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La Folie - MML Savin

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Le dixième homme 11<br />

digère. Un peu lourde, peut-être, la persillade ; elle passerait avec du<br />

rouge. Lui, mon homme, crache le rouge et réclame du blanc.»<br />

L’homme, Arthur, le dixième, frottait sa tignasse à la colonne gauche.<br />

« Nom de Dieu de nom de Dieu ... Quelle horreur, cette persillade,<br />

ces champignons. Le blanc, je le digère, je ne digère pas les champignons.<br />

Moi, je voulais boire. Elle voulait me faire manger ses champignons.<br />

Je suis trop bon ! Cette femme est aussi méchante que sa chienne.<br />

Moi, je suis bon.» Et d’autres fadaises d’ivrogne. <strong>La</strong> <strong>La</strong>ngouste au désespoir.<br />

Les enfants, par bonheur, étaient couchés, car on a des moeurs<br />

rue du Château autant qu’au boulevard Malesherbes.<br />

Voisins, voisines, les bras ballants : Que dire ? Que faire ? On a de<br />

l’estime pour la <strong>La</strong>ngouste malgré ses hommes qu’elle ne choisit guère.<br />

« Choisir ? disait-elle. Pourquoi choisir ?.. Je ne suis pas sotte, allez ! Au<br />

troisième, j’avais compris. Arthur ou Barnabé, du pareil au même...» On a<br />

de l’estime aussi pour Arthur qui n’a pas tort de dire qu’il est bon, car il<br />

est bon, mais il ne supporte pas un verre de blanc. Et s’obstine : « Le<br />

rouge me fait voir rouge. Alors, je bois du blanc. Et le blanc de blanc,<br />

c’est encore plus inoffensif que le blanc ! Preuve !»<br />

À sa colonne gauche, il ne prouvait plus beaucoup. De la période<br />

vitupérante il glissait insensiblement à la sanglotante.<br />

- Pourquoi qu’on me fête à la Saint-Jean, puisqu’on<br />

m’appelle Arthur ?.. Sur mes papiers, au régiment, c’était Arthur.<br />

- Mais c’est toi qui le veux, gloussait <strong>La</strong>ngouste. À la<br />

Saint-Arthur, il y a deux ans, j’avais tout préparé, pour ta fête, des champignons,<br />

une persillade, du blanc de blanc. Tu as bu le blanc, bien sûr,<br />

mais tu m’as jeté la persillade à la tête, après le blanc. <strong>La</strong> Saint-Arthur<br />

n’existe pas, criais-tu. Moi, on me la fête à la Saint-Jean.<br />

Arthur, en pleurs :<br />

- On ne m’aime pas. Je m’appelle Arthur. Pourquoi la<br />

Saint-Jean ?<br />

- Que veux-tu ? C’est la Saint-Jean. Tu vois bien. Mon<br />

premier homme, c’était un Jean...<br />

- Ce n’est pas une raison, gémissait Arthur.<br />

Tout à coup, de ce fond de rue, qui faisait de la rue une impasse, où<br />

l’on prenait à droite un escalier qui montait vers le pont de chemin de fer<br />

et vers le clair de lune, léger et sourd, un son, comme d’un gond sourd,<br />

léger pourtant, plus léger que le clair de lune. Quand on l’entendit, on se<br />

dit qu’on l’entendait depuis longtemps. Comme si quelqu’un marchait,<br />

scandant largement son pas, d’un pas souple et nonchalant, mais rien de<br />

plus vite ni de plus alerte que ce pas. Arthur ne pleurait plus. <strong>La</strong>ngouste<br />

ne plaidait plus. Voisins et voisines, les yeux sur la lune. Tous virent en-

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