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La Folie - MML Savin

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<strong>La</strong> <strong>Folie</strong><br />

pluie et des nuages. Non, Messieurs ! Le ciel de Faust est le ciel de Goethe.<br />

C’est l’espace de l’esprit. C’est la possibilité de l’âme ...» Il souriait à<br />

sa trouvaille. Le temps d’un éclair, il se rappelait le soupir de Ganymède :<br />

« Gretchen !» Puis, se précipitant au hasard, l’index pointé: « Vous !<br />

Qu’est-ce que j’ai dit ? Possibilité de l’âme. Cela pourrait être de Goethe.<br />

Je vous ordonne de commenter. Espace de l’esprit, si vous préférez.» Espace<br />

ou possibilité, nul commentaire. « Sachez, Messieurs, que Goethe en<br />

personne vous traiterait comme je fais de Jean-Foutre ! Allez disséquer<br />

des grenouilles, si tel est votre sort misérable. Goethe et le ciel vous dépasseront<br />

toujours, de toute la hauteur du ciel.» Le Faust à bout de bras<br />

vers le plafond, pour désigner le ciel.<br />

Une heure chez Sabir, ainsi qu’ils l’appelaient, n’était pas une<br />

épreuve ordinaire. Au sabir, on était saisi d’un rire, comme d’un frisson<br />

ou d’un hoquet, qui vous torturait, qui vous secouait, qui fusait, qu’on<br />

travaillait à dissimuler quand on connaissait ce Titan de l’invective. À<br />

l’invective, on courbait le dos, on se ramassait, on retenait le souffle, on<br />

avalait sa salive. Rares, parmi les petits-fils de Buffon, ceux qui sentaient,<br />

une classe ou l’autre, qu’il y avait du grandiose dans cette fureur<br />

d’éloquence. Et s’ils avaient su qu’il aurait suffi qu’une toute jeune fille,<br />

à deux nattes blondes, un petit nez comme ça, les bonnes joues roses, parût<br />

à la porte ! À la seule vue de sa petite Princesse Ilse, le Titan devenait<br />

plus doux et plus tendre qu’un berger de Bergerie ; le Sabir se compliquait<br />

d’inflexions mélodieuses, de grâces enjouées, que les embarras et le<br />

cocasse du sabir ne rendaient que plus touchantes. Le Ganymède adorant<br />

n’aurait pas eu plus d’extase dans la voix, plus d’ivresse dans le regard. Il<br />

enveloppait, il berçait la fillette d’une sorte de cantilène ininterrompue.<br />

Au lendemain de la guerre, il avait épousé par amour une Bavaroise, à<br />

nattes blondes, aux joues roses, presque une enfant, qui s’était pendue à<br />

son cou à la deuxième rencontre, pour toujours, comme un collier d’or et<br />

d’amour. Ilse, ce nom de fée était son nom. Elle était morte au bout d’un<br />

an d’amour et de musique, en mettant au monde cette autre Ilse, comme<br />

si bouillant professeur était voué à ne point partagé sa tendresse entre<br />

l’une et l’autre.<br />

Jamais il n’avait songé, même en songe, à l’éventualité d’un second<br />

mariage. Il avait gardé son amour intact. <strong>La</strong> philologie n’interdit pas de<br />

croire un peu aux fées et aux métamorphoses. Il se disait parfois que sa<br />

femme-enfant au prénom de fée avait été changée, par quelque volonté<br />

surhumaine, en ce tout petit enfant, qui était leur fille, qui serait une fée à<br />

son tour.<br />

Il n’avait pas mis l’enfant en nourrice, comme il eût été naturel ; il<br />

n’avait plus de parents à qui la confier ; il n’aurait pas voulu la confier. Il

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