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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> casquette 101<br />

installa une brave Bavaroise rue du Château, gigantesque et canonique,<br />

qui tenait de l’ogresse par les proportions et de la fée par la promptitude<br />

et la gentillesse, Le professeur présidait à l’éducation, attentif aux moindres<br />

détails. Il contrôlait le bain, la pesée, la bouillie et le biberon. Le<br />

soir, il lui arrivait d’envoyer la géante au cirque ou au cinéma et de surveiller<br />

lui-même le sommeil de l’enfant, tout en rédigeant quelque savant<br />

mémoire. Alors, le berceau dans la pénombre, il était heureux, d’un bonheur<br />

qui était triste et mélancolique, qui était son amour, son regret, sa<br />

paix profonde, son désespoir et son espérance, qui était son bonheur<br />

inexplicable. Il aurait fallu la musique pour dire tout ensemble. Se fredonnant<br />

en idée un choral de Bach, un lied du fond des âges, les yeux<br />

humides, il écrivait des pages véhémentes, qui sonnaient l’écroulement<br />

des dogmes linguistiques et la débandade de ses confrères.<br />

Quand Ilse eut ses quatorze ans, la Bavaroise regagna ses montagnes<br />

natales. Ilse gouvernait le petit ménage. Discrète, légère, elle<br />

s’entendait à tout. Une femme du quartier l’aidait pour le plus gros. <strong>La</strong><br />

<strong>La</strong>ngouste lavait et repassait. L’appartement, au premier étage du 9, juste<br />

au-dessus de la loge et de la cochère, n’avait que trois pièces. L’entretien<br />

était facile. Le plus ingrat était de maintenir un semblant d’ordre parmi<br />

les papiers et les livres du professeur. Quand le professeur préparait un<br />

nouvel ouvrage (et il en avait toujours un ou deux en préparation), il y<br />

avait des livres et des papiers partout, sur les fauteuils, par terre, dans la<br />

cuisine et la salle de bains. Autant dire que les trois pièces étaient trois<br />

salles de bibliothèque. Le rayonnage avait gagné de proche en proche. Et<br />

M. Professeur ne remettait jamais en place ! Il descendait des piles de<br />

livres, et les aurait laissés en pile, sur le plancher, à la tablette du lavabo,<br />

jusqu’à la fin des temps.<br />

Ilse avait appris à suivre son père à la trace, à classer par langue et<br />

par époque. Sans y penser, elle était devenue la secrétaire de son père.<br />

Elle ne savait pas non plus comment elle lisait et parlait l’allemand,<br />

l’anglais, l’italien ; pas davantage elle n’aurait pu dire à quel âge elle<br />

avait commencé à jouer du violon, du violoncelle ni de la flûte. Elle<br />

n’avait jamais reçu de leçons de personne, sinon de son père, avant<br />

d’entrer au Conservatoire. Mais de son père à elle, ce n’était jamais leçon.<br />

Elle avait eu des violons comme d’autres ont des poupées. Elle avait<br />

joué à tenir un archet, à frotter des cordes, à chercher un son, à l’âge où<br />

les fillettes jouent à <strong>La</strong> dînette ou à la marelle. Elle avait joué à parler<br />

l’anglais, l’italien, l’allemand, comme de naissance. Elle ne connaissait ni<br />

l’école enfantine ni le lycée. Jamais elle n’avait eu à se taire, à son banc,<br />

les bras croisés, devant une maîtresse d’orthographe ou de géographie.

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