La Folie - MML Savin

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25.06.2013 Views

104 La Folie - Je dis le Capitaine. Mais ce n’était pas son métier. Héros, ce n’est pas un métier. Il était avocat, ou notaire. - Après la guerre, dit Jacques, il s’est installé comme avoué à Sillé-le-Guillaume. - Tu entends, Ilse. Voilà ce que c’est qu’un héros. Lieutenant Barberousse Moser but son kirsch en silence. Et vous, Jacques ? demanda-t-il en reposant son verre. Il disait Jacques ; il n’aurait pas pu dire Monsieur à ce grand garçon. Quand il disait Monsieur à un élève, il y avait du mépris pour le Monsieur. - Moi, c’est tout simple, dit Jacques. Je viens de finir mon temps dans la Marine. Quel beau marin ce devait être, le cou nu, le col bleu flottant aux épaules, du bleu des yeux ! Il ajouta : - Au collège, chez les Jésuites de Laval, j’étais un peu cancre. Je n’ai qu’un bachot sur deux. Au début de ma Philosophie, les Jésuites m’ont renvoyé. Il hésita, le temps de poser son verre et de le reprendre. - J’avais fait le mur. Histoire d’être de l’autre côté. Nous étions si timides, les copains et moi, que nous n’avons pas osé descendre en ville. On s’est contenté d’un billard, au bistrot d’en face. Le veilleur de nuit nous a pincés. À Sillé, mon père m’a dit : « Si tu n’es même pas capable d’être bachelier, devance l’appel. Engage-toi dans la Marine.» Après cinq ans de Marine, je ne suis presque plus timide. C’est autant de gagné. Un silence, en regardant son verre. - Autrefois, chez mon oncle, je passais mes vacances à bricoler. J’avais mon atelier, tous les outils d’un ébéniste. Je dorais des cadres. Je réparais des meubles. C’était un métier. Puisque j’avais appris le métier en m’amusant, d’un été à l’autre : « Essaye, m’a dit mon père. C’est un bon métier.» Quelques billets, pour essayer. Je vais essayer ... Avant de partir : « N’oublie pas le Lieutenant Barberousse, à Paris.» Et votre adresse. Père m’a raconté beaucoup de choses sur vous. Il allait dire : «Vous aussi, vous avez été un héros.» Mais il n’osa pas le dire. Malgré les cinq ans de Marine, il était encore un peu timide, quand il fallait dire. Bref, il cherchait un atelier, pour essayer. - Justement, fit Ilse, je connais un atelier. Le Professeur : - Toi ! Un atelier ?.. - J’ai vu une pancarte à la fenêtre de la loge : Escalier D, quatrième étage, atelier à louer.

La casquette 105 Jacques, le matelot, loua l’atelier. Il fut entendu, une fois pour toutes que le fils d’un héros aurait son couvert chez le Professeur aussi souvent qu’il le voudrait. Dès le premier soir, le reconduisant : - Piano, violon, contrebasse ? interrogea Moser - Un peu de flûte, répondit Jacques. C’est tout. Avant de muer j’avais un filet de soprano. On l’admirait. À partir de la mue, je ne fus qu’un cancre ou pire qu’un cancre. Mon peu de flûte n’est qu’une fantaisie de vacances. Quelque chose comme une vengeance. On a le droit d’aimer la musique, il me semble, même si l’on est cancre. Professeur frappa du poing la poitrine du matelot. « Bon cela ! Bon !» Jacques avait conquis le Professeur. *

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Jacques, le matelot, loua l’atelier. Il fut entendu, une fois pour toutes<br />

que le fils d’un héros aurait son couvert chez le Professeur aussi souvent<br />

qu’il le voudrait. Dès le premier soir, le reconduisant :<br />

- Piano, violon, contrebasse ? interrogea Moser<br />

- Un peu de flûte, répondit Jacques. C’est tout. Avant de<br />

muer j’avais un filet de soprano. On l’admirait. À partir de la mue, je ne<br />

fus qu’un cancre ou pire qu’un cancre. Mon peu de flûte n’est qu’une<br />

fantaisie de vacances. Quelque chose comme une vengeance. On a le<br />

droit d’aimer la musique, il me semble, même si l’on est cancre.<br />

Professeur frappa du poing la poitrine du matelot. « Bon cela !<br />

Bon !» Jacques avait conquis le Professeur.<br />

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