br />

la largeur d’une fenêtre et d’un divan ; ce qu’il fallait, de longueur, pour<br />

loger un peu d’armoire et deux violoncelles. Des rayons partout, et des<br />

livres ! Ilse avait pris pour règle stricte de n’avoir autour d’elle que des<br />

livres qu’elle avait lus. Ceux qu’elle n’avait pas besoin de relire ; d’autres<br />

qui attendaient, qui n’avaient pas encore dit tout ce qu’ils avaient à dire.<br />

Il y avait aussi l’étagère des livres d’enfance, qu’il est plus sage de ne pas<br />

relire : ils risqueraient de ne plus rien dire. Ilse les avait trop aimés pour<br />

ne pas leur réserver une étagère, où ils étaient libres de se raconter indéfiniment<br />

leurs folles histoires. Quel livre serait aujourd’hui son compagnon<br />

de solitude ? Probable, ce qu’elle désirait de savoir ne se trouvait<br />

pas dans un livre.<br />

Ilse frôla de sa main le dos d’un livre. Elle eut un geste vers<br />

l’album des photographies de vacances, où toujours Ilse, le front, les tresses,<br />

ses yeux de franchise, Ilse Tyrolienne ou Sicilienne. Ce ne fut qu’un<br />

geste. Elle n’avait rien à demander à tous ces portraits de la même Ilse<br />

qui savaient tout, qui ne savaient rien, qui ne savaient pas qu’on pût se<br />

sentir comme une étrangère dans sa propre chambre, qu’il ne suffisait pas<br />

que la chambre soit si petite, que la solitude bienheureuse, à livres et violoncelles,<br />

risquait toujours de devenir de la solitude.<br />

Si elle n’avait pas ouvert toute grande la fenêtre, elle aurait fui sa<br />

chambre, ou bien elle serait tombée en pleurant sur son divan ; elle aurait<br />

mordu les coussins, peut-être ! <strong>La</strong> Tyrolienne de quatorze ans, cordes et<br />

piolet, en chamois sauvage au sommet d’un roc, tout un paysage de glaciers<br />

par derrière, ou la douce-Sicilienne pieds nus (quinze ans), rieuse,<br />

des yeux de mer, à la bordure d’un golfe pythagorique, elles auraient pu<br />

dire ce que c’était qu’être jalouse, et qu’il était naturel de pleurer, de<br />

mordre, ou de se jeter par la fenêtre ouverte ; elles n’avaient pas attendu

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