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UNIVERSITE DU QUEBEC A TROIS-RIVIERES<br />

MEMOIRE<br />

PRESENTE A<br />

L'UNIVERSITE DU QUEBEC A TROIS-RIVIERES<br />

comme exigence partielle<br />

DE LA MAITRISE EN ETUDES QUEBECOISES<br />

PAR<br />

RENE VERRETTE<br />

LE REGIONALISME MAURICIEN DES ANNEES TRENTE<br />

MAI 1989


<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

Service de la bibliothèque<br />

Avertissement<br />

L’auteur de ce mémoire ou de cette thèse a autorisé l’<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong><br />

<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières <strong>à</strong> diffuser, <strong>à</strong> des fins non lucratives, une copie de son<br />

mémoire ou de sa thèse.<br />

Cette diffusion n’entraîne pas une renonciation de la part de l’auteur <strong>à</strong> ses<br />

droits de propriété intellectuelle, incluant le droit d’auteur, sur ce mémoire<br />

ou cette thèse. Notamment, la repro<strong>du</strong>ction ou la publication de la totalité<br />

ou d’une partie importante de ce mémoire ou de cette thèse requiert son<br />

autorisation.


LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS<br />

LISTE DES ANNEXES<br />

AVANT-PROPOS<br />

INTRODUCTION<br />

TABLE DES MATIERES<br />

PREMIERE PARTIE<br />

LE CONTEXTE D'APPARITION DU DISCOURS<br />

CHAPITRE l - LE CONTEXTE GENERAL QUEBECOIS<br />

1. Les conséquences de la Crise de 1929<br />

2.<br />

3.<br />

4.<br />

Les rappels <strong>à</strong> l'ordre .....•...•.....................<br />

La génération de la relève .......................... .<br />

Les courants d'idées internationaux ...........•.....<br />

VII<br />

VUI<br />

1<br />

4<br />

23<br />

29<br />

32<br />

33


CHAPITRE II - LE CONTEXTE MAURICIEN<br />

1. L'effondrement économique de la Mauricie .....•.•.••• 38<br />

2. Le mirage de la colonisation ........•.•.....•.•.•.•. 45<br />

3. la misère no; re ..................................... 48<br />

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ..•...•...•.......•...•.....•• 52<br />

DEUXIEME PARTIE<br />

LES ORIGINES ET L'ELABORATION DU DISCOURS REGIONALISTE<br />

CHAPITRE III - LES VISIONS ET LES ENSEIGNEMENTS DE<br />

L'ABBE JOSEPH-GERIN GELINAS<br />

1. Le neveu d'Antoine Gérin-Lajoie ...•...•......••..... 55<br />

2. L'amour de la patrie trifluvienne .•...••.•....•....• 57<br />

3. La primauté <strong>du</strong> spirituel sur le temporel............ 61<br />

CHAPITRE IV - L'APOTRE DE LA MAURICIE: ALBERT TESSIER<br />

1. Un nostalgique de la Nature ......•..•...•......•.... 66<br />

2. Les sources <strong>du</strong> régionalisme de Tessier ..•........... 75<br />

3. Le régionalisme mauricien ou "le gros bon sens" 86<br />

CHAPITRE V - L'UNIVERS POETIQUE DE NEREE BEAUCHEMIN<br />

1. Le médecin-poète de Yamachiche ...........•........•. 102<br />

2. La patrie intime.................................... 104<br />

CHAPITRE VI - UN LIBERAL NATIONALISTE: LOUIS-O. DURAND<br />

1. Le tribun flamboyant .. .•. .............. •............ 107<br />

2. La Mauricie économique .............................. 111<br />

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE 117<br />

iv


TROISIEME PARTIE<br />

LE REGIONALISME MAURICIEN ET LA SOCIETE REGIONALE<br />

CHAPITRE VII - LE DEBAT SUR LE REGIONYME MAURICIE<br />

1. La création <strong>du</strong> régionyme .............•...•...•...•.. 122<br />

2. La cont roverse ...................................... 125<br />

3. Une nouvelle conscience régionale .......•.•.......•• 130<br />

CHAPITRE VIII - LES FETES DU TRICENTENAIRE<br />

1. L'organisation des Fêtes ...................•........ 134<br />

2. Le déroulement des festivités .•.•.....•.•........•.. 137<br />

3. L'idéologie des Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire ..•......••••. 144<br />

CHAPITRE IX - LA MYSTIQUE DU FLAMBEAU<br />

1. La fondation de la Société Le Flambeau ..•..•.•.•.•.• 149<br />

2. La revue Le Fl ambeau •.•..............•.•.•.•..•..•.• 154<br />

3. Un régionalisme plus ouvert ...•...........•....••.•. 159<br />

CHAPITRE X - LE REGIONALISME MAURICIEN ET LES PRATIQUES<br />

CULTURELLES DES ANNEES TRENTE<br />

1. La vie intellectuelle trifluvienne ....•..•...••....• 164<br />

2. Le régionalisme littéraire en Mauricie ....•......... 172<br />

3. Brève analyse des oeuvres littéraires<br />

et historiques ................•..•.•...........•..•. 180<br />

4. Revue des autres pro<strong>du</strong>ctions artistiques •........... 195<br />

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE .....................•...•.•. 199<br />

v


,<br />

LISTE DES SIGLES ET ABREVIATIONS<br />

ASTR - Archives <strong>du</strong> Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

BP - Le Bien public<br />

CEDEQ- Centre de documentation en études québécoises, bibliothèque de<br />

l'<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

F - Le Flambeau<br />

H - Horizons<br />

M - Le Mayricien<br />

N - Le Nouvelliste


ANNEXE l<br />

ANNEXE II<br />

ANNEXE III<br />

ANNEXE IV<br />

ANNEXE V<br />

ANNEXE VI<br />

ANNEXE VII<br />

ANNEXE VIII<br />

Figure 1<br />

Figure 2<br />

Figure 3<br />

Figure 4<br />

Figure 5<br />

Figure 6<br />

Figure 7<br />

FIGURES<br />

LISTE DES ANNEXES<br />

Valeur brute de la pro<strong>du</strong>ction manufacturière<br />

Nombre et valeur des permis de construction<br />

Nombre de personnes inscrites au Secours direct<br />

Population de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

Revenus de la quête pour la Sainte-Enfance<br />

Fréquence annuelle des textes <strong>du</strong> corpus de référence<br />

Analyse fréquentielle des mots-pivots et des motsannexes<br />

Chronologie des événements<br />

Un taudis <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

Généalogie des ancêtres littéraires et théologiques <strong>du</strong><br />

régionalisme d'Albert Tessier<br />

Le discours social d'Albert Tessier<br />

Tableau synoptique des discours de Gélinas, Tessier et<br />

Durand<br />

Témoignages des contemporains<br />

Catalogue de la collection des "Pages trif1uviennes"


ANNEXE IX DOCUMENTS<br />

Document l Questionnaire donné par Tessier <strong>à</strong> ses élèves en<br />

décembre 1936.<br />

Document 2: Extrait de la conférence présentée par Albert Tessier<br />

devant les membres de la Société Le Flambeau, le 25<br />

novembre 1938.<br />

Document 3:<br />

Document 4:<br />

Extrait de la conférence présentée par Louis-O.<br />

Durand <strong>à</strong> Drummondvi11e, le 27 janvier 1936.<br />

Article <strong>du</strong> Père Alexandre Dugré, s.j., dans Images de<br />

la Mauricie [1937].<br />

ix


A la mémoire de mon grand-père<br />

Henri Verrette (1883-1962), menuisier,<br />

conteur et amateur de "belle ouvrage",


AVANT-PROPOS<br />

Décrire et synthétiser le paysage idéologique d'une société régio­<br />

nale qui se développait au moment de la gestation d'une révolution<br />

tranquille <strong>à</strong> venir représente un défi redoutable mais exaltant pour le<br />

chercheur. Il lui faut veiller <strong>à</strong> ne point succomber aux sirènes venues<br />

de deux horizons opposés. le chercheur doit tout d'abord renverser<br />

l'obstacle sournois, parce que dissimulé, des a priori idéologiques,<br />

idées reçues tenues comme évidence par le consensus commun. D'autre<br />

part, les derniers témoins ou acteurs des événements <strong>à</strong> l'étude sont<br />

encore l<strong>à</strong> qui offrent le garant d'une sincérité entière et font preuve<br />

d'un enthousiasme encore intact après un demi-siècle. Comment concilier<br />

alors l'effort d'objectivité que réclame l'analyse d'un fait idéologique<br />

avec les exigences de l'amitié et <strong>du</strong> respect?<br />

lucide (mais sans illusion) d'assumer une<br />

efficiente répond selon nous <strong>à</strong> l'attitude<br />

devant l'objet d'étude: ne pas verser dans<br />

hie), ni se leurrer par un déboulonnage de<br />

règlements de compte savants.<br />

la volonté persévérante et<br />

intégrité intellectuelle<br />

requise chez le chercheur<br />

l'apologie (ou l'hagiograp­<br />

statues dans le style des


Des circonstances favorables, sans doute exceptionnelles, ont par<br />

ailleurs compensé les difficultés précitées. La majorité des discours et<br />

des activités en rapport avec notre sujet d'étude ont été soit consignés<br />

en entier, soit résumés de façon presque toujours satisfaisante dans les<br />

journaux et les périodiques de l'époque considérée. L'existence d'outils<br />

de travail efficaces - répertoires journalistiques, dépouillements<br />

thématiques - de même qu'une documentation pléthorique - fonds d'ar­<br />

chives, articles de journaux, monographies et articles publiés dans les<br />

revues savantes - ont facilité une tâche stimulée par la richesse des<br />

données disponibles. Malgré l'ampleur relative <strong>du</strong> présent travail, le<br />

sujet <strong>du</strong> régionalisme mauricien nous paralt loin d'être épuisé. Nous<br />

souhaitons que cet effort de compréhension d'une région puisse susciter<br />

d'autres travaux et, de ce fait, ouvrir un débat sur ce sujet de plus en<br />

plus d'actualité qu'est la régionalisation des pouvoirs gouvernementaux<br />

dans le contexte de l'émergence d'une conscience régionale.<br />

*<br />

Nous exprimons nos remerciements aux personnes qui ont contribué <strong>à</strong><br />

un titre ou <strong>à</strong> un autre <strong>à</strong> la réalisation <strong>du</strong> mémoire de maîtrise. Nous<br />

devons beaucoup <strong>à</strong> Messieurs Guildo Rousseau et René Hardy, professeurs<br />

au Centre de recherche en Etudes québécoises de l'<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong><br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, respectivement directeur et co-directeur de la présente<br />

étude. Leur disponibilité vigilante et leurs encouragements stimulants<br />

ont contribué <strong>à</strong> la valeur <strong>du</strong> résultat de même qu'<strong>à</strong> notre persévérance.<br />

2


Que Madame Edith Manseau et Monsieur Réjean Hou1d <strong>du</strong> Centre de documenta­<br />

tion en Etudes québécoises, Madame Suzanne Girard des Archives <strong>du</strong> Sémi­<br />

naire de <strong>Trois</strong>-Rivières, les professeurs Michel Bel1ef1eur, Rémi Touran­<br />

geau, André Paradis et Roger Levasseur <strong>du</strong> Centre de recherche en Etudes<br />

québécoises, de même que le professeur Jacques Beaudry de l'<strong>Université</strong> de<br />

Sherbrooke, reçoivent ici le témoignage de notre gratitude. Merci<br />

également pour le soutien reçu de Messieurs Clément Marchand, René Ribes<br />

et Maurice Carrier, de même que <strong>du</strong> Père Rodrigue Larue. Enfin, nous<br />

remercions Madame Louise Hurtubise qui a patiemment et avec compétence<br />

saisi sur traitement <strong>du</strong> texte le manuscrit <strong>du</strong> mémoire.<br />

3<br />

René Verrette


INTRODUCTION<br />

Aborder l'étude d'un courant régionaliste <strong>à</strong> une époque où la ten­<br />

dance géopolitique s'affirme dans l'union de grands ensembles politiques<br />

et économiques peut sembler, <strong>à</strong> première vue, un anachronisme ou, <strong>à</strong> tout<br />

le moins, un sujet dépourvu d'actualité.<br />

d'identité au niveau de la collectivité<br />

Pourtant, l'analyse d'une quête<br />

régionale est susceptible de<br />

rejoindre une sensibilité toute récente, associée précisément <strong>à</strong> une<br />

revalorisation des mentalités régionalistes face au pouvoir centralisa-<br />

teur. Cette méfiance, voire cette opposition, se manifeste <strong>à</strong> l'endroit<br />

d'un appareil bureaucratique envahissant. Nombre d'historiens - Braudel,<br />

Duby, Leroy-La<strong>du</strong>rie - ont répété que l'Histoire est fille de son temps et<br />

que ses objets d'études tra<strong>du</strong>isent les préoccupations d'aujourd'hui,<br />

autant dans leur choix que dans leur analyse.<br />

Au <strong>Québec</strong>, la Mauricie, par la voix de ses élites, s'est préoccupée<br />

depuis longtemps de ce problème d'identité qui a déterminé certaines<br />

composantes de l'histoire de son développement. Dans Forêt et société<br />

en Mauricie 1 , René Hardy et Normand Séguin notent que la Mauricie, avec<br />

1. Forêt et société en Mauricie, p. 5.


<strong>Trois</strong>-Rivières comme chef-lieu régional, est née au XIX· siècle <strong>à</strong> la<br />

suite de l'exploitation commerciale de la forêt et de l'économie <strong>du</strong> bois.<br />

Néanmoins, font-ils remarquer, sous le Régime français la zone triflu­<br />

vienne apparaissait déj<strong>à</strong> comme une entité distincte grâce <strong>à</strong> la division<br />

administrative d'un gouvernement spécifiant une ébauche d'identité<br />

régionale 2 • Finalement, constatent les deux historiens, "la Mauricie<br />

n'est pas qu'un espace économique, elle existe aussi comme espace mental,<br />

comme une référence dans l'imaginaire collectif 3 ".<br />

Effectivement une prise de conscience régionale, développée depuis<br />

le siècle dernier, a connu son aboutissement <strong>du</strong>rant les années trente <strong>à</strong><br />

partir de la réflexion idéologique de certaines élites locales recrutées<br />

principalement dans le clergé, les professions libérales et le jour­<br />

nalisme. Opérée par la fraction intellectuelle de la petite bourgeoisie<br />

trif1uvienne francophone, cette cristallisation a donné lieu <strong>à</strong> l'énoncia­<br />

tion d'un discours que l'on désigne sous le nom de "régionalisme mauri­<br />

cien" - "régionalisme" parce que c'est la désignation qu'employait son<br />

principal diffuseur, l'abbé Albert Tessier, et "mauricien parce que ce<br />

discours s'adressait en premier lieu aux habitants de la région et qu'il<br />

moussait la fierté de vivre en Mauricie. En 1938, Albert Tessier défi­<br />

nissait ainsi le mouvement d'idée et d'action qu'il avait lancé dix ans<br />

auparavant:<br />

2. Ibid., p. 8.<br />

3. Ibid., p. 204.<br />

5


Le régionalisme constitue la mise en valeur intelligente,<br />

ordonnée, méthodique des virtualités matérielles et spirituelles<br />

que le bon Dieu a mises <strong>à</strong> notre disposition dans un milieu<br />

<strong>à</strong> une époque donnée 4 •<br />

Le mouvement mis en branle par Tessier peut être corrélé (et il l'a<br />

été effectivement par ses principaux acteurs) avec des événements spciaux<br />

et intellectuels qui ont constitué le fond de scène de la société mauri-<br />

cienne des années trente. L'étude de ce mouvement régional constitue le<br />

sujet <strong>du</strong> présent mémoire qui se limitera <strong>à</strong> l'époque 1930-1940.<br />

***<br />

L'objectif premier <strong>du</strong> mémoire est d'étudier les rapports (représen-<br />

tations globales, idées/images) possibles entre l'émergence et la dif-<br />

fusion d'une idéologie régionaliste dans le contexte socio-économique<br />

secoué par la crise économique des années trente. Nous avons tenté<br />

d'établir l'existence d'un rapport entre l'inscription <strong>du</strong> régionalisme<br />

dans l'imaginaire collectif et un besoin d'évasion, de repli ou d'iden-<br />

tification <strong>à</strong> un idéal mobilisateur. La présente recherche vise également<br />

<strong>à</strong> démontrer dans quelle mesure cette idéologie a constitué un élément<br />

moteur <strong>du</strong> développement régional. Nous partons en effet de l'hypothèse<br />

que le déterminisme économique, agissant comme cause ultime dans l'évolu-<br />

tion d'une société, est occulté par des représentations sociales<br />

4. Albert Tessier, "L'avenir <strong>du</strong> Flambeau", conférence prononcée devant<br />

les membres de la Société Le Flambeau le 25 novembre 1938. (Voir Le<br />

Nouvelliste, 26 novembre 1938, p. 3 et 4.)<br />

6


habituellement cristallisées dans une idéologie 5 • De façon plus explici-<br />

te, la crise économique ressentie <strong>à</strong> partir de 1930 a constitué l'élément<br />

catalyseur d'une tendance amorcée par l'in<strong>du</strong>strialisation spectaculaire<br />

qu'avait connue la Mauricie depuis une génération. Aussi l'intuition de<br />

départ, qui a inspiré la formulation de cette hypothèse, découle non<br />

seulement d'une analyse des événements, mais aussi de l'étude que nous<br />

avons menée sur les pratiques discursives de l'école régionaliste en<br />

Mauricie 15 •<br />

Nous avons cherché par ailleurs <strong>à</strong> éviter cette nalveté épistémologi-<br />

que d'un matérialisme primaire qui consisterait <strong>à</strong> poser comme a priori<br />

l'origine <strong>du</strong> discours régionaliste dans la crise économique qui a suivi<br />

le krach de la Bourse de New York en 1929. Dès avant cette année fatidi-<br />

que, un discours social fondé sur les valeurs régionalistes était déj<strong>à</strong><br />

formulé dans l'élite locale. L'idée directrice que nous entendons suivre<br />

5. Notre position rejoint celle de Georges Duby selon qui "les ressorts<br />

profonds de l'histoire sont [ ... ] dans l'aménagement des forces<br />

pro<strong>du</strong>ctives, dans la manière dont furent réparties d'âge en âge<br />

entre les hommes la puissance et les richesses" (Histoire de la<br />

France, p. 9).<br />

6. Par exemple, Tessier écrit en 1940: "l'accroissement rapide de la<br />

région mauricienne a pu s'accompagner d'un développement parallèle<br />

de la mentalité régionale [ ... ] Il était difficile <strong>à</strong> tant de<br />

nouveaux venus [ ... ] de s'adapter rapidement <strong>à</strong> l'atmosphère spéciale<br />

de leur petite patrie d'adoption et de constituer un bloc humain<br />

homogène ... " (Le Nouvell iste, 23 novembre 1940, p. 26). De son<br />

côté, Clément Marchand constate la perte d'identité consécutive aux<br />

bouleversements, le glissement vers "un pragmatisme prolétarien" et,<br />

par conséquent, la nécessité de "redonner une âme" <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

("La vie laborieuse de Mgr Tessier", Les cahiers des Dix, nO 41,<br />

1976, p. 10). D'autres témoins de l'effervescence des années trente<br />

relieront la montée <strong>du</strong> régionalisme maurlClen <strong>à</strong> la crise<br />

économique, tel le général Jean-V. Allard (voir l'Annexe VI).<br />

7


est que l'impact des mutations économiques et sociales vécues en Mauricie<br />

depuis le début <strong>du</strong> siècle - telles l'in<strong>du</strong>strialisation et les migrations<br />

vers les centres urbains - a provoqué, par les déracinements et le<br />

passage <strong>à</strong> une culture urbaine 7 , une déstabilisation des mentalités<br />

favorisant une "appétence idéologique". Cette dernière formule empruntée<br />

<strong>à</strong> Colette Moreux 8 explicite l'idée - <strong>à</strong> laquelle nous souscrivons et qui<br />

détermine notre démarche - d'un climat social dont les tensions ouvrent<br />

la voie <strong>à</strong> l'acceptation de discours sociaux rassurants. Une telle<br />

approche doit en conséquence rendre compte non seulement des détermina-<br />

tions imposées par les structures économiques, démographiques et so-<br />

ciales, mais également des attitudes mentales, des comportements et des<br />

représentations de l'imaginaire social, tels qu'ils se rationalisent dans<br />

un discours idéologique et y trouvent leurs justifications. C'est un<br />

inventaire de l'outillage mental de la Mauricie des années trente que<br />

nous avons voulu établir, non seulement au plan <strong>du</strong> discours social, mais<br />

<strong>du</strong> discours symbolique de la littérature et des arts.<br />

Nous avons aussi suivi Colette Moreux dans une autre orientation<br />

épistémologique. En effet, l'auteure de la Conviction idéologiqye récuse<br />

le lien de causalité existant entre l'idéologie et l'action sociale.<br />

7. Les difficultés d'adaptation <strong>à</strong> l'aménagement des temps de travail en<br />

usine et <strong>à</strong> la rationalisation qui déshumanise les gestes de la<br />

pro<strong>du</strong>ction en chaîne, de même que le passage de la vie rurale <strong>à</strong> la<br />

vie de quartier ouvrier n'atteignaient non seulement la nouvelle<br />

classe ouvrière, mais l'ancienne population, notamment la<br />

petite bourgeoisie, qui se voyait menacée dans sa tranquillité par<br />

l'arrivée massive de ces "étrangers".<br />

8. Colette Moreux, La conviction idéologique, p. 73.<br />

8


Tout en admettant la nécessité formelle d'un lien entre savoir idéologi­<br />

que et action sociale, elle ré<strong>du</strong>it ce lien <strong>à</strong> une symbiose dont la jus­<br />

tification se situe ailleurs, plus précisément dans la volonté intel­<br />

ligente orientée vers la domination: c'est-<strong>à</strong>-dire vers le pouvoir quasi­<br />

magique de faire surgir la vérité <strong>à</strong> partir de la seule dynamique de<br />

l'imaginaire. En un mot, il ne s'agit pas de savoir si l'action sociale<br />

trif1uvienne constitue l'origine ou la conséquence <strong>du</strong> discours des<br />

régionalistes, mais comment ce continuum action-discours tire son origine<br />

de l'activité imaginaire nourrie par le contexte socio-économique.<br />

Cette problématique nous a amené <strong>à</strong> l'étude la plus complète possible<br />

de l'ensemble des appareils idéologiques - la presse, les institutions et<br />

les associations - afin de saisir les modalités de la dialectique dis­<br />

cours-action sociale. Mais avant d'exposer la méthodologie suivie pour<br />

l'analyse <strong>du</strong> discours, il nous para't essentiel de dissiper quelque peu<br />

le flou conceptuel entourant des notions telles que "régionalisme",<br />

"idéologie" et "imaginaire". En effet, si le réalisme constitue la<br />

convention obligée de la pratique historienne, comme l'affirme Guy<br />

lardreau 9 , le nominalisme doit s'imposer dans la réflexion que l'his­<br />

torien développe <strong>à</strong> propos <strong>du</strong> discours historique: "le réel de l'his­<br />

torien, de poursuivre lardreau, n'est rien d'autre que celui qui pro<strong>du</strong>it<br />

l'application au corpus qu'il s'est donné des règles qu'il a choisies 10 ".<br />

9. Dialogues, p. 9.<br />

10. Ibid., p. 9.<br />

9


Il faut donc admettre que l'objet de recherche doit être construit par<br />

une conceptualisation niant la réalité immanente des concepts.<br />

***<br />

L'origine <strong>du</strong> lexème "régionalisme" est des plus confuses quoiqu'on<br />

puisse affirmer avec certitude qu'il existait en 1875 11 • Le Littré<br />

l'associe <strong>à</strong> "l'esprit de région, de localité". Cette très vague défini-<br />

tion se précisera <strong>à</strong> mesure que le mouvement régionaliste français se<br />

situera par rapport <strong>à</strong> des courants politiques et <strong>à</strong> des écoles littérai-<br />

res. Ainsi, dans l'édition de 1935 <strong>du</strong> Dictionnajre de l'Académie, le<br />

régionalisme est défini de la façon suivante:<br />

Tendance <strong>à</strong> favoriser, tout en maintenant l'unité nationale, le<br />

développement particulier et autonome des régions et en conserver<br />

la physionomie des moeurs, les coutumes et les traditions<br />

historiques.<br />

Tradition, coutume, autonomie (mais non séparatisme), voil<strong>à</strong> les<br />

11. La paternité de "régionalisme" reviendrait selon E. Nolout, cité par<br />

Thiébaut Flory (Le Mouvement régionaliste français: sources et<br />

développements, p. 2), <strong>à</strong> Maurice Barrès qui l'aurait utilisé<br />

publiquement en 1899. Flory précise toutefois que Jean Charles­<br />

Brun, l'animateur et spécialiste <strong>du</strong> régionalisme français, a réfuté<br />

cette attribution. Selon lui, ce serait <strong>à</strong> un poète <strong>du</strong> Félibrige,<br />

Léon de Berluc-Perussis, ami et correspondant de Frédéric Mistral,<br />

que le lexème devrait son origine, et cela dès 1874. D'autre part,<br />

Le Grand Robert (édition de 1985), reprenant un supplément <strong>du</strong><br />

Littré, fait de J. de Reinach (dans Le Journal des Débats <strong>du</strong> 6<br />

octobre 1875), le premier utilisateur de "régionalisme". Quoi qu'il<br />

en soit, le terme devient courant avec la fondation en 1900 de la<br />

Fédération régionaliste française.<br />

10


descripteurs qui colleront définitivement <strong>à</strong> la notion de régiona1isme 12 •<br />

Depuis les années trente, le terme se voit chargé d'une connotation<br />

politique qui a fini de nos jours par éclipser toutes les autres 13 • S'en<br />

est progressivement détaché le concept de régionalisme littéraire avec<br />

les travaux de Paul Vernois 14 • Ce dernier a cherché <strong>à</strong> distinguer le<br />

roman rustique <strong>du</strong> roman régionaliste, distinction nuancée par Maurice<br />

Lemire dans son intro<strong>du</strong>ction au tome deux <strong>du</strong> Dictionnaire des oeyvres<br />

littéraires <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> (1900-1939). Nous y reviendrons dans un chapitre<br />

subséquent consacré <strong>à</strong> la pro<strong>du</strong>ction littéraire mauricienne. Nous vou-<br />

drions souligner le fait que les auteurs analysés par Vernois sont<br />

précisément ceux que les régionalistes mauriciens apprécieront le mieux<br />

dans la littérature française. Nous entendrons par régionalisme lit-<br />

téraire la conceptualisation qu'en a donnée René Dionne en 1982:<br />

12. Encore aujourd'hui la définition <strong>du</strong> Grand Robert de la langue<br />

française (édition 1985, tome 8, p. 166) recouvre le même champ<br />

sémantique en le divisant toutefois en deux domaines plus<br />

particuliers: "Tendance <strong>à</strong> conserver ou favoriser certains traits<br />

particuliers (coutumes, traditions) d'une région ou d'une province"<br />

(sens général); "tendance, système donnant aux régions ou aux<br />

provinces une certaine autonomie" (sens politique).<br />

13. Ainsi, dans l'édition de 1980 de L'Encyclopaedia universa1is<br />

(vo1.13, p.1090-1092), l'article de J. de Lanversin consacré au<br />

régionalisme ne traite que <strong>du</strong> problème de la régionalisation<br />

politique et économique. Toutefois, J. Tu1ard, <strong>à</strong> l'article<br />

"France: achèvement de l'unité (1789-1944)" dans le même ouvrage<br />

consacre une page <strong>à</strong> l'évolution <strong>du</strong> régionalisme français. Il relate<br />

la fondation <strong>du</strong> Félibrige en 1876 par le groupe de Mistral, de même<br />

que les récupérations par Maurras (1900), par le géographe Vidal de<br />

la Blache (1910) et, finalement, par le programme de la "révolution<br />

nationale" <strong>du</strong> gouvernement de Vichy (1942). Cette dernière<br />

appropriation discréditera pour longtemps le concept de régionalisme.<br />

14. Notamment sa thèse de doctorat sur Le Roman rustique de George Sand<br />

<strong>à</strong> Ramuz: ses tendances et son évolution (1860-1925).<br />

11


[La littérature régionaliste] peint d'ordinaire avec sympathie<br />

et exactitude un milieu donné: ses paysages, ses habitants, sa<br />

vie sociale, etc.; elle est la plupart <strong>du</strong> temps l'expression,<br />

plus ou moins consciente, d'une tendance, souvent instinctive,<br />

<strong>à</strong> conserver certaines traditions et coutumes particulières <strong>à</strong><br />

un groupe, mais parfois aussi l'expression d'une volonté bien<br />

déterminée de mettre en valeur, dans un but politique, économique,<br />

touristique ou autre, un certain territoire 15 •<br />

Finalement, soulignons le fait que le thème <strong>du</strong> régionalisme a fait<br />

l'objet d'au moins deux colloques en France, le premier en aoOt 1937, <strong>à</strong><br />

Ath, et le second <strong>à</strong> Strasbourg, en octobre 1974 18 • L'analyse <strong>du</strong> discours<br />

régionaliste permettra de le définir d'une façon formelle et de comparer<br />

cette définition avec les précédentes. Le discours émis par les dif-<br />

fuseurs <strong>du</strong> régionalisme relevant de la manipulation idéologique, il<br />

importe, croyons-nous, de conceptualiser l'idéologie.<br />

15. René Dionne, "La littérature régionale: définition et problèmes",<br />

Revue d'histoire littéraire <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> et <strong>du</strong> Canada français, nO 3<br />

(hiver-printemps 1982), p. 10. L'auteur distingue aussitôt après la<br />

littérature régionaliste de la littérature régionale, cette<br />

dernière constituant la somme des oeuvres se rattachant <strong>à</strong> une région<br />

"par le lieu de naissance ou de travail de leurs auteurs ou encore<br />

par l'intérêt qu'un auteur étranger manifeste <strong>à</strong> cette région qu'il a<br />

visitée ou connue de quelque manière". Cette précision est<br />

opératoire pour notre recherche et déterminera la liste des oeuvres<br />

<strong>à</strong> étudier.<br />

16. Une délégation canadienne-française dirigée par le Père Lucien<br />

Lajoie, représentant de la Société d'histoire régionale de <strong>Québec</strong>,<br />

prit part au Congrès international <strong>du</strong> Régionalisme en 1937. Le Père<br />

Lajoie rendit un vibrant hommage <strong>à</strong> l'action entreprise par Albert<br />

Tessier et affirma que "le destin de la survivance française au<br />

Canada est intimement lié au régionalisme" (Voir ASTR, Fonds Albert­<br />

Tessier, FN-0014,Q-2). Quant aux actes <strong>du</strong> colloque de Strasbourg,<br />

organisé par la Faculté des sciences historiques de l'<strong>Université</strong> des<br />

Sciences humaines de Strasbourg, ils ont été publiés par Christian<br />

Gras et Georges Livet. Ils concernent les régionalismes développés<br />

dans les provinces de France depuis l'Ancien Régime jusqu'au Gouvernement<br />

de Pétain et au référen<strong>du</strong>m <strong>du</strong> général de Gaulle, en 1969, sur<br />

la régionalisation.<br />

12


Durant les années trente la notion d'idéologie se chargeait d'une<br />

connotation nettement péjorative: les tenants et les opposants <strong>du</strong> régio-<br />

nalisme mauricien se sont mutuellement accusés d'être des "idéologues<br />

fumeux" • C'est dans une perspective tout autre que nous abordons le<br />

courant régionaliste sous l'angle de l'idéologie. Eclairons tout d'abord<br />

ce que nous entendons ce terme. Jean Baech1er précise d'entrée de jeu<br />

que toute définition de l'idéologie est nécessairement arbitraire 17 parce<br />

qu'elle porte sur des objets des sciences humaines qui ne sont pas<br />

isolables, comme un élément chimique ou un objet mathématique. Baech1er<br />

ajoute que le découpage de la réalité dont résulte l'objet d'étude<br />

sociologique n'est pas justifiable a priori, mais "doit l'être rétros-<br />

pectivement, dans la mesure où il a permis l'accumulation d'un savoir<br />

efficace 1s ". Sa conception de l'idéologie renvoie aux états de con-<br />

science (restreints <strong>à</strong> leur expression discursive) liés <strong>à</strong> l'action politi-<br />

que 19 • Dans la présente étude, nous avons affaire <strong>à</strong> un courant d'idées<br />

qui s'est tenu farouchement en dehors de la sphère po1it1que partisane.<br />

Nous utiliserons plutôt la conception de l'idéologie par Colette Moreux,<br />

qui est fondée sur deux propositions: 1° le langage idéologique explicite<br />

un pseudo-savoir, plus préoccupé de persuader (sans tenir compte des<br />

catégories <strong>du</strong> vrai et <strong>du</strong> faux) que de renseigner objectivement; 2° tout<br />

17. Jean Baech1er, Qu'est-ce gue l'idéologie?, p. 11-12.<br />

18. Ibid. p.15.<br />

19. Ibid. p. 21-22. Baech1er emploie la formule "action politique" au<br />

sens de stratégie d'action.<br />

13


langage social est un langage idéologique 2o • A ces propositions s'ajou-<br />

tent le postulat de la symbiose discours social-action sociale, l'action<br />

sociale étant ici considérée comme effet d'une volonté de domination<br />

soutenue par l'imaginaire. L'adhésion <strong>à</strong> ce postulat déterminera notre<br />

méthodologie comme nous le verrons plus loin. Par ailleurs, considérant<br />

l'idéologie comme un instrument de la soumission non violente opérant par<br />

les vertus de la sé<strong>du</strong>ction, Colette Moreux insiste sur l'importance des<br />

charismes indivi<strong>du</strong>els des émetteurs <strong>du</strong> discours. Par conséquent, nous<br />

chercherons <strong>à</strong> établir les sources <strong>du</strong> discours des principaux diffuseurs<br />

<strong>du</strong> discours régionaliste mauricien, en les rapportant <strong>à</strong> leur situation<br />

existentielle, leur enfance, leur é<strong>du</strong>cation, ainsi qu'aux influences<br />

philosophiques ou littéraires qu'ils ont subies.<br />

Cette conception de l'idéologie présente des affinités avec le point<br />

de vue d'Althusser qui voit dans l'idéologie une représentation imagi-<br />

naire des indivi<strong>du</strong>s par rapport <strong>à</strong> leurs conditions réelles d'existence 21 •<br />

Selon lui, l'idéologie assujettit les indivi<strong>du</strong>s <strong>à</strong> une domination et<br />

assure la repro<strong>du</strong>ction sociale. A ses yeux, la société "marche" <strong>à</strong><br />

l'idéologie comme un moteur <strong>à</strong> l'essence, l'idéologie s'appuyant sur les<br />

réseaux sociaux (médiatiques, institutionnels, associatifs) qui la<br />

20. La conviction idéologique, p. 9-10.<br />

21. "Idéologie et appareils idéologiques d'Etat (notes pour une<br />

recherche)", La Pensée, nO 151, mal-Juln 1970, p. 3-38. Althusser<br />

distingue les "appareils idéologiques d'Etat": les églises, l'école,<br />

la justice, la famille, les syndicats, l'information, etc. des<br />

"appareils répressifs d'Etat", tels la police, l'armée, ou les prisons.<br />

14


diffusent, ces réseaux devenant ainsi des appareils idéologjgyes22 • Par<br />

conséquent nous serons amené <strong>à</strong> étudier le rôle de l'Eglise, des institu-<br />

tions scolaires, des gouvernements et des associations dans la réussite<br />

<strong>du</strong> régionalisme mauricien.<br />

Finalement, le fait d'admettre le rôle de l'imaginaire social dans<br />

l'élaboration <strong>du</strong> discours idéologique et dans la réception de celui-ci<br />

entra1ne la nécessité d'un déblayage sémantique autour d'un concept<br />

souvent galvaudé. Evelyne Pat1agean pose le principe que le domaine de<br />

l'imaginaire est constitué "par l'ensemble des représentations qui<br />

débordent la limite posée par les constats de l'expérience et les enchaî-<br />

nements dé<strong>du</strong>ctifs que ceux-ci autorisent2 3 ". l'auteure ajoute que<br />

"chaque culture, donc chaque société voire chaque niveau d'une société<br />

complexe, a son imaginaire". Celui-ci est associé au champ entier de<br />

l'expérience humaine, comme l'angoisse inspirée par les inconnues de<br />

l'avenir et <strong>du</strong> présent, ou encore la contrainte sociale "génératrice de<br />

mises en scène de l'évasion ou <strong>du</strong> refus, aussi bien par le récit utopique<br />

[ ... ] que par les arts de la fête et <strong>du</strong> spectacle 24 ". Finalement Evelyne<br />

Patlagean pose les frontières de l'objectivation dans l'étude de l'ima-<br />

22. Notons que Colette Moreux désavoue le déterminisme de la position<br />

d'Althusser pour qui les représentations de l'acteur, demeurant<br />

influencées par sa position de classe, créent un lien causal entre<br />

le discours et l'action. Nous serons par conséquent amené <strong>à</strong><br />

chercher d'autres contingences que la position de classe comme<br />

source <strong>du</strong> contenu.<br />

23. "l'histoire de l'imaginaire", dans la Nouvelle Histoire, sous la<br />

direction de Jacques Le Goff, p. 249-269.<br />

24. Ibid. p.249.<br />

15


ginaire dans une société donnée en précisant que "la limite qui sépare<br />

[l'imaginaire] <strong>du</strong> réel se situe exactement l<strong>à</strong> où elle passe pour nous-<br />

mêmes, dans notre propre culture 25 ". l'intérêt sociologique actuel<br />

envers les pro<strong>du</strong>ctions symboliques de la littérature et des arts nous<br />

suggère l'analyse des oeuvres régionales afin d'y débusquer les sources<br />

et l'expression de l'imaginaire sous-tendant le discours régionaliste.<br />

Une fois çette conceptualisation des principaux objets de notre étude<br />

établie, et les repères épistémologiques posés, nous sommes maintenant en<br />

mesure d'élaborer une méthodologie cohérente de cueillette et de traite-<br />

ment des données concernant le régionalisme mauricien des années trente.<br />

***<br />

Par suite de la rareté des travaux publiés sur le sujet et <strong>du</strong><br />

caractère très partiel de ceux qui existent, la recherche documentaire<br />

s'est appuyée presque uniquement sur des sources primaires disponibles<br />

dans les dépôts d'archives. le dépouillement des journaux et des pério-<br />

diques s'est avéré particulièrement fructueux. Non seulement nous a-t-il<br />

été possible de reconstituer dans les détails la trame des événements,<br />

mais l'existence de comptes ren<strong>du</strong>s très fidè1es 28 nous a donné l'accès <strong>à</strong><br />

l'essentiel <strong>du</strong> discours régionaliste. la présence de répertoires de<br />

sources journalistiques, de bibliographies thématiques, de même que la<br />

25. Ibid. p.249.<br />

26. la comparaison entre plusieurs textes orlg1naux des discours (comme<br />

les extraits présentés dans l'annexe IX) et leur compte ren<strong>du</strong> dans<br />

la presse a révélé une correspondance exacte, aux inévitables<br />

coquilles près. Habituellement les auteurs remettaient leur texte<br />

au journaliste qui n'avait qu'<strong>à</strong> le transcrire.<br />

16


possibilité de consulter l'imposante bibliographie de Lucienne Le<strong>du</strong>c sur<br />

Tessier (plus de 600 titres répertoriés pour la période 1913-1946), nous<br />

ont grandement facilité la tâche. Le dépouillement de plusieurs fonds<br />

des Archives <strong>du</strong> Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières et <strong>du</strong> Centre de documentation<br />

en études québécoises de l'<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières a<br />

procuré une très riche moisson d'informations. En particulier, l'abon-<br />

dante correspondance d'Albert Tessier contient des renseignements essen-<br />

tiels <strong>à</strong> la compréhension de la genèse et <strong>du</strong> développement <strong>du</strong> régionalisme<br />

<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières. Par ailleurs, celui qu'on a appelé l'apôtre de la<br />

Mauricie entretenu une correspondance avec des personnalités, tels Lionel<br />

Grou1x, Olivar Asse1;n, Raoul Blanchard (pour ne nommer que que1ques-<br />

uns), avec lesquels il discutait de ses principes dans un contexte<br />

différent de ses discours publics. Finalement, le témoignage de quelques<br />

contemporains, comme Clément Marchand, a permis d'éclairer des aspects<br />

qui autrement nous auraient échappé. Afin de traiter rigoureusement<br />

cette ample matière, il a fallu mettre au point une méthode spécifique<br />

d'analyse <strong>du</strong> contenu des textes.<br />

La nécessité de la rigueur dans une analyse de discours sociaux<br />

implique des choix méthodologiques fondés d'une part sur des principes<br />

théoriques et, d'autre part, sur la nature même des documents disponi-<br />

bles 27 • Notre analyse <strong>du</strong> discours régionaliste a d'abord consisté <strong>à</strong><br />

trouver l'excédent de sens qui échappe <strong>à</strong> l'approche empirique en décryp-<br />

27. Notre réflexion théorique de même que le traitement des données<br />

s'inspirent de l'ouvrage de Laurence Bardin intitulé L'Analyse de<br />

contenu (Paris, P.U.F., 1977).<br />

17


tant par une procé<strong>du</strong>re appropriée - "une herméneutique contrôlée28 " - le<br />

plus vaste éventail sémique possible des énoncés considérés. D'autre<br />

part, nous avons choisi parmi les diverses grilles d'analyse, celle dont<br />

le fonctionnement se fondait sur ce que Laurence Bardin appelle la<br />

"technique de rupture", soit l'établissement d'une distanciation entre<br />

l'analyste et son objet de recherche. Même s'il est vain d'espérer la<br />

disparition de toute contamination idéologique, l'emploi d'une méthode de<br />

quantification assure tout de même un niveau d'objectivité plus élevé<br />

qu'une lecture impressionniste.<br />

Le dépouillement des sources disponibles a encore permis la con-<br />

stitution d'un corpus de 174 textes <strong>à</strong> partir d'un critère d'inclusion je x-<br />

clusion fondé sur les définitions et les limites posées précédemment 29 •<br />

Les textes régionalistes d'Albert Tessier ont fait l'objet d'un traite-<br />

ment quantitatif <strong>à</strong> cause de leur nombre significatif <strong>du</strong> point de vue<br />

statistique, soit un total de 47 textes pro<strong>du</strong>its sur une période de 61<br />

ans. Pour les fins de l'analyse, nous n'avons retenu que les passages<br />

qui exposent l'idéologie régionaliste, <strong>à</strong> l'exclusion des énoncés descrip-<br />

28. Selon l'expression de Laurence Bardin (op. cit., p. 9).<br />

29. Les textes <strong>du</strong> corpus ont été rassemblés en cinq séries: 47 textes<br />

d'Albert Tessier sur le régionalisme mauricien, 47 textes sur le<br />

même sujet par d'autres auteurs que Tessier, 32 textes sur le<br />

régionalisme littéraire, 37 textes sur le régionyme Mauricie et,<br />

enfin, 11 textes sur la mystique <strong>du</strong> Flambeau. La description de<br />

chacun des éléments <strong>du</strong> corpus est présentée dans la Bibliographie<br />

générale, p. 288-303. D'autre part, nous avons utilisé une notation<br />

particulière de renvoi pour les extraits <strong>du</strong> discours cités dans les<br />

chapitres de la Deuxième partie, et ce afin d'alléger la masse déj<strong>à</strong><br />

considérable de notes infrapagina1es. Un indice <strong>à</strong> deux ou trois<br />

chiffres séparés par des points est placé <strong>à</strong> la suite de chaque<br />

citation et renvoie <strong>à</strong> la description <strong>du</strong> corpus dans la bibliographie.<br />

18


tifs ou événementiels. Chacun des textes a été découpé en unités de<br />

signification correspondant <strong>à</strong> des phrases ou <strong>à</strong> des propositions dans la<br />

plupart des cas. Le plus souvent il s'agit de définitions <strong>du</strong> régiona1is-<br />

me - définitions métaphoriques, descriptives, finales, mais rarement des<br />

définitions formelles - ou encore des énoncés descriptifs <strong>du</strong> genre "nous<br />

devons", "il faut que", "le devoir exige que". 401 énoncés ont été ainsi<br />

relevés.<br />

Une compilation des énoncés a permis d'autre part de signaler la<br />

présence d'une série de mots-clés, puis de quantifier leur fréquence.<br />

Cette opération a entra1né la distinction de mots-pivots autour desquels<br />

se sont groupés par affinités de sens des mots-annexes, qui sont le plus<br />

souvent des tournures périphrasiques fonctionnant <strong>à</strong> la façon de variantes<br />

stylistiques 3o • Finalement, les épithètes ou attributs qualifiant les<br />

mots-clés ont eux aussi fait l'objet d'un relevé fréquentiel, puis les<br />

mots-clés ont été regroupés en cinq thèmes correspondant <strong>à</strong> cinq constel-<br />

lat ions de signification. De cette façon, nous avons catégorisé une<br />

série de descripteurs <strong>du</strong> discours, qui nous ont permis de présenter, au<br />

chapitre V, le contenu synthétique de l'idéologie d'Albert Tessier 31 •<br />

Quant aux discours de Joseph-G. Gélinas et de Louis-O. Durand et <strong>à</strong> la<br />

30. Par exemple, au mot-pivot "régionalisme" correspondent des motsannexes<br />

comme "fierté régionale", "réveil rég1onal(iste)", "ferveur<br />

régionale", "réveil mauricien", "réveil trif1uvien", "amour de la<br />

petite patrie", "notre nationalisme". Tous ces mots sont en<br />

rapport paradigmatique, c'est-<strong>à</strong>-dire qu'ils sont interchangeables<br />

dans toutes les propositions où ils apparaissent.<br />

31. Le résultat pour chacun des mots-clés et des épithètes est présenté<br />

dans le tableau 7 de l'Annexe l et le tableau synoptique <strong>à</strong> l'Annexe<br />

V.<br />

19


Fêtes <strong>du</strong> 300· anniversaire de la fondation de <strong>Trois</strong>-Rivières fait l'objet<br />

d'un chapitre <strong>à</strong> part. Vient ensuite l'aventure de la Société le Flam­<br />

beau, <strong>à</strong> la fois comme mouvement et comme revue régionale, puis les<br />

créations littéraires et artistiques associées au courant régionaliste<br />

qui sont passées en revue. La DERNIERE PARTIE se tourne vers le rayonne­<br />

ment <strong>du</strong> régionalisme mauricien <strong>à</strong> travers les appareils idéologiques, tel<br />

le réseau médiatique (la presse, la radio, le cinéma). Finalement, nous<br />

nous tournons vers le réseau associatif (comme le Syndicat d'Initiative,<br />

la Chambre de Commerce, la Société Saint-jean-Baptiste) et le réseau<br />

institutionnel (l'Eglise, les divers paliers de gouvernement et l'école)<br />

afin de dégager l'impact <strong>du</strong> régionalisme. La bibliographie générale et<br />

les annexes font suite <strong>à</strong> UNE CONCLUSION GENERALE, dans laquelle nous<br />

chercherons <strong>à</strong> démontrer que le régionalisme mauricien des années trente a<br />

constitué une appropriation symbolique de l'espace régional.<br />

21


PREMIERE PARTIE<br />

LE CONTEXTE D'APPARITION OU DISCOURS


CHAPITRE 1<br />

LE CONTEXTE GENERAL QUEBECOIS<br />

1. Les conséquences de la crise de 1929<br />

Longtemps associée <strong>à</strong> la "grande noirceur", la société québécoise des<br />

années trente nous appara1t de plus en plus, avec le recul <strong>du</strong> temps,<br />

comme étant une collectivité en mutation, secouée par des crises d'ordre<br />

économique, politique et social, et assujettie <strong>à</strong> une prolifération<br />

idéologique. C'est pourquoi il importe de planter le décor idéologique<br />

dans lequel évoluèrent les acteurs <strong>du</strong> régionalisme mauricien avant<br />

d'aborder l'analyse <strong>du</strong> discours.<br />

Un court exposé des principaux courants d'idées qui ont circulé dans<br />

le Canada français de l'entre-deux-guerres est présenté dans la première<br />

section <strong>du</strong> présent chapitre. La deuxième partie détaille le contexte<br />

d'apparition <strong>du</strong> discours régionaliste <strong>à</strong> l'échelle de la Mauricie. La<br />

trame historique des événements de la sphère économique et sociale qui se<br />

sont déroulés entre 1930 et 1940 a été établie <strong>à</strong> partir de sources


primaires - articles de journaux, documents d'archives et témoignages-<br />

pour la plus grande partie 1 •<br />

*<br />

Comme ailleurs en Amérique <strong>du</strong> Nord, l'infrastructure économique<br />

québécoise fut ébranlée par une crise d'une ampleur jusque-l<strong>à</strong> inconnue,<br />

résultante <strong>du</strong> "Krach" de la Bourse de New York en octobre 1929 2 • Dans de<br />

nombreux secteurs manufacturiers, comme celui des pâtes et papiers, la<br />

croissance de la demande et l'extension <strong>du</strong> crédit avaient favorisé des<br />

investissements massifs dans l'implantation d'usines et l'acquisition<br />

d'équipements coQteux. Conséquemment, il se pro<strong>du</strong>isit une surpro<strong>du</strong>ction<br />

<strong>à</strong> l'échelle internationale qui, ajoutée <strong>à</strong> l'abus de la spéculation,<br />

1. Afin de reconstituer la trame des années de la Dépression <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, nous avons puisé <strong>à</strong> des sources diverses, d'importance<br />

quantitative inégale, mais significative. La principale source est<br />

constituée par les journaux locaux où la chronique de la vie sociale<br />

s'écrit au jour le jour. Les gens de l'époque s'épanchaient<br />

rarement dans les écrits sur les drames personnels engendrés par le<br />

séisme économique des années trente, quelques fragments de discours<br />

tout au plus. Le témoignage des survivants et l'analyse des<br />

archives personnelles, si sé<strong>du</strong>isants fussent-ils, ne sont pas<br />

abordés vu que la crise ne représente pas l'objet principal <strong>du</strong><br />

présent travail. Toutefois un document signé Clément Marchand est<br />

présenté en annexe illustrant la condition prolétarienne <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières <strong>à</strong> cette époque.<br />

2. Voir Robert Rumilly, Histoire de la province de <strong>Québec</strong>, vol. 31<br />

(1929-1930); Paul-André Linteau, René Durocher, Jean-Claude Robert<br />

et François Ricard, Histoire <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> contemporain / Le <strong>Québec</strong><br />

depuis 1930, p. 11-17.<br />

24


précipita la catastrophe financière 3 • Entra1né depuis 1921 dans le boom<br />

économique nord-américain, le <strong>Québec</strong> fut très <strong>du</strong>rement touché; la dégrin-<br />

golade se poursuivit jusqu'en 1933, année noire de la Crise. La reprise<br />

s'amorça lentement <strong>à</strong> partir de 1934, connut un arrêt en 1938, puis se<br />

renouvela l'année suivante. La conversion des entreprises <strong>à</strong> l'économie<br />

de guerre en 1940 mit un terme inespéré <strong>à</strong> une situation dont on ne voyait<br />

pas l'issue (voir Figure 1).<br />

A une confiance illimitée, alimentée par la prospérité et le dis-<br />

cours euphorique <strong>du</strong> libéralisme économique, succèdent donc le souci <strong>du</strong><br />

lendemain et une méfiance accrue envers le système capitaliste. La<br />

croissance conjuguée de l'in<strong>du</strong>strialisation et de l'urbanisation connalt<br />

par ailleurs un certain répit <strong>du</strong>rant la décennie 30-40, tandis que les<br />

problèmes sociaux soulevés par les deux phénomènes sont mis en relief<br />

dans le discours des élites.<br />

*<br />

Sur un autre plan, diverses innovations technologiques jouent un<br />

rôle majeur dans l'évolution socio-cu1ture11e <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> •. L'essor rapide<br />

de la presse <strong>à</strong> grand tirage <strong>à</strong> partir des années 1900, ajouté <strong>à</strong> l'appari-<br />

3. La crise boursière fut suivie d'une crise bancaire car les épargnants<br />

affolés retirèrent leurs dépôts. Le monde des affaires<br />

diminua ses crédits <strong>à</strong> l'économie <strong>à</strong> la fois par méfiance et par<br />

manque de fonds. Voir l'article "crises économiques" de Jean<br />

Bouvier dans l'Encyclopaedia Universa1is, édition de 1985.<br />

4. Voir Paul-André Linteau et coll., op. cit., p. 156-165.<br />

25


tion des magazines populaires, fait en sorte qu'une proportion de plus en<br />

plus forte de foyers québécois ont accès <strong>à</strong> une information venant <strong>du</strong><br />

journalisme d'opinion. 01ivar Asse1in, Jean-Charles Harvey, Victor<br />

Barbeau, Georges Pelletier et Claude-Henri Grignon abordent les sujets de<br />

l'heure sur un ton libre et dans les nombreux périodiques et journaux,<br />

nés <strong>du</strong> bouillonnement idéologique des années trente. La radio conna1t<br />

également un développement spectaculaire; le pourcentage de ménages<br />

possédant un appareil grimpe en effet de 28 <strong>à</strong> 71 entre 1930 et 1940, et<br />

ceci malgré la Crise. E1zéar Lavoie 5 situe en 1936 le moment où la radio<br />

devient un mass-média. Sous le patronage <strong>du</strong> gouvernement provincial, la<br />

station CKAC inaugure en 1929 une émission é<strong>du</strong>cative, l'Heure proy;n-<br />

c;ale. Radio-Canada fera de même quelques années plus tard, soit en<br />

1941, en lançant son émission Radio-Collège.<br />

Le cinéma devient lui aussi très populaire <strong>du</strong>rant les années de la<br />

Crise. Par exemple, les salles de cinéma trifluviennes attirent le<br />

public soit avec le film américain au Théâtre Impérial, soit avec le film<br />

français au Cinéma de Paris. Impuissantes <strong>à</strong> freiner l'expansion <strong>du</strong><br />

cinéma, les autorités ecclésiastiques le récupèrent <strong>à</strong> des fins de propa-<br />

gande religieuse ou agriculturiste, en multipliant cependant les mises en<br />

gardeS. Enfin, l'automobile est une autre invention qui se répand de<br />

5. Dans "L'évolution de la radio au Canada français avant 1940",<br />

Recherches sociographigues, vol. XII, nO 1, 1971, p. 17-49.<br />

6. Ainsi, dans sa Lettre circulaire <strong>du</strong> 28 mars 1938, Mgr Alfred-Odilon<br />

Comtois rappelait la Lettre collective des Ëvêgyes de 1927 qui<br />

défendait les amusements payants le dimanche; il demandait aux<br />

comités d'action catholique de signer une requête en faveur de la<br />

censure des magazines et des films. Voir aussi Jean Hamelin et<br />

26


plus en plus, d'abord dans les couches privilégiées de la population,<br />

puis dans les couches intermédiaires. Aussi entre 1927 et 1929, le<br />

nombre de voitures pour le <strong>Québec</strong> grimpe de 100 000 <strong>à</strong> 132 000 unités; il<br />

décrolt légèrement dans les années suivantes puis reprend son ascension <strong>à</strong><br />

partir de 1933. En somme, la presse populaire, le cinéma parlant, la<br />

radio et l'automobile constituent autant de facteurs qui intro<strong>du</strong>isent<br />

dans la s.ociété québécoise des années trente de nouveaux modes de vie, de<br />

nouvelles visions <strong>du</strong> monde, un imaginaire renouvelé par l'''American Way<br />

of Life"7.<br />

*<br />

Mais cette entrée <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> dans l'économie nord-américaine n'est<br />

pas sans causer un certain nombre de problèmes d'adaptation. Les ruraux<br />

récemment transplantés dans les villes in<strong>du</strong>strielles comme Montréal,<br />

<strong>Québec</strong> et <strong>Trois</strong>-Rivières conservent en partie leurs habitudes de vie<br />

traditionnelle; ils s'agrippent <strong>à</strong> des mentalités et un imaginaire social<br />

leur procurant les satisfactions symboliques qui peuvent colmater leurs<br />

angoisses de déracinés. Ils sont néanmoins influencés par le discours<br />

libéral capitaliste qui affiche les mirages d'un progrès sans limite et<br />

de la richesse <strong>à</strong> la portée de tous ceux qui "travaillent fort".<br />

Nicole Gagnon, Histoire <strong>du</strong> catholicisme québécois/le XX· siècle,<br />

tome 1, 1898-1940, p. 359 et suivantes. Pour le cinéma <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières de 1925 <strong>à</strong> 1940 voir Le Nouvelliste 23 novembre 1940, p. 78<br />

et 88.<br />

7. Guildo Rousseau, L'image des Ëtats-Unis dans la littérature<br />

québécoise (1775-1930), p. 105-113.<br />

27


Par ailleurs l'Eglise catholique continue <strong>à</strong> jouer son rôle d'acteur<br />

culturel dominant 8 • Elle déploie son hégémonie sur la société québécoise<br />

francophone <strong>à</strong> un point tel qu'elle détient un pouvoir d'influence sur<br />

toute la vie culturelle de l'époque. Le leadership intellectuel <strong>du</strong><br />

cardinal Rodrigue Vi 1 leneuve 9 , archevêque de <strong>Québec</strong> et figure de proue de<br />

l'orthodoxie en matière religieuse, s'exprime entre autres par la condam-<br />

nation solennelle, en 1934, des Demi-ciyi1jsés de Jean-Charles Harvey.<br />

Moins d'un an plus tard, une simple remarque négative de sa part parue<br />

dans La Semaine religieuse de <strong>Québec</strong> contraint Olivar Asselin <strong>à</strong> suspendre<br />

la publication de son journal. Le cardinal avait écrit: "l'Ordre est un<br />

journal qui ne respire ni l'esprit chrétien ni le respect dO au Saint-<br />

Siège". Enfin, autre manifestation de l'influence prépondérante de<br />

l'Eglise sur les affaires civiles: la reconnaissance <strong>du</strong> pouvoir religieux<br />

au <strong>Québec</strong> par le premier ministre Duplessis lors <strong>du</strong> Congrès eucharistique<br />

de <strong>Québec</strong> en 1938 1°. Le gage que ce dernier remet publiquement au chef<br />

de l'Eglise québécoise prend effectivement valeur de symbole: selon les<br />

termes mêmes <strong>du</strong> cardinal, le geste de Duplessis "scelle l'union <strong>du</strong><br />

8. Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit., p. 359.<br />

9. Le cardinal avait insisté sur la nécessité de la "plus parfaite<br />

obéissance aux autorités" dans son mandement d'entrée en fonction <strong>du</strong><br />

24 février 1932 (cité par Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit.,<br />

p. 365).<br />

10. Ibid., p. 448-449.<br />

28


Mauricie? Le choix de l'aperçu synthétique de Jean-Charles Fa1ardeau 11 ,<br />

même daté de la fin de la Révolution tranquille, nous paralt convenable,<br />

quitte <strong>à</strong> effectuer quelques emprunts <strong>à</strong> d'autres textes afin d'en détai1-<br />

1er certains aspects.<br />

Les diverses expressions de la culture de même que les discours<br />

sociaux sont profondément imprégnés par le discours des élites catholi-<br />

ques; le domaine de l'idéologie en porte la marque indélébile. Les<br />

Jésuites, sous la direction <strong>du</strong> Père Joseph-Papin Archambault, fondent en<br />

1920 les "Semaines sociales <strong>du</strong> Canada" d'après un modèle qui existait<br />

déj<strong>à</strong> en France. Sous l'autorité des évêques, des laïcs engagés et des<br />

étudiants des collèges classiques se réunissent annuellement dans l'une<br />

des villes <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> (<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1925 et en 1936) afin d'aborder<br />

un sujet défini sous l'éclairage des documents pontificaux. Les intel-<br />

lectue1s catholiques discutent dans l'abstrait de problèmes sociaux<br />

abordés sous un angle thématique tel la famille, .la propriété, la jus-<br />

tice, l'autorité, l'économie, l'état, la coopération ou l'ordre social<br />

chrétien.<br />

Conçu en 1933, le Programme de restauration sociale est inspiré par<br />

l'esprit des Semaines sociales et reprend les directives de l'encyclique<br />

Quadragesimo ann0 12 • Treize Jésuites, convoqués par le Père Archambault,<br />

11. Présenté dans le chapitre intitulé: "Vie intellectuelle et société<br />

entre les deux guerres", dans Histoire de la littérature francaise<br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong> de Pierre de Grandpré, p. 187-198.<br />

12. Promulguée par Pie XI en 1931, 40 ans après Rerum novarum.<br />

30


édigent un texte prônant un redressement social total, en quelque sorte<br />

un véritable projet de société. A l'automne de la même année13 une<br />

douzaine de dirigeants lalcs, dont Esdras Minville et le Dr Philippe<br />

Hamel, rédigent un document d'action réaliste et cohérent <strong>à</strong> partir de la<br />

première version. Jean-Charles Fa1ardeau explique que le programme<br />

"propose une lutte immédiate et systématique contre les trusts, des<br />

réformes financières et politiques draconiennes, une rénovation de la<br />

législation ouvrière et une réorientation de la politique agraire". Il<br />

poursuit en affirmant que "sans la connaissance <strong>du</strong> Programme, on ne peut<br />

guère comprendre ce qui sera dit et passé dans la vie politique au <strong>Québec</strong><br />

<strong>du</strong>rant les vingt ou trente ans qui vont suivre"14. De l<strong>à</strong> vient l'impor-<br />

tance de l'étude des bouleversements idéologiques des années trente.<br />

Avec la revue l'Action francaise dirigée <strong>à</strong> partir de 1920 par Lionel<br />

Grou1x, la pensée nationaliste est systématisée en doctrine. Par son<br />

activité dans le domaine historique et nationaliste, l'abbé Groulx veut<br />

rendre aux Canadiens français le sentiment de leur personnalité comme<br />

peuple. L'Action francaise propose un Etat français libre, la Laurentie,<br />

sans rompre dans l'immédiat avec la Confédération. Le titre de la revue<br />

devient en 1928 l'Action canadienne-francajse, mais cesse de paraître<br />

l'année suivante15 . Le périodique revient en 1933 sous le nom d'Action<br />

13. Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit., p. 433-437.<br />

14. Jean-Charles Falardeau, op.cit., p. 190.<br />

15. La revue de l'abbé Grou1x avait des affinités avec le quotidien<br />

français <strong>du</strong> même nom qui a paru de 1908 <strong>à</strong> 1944 sous la direction de<br />

Charles Maurras. Ce dernier prônait la restauration de l'ordre<br />

social et chrétien par le rétablissement de la monarchie. La<br />

31


nationale et se tourne vers la politique européenne. Les "pseudo-mysti-<br />

ques" de Mussolini, de Salazar et de Do1fuss de même que le culte <strong>du</strong> Chef<br />

reçoivent une attention sympathique, finalement, les principes <strong>du</strong> cor-<br />

poratisme sont appuyés sans réserve.<br />

***<br />

3. La génération de la relève<br />

La jeunesse des années trente est sensible aux bouleversements<br />

sociaux et idéologiques. Elle s'interroge et se regroupe afin de trouver<br />

des solutions et des voies de salut face aux problèmes économiques et<br />

moraux qui la confrontent. En 1932, les Jeune-Canada lancent le Mani-<br />

feste de la jeune génération rédigé par André Laurendeau 18 • Pleins<br />

d'ardeur, ces anciens élèves des collèges des Jésuites dénoncent la<br />

trahison des dirigeants politiques et rêvent de prendre en charge l'in-<br />

<strong>du</strong>strie et le commerce. Mais leur idéalisme s'essouffle au bout de deux<br />

ans. D'autres élèves des Jésuites, issus de la petite-bourgeoisie<br />

francophone, forment alors une avant-garde intellectuelle qui s'exprime<br />

condamnation par Pie XI en 1926 de l'Action française de Charles<br />

Maurras incita les nationalistes d'ici <strong>à</strong> changer l'appellation de<br />

leur revue.<br />

16. Jean Hamelin, et Nicole Gagnon, op. cit., p. 419-432.<br />

32


dans La Relève (1934-1940). Elle refuse le nationalisme traditionnel et<br />

cherche la solution <strong>à</strong> la Crise dans une "révolution spirituelle" animée<br />

par le personnalisme chrétien d'Emmanuel Mounier, le néo-thomisme de<br />

Jacques Maritain et les écrits <strong>du</strong> Père Doncoeur. Dirigée par Robert<br />

Charbonneau et Paul Beaulieu, La Relève publie des textes de Roger<br />

Duhamel, André Laurendeau, Yves Thériault et Hector de Saint-Denys<br />

Garneau. A <strong>Québec</strong> Vivre (1934-1935), sous la direction de Jean-Louis<br />

Gagnon, propose une révolution dans les idées en rejetant la démocratie<br />

et en prônant un état corporatif de style autoritaire. Le périodique<br />

auquel collaborent Pierre Chaloult, Rex Desmarchais, Armand Lavergne,<br />

Lionel Groulx et Jean-Charles Harvey favorise les régionalismes et<br />

dénonce les abus <strong>du</strong> capitalisme 17 •<br />

***<br />

4. Les courants d'idées internationaux<br />

Les courants d'idées internationaux circulaient au sein de l'intel-<br />

ligentsia québécoise des années trente. Quelques-uns d'entre eux étaient<br />

17. Soulignons également la parution de La Nation (1936-1939), journal<br />

anti-impérialiste, anti-américain, séparatiste et en proie <strong>à</strong> la<br />

sé<strong>du</strong>ction fasciste, qui est animé par Paul Bouchard, Pierre Chalout<br />

et Jean-Louis Gagnon.<br />

33


d'inspiration chrétienne, d'autres se rangeaient dans la perspective<br />

matérialiste élaborée depuis Karl Marx.<br />

Le corporatisme se présentait comme la nouvelle expression de la<br />

doctrine sociale de l'Eglise18 . Qyadragesimo an no actualise les enseig-<br />

nements de Léon XIII énoncés dans Rerum noyarym et propose une "cordiale<br />

collaboration des professions" au sein de groupements corporatifs.<br />

L'encyclique énumère les avantages <strong>du</strong> système corporatiste: "collabora-<br />

tion pacifique des classes, éviction de l'action et des organisations<br />

socialistes, influence modératrice d'une magistrature spéciale"19. Au<br />

<strong>Québec</strong> l'avocat Frédéric Saint-Pierre reprend la définiton de Duthuit:<br />

Le corporatisme est l'institution d'un corps officiel et<br />

public, intermédiaire entre les entreprises particulières<br />

et l'Etat, chargé de la gérance <strong>du</strong> bien commun au sein<br />

d'une profession déterminée2o .<br />

Les intellectuels nationalistes de l'Ecole sociale populaire (organisa-<br />

trice des Semaines SOCiales), de l'Action nationale et de Vivre, tels<br />

Esdras Minville et Victor Barbeau, n'hésitèrent pas <strong>à</strong> suggérer la créa-<br />

tion d'un "office national des forces pro<strong>du</strong>ctives", sorte d'état économi-<br />

que parallèle <strong>à</strong> l'état politique. Ainsi, croyaient-ils, la lutte des<br />

18. Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit., p. 434 et 438-440.<br />

19. L'encyclique de 1931 dénonçait le socialisme, qu'elle estime<br />

pourtant plus "modéré" que le communisme. Mais le Souverain pontife<br />

énonce cet avertissement: "personne ne peut être en même temps bon<br />

catholique et vrai socialiste".<br />

20. Lors d'une causerie présentée devant la Société des arts, sciences<br />

et lettres <strong>à</strong> <strong>Québec</strong> le 10 février 1936 (Le Terroir, vol. 17, nO 9,<br />

février 1936, p. 9-10).<br />

34


classes sera abolie dans une collaboration idyllique entre patrons et<br />

ouvriers. Nous verrons plus loin dans quelle mesure ce discours a<br />

influencé le régionalisme mauricien.<br />

La publication <strong>du</strong> "Manifeste de Regina" de la C.C.F. (1933) de même<br />

que la popularité croissante <strong>du</strong> socialisme de Woodsworth soulèvent<br />

l'inquiétude de l'épiscopat canadien-français 21 • Même si le socialisme<br />

rejette la révolution et accepte de faire savoir son discours en utili-<br />

sant les institutions parlementaires, le matérialisme qu'il affiche<br />

para1t inacceptable aux yeux de la majorité des catholiques. Le socia-<br />

lisme fit une percée chez les intellectuels anglophones de Montréal,<br />

mais ne dépassa pas vraiment leur cercle d'inf1uence 22 •<br />

Quant au communisme, il avait fait l'objet d'une condamnation<br />

solennelle par l'Eglise, condamnation qui fut renouvelée en 1931 dans<br />

Quadragesimo anno et en 1937 dans Divini redemptoris. Fondé en 1921 <strong>à</strong><br />

Toronto, le Parti communiste canadien recrute peu d'adhérents au <strong>Québec</strong>:<br />

200 Canadiens français comme membres actifs, 10 000 Québécois (en majo-<br />

rité de la région de Montréal) comme affi1iés 23 • On est loin <strong>du</strong> 110 000<br />

adhérents estimé par Lorenzo Lebel en 1936 24 !<br />

21. Malgré la sympathie que suscitait Woodsworth chez les catholiques,<br />

le cardinal Villeneuve et Mgr Georges Gauthier, administrateur <strong>du</strong><br />

diocèse de Montréal, condamnèrent la C.C.F. Jean Hamelin et Nicole<br />

Gagnon, op. cit., p. 438.<br />

22. Paul-André Linteau et coll., op. cit., p. 103-104.<br />

23. Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit., p. 374.<br />

24. Lors d'une allocution présentée devant la section trif1uvienne des<br />

Jeunesses patriotes, Le Nouvelliste, 30 mars 1936, p. 5.<br />

35


*<br />

L'environnement idéologique que nous venons de brosser <strong>à</strong> grands<br />

traits exercera une influence déterminante sur les discours sociaux émis<br />

en Mauricie. Comme conclusion de cet aperçu, nous présentons la synthèse<br />

de Fernand Dumont <strong>à</strong> propos des idéologies des années trente 25 •<br />

Dumont affirme que, avant 1930, sans "être absolue, l'unanimité des<br />

idéologies était très grande. C'est <strong>à</strong> partir des années trente qu'un<br />

changement collectif voit le jour". Dumont note "la persistance d'un<br />

débat social contraint <strong>à</strong> se dire dans la scène des idéologies". La<br />

thématique idéologique s'articule entre autres <strong>à</strong> partir de l'idée que la<br />

crise est d'abord morale et métaphysique, autant qu'économique. La<br />

vision <strong>du</strong> monde partagée par les tenants des idéologies officielles se<br />

définit <strong>à</strong> partir des indices de représentation suivants: la peur <strong>du</strong><br />

communisme, l'antisémitisme, la dénonciation de la dictature économique<br />

des trusts et <strong>du</strong> capital étranger et le procès <strong>du</strong> gouvernement fédéral en<br />

rapport avec la faible représentation des Canadiens-français.<br />

Et Dumont de conclure:<br />

la société québécoise aborde la crise avec des ressources<br />

idéologiques acquises depuis longtemps. Elle vit la<br />

crise <strong>à</strong> travers ces aperceptions [ ... ]. Depuis longtemps<br />

en marge des pouvoirs économiques et politiques, une<br />

25. Fernand Dumont "Les années trente. La première révolution tranquille",<br />

dans Fernand Dumont et coll., Les idéologies au Canada<br />

français, 1930-1939, p. 1-20.<br />

36


société a fait d'abord sa révolution dans la sphère de<br />

l'idéologie. (p.18)<br />

Cette multiplicité des idéologies qu'évoque Dumont symbolise les<br />

craquements aux jointures (selon l'expression de Jacques Le Goff) d'une<br />

société ébranlée par des ruptures d'autant plus pénibles qu'elles étaient<br />

occultées dans le discours des élites. D'autre part, le contexte socio-<br />

économique de la Mauricie des années 1910-1940 jouera un rôle crucial<br />

dans l'énonciation <strong>du</strong> discours régionaliste. Le chapitre suivant aborde<br />

les composantes de ce contexte.<br />

37


CHAPITRE II<br />

LE CONTEXTE MAURICIEN<br />

1. L'effondrement économique de la Mauricie<br />

La Mauricie a vécu intensément les changements socio-économiques qui<br />

ont modifié le Canada français au cours des trois premières décennies <strong>du</strong><br />

XX· siècle. A partir de 1890, la vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice connaît une<br />

période ininterrompue de développement in<strong>du</strong>striel majeur. <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

accueille, notamment, la grande in<strong>du</strong>strie au cours de l'année 1907.<br />

Plusieurs facteurs expliquent l'accélération soudaine de l'in<strong>du</strong>strialisa-<br />

tion de la Mauricie. Citons, entre autres, l'embargo provincial de 1910<br />

sur les exportations de bois de pâte coupé sur les terres de la Couronne<br />

en direction des Etats-Unis 1 et la mise en vigueur <strong>du</strong> Traité de Récipro-<br />

cité en 1911, qui inclut le papier-journal parmi les pro<strong>du</strong>its pouvant<br />

entrer librement aux Etats-Unis. Ces deux initiatives incitent les<br />

capitalistes américains <strong>à</strong> investir dans la construction de papeteries au<br />

<strong>Québec</strong>.<br />

1. Pierre Lanthier et Alain Gamelin, L'in<strong>du</strong>strialisation de la Mauric ie<br />

/Dossier statistique et chronologique 1870-1975 ... , p. 177.


L'abondance de la matière première, la qualité des voies de com­<br />

munication et la proximité des marchés favorisent d'ailleurs l'agglomé­<br />

ration trif1uvienne. Successivement la Saint Maurice Paper (1911), la<br />

Wayagamack Pu1p and Paper (1912) et la Saint Lawrence Paper Mill (1923)<br />

s'implantent dans le <strong>Trois</strong>-Rivières métropolitain. La plupart de ces<br />

papetières procèdent <strong>à</strong> des expansions qui s'échelonnent jusqu'<strong>à</strong> 1930.<br />

D'autre part, la Wabasso Cotton commence sa pro<strong>du</strong>ction en 1908 et un<br />

chantier de construction navale, la Three Rivers Shi pyard , entre en<br />

opération en 1917; il ferme cependant ses portes trois ans plus tard.<br />

Enfin, la Canada Iron Foyndry agrandit ses installations afin d'être en<br />

mesure de fournir les chantiers de construction des papetières et des<br />

barrages électriques, et de remplir les commandes des sociétés ferroviai­<br />

res en matériel roulant2.<br />

L'accélération de l'expansion démographique constitue la conséquence<br />

la plus immédiate de la croissance soudaine <strong>du</strong> secteur secondaire en<br />

Mauricie. La population de la cité trif1uvienne grimpe de 10 000 en 1901<br />

<strong>à</strong> 35 000 trente ans plus tard, pour conna1tre une augmentation plus<br />

modérée <strong>du</strong>rant la décennie de la Crise - le recensement de 1941 donne en<br />

effet 42 000 habitants pour 1941. Par ailleurs, le transport et les<br />

voies de communications connaissent une expansion similaire. Le réseau<br />

des chemins de fer est mis en place avant la Première Guerre, puis<br />

l'arrivée de l'automobile force les gouvernements <strong>à</strong> améliorer constamment<br />

le système routier. En 1925, la route reliant Les Piles <strong>à</strong> La Tuque est<br />

2. Alain Gamelin et coll. <strong>Trois</strong>-Rivières illustrée, p. 39-43.<br />

39


ouverte <strong>à</strong> la circulation. Finalement, l'aménagement hydroélectrique <strong>du</strong><br />

Saint-Maurice attire les in<strong>du</strong>stries consommatrices d'électricité qui<br />

recherchent les tarifs les plus bas.<br />

Ainsi, pendant les trois premières décennies <strong>du</strong> XX· siècle, la<br />

Mauricie conna1t une période de développement qui la transforme presque<br />

complètement. Cependant le "Krach" d'octobre 1929 a tôt fait d'exercer<br />

un impact négatif sur son expansion 3 • A cause de sa structure économique,<br />

dominée par le secteur manufacturier, l'agglomération trifluvienne subit<br />

rapidement et avec intensité les contre-coups de la déstabilisation<br />

financière <strong>du</strong> monde occidental.<br />

*<br />

La catastrophe boursière ne fait guère cependant la manchette des<br />

journaux locaux, <strong>à</strong> l'exception de la déclaration rassurante <strong>du</strong> président<br />

Hoover des Etats-Unis.; jusqu'en février 1930, seules les pages finan-<br />

cières font état des effets de la chute des valeurs mobilières. Puis<br />

l'euphorie, entretenue depuis huit ans par la croissance constante de la<br />

pro<strong>du</strong>ction manufacturière (voir la figure 1), se mue rapidement en<br />

dysphorie, le désenchantement se substituant <strong>à</strong> l'optimisme impénitent <strong>du</strong><br />

discours idéologique libéral.<br />

3. Robert Rumilly, Histoire de la province de <strong>Québec</strong>, p. 146-150.<br />

4. Le Nouvelliste <strong>du</strong> 26 octobre 1929, p. 1, rapporte que "Le krach en<br />

Bourse ne diminuera pas la prospérité [ ... ] car les affaires <strong>du</strong> pays<br />

sont établies sur une base solide".<br />

40


quelques mois. A l'automne 1930 7 , la Ville de <strong>Trois</strong>-Rivières instaure un<br />

système de "secours direct", contribuant <strong>à</strong> son financement pour un tiers,<br />

le reste étant partagé également entre Ottawa et <strong>Québec</strong> 8 • Mi 11e person-<br />

nes bénéficient <strong>du</strong> système dès les premiers mois (voir la figure 3); leur<br />

nombre s'accr01t sans répit pour atteindre 5000 en janvier 1932, puis<br />

8700 sept mois plus tard 9 • Ainsi, <strong>du</strong>rant l'année 1933, environ le quart<br />

des Trifluviens ne peuvent compter que sur les maigres ressources <strong>du</strong><br />

secours direct 1o • la situation s'améliore quelque peu au printemps et <strong>à</strong><br />

l'été 1934 alors que, grâce <strong>à</strong> l'activité économique ravivée par les<br />

fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire 11 , le nombre des assistés décro'Jt sous la barre<br />

des 6000; une baisse sensible des nouvelles demandes est notée en sep-<br />

tembre 12 • Toutefois, la mise en place <strong>du</strong> secours direct ne peut subvenir<br />

<strong>à</strong> toutes les demandes d'aide. A la fin de 1930, l'Hôpital Saint-Joseph<br />

aménage un "dépôt des pauvres" dans le local où les religieuses ont<br />

l ' habitude de servir la soupe aux vagabonds et aux sans-10gis 13 • C'est <strong>à</strong><br />

7. Voir Le Nouvelliste, 30 octobre 1930, p. 3. Des inspecteurs<br />

municipaux inscrivaient les chômeurs quartier par quartier, postés<br />

aux endroits que les curés avaient indiqués en chaire.<br />

8. Selon les termes de la Loi <strong>du</strong> chômage votée par Ottawa <strong>à</strong> la session<br />

de 1930 (le Nouvelliste, 7 avril 1937, p. 3.).<br />

9. Et, sur ce nombre, 1613 chefs de famille, pour la plupart ouvriers<br />

non-spécialisés: journaliers, terrassiers et débardeurs (le Nouvelliste,<br />

28 avril 1934, p. 3.).<br />

10. La population de <strong>Trois</strong>-Rivières étant estimée <strong>à</strong> 38 000 habitants<br />

environ (voir la figure 4).<br />

11. Le Bien Public, 12 avril 1934, p. 1. L'article ajoute que<br />

l'augmentation de salaire accordée aux employés de la C.I.P. a<br />

également contribué <strong>à</strong> la reprise des affaires.<br />

12. Le Nouvelliste, 11 octobre 1934, p. 3. Voir aussi la figure 3.<br />

13. Le Nouvelliste, 7 janvier 1931, p. 3 et 12 janvier 1931, p. 3.<br />

42


cet endroit que s'installe le magasin de la Société Saint-Vincent-de-Paul<br />

et que s'organise la distribution des vêtements et des victuailles aux<br />

familles les plus démunies 1 •• Les religieuses distribuent gratuitement<br />

9531 repas en 1932 et 10 342 l'année suivante 15 •<br />

Quant <strong>à</strong> la municipalité trifluvienne, elle subit <strong>à</strong> son tour les<br />

inconvénients de la conjoncture économique. Sans mentionner le manque <strong>à</strong><br />

gagner des taxes non perçues des commerces qui ont fermé leurs portes, le<br />

montant des arrérages de taxes grève lourdement le budget de la vi11e 18 •<br />

En novembre 1934, un échevin (conseiller municipal) présente une motion <strong>à</strong><br />

l'effet que le gouvernement fédéral et le gouvernement provincial soient<br />

invités <strong>à</strong> payer seuls les secours directs 17 • Bien qu'aucune suite ne<br />

soit donnée <strong>à</strong> la requête, le maire doit rassurer un fort groupe de<br />

14. La ration alimentaire prévue pour une famille était soigneusement<br />

calculée. Deux fois la semaine le chef de famille se présentait<br />

avec un bon au dépôt et la religieuse lui remettait les vivres et<br />

les effets (Le Nouvelliste, 1 er mars 1934, p.3). En sept ans<br />

d'activités, le Secours direct aura distribué 2 327 000$, la ville<br />

de <strong>Trois</strong>-Rivières ayant contribué pour le tiers, soit 776 000 $ (Le<br />

Nouvelliste 18 avril 1939, p. 3).<br />

15. Le Nouvelliste, 1 er mars 1934, p. 3.<br />

16. Le taux des arrérages de taxe qui était de 6% en 1929, passa <strong>à</strong> 18%<br />

en 1930 puis <strong>à</strong> 31,5% en 1931 (voir Jacques Dénéchaud, "Nos finances<br />

de la ville depuis 1909", Almanach trifluvien vol. l, 1932, p. 179).<br />

En 1932 et en 1933, ils atteignirent un sommet de 34% (Le Nouvelliste,<br />

10 avril 1934, p. 3). Le rapport financier pour l'année 1933<br />

mentionne un montant de 1 170 000 $ <strong>à</strong> l'article des arrérages<br />

comptabilisés dans l'actif courant (Le Nouvelliste, 19 avril 1934).<br />

La ville n'était pas au bord de la faillite pour autant. De nouveaux<br />

pouvoirs de taxation sur la machinerie accordés par l'Assemblée<br />

législative avaient fait grimper l'évaluation foncière de 25<br />

<strong>à</strong> 42 millions de dollars.<br />

17. Le Nouvelliste, 27 mars 1934, p. 3.<br />

43


clos pour la Commission permanente est refusée 21 • Dès lors, la ville<br />

emploiera le maximum de chômeurs que le budget permet afin de leur<br />

assurer une subsistance minima1e 22 •<br />

***<br />

2. Le mirage de la colonisation<br />

Les mesures mises en oeuvre par les trois niveaux de gouvernement<br />

afin de pallier la misère <strong>du</strong>e au chômage ne possédaient qu'un caractère<br />

temporaire. La Crise, elle, persistait sans qu'aucune issue ne pointe <strong>à</strong><br />

l'horizon. Les autorités religieuses et civiles rappelaient que les<br />

chÔmeurs risquaient de sombrer dans le découragement ou de succomber au<br />

désoeuvrement, sources de pathologies sociales comme l'alcoolisme, la<br />

criminalité et le suicide. Les gouvernements imaginent alors divers<br />

projets d'emploi. Ainsi <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, quarante-huit chômeurs céliba-<br />

taires ou veufs sans enfants partent en août 1933 pour le camp militaire<br />

de Valcartier 23 • Ils sont logés, nourris et reçoivent une allocation de<br />

21. Suivant Le Nouvelliste, 5 septembre 1931, p. 3, deux cents chômeurs<br />

se présentèrent sur un chantier de construction où fonctionnaient<br />

des pelles mécaniques et y coupèrent des fils électriques.<br />

22. Le conseil demanda l'aide des sans-travail pour déblayer les rues de<br />

la ville après une tempête. 535 hommes se rapportèrent le lendemain<br />

au garage municipal (Le Nouvelliste, 8 mars 1934, p. 3.).<br />

23. Le Nouvelliste, 14 août 1933, p. 3.<br />

45


0,20$ par jour moyennant une prestation de travail. Le caractère ponc-<br />

tuel de telles mesures empêchait d'apporter une solution globale au<br />

problème des sans-travail.<br />

La solution globale viendra, <strong>du</strong> moins le croyait-on, par le retour <strong>à</strong><br />

la terre. Fortement appuyée par les autorités ecc1ésiastiQues 24 et la<br />

plupart des intellectuels nationalistes, la colonisation appara1t comme<br />

étant la panacée aux misères morales et économiques des prolétaires<br />

urbains. Ains;, en octobre 1934, le premier ministre Taschereau annonce<br />

aux évêques, maires et députés réunis en congrès <strong>à</strong> <strong>Québec</strong>, l'octroi d'une<br />

somme de dix millions de dollars pour un projet de colonisation. Des<br />

sociétés diocésaines de colonisation sont constituées afin d'assurer le<br />

recrutement et l'encadrement des co10ns 25 ; celle de <strong>Trois</strong>-Rivières reçoit<br />

son incorporation le 12 mars 1935 28 • Moins de trois mois après, le 31<br />

mai, un premier contingent formé de 33 chômeurs part de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

pour le canton de Montbeil1ard au sud-ouest de Noranda 27 • En septembre,<br />

163 colons sont placés 28 , le nombre atteindra 667 pour l'année 1935 29 •<br />

La presse locale s'empresse de publier les témoignages des colons ex-<br />

24. Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit., p. 370-373.<br />

25. Loco. cit., p. 372.<br />

26. Georges Panneton et Antonio Magnan, Le diocèse de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

1852-1952, p. 325.<br />

27. Le Nouvelliste, 21 mai 1935, p. 3 et 1 er juin 1935, p. 3.<br />

28. Le Nouvelliste, 20 septembre 1935, p. 3.<br />

29. Le Nouvelliste, 11 janvier 1936, p. 3.<br />

46


primant leur satisfaction 3o • Les statistiques font mention de 484 colons<br />

pour 1937 31 et 577 personnes pour 1938 32 • Un bilan dressé en juillet<br />

1939 fait état de 685 familles provenant <strong>du</strong> diocèse trif1uvien installées<br />

en Abitibi depuis 1935 33 • Au canton de Montbei1lard s'étaient ajoutés<br />

ceux de Laferté (1936), Pou1ariès (1937), Rochebaucourt, Languedoc,<br />

Lamorandière, Dev1in (1938), et Landrienne en 1939. En 1938, des "tra-<br />

vaux de chômage" sont offerts aux sans-travail après la cessation des<br />

secours directs 34 •<br />

***<br />

30. Le Nouvelliste, 21 juin 1935, p. 3; 16 juillet 1935, p. 3; 8 juillet<br />

1936, p. 3; 26 juillet 1937, p. 3 et 29 aoOt 1939, p. 3.<br />

31. Le Nouvelliste, 15 décembre 1937, p. 3.<br />

32. Le Nouvelliste, 17 janvier 1939, p. 3.<br />

33. Le Nouvelliste, 18 juillet 1939, p. 3.<br />

34. Au début de 1939, 1275 hommes travaillent sur les quatre chantiers<br />

<strong>du</strong> ministère <strong>du</strong> Travail en opération jusqu'au 15 février 1940 (Le<br />

Nouvelliste, 19 juillet 1939, p. 3). Les chantiers sont le Parc de<br />

l'Exposition, le parc Saint-Philippe (l'actuel parc Pie-XII), le<br />

tunnel Sainte-Marguerite sous le chemin de fer (ma1ntenant disparu)<br />

et la montée qui prolonge la cinquième Avenue vers le boulevard <strong>du</strong><br />

Carmel. La construction de l'école normale des Ursulines et de<br />

l'annexe en briques de l'Hôpital Saint-Joseph procurent également un<br />

gagne-pain aux ouvriers de la construction. Le Secours direct prend<br />

le re1ai en 1940 (Le Nouvelliste, 29 janvier 1940, p. 3). Dix<br />

jours plus tard 1600 demandes avaient été logées auprès des<br />

responsables (Le Nouvelliste, 26 février 1940, p. 3 et 27 février<br />

1940, p. 3.).<br />

47


3. La misère noire<br />

La sèche énumération des statistiques ne rend pas compte des souf-<br />

frances et des angoisses que la situation d'ouvrier non-spécialisé ou de<br />

chômeur implique. Les conditions de travail de ceux qui ont le privilège<br />

d'un emploi sont très <strong>du</strong>res 35 • Dans Le Bien Public, Clément Marchand<br />

dénonce les propriétaires d'un restaurant où des jeunes filles, qui<br />

travaillent de neuf heures le matin jusqu'<strong>à</strong> minuit, s'évanouissent<br />

d'épuisement 38 ; il qualifie de "rouerie" le fait qu'un employeur congédie<br />

la main-d'oeuvre féminine après une hausse de salaire 37 • Il ne faut<br />

donc pas s'étonner que <strong>Trois</strong>-Rivières affiche des records peu enviables<br />

dans les taux de morbidité et de mortalité. Une étude menée par le<br />

gouvernement provincial deux ans plus tard aligne des chiffres effa-<br />

rants 38 • Le taux de mortalité par 1000 habitants est de 18,3 pour 1934,<br />

alors que la moyenne des cités et villes est de 11,3. Pour la strate de<br />

0-4 ans, le taux est trois fois plus élevé <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières qu'au <strong>Québec</strong><br />

(73,1 contre 25,6). Le taux de mortalité par 1000 naissances vivantes<br />

35. Par exemple un livreur <strong>à</strong> bicyclette travaillait de 7 heures le matin<br />

<strong>à</strong> 7 heures le soir, avec une heure pour d1ner, soit au total 72<br />

heures par semaine, payées trois dollars, soit -cinq cents de l'heure.<br />

Les "filles" de la Wabasso recevaient en 1936 12$ par semaine<br />

pour 60 heures de travail (équipe de jour) et les hommes un dollar<br />

de plus pour le même nombre d'heures (équipe de nuit). Voir l'article<br />

suivant sous le pseudonyme de 18 fois grand-père, "les conditions<br />

d'emploi il y a cinquante ans", Le Nouvelliste, 27 février 1987.<br />

36. Le Bien Public, 23 aoOt 1934, p. 3.<br />

37. Le Bien Public, 25 octobre 1934, p. 1.<br />

38. Docteur A.R. Fo1ey, étude sur la situation sanitaire de la cité de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, p. 12-14.<br />

48


passe de 166,8 <strong>à</strong> 286,8 de 1929 <strong>à</strong> 1934 <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, alors que dans<br />

les autres municipalités urbaines il décrolt de 128,4 <strong>à</strong> 99,4 pour la même<br />

période. La reprise économique de même que divers correctifs convne la<br />

création de l'Unité sanitaire et de la crèche Gamelin mettent fin au<br />

début des années cinquante au décalage entre <strong>Trois</strong>-Rivières et la moyenne<br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong> sous le rapport de la santé.<br />

Les classes défavorisées vivent une <strong>du</strong>re réalité. Au début de mai<br />

1935, 200 familles doivent quitter leur logement et sont sur le pavé. La<br />

plupart des sans-abri trouvent refuge dans des hangars ou des garages<br />

pour la première nuit 39 • Quelques jours plus tard l'échevin Henri<br />

Lacroix déclare: "nous avons réussi <strong>à</strong> placer dans des logements con-<br />

venables tous les indigents que les propriétaires avaient congédiés".<br />

Du même souffle, le Dr Lacroix, qui pratique la médecine dans un quartier<br />

ouvrier, propose un "divertissement" pour les enfants des chômeurs"o.<br />

39. R[aymond] D[ouville]. "Les sans-loyers", Le Bien Public, 9 mai<br />

1934. D'autre part, Le Nouvelliste (4 mai 1935, p. 3) rapporte la<br />

répétition de la situation de 1934. Treize familles sont logées<br />

dans les bâtisses <strong>du</strong> parc de l'Exposition. L'auteur de l'article<br />

déplore le fait que la ville soit envahie par des chômeurs des<br />

villages avoisinants qui accaparent les logements disponibles. Le<br />

problème des vagabonds était lui aussi préoccupant: 500 itinérants<br />

furent recensés de janvier <strong>à</strong> mars 1931. Leur âge moyen était situé<br />

entre 25 et 40 ans; ils arrivaient par train des Maritimes et de<br />

l'Ontario (40%) ou de la région montréalaise (Le Nouvelliste, 26<br />

mars 1931, p. 3).<br />

40. Il suggère notamment de "Con<strong>du</strong>ire les enfants, par camion vers le<br />

sud, <strong>à</strong> travers les riantes campagnes, leur offrir un dlner champêtre<br />

[ ... l, geste sympathique d'une société dont ils ne partagent guère<br />

les plaisirs" (Le Nouvelliste, 5 mai 1934, p. 1.). La même année un<br />

arbre de Noël fut préparé <strong>à</strong> l'intention de ces enfants par un groupe<br />

de citoyens sous le patronage de directeurs d'usine et avec la<br />

collaboration <strong>du</strong> corps de police (Le Nouvelliste, 15 décembre 1934,<br />

p. 3).<br />

49


Des hivers rigoureux comme celui de 1934 aggravent les problèmes <strong>du</strong><br />

manque de vêtements et de combustible 41 •<br />

*<br />

Pour ce qui est des syndicats ouvriers, ils sont mal organisés pour<br />

prendre efficacement la défense des démunis. A <strong>Trois</strong>-Rivières, l'origine<br />

<strong>du</strong> syndicalisme catholique réside dans la fondation en 1913 de la Cor-<br />

poration ouvrière catholique (C.D.C.) sous l'inspiration de l'évêque<br />

Cloutier. Le but avoué de l'initiative épiscopale est la protection des<br />

ouvriers, mais Yvon Thér1ault, dans ses notes sur le syndicalisme tri-<br />

fluvien 42 , estime qu'elle constituait une réaction de défense contre le<br />

"trade-unionisme" (les centrales américaines) qui tente de s'implanter <strong>à</strong><br />

la Wabasso Cotton. La C.D.C. cède la place au Conseil central des<br />

syndicats nationaux catholiques en 1921. Celui-ci négocie ses premières<br />

ententes avec des communautés religieuses en 1928 43 • l'année 1934 voit<br />

l'apparition des premières conventions collectives. Des décrets gouver-<br />

41. Des froids sous le zéro Fahrenheit (-18 0 C) furent enregistrés <strong>à</strong><br />

partir de la mi-novembre en 1933 (The St. Maurice Valley Chronicle,<br />

23 novembre 1933, p. 1). Un record de -36 0 F fut atteint le 30<br />

janvier, ce qui donna l'hiver le plus froid depuis 75 ans (Ibid.,<br />

1 er février 1934, p. 1).<br />

42. Yvon Thériault,<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières<br />

[<strong>Trois</strong>-Rivières<br />

la C.T.C.C.<br />

Notes historiques sur le syndicalisme catholique <strong>à</strong><br />

<strong>à</strong> l'occasion des Semaines sociales <strong>du</strong> Canada<br />

1960], 50 p. dactylographiées, bulletin spécial de<br />

43. Voir le contrat-type passé avec les Dominicaines, les Carmélites,<br />

les Franciscains et deux fabriques paroissiales, Yvon Thériault,<br />

op. cit., p. 26-27. Le briquetier gagne 1$ de 1 'heure, le<br />

menuisier-charpentier, 0,50$ et le journalier 0,35$.<br />

50


nementaux fixent les conditions de salaire pour l'ensemble de la Mauricie<br />

dans divers corps de métiers 44 • En 1937, trente-quatre syndicats sont<br />

actifs.<br />

Nommé évêque titulaire en 1935, Mgr Alfred-Odilon Comtois renouvelle<br />

l'appui de son prédécesseur au mouvement ouvrier 45 dans la Lettre cir-<br />

culaire <strong>du</strong> 6 mai de la même année 4s • Le souci des autorités religieuses<br />

d'éviter les conflits de travail est impuissant <strong>à</strong> empêcher la grève<br />

"spontanée" des employés de la Wabasso le 26 aoOt 1935. Même si les<br />

syndiqués retournent au travail le surlendemain, après l'intervention <strong>du</strong><br />

maire Robichon 47 , ils déclenchent une grève légale six mois plus tard<br />

afin de protester contre le non-respect de l'entente intervenue 48 •<br />

Enfin, en juillet 1937, un arrêt de travail paralyse une partie des<br />

activités de la Wayagamack mais les membres <strong>du</strong> syndicat catholique<br />

franchissent les lignes de piquetage 49 •<br />

44. Les électriciens (décret <strong>du</strong> 11 aoOt 1934), les briqueteurs,<br />

plâtriers et maçons (22 septembre 1934), les employés de la<br />

réfrigération (10 novembre 1934), les peintres (15 décembre 1934),<br />

les boulangers (5 janvier 1935), les ouvriers <strong>du</strong> bâtiment (20 avril<br />

1935) et finalement les coiffeurs et coiffeuses (29 juin 1935).<br />

45. La Chronique de la vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice, 26 juin 1937,<br />

numéro-souvenir.<br />

46. Georges Panneton et Antonio Magnan, op. cit., p. 326.<br />

47. Pierre Lanthier et Alain Gamelin, op. cit., p. 431.<br />

48. Ibid., p. 431.<br />

49. Ibid., p. 206.<br />

51


De son côté, la petite-bourgeoisie locale - professions libérales,<br />

commerçants et petits entrepreneurs - n'échappe pas non plus aux dif­<br />

ficultés économiques, quoique sa situation ne soit pas aussi dramatique<br />

que celle des classes populaires. Les médecins soignent une partie de<br />

leur clientèle gratuitement ou se contentent <strong>du</strong> 0,50$ mensuel par famille<br />

de sans-emploi alloué par la ville 5o • Les marchands échangent les "bons<br />

des fournisseurs" que leur remettent les chômeurs contre des rembourse-<br />

ments insuffisants; les propriétaires éprouvent de la difficulté <strong>à</strong><br />

percevoir les loyers et les "bons d'abri", encaissables <strong>à</strong> la trésorerie<br />

municipale, ne valent pas le plein montant de la location 51 •<br />

***<br />

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE<br />

La mise en place de tous ces éléments économiques et sociaux nous<br />

permet de planter le décor devant lequel évolueront les régionalistes<br />

mauriciens. Ce détour fut nécessaire afin de décrire l'espace physique<br />

de la Mauricie des années trente. Le <strong>Québec</strong> - et tout particulièrement<br />

la Mauricie - a subi un contexte de déstabilisation culturelle provoquée<br />

par la crise économique. <strong>Trois</strong>-Rivières a connu le paupérisme des villes<br />

in<strong>du</strong>strielles, plaie sociale qui fut aggravée par la Dépression. Ce ne<br />

50. Le Nouvelliste, 23 octobre 1936, p. 3. Il n'est rien prévu pour les<br />

frais judiciaires.<br />

51. Le Nouvelliste, 7 avril 1937, p. 3. La chute de la valeur locative<br />

entra1na la diminution <strong>du</strong> prix des habitations.<br />

52


fut pas la catastrophe des agglomérations mono-in<strong>du</strong>strielles où la<br />

fermeture d'usines entra1nait l'effondrement général de l'économie.<br />

Néanmoins la qualité de la vie se vit suffisamment perturbée pour que des<br />

mécanismes de réaction se mettent en place. Il faut aussi reconna1tre<br />

que des milliers de ruraux attirés <strong>à</strong> la ville par l'espoir d'une vie<br />

meilleure furent ramenés <strong>à</strong> une <strong>du</strong>re réalité; les élites intellectuelles<br />

furent elles-mêmes secouées économiquement et culture11ement par le drame<br />

collectif qui se vivait. Dans ces circonstances, la société a besoin de<br />

réponses fermes et sécuri santes , peu importe le bien-fondé de ces répon­<br />

ses. Un état "d'appétence idéologique" favorisait l'émergence de nou­<br />

veaux discours sociaux et la relecture des anciens. Il est donc possible<br />

de rattacher le régionalisme mauricien <strong>à</strong> un tel renouveau idéologique.<br />

53


DEUXIEME PARTIE<br />

LES ORIGINES ET L'ELABORATION DE L'IDEOLOGIE REGIONALISTE


CHAPITRE III<br />

LES VISIONS ET LES ENSEIGNEMENTS DE JOSEPH-G. GELINAS<br />

1. Le neveu d'Antoine Gérin-Lajoie<br />

Joseph-Gérin Gélinas naquit le 8 février 1874 <strong>à</strong> Lou1seville. Fils<br />

de Charles Gélinas et d'Emma Gérin-Lajoie, il commença ses études au<br />

Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, puis les compléta au Grand Séminaire de<br />

<strong>Québec</strong> avant d'être ordonné prêtre en 1899. Il fut nommé titulaire de la<br />

classe de rhétorique au séminaire trifluvien en 1903, poste qu'il occupa<br />

jusqu'en 1924. La charge de préfet des études lui fut ajoutée <strong>à</strong> partir<br />

de 1916 et il la conservera jusqu'<strong>à</strong> son décès survenu le 24 janvier<br />

1927 1 • Homme austère, que personne ne se rappelle avoir vu rire, l'abbé<br />

Gélinas était épris d'un idéal très élevé et chercha <strong>à</strong> inculquer la<br />

valeur <strong>du</strong> sacrifice <strong>à</strong> ses élèves. Son extérieur peu amène dissimulait<br />

une passion pour l'histoire et un grand amour pour la petite patrie. Il<br />

1. [Anonyme], "M. l'abbé Joseph G. Gélinas foudroyé par une attaque<br />

d'apoplexie", Le Nouvelliste, 25 janvier 1927, p. 1. L'abbé Eddie<br />

Hamelin a rédigé la notice biographique de Gélinas dans<br />

L'enseignement secondaire au Canada, mars 1927, p. 675-688. Ce<br />

texte fut publié <strong>à</strong> part dans un opuscule intitulé: In memoriam<br />

l'abbé Joseph-G. Gélinas. ptre, <strong>Québec</strong>, l'Action sociale, 1927, 16<br />

p. avec une photographie de Gélinas.


organisa les fêtes <strong>du</strong> centenaire de la naissance de Gérin-lajoie en 1924<br />

et effectua des démarches pour l'érection <strong>du</strong> monument <strong>à</strong> Lavérendrye sur<br />

la terrasse Turcotte <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières. Toutefois, c'est dans son oeuvre<br />

écrite, abondante et variée, que Gélinas a contribué au développement <strong>du</strong><br />

goQt pour l'histoire, la "petite" et la "grande". Entre 1915 et 1919, il<br />

fit para1tre dans le Bien Public plusieurs chroniques destinées aux<br />

jeunes afin de les instruire sur le passé <strong>du</strong> Canada2 •<br />

Neveu d'Antoine Gérin-lajoie (1824-1882), l'auteur de Jean Rivard,<br />

et de Mgr Denis Gérin (1846-1923), ancien zouave <strong>à</strong> Rome et curé de Saint-<br />

Justin <strong>du</strong>rant 45 ans 3 , l'abbé Joseph G. Gé1inas subit l'influence des<br />

courants d'idées agriculturistes et clérico-nationalistes. Alors qu'il<br />

était séminariste <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, Mgr Laflèche, malgré son âge avancé,<br />

exerçait une forte emprise sur le clergé local; son discours ultramontain<br />

2. Les textes parurent en trois recueils séparés: Au Foyer, causeries<br />

historiques pour les petites de chez nous, rassemble 29 textes parus<br />

<strong>à</strong> partir <strong>du</strong> 8 mars 1915; En veillant avec les petits de chez nous:<br />

Régime français, et En veillant avec les petits de chez nous:<br />

Régime anglais, rassemblent les 44 textes parus <strong>du</strong> 20 septembre 1917<br />

au 18 juillet 1918. Au premier de ces recueils, l'auteur ajouta un<br />

avant-propos daté <strong>du</strong> 29 mai 1919 de même que la lettre <strong>à</strong> sa nièce<br />

parue dans le Bien Public <strong>du</strong> 23 décembre 1916, p. 5. En plus de<br />

divers articles, Gélinas a rédigé une biographie édifiante d'Arthur<br />

Beaulac, l'un de ses anciens élèves décédé prématurément. Il a<br />

collaboré <strong>à</strong> L'Echo de Saint-Justin, <strong>à</strong> La Bonne Parole (1918-1920) et<br />

<strong>à</strong> La Revue dominicaine (1917-1924) (Voir Gertrude Bellemare,<br />

Bibliographie de l'abbé Joseph-G. Gélinas.).<br />

3. Voir 2.40 et: Georges Panneton et Antonio Magnan, Le diocèse de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, p. 206. Gélinas était aussi le cousin <strong>du</strong> premier<br />

sociologue québécois, Léon Gérin (1863-1951), auteur de l'Habitant<br />

de Saint-Justin.<br />

56


ne pouvait faire autrement que colorer celui de Gé1inas de fortes teintes<br />

c1érica1istes·.<br />

***<br />

2. L'amour de la petite patrie trifluvienne<br />

L'abbé Joseph-Gérin Gé1inas a joué un rôle essentiel dans l'énoncia-<br />

tian <strong>du</strong> discours régionaliste <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, même si le terme "régie-<br />

na1isme" n'appara1t nulle part dans son oeuvre d'écrivain. C'est <strong>à</strong><br />

travers les écrits qui lui ont été consacrés, particulièrement <strong>à</strong> l'oc-<br />

casion de son décès, que nous découvrons la forte personnalité de l'abbé<br />

Gé1inas, de même que l'exposé de son discours régionaliste.<br />

Dans son autobiographie intitulée Souvenirs en vrac, Tessier a, pour<br />

sa part, insisté sur le rôle déterminant joué par son ancien professeur<br />

dans l'élaboration de la pensée régionaliste en Mauricie 5 •<br />

4. S'adressant <strong>à</strong> de jeunes lecteurs, Gé1inas dira: "Prêcher le<br />

patriotisme [ ... ] sans prêcher la doctrine de l'Eglise, c'est perdre<br />

son temps. Vous aimerez donc beaucoup votre pays, mais vous aimerez<br />

avant tout et par-dessus tout Jésus et son Eglise" (2.39, p. 139).<br />

5. Albert Tessier, Souvenirs en vrac, p. 61-64, 68, 72, 80, 87, 123,<br />

125, 126, 140 et 150.<br />

57


1- La Patrie<br />

Puissent ces pages modestes, dictées par l'amour de la<br />

Patrie et de l'Eglise, aider les âmes des petits et des<br />

petites <strong>à</strong> voler vers l'Idéal, vers le bon Dieu qui fait<br />

des miracles pour les gens de chez nous (2.34).<br />

Amour de la Patrie! Amour de l'Eglise! voil<strong>à</strong> les deux constantes<br />

majeures chez Gé1inas, de sa pensée et de son action. Celui que Tessier<br />

avait surnonvné "le professeur-patriote" (2.42) a canalisé ses énergies,<br />

mobilisé son être vers ce double objectif de conviction dans son enseig-<br />

nement et ses écrits. Chez lui, l'amour de la Patrie est tout nature11e-<br />

ment subordonné <strong>à</strong> celui de Dieu. "L'é<strong>du</strong>cation patriotique la plus<br />

complète, précise-t-i1, est celle qui nous vient de la Religion" (2.39).<br />

Il importe de préparer "l'avenir de la Patrie" (2.35), continue-t-il,<br />

ajoutant qu'on ne devient "bon citoyen qu'après avoir été bon écolier"<br />

(2.37).<br />

2- L'Hi stoi re<br />

Patriote ardent, selon l'expression d'Omer Héroux (2.38), Gé1inas<br />

voyait dans "le patriotisme national [ ... ] la somme des patriotismes<br />

régionaux" (2.36). Il fera de ce principe le fondement même de sa<br />

pratique pédagogique de l'histoire. Les témoignages de ses anciens<br />

élèves ou encore de ses confrères de classe sont suffisamment éloquents<br />

pour être substitués <strong>à</strong> ses écrits. Ainsi Hector Héroux écrivait:<br />

Tout l'intéressait, tout le passionnait <strong>du</strong> moment qu'on<br />

parlait <strong>du</strong> Canada, de la petite patrie. Il consacrait des<br />

leçons entières <strong>à</strong> l'histoire de <strong>Trois</strong>-Rivières. [ ... ] La<br />

58


petite histoire enchantait et retenait l'abbé Gélinas<br />

(2.40).<br />

"Son coeur brOlait pour la patrie trifluvienne" et "l'histoire<br />

régionale eut sa préférence" confie pour sa part Albert Tessier dans le<br />

vibrant hommage <strong>du</strong> Nouvelliste (2.36). Son culte de la petite histoire<br />

s'allie, ajoute Tessier, <strong>à</strong> "l'amour de la paroisse natale, de son clocher<br />

et de son cimetière" qu'il cherche <strong>à</strong> inculquer aux élèves (2.41). De son<br />

côté, Omer Héroux souligne que l'enseignement de Gélinas "se doublait<br />

d'une active propagande pour la conservation des souvenirs et des tradi-<br />

tions régionales" (2.38).<br />

L'histoire locale ne constitue évidemment pas la principale matière<br />

historique enseignée par Gélinas. Il s'intéresse vivement aux luttes<br />

constitutionnelles de l'Union (1841-1867) et aime tirer des leçons de<br />

l'actualité. Pour lui, l'histoire doit se rattacher au présent (2.40).<br />

Gélinas renouvelle l'enseignement de l'histoire <strong>du</strong> Canada 6 en complétant<br />

de façon vivante le sec manuel de Bourgeois encore inscrit au programme 7 •<br />

L'abbé Gélinas se faisait également une conception élevée de la<br />

vocation de "la phalange sainte des é<strong>du</strong>cateurs": "Est-ce que celui qui<br />

travaille <strong>à</strong> l'é<strong>du</strong>cation de la jeunesse n'est pas un grand homme?" (2.35).<br />

Selon lui, la responsabilité <strong>du</strong> ma1tre est grande, car "l'idée qui<br />

6. "Son grand effort [fut de] rénover l'enseignement de<br />

Canada au Séminaire, ou plutôt de la créer de toutes<br />

Omer Héroux (2.38) ira jusqu'<strong>à</strong> dire que Gélinas a<br />

l'enseignement". L'expression para1t excessive de nos<br />

59<br />

l'Histoire <strong>du</strong><br />

pièces(2.40).<br />

"révolutionné<br />

jours.<br />

7. Tessier a conservé précieusement l'exemplaire que lui avait légué<br />

son ma1tre en 1927 (2.40).


égnera dans l'avenir, c'est l'idée qu'on répand <strong>à</strong> l'école" (2.35).<br />

Joseph-G. Gélinas était conscient <strong>du</strong> rôle idéologique qu'imposait la<br />

mentalité de l'époque <strong>à</strong> un formateur de jeunes consciences. Sa corn-<br />

pétence pédagogique faisait l'unanimité: "é<strong>du</strong>cateur accompli, qui a<br />

voulu élever pour son pays des catholiques convaincus et des patriotes<br />

agissants", note Jos Barnard (2.37) "é<strong>du</strong>cateur sculpteur de cerveaux et<br />

de consciences" retient pour sa part Omer Héroux (2.38), alors que le<br />

frère de celui-ci, Hector Héroux, souligne de son côté que l'enseignement<br />

de Gé1inas était imprégné d'Dun intense canadianisme renforcé d'un<br />

régionalisme <strong>du</strong> meilleur aloi" (2.40). Et Tessier de faire valoir son<br />

"culte intransigeant de la vérité totale" (2.41). De tels jugements<br />

illustrent éloquemment l'influence exercée par Gélinas.<br />

L'ardent pédagogue eut le don d'éveiller la curiosité intellectuelle<br />

chez les jeunes. Il leur apprit <strong>à</strong> élargir leur champ de vision et leur<br />

donna le goOt de la culture, au-del<strong>à</strong> des matières apprises en classe<br />

(2.38). Perçu comme un missionnaire de la pensée française (2.38), il<br />

s'employa dans son interprétation des faits historiques <strong>à</strong> la défense de<br />

"la gloire de la France" (2.40). Son appréciation de la littérature<br />

française était très particulière. Délaissant les classiques <strong>du</strong> XVIIe<br />

siècle, Gé1inas faisait goQter la prose de Louis Veuillot et la poésie de<br />

Frédéric Mistral <strong>à</strong> ses élèves attentifs 8 •<br />

8. Après quarante ans, Tessier pouvait citer de mémoire des passages de<br />

Mistral appris dans la classe de Gé1inas (voir Souvenirs en vrac,<br />

p. 62).<br />

60


***<br />

3- La primauté <strong>du</strong> spirituel sur le temporel<br />

Dans une lettre, Gé1inas incite sa nièce <strong>à</strong> donner "toujours la<br />

première place au bon Dieu" et <strong>à</strong> travailler d'abord et avant tout pour<br />

lui (2.34). Nous avons souligné précédemment la préséance, pour Gé1inas,<br />

de l'amour de Dieu et de l'Eglise sur celui de la patrie. De façon plus<br />

générale, il insiste sur la nécessité de la vie intérieure (2.35), lui<br />

qui avait choisi le saint curé d'Ars comme modèle.<br />

Ses étudiants l'avaient surnommé "L'Idéal" <strong>à</strong> cause de "son insis­<br />

tance monolithique et sans nuances de la nécessité d'un idéal dans la<br />

vie" (2.42) et de l'importance primordiale qu'il accordait au "sérieux et<br />

<strong>à</strong> l'équilibre" (2.34). Ses élèves ont conservé le souvenir d'un exemple<br />

vivant "de travail, de discipline et d'esprit de suite" (2.41). Tessier<br />

observe qu'une "action soutenue [assurait] l'unité de son oeuvre" et<br />

conc 1 ut en di sant que "son idéal i sme tendait <strong>à</strong> l' act ion" (2.41). Le<br />

futur apôtre <strong>du</strong> régionalisme mauricien saura tirer profit de ces prin­<br />

cipes. En somme, la morale de Gélinas s'appuyait sur l'austérité <strong>du</strong><br />

style de vie, un renoncement exigeant et un anti-hédonisme intégral.<br />

Tous ses biographes ont mentionné, souvent sur un ton amusé, sa sainte<br />

horreur <strong>du</strong> tabac, de l'alcool, des cartes et des plaisanteries. Selon<br />

Gélinas, il faut maîtriser le caractère et la volonté et s'oublier pour<br />

61


les autres (2.34). "Le travail, l'obéissance, la prière et la fréquenta-<br />

tion des sacrements" débouchent sur les plus belles victoires, "celles<br />

qu'on remporte sur soi-même" (2.39).<br />

Le moraliste fustige l'amour <strong>du</strong> plaisir et exhorte ses jeunes<br />

lectrices <strong>à</strong> "l'acceptation calme et foncièrement chrétienne <strong>du</strong> sacrifice<br />

aussi souvent qu'il se présente" (2.34). Ailleurs il écrit: "la vie de<br />

l'homme est un combat continuel, un sacrifice de tous les instants"<br />

(2.36). Ce thème <strong>du</strong> sacrifice revient une dizaine de fois dans la lettre<br />

<strong>à</strong> sa nièce et dans sa dernière causerie, il insistera encore: "c'est par<br />

le sacrifice que le chrétien accède <strong>à</strong> la joie véritab1e"9. Gélinas admet<br />

pourtant la nécessité de semer la gaieté (2.35) et apprécie le "rire<br />

franc et pur" chez la jeune fille mais cette expression sensible <strong>du</strong><br />

bonheur ne doit découler que de la satisfaction <strong>du</strong> devoir accompli.<br />

Dans son discours régionaliste, Gélinas aborde deux thèmes majeurs,<br />

l'Eglise et la patrie1o , que les historiens ont posé comme étant les<br />

référents essentiels de l'idéologie désignée sous le nom de clérico-<br />

nationalisme. Formé dans un milieu où dominait la pensée <strong>du</strong> vieil évêque<br />

ultramontain, Gélinas avait été instruit que "chaque nation a reçu de la<br />

Providence une mission <strong>à</strong> remplir. La mission <strong>du</strong> peuple canadien-français<br />

9. S'adressant <strong>à</strong> des jeunes filles, Gélinas écrit: "c'est le<br />

sacrifice qui procure le sourire <strong>à</strong> la vierge <strong>du</strong> clo'tre".<br />

10. Depuis 1874, la devise <strong>du</strong> Séminaire est: Religioni et patriae.<br />

Gélinas et Tessier se plairont <strong>à</strong> la citer.<br />

62


est de constituer un foyer de catho1icisme"11. La subordination de<br />

l'Etat <strong>à</strong> l'Eglise et, dans le domaine de la pensée, <strong>du</strong> patriotisme <strong>à</strong> la<br />

vertu de religion, constituait le corollaire immédiat de la supériorité<br />

<strong>du</strong> droit divin sur le droit nature1 12 . Au refus <strong>du</strong> matérialisme et de la<br />

richesse, l'ultramontanisme annexera le rejet de l'in<strong>du</strong>strialisation et<br />

de l'urbanisation13 .<br />

D'autre part Gé1inas, comme la majorité des Canadiens français de sa<br />

génération, était façonné par le discours judéo-chrétien, devenu une<br />

idéologie primaire au sens de Moreux 14 . La prééminence des fins spiritu-<br />

elles sur les biens matériels, la double opposition esprit/matière,<br />

âme/corps et le rejet <strong>du</strong> plaisir faisaient une unanimité telle qu'on les<br />

considérait comme allant de soi. Le thomisme intransigeant enseigné au<br />

Grand Séminaire postulait dans les faits que la connaissance rationnelle<br />

formait la voie royale qui mène <strong>à</strong> l'amour de Dieu, amour épuré de toute<br />

contingence d'ordre passionnel. La seule joie véritable et légitime<br />

découlait de cet acte d'adoration prolongé dans les actions jugées<br />

méritoires par l'Eg1ise15 .<br />

11. Mgr Louis-François Laflèche, Quelques considérations sur les<br />

rapports de la société civile avec la religion et la famille, cité<br />

par Mason Wade, Les Canadiens français de 1760 <strong>à</strong> nos jours, tome 1,<br />

p. 381.<br />

12. Monière, Denis. Le développement des idéologies <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, p. 226.<br />

13. Ibid., p. 226.<br />

14. Colette Moreux, La conviction idéologique, p. 18-19.<br />

15. Dans Fin d'une religion?, Colette Moreux analyse l'évolution <strong>du</strong><br />

catholicisme québécois dans une paroisse canadienne-française des<br />

années soixante. L'auteure constate que les piliers de<br />

63


S'il n'ut il i se pas 1 e te rme .. rég i ona 1 i sme" dans 1 es textes que nous<br />

avons recensés, Gé1inas emploie l'expression "petite patrie", par exemple<br />

dans la conclusion de sa dernière causerie (datée <strong>du</strong> 18 juillet 1918 dans<br />

Le Bien Public (reprise dans 2.39, p. 140). Le choix de Veuillot ne<br />

surprend guère, il avait été inspiré par "l'admiration inconditionnée<br />

[sic] de Mgr Laflèche" selon l'expression de Tessier (2.42), mais celui<br />

de Mistral est moins évident. Ces archives personnelles de Gélinas ayant<br />

été détruites dans l'incendie <strong>du</strong> Séminaire en 1929, aucune donnée ne nous<br />

permet d'établir les circonstances de la connaissance de l'oeuvre mistra-<br />

lienne. Il utilisait les Mémoires et Récits <strong>du</strong> poète de Maillane afin de<br />

prêcher l'attachement au milieu et aux gens qui nous entourent.<br />

*<br />

Il nous appara1t plus délicat de retracer de façon précise l'origine<br />

de l'''amour de la patrie", incarnation <strong>du</strong> régionalisme de Gélinas. Il<br />

connaissait l'oeuvre de Mistral; lecteur assi<strong>du</strong> de l'actualité, il a da<br />

parcourir Le Terroir de Montréal, analyser la célèbre conférence de<br />

l'autoritarisme clérical sont "la religion, la famille et l'école.<br />

[ ... ] Deux principes guident l'é<strong>du</strong>cation de l'enfant [ ... ]: la<br />

subordination des fins temporelles aux fins spirituelles et la<br />

prédominance de l'intérêt collectif sur les intérêts privés"<br />

(p. 31). D'après la pédagogie de Mgr Ross, "les seuls sentiments<br />

licites sont la crainte des punitions et l'espoir des récompenses,<br />

l'émulation et le sentiment de l'honneur, l'amour <strong>du</strong> ma1tre et des<br />

parents, l'amour <strong>du</strong> devoir et l'amour de Dieu" (p. 31-32).<br />

L'enseignement de Gé1inas fut conforme <strong>à</strong> ces principes. Il<br />

connaissait sQrement le manuel de Mgr Ross dont la première édition<br />

est de 1916.<br />

64


Camille Roy18 et prendre connaissance <strong>du</strong> régionalisme naissant en France<br />

<strong>du</strong>rant les premières années <strong>du</strong> siècle présent. Les romans de son oncle<br />

Antoine et les leçons de nationalisme clérical que devaient lui servir<br />

son oncle maternel, le curé de Saint-Justin, ont sans doute joué un rôle<br />

déterminant dans la constitution de son idéologie. Sa réflexion pédago-<br />

gique qui l'a mené <strong>à</strong> un renouvellement de l'enseignement de l'histoire<br />

pouvait découler de son goQt très vif de transmettre sa passion pour le<br />

passé aux jeunes intelligences.<br />

16. Camille Roy, "La nationalisation de la littérature canadienne" dans<br />

Essais sur la littérature canadienne, p. 215-232.<br />

65


CHAPITRE IV<br />

L'APOTRE DE LA MAURICIE: ALBERT TESSIER<br />

1. Un nostalgique de la Nature<br />

Peu d'hommes en Mauricie, sauf Mgr Laflèche et Duplessis, ont connu<br />

une carrière aussi riche et mouvementée que Mgr Tessier. Sa renonmée a<br />

franchi les frontières de la région qu'il a tant aimée. Le prix Albert-<br />

Tessier remis par le gouvernement <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> souligne le caractère natio-<br />

nal de l'oeuvre cinématographique <strong>du</strong> célèbre Mauricien 1 • Toutefois, afin<br />

1. Le S.T.R., journal des étudiants <strong>du</strong> séminaire, a consacré un numéro<br />

spécial (janvier 1944) <strong>à</strong> Albert Tessier. Les articles d'Hervé<br />

Biron, Clément Marchand, Auguste Panneton (Sylvain) et François<br />

Francoeur sont les plus significatifs; en outre, Tessier y rend un<br />

sincère honmage <strong>à</strong> son père, <strong>à</strong> sa tante et <strong>à</strong> l'abbé Gélinas. La<br />

spiritualité de Tessier est abordée dans l'article de Paul-Henri<br />

Carignan, "Mgr Albert Tessier: homme <strong>du</strong> sacré!" (Le Ralliement,<br />

vol. 11, nO 3, nov. 1986, p. 3), et celui de Jean Paillé<br />

"Monseigneur Tessier <strong>à</strong> Tavibois ou la sagesse sereine d'un seigneur<br />

paysan" (Le Ralliement, vol. 11, nO 2, aoOt 1986, p. 6-9). Des<br />

éléments biographiques sont parus dans René Bouchard, op. cit. et<br />

Eugénie Lévesque, op. cit., de même que dans l'article de<br />

Perspectives, 20 nov. 1976, p. 21-27 Signé par Anne-Marie<br />

De1aunière-Dufresne. Un article de Clément Marchand, "la vie<br />

laborieuse de Mgr Tessier", a paru dans Le Bien Public. Il a été<br />

repris dans les Cahiers des Dix (no 41, p. 10-12) puis dans Société<br />

des écrivains canadiens (vol. 8, nO 1, février 1977, p. 4-5, 19).<br />

D'autres éléments sont présents dans l'interview de Lucienne Le<strong>du</strong>c<br />

(Le Nouvelliste, 15 octobre 1946, p. 2) et dans un article de Harry


de respecter l'objectif <strong>du</strong> présent travail, c'est un aperçu biographique<br />

attentif aux actions régionalistes de Tessier qui sera esquissé ici.<br />

"Albert Tessier, Mgr<br />

Ecrivain, cinéaste, historien<br />

1895-1976"<br />

Si Tessier revenait et lisait cette inscription 2 , il dirait peut-<br />

être, avec un sourire en coin: "Ecrivain? cinéaste? historien? un seul<br />

mot suffirait: ANIMATEUR". Il avait écrit 3 , peu d'années avant sa mort:<br />

"Je suivais une ligne d'action <strong>à</strong> branches multiples, mais ten<strong>du</strong>e vers un<br />

seul but: informer et animer les gens".<br />

Albert Tessier naquit <strong>à</strong> Ste-Anne-de-1a-Pérade le 6 mars 1895. Il<br />

était le fils d'Alphonse Tessier (1861-1962) et de Sophie Rompré décédée<br />

alors que le futur apôtre <strong>du</strong> régionalisme n'avait que deux ans·. Son<br />

Bernard (pseudonyme L'Illettré) dans Le Travailleur de Worcester<br />

(1952), un hommage d'Omer Héroux dans Le Devoir <strong>du</strong> 24 octobre 1936,<br />

l'appréciation de Philippe Sylvain ("Albert Tessier Souvenirs en<br />

vrac Boréal Express", Livres et auteurs québécois 1975, p. 268-271)<br />

et la présentation de Tessier <strong>à</strong> la Société Royale <strong>du</strong> Canada par Mgr<br />

Olivier Maurau1t (1944).<br />

2. Inscription posée <strong>à</strong> côté <strong>du</strong> bas-relief de Léo Arbour représentant<br />

Albert Tessier. L'oeuvre <strong>du</strong> sculpteur mauricien est visible au<br />

pavillon Albert-Tessier de l'<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

3. Albert Tessier, Souvenirs en vrac, p. 138.<br />

4. Sauf indication contraire, les informations contenues dans cette<br />

notice biographique sont tirées de Souvenirs en vrac où Tessier,<br />

dans un style plein de naturel et de fralcheur, évoque avec émotion<br />

sa jeunesse choyée et les multiples péripéties de sa carrière<br />

d'animateur jusqu'en 1934. La seconde partie de l'ouvrage s'attarde<br />

longuement sur l'oeuvre des écoles ménagères qui canalisa les<br />

efforts de Tessier jusqu'en 1965. La première section, pétrie de<br />

spontanéité et d'émerveillement, rappelle l'esprit de deux ouvrages<br />

67


père était un agriculteur qui, fait inusité pour l'époque, avait complété<br />

le cours classique; après un essai de vie monastique, il était retourné<br />

sur la terre de ses ancêtres. Veuf avec quatre enfants, il offrit <strong>à</strong> sa<br />

soeur Délia (1865-1957) de prendre charge de son foyer. La tante Délia<br />

fut pour le jeune Albert "le petit dernier", une mère "discrète, atten-<br />

tive, dévouée". Une enfance comblée et sans histoire se déroula sur la<br />

ferme <strong>du</strong> Bas-de-Sainte-Anne. Tessier rappelle avec amusement que, frêle<br />

de constitution, il était promis <strong>à</strong> une courte existence; les tâches<br />

d'en<strong>du</strong>rance lui étaient épargnées. La besogne qui lui revint était de<br />

mener le troupeau de vaches au pacage sis au bord <strong>du</strong> fleuve, <strong>à</strong> l'ex-<br />

trémité <strong>du</strong> domaine familial. Sa tâche lui laissait des loisirs qu'il<br />

employait <strong>à</strong> méditer sur la grève ou en chaloupe, <strong>à</strong> taquiner la barbue ou<br />

observer la nature. La magie <strong>du</strong> fleuve l'avait envoûtés. Concluant ces<br />

pages bucoliques où il évoque sa jeunesse aux 'champs, celui qui nommera<br />

la Mauricie affirme:<br />

La nature m'a révélé la force de ses rythmes de patience<br />

et d'attente [ ... ] L'allure lente et rêveuse <strong>du</strong> petit<br />

troupeau [ ... ] m'a appris <strong>à</strong> marcher lentement, <strong>à</strong> m'arrêter<br />

sans impatience, lorsque les vaches s'immobilisaient<br />

sans raison apparente. C'est cet apprentissage<br />

qui m'a donné une démarche lente, posée, apparemment<br />

lourde, propice <strong>à</strong> l'observation et <strong>à</strong> la contemplation.<br />

qui marquèrent Tessier <strong>du</strong>rant son jeune âge: les Mémoires et Récits<br />

de Frédéric Mistral et Autour de la maison de Michelle Le Normand.<br />

5. Tessier ajoute: "j'avais hâte, chaque fois, de revoir le fleuve<br />

dont le visage changeait continuellement, selon les jeux de l'ombre<br />

et de la lumière <strong>du</strong> vent, de la pluie, des marées etc ... Il y avait<br />

aussi les bêtes, pluviers, hérons, butors, mouettes criardes,<br />

canards, et, surtout, les hirondelles par milliers qui, au<br />

crépuscule, s'entrecroisaient dans le ciel pourpre comme un ballet<br />

d'adieu <strong>à</strong> la lumière" (Souvenirs en vrac, p. 41).<br />

68


Les réalités mouvantes <strong>du</strong> fleuve, les grands ormes qui limitaient<br />

les champs, le calvaire de Louis Jobin visible de sa chambre se fixèrent<br />

<strong>à</strong> jamais comme éléments constitutifs de son imaginaire, nourri d'une<br />

vénération quasi mystique pour la nature et soutenu par une foi sans<br />

détours intellectuels.<br />

Le jeune Tessier découvre le bonheur de la lecture et s'y adonne<br />

avec ardeur. A l'école de rang, puis au collège commercial de Ste-Anne <strong>à</strong><br />

partir de 1908, il se désintéresse des jeux de ses camarades et aime <strong>à</strong><br />

s'isoler dans un coin, un livre <strong>à</strong> la main. Le seul sport qu'il prati-<br />

quera avec quelque intérêt sera la raquette. Remarquant ses dons excep-<br />

tionnels, le vicaire de la paroisse décide son père <strong>à</strong> le diriger vers le<br />

séminaire trif1uvien. A l'écart des autres par timidité, le jeune<br />

collégien assouvit sa fringale de lecture et se fait remarquer par ses<br />

compositions. Déj<strong>à</strong> <strong>à</strong> Sainte-Anne, la description d'une partie de hockey<br />

lui valut d'être publié dans l'Action catholique, en 1909.<br />

En 1913, Tessier est en Rhétorique où l'abbé Gélinas lui inculque<br />

l'amour de la petite patrie et l'intérêt pour "les choses qui nous<br />

entourent". Sa vocation de régionaliste est trouvées. L'abbé Gélinas<br />

fait para'ltre dans Le Bien Public une courte composition intitulée "Ma<br />

petite patrie"(l.l). Tessier complète brillamment le cours classique<br />

6. "C'est de [l'abbé Gélinas] que je tiens directement la méthode<br />

d'action qu'on a inexactement baptisée <strong>du</strong> nom de régionalisme<br />

trifluvien". "Je n'avais rien <strong>à</strong> inventer, ni <strong>à</strong> bâtir en neuf",<br />

écrit-il dans un article intitulé "Rendons <strong>à</strong> César ..... dans le<br />

S. T. R., (janvier 1944, p. 17).<br />

69


malgré de fréquentes absences <strong>du</strong>es <strong>à</strong> des troubles pulmonaires. Il<br />

envisage le journalisme catholique ou les missions d'Afrique, mais<br />

choisit finalement de servir l'Eglise diocésaine. Albert Tessier est<br />

ordonné le 29 juin 1920, "le plus beau jour de sa vie"7. Durant ses<br />

études, il avait déj<strong>à</strong> rassemblé le premier fonds des Archives <strong>du</strong> Sémi-<br />

naire. l'évêché lui offre le poste de directeur <strong>du</strong> Bien Public mais le<br />

préfet Gé1inas lui suggère plutôt de poursuivre des études avancées en<br />

Europe. A l'automne 1921, le jeune prêtre arrive dans la Ville éternelle<br />

où il s'inscrit <strong>à</strong> l'Angélique pour le doctorat en théologie. Il est<br />

témoin de la marche sur Rome de Mussolini, en octobre 1922, et de l'é1ec-<br />

t ion de Pie XI.<br />

Il visite l'Allemagne, l'Autriche, l'Espagne et la France où une<br />

rencontre avec Théodore Botrel, le barde breton, l'impressionne fort.<br />

Reçu docteur en 1923 8 , Tessier passe l'été <strong>à</strong> Sainte-Anne, puis repart<br />

pour Paris <strong>à</strong> l'automne. Il est inscrit comme auditeur libre <strong>à</strong> l'Institut<br />

catholique et <strong>à</strong> la Sorbonne; il assiste <strong>à</strong> quelques conférences au Collège<br />

de France. le professeur qui le frappe le plus est l'abbé Calvet,<br />

l'auteur d'un célèbre manuel de littérature française en usage <strong>du</strong>rant<br />

près d'une génération dans les collèges classiques. Avant son retour au<br />

<strong>Québec</strong>, l'année suivante, l'abbé Tessier se rend <strong>à</strong> Maillane chez la veuve<br />

de Mistral. Tout l'enchante, le décor de la vallée <strong>du</strong> Rhône, le pè1eri-<br />

7. Edmond Bourque, "En causant avec l'abbé Tessier", le S.T.R.,<br />

janvier 1944, p. 7.<br />

8. Il ajoute avec un brin d'ironie qu'il fut reçu "probablement par<br />

charité ou par pitié" (Souvenirs en vrac, p. 111).<br />

70


nage aux souvenirs <strong>du</strong> poète, l'accueil de Madame Mistra1 9 et l'émouvant<br />

cadeau qu'elle lui remet, un herbier cueilli par le poète'o .<br />

De retour au Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, Tessier se voit confier la<br />

classe de Rhétorique que Joseph-G. Gé1inas venait de laisser pour raisons<br />

de santé. Le jeune é<strong>du</strong>cateur de 29 ans prend l'engagement d'accorder la<br />

première place <strong>à</strong> l'enseignement de l'histoire. Ses méthodes pédagogiques<br />

bouleversent la tradition: il oblige ses élèves <strong>à</strong> improviser devant la<br />

classe sur des sujets touchant l'histoire ou les réalités <strong>du</strong> milieu<br />

environnant. Tessier désire également susciter une prise de conscience<br />

historique dans la population. Afin de réaliser son objectif, il rédige,<br />

<strong>à</strong> partir de 1925, une chronique dans Le Bien Public et s'occupe active-<br />

ment de la création d'une Société d'histoire régionale qui voit le jour<br />

l'année suivante.<br />

L'activité débordante de Tessier et la modernité de son enseignement<br />

inquiètent ou agacent. Les supérieurs <strong>du</strong> Séminaire - Mgr Louis Chartier,<br />

puis le chanoine Télesphore Giroux - voient d'un oeil soucieux le jeune<br />

prêtre se dépenser dans toutes les directions " . On ne reconna1t plus<br />

l'adolescent timide devenu un homme stimulé par les obstacles dans la<br />

réalisation de son idéal d'animation patriotique.<br />

9. Ses deux calepins de voyage ont été publiés dans Le Nouvelliste (20<br />

mai 1959, p. 10) par Hervé Biron.<br />

10. Armoise, romarin, myrte, verveine, santoline, térébinthe et<br />

micocoulier. Voir l'article de Hervé Biron, paru dans Perspectives<br />

(30 janvier 1965, p. 26).<br />

11. Souvenirs en vrac, p. 156-157.<br />

71


Au décès de Gélinas, Tessier accède <strong>à</strong> la lourde tâche <strong>du</strong> préfec­<br />

torat; il n'a que 32 ans et perçoit des réticences <strong>à</strong> sa volonté de<br />

renouveler l'enseignement au Séminaire 12 • Tessier embrigade ses con­<br />

frères ou anciens élèves dans la rédaction de textes sur l'histoire<br />

locale; il constitue une banque d'articles qui lui permet de lancer les<br />

Cahiers d'histoire régionale (1928), puis la série des Pages trif1uvien­<br />

nes (1932). Le premier numéro <strong>du</strong> Ralliement, le journal des anciens <strong>du</strong><br />

séminaire, paralt en janvier 1928. Tessier en sera l'âme dirigeante<br />

jusqu'en 1937. Il se dévoue pour toutes les causes patriotiques: il mène<br />

une campagne contre l'affichage anglais et obtient que le Bell Telephone<br />

enlève le nom Three Rivers de ses documents. Cet homme qui ne se recon­<br />

naissait aucun talent d'orateur ajoute <strong>à</strong> ses multiples occupations celle<br />

de conférencier. Il raconte d'abord ses souvenirs de voyage, parle de<br />

Mussolini, de Mistral, prononce l'éloge de l'abbé Gé1inas. A partir de<br />

1930, le thème majeur de ses causeries sera le régionalisme.<br />

*<br />

Tessier mène une vigoureuse campagne pour l'adoption <strong>du</strong> terme<br />

"Mauricie" <strong>à</strong> partir de l'été 1933. La riposte cinglante de l'Auxiliaire<br />

Mgr Comtois ne le désarme pas. Le débat sera clos en 1937, avec l'adop­<br />

tion définitive <strong>du</strong> nouveau régionyme dans la toponymie québécoise.<br />

L'apôtre <strong>du</strong> régionalisme s'implique encore <strong>à</strong> fond dans la préparation<br />

12. Ibid., p. 140.<br />

72


des Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire dès 1933. Il ne craint pas de secouer Duples­<br />

sis dans une lettre qu'il lui adresse <strong>à</strong> la Saint-jean-Baptiste de la même<br />

année.<br />

L'abbé Tessier reconstitua le fonds d'archives disparu dans l'incen-<br />

die <strong>du</strong> Séminaire (1929), en faisant appel <strong>à</strong> la générosité de la popula-<br />

tion trifluvienne. Mistral ayant été le chantre de la Provence avec la<br />

poésie, Tessier se propose d'être celui de la Mauricie en l'illustrant<br />

par la photographie et le film13 . L'image est pour lui une "prise de<br />

possession des êtres et des choses" et "une certaine manière de raccorder<br />

<strong>à</strong> l'âme les yeux"u. Pour René Bouchard, les films de Tessier sont<br />

"l'affirmation d'un homme convaincu d'une idée, l'authenticité <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>,<br />

face <strong>à</strong> une collectivité qu'il fallait convaincre de la même idée"15.<br />

La carrière de l'abbé Tessier amorce un virage inatten<strong>du</strong> en 1937.<br />

Il succède <strong>à</strong> Sir Thomas Chapais comme professeur d'histoire <strong>du</strong> Canada <strong>à</strong><br />

13. Les débuts de la carrière de cinéaste remontent <strong>à</strong> 1932, lors d'une<br />

excursion avec l'architecte Ernest L. Denoncourt et M. A1phida<br />

Crête. Tessier écrit: "L'idée-force de tous ces films est de créer<br />

une sorte d'exaltation, d'enthousiasme devant la Création et devant<br />

les travaux des hommes" (Le Nouvelliste, 3 janvier 1941, p. 3). De<br />

1932 <strong>à</strong> 1941 Tessier présentera 2200 conférences accompagnées de la<br />

présentation de ses films devant plus de 150 000 personnes - des<br />

élèves et des enseignants pour la plupart.<br />

14. Eugénie Lévesque, Rétrospective Albert Tessier. p. 7.<br />

15. Suivant René Bouchard, il existe un lien entre l'activité<br />

cinématographique de Tessier et le régionalisme qu'il a défen<strong>du</strong>:<br />

"De cette Mauricie que, pouce par pouce, mille par mille, Tessier a<br />

défrichée <strong>à</strong> coups d'images, devait sortir la notion profonde et<br />

nullement limitative <strong>du</strong> régionalisme qui identifie l'homme <strong>à</strong> son<br />

milieu pour mieux l'accorder <strong>à</strong> sa société" (Filmographie d'A l bert<br />

Tessier, p. 21).<br />

73


ques, films et manuscrits 18 • Une partie importante de cette très vaste<br />

pro<strong>du</strong>ction est en rapport avec le régiona1isme 19 •<br />

***<br />

2. Les sources <strong>du</strong> régionalisme de Tessier<br />

Dans une lettre qu'il écrivit <strong>à</strong> Lionel Grou1x le 1 er avril 1958,<br />

Albert Tessier spécifia sans hésitation les sources de son discours<br />

social:<br />

J'ai fait de mon mieux pour être un é<strong>du</strong>cateur national.<br />

Les responsables de cette déformation [sic] Mgr Laflèche,<br />

l'abbé Gélinas, l'abbé Grou1x!<br />

18. René Bouchard a complété la filmographie publiée en 1973 dans<br />

Eugénie Lévesque, op. cit., p. 51-58. 70 titres sont présentés; ils<br />

couvrent la période s'étendant de 1929 <strong>à</strong> 1954.<br />

19. Les titres des principaux ouvrages se rapportant <strong>à</strong> l'Histoire et au<br />

patriotisme sont: Fastes trif1uviens (1931), Jacques Buteux (1934),<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières 1535-1935 (1935), Ceux qui firent notre pays (1936),<br />

Pélerinages dans le passé (1942), L'énigme américaine (1943), Les<br />

Vieilles Forges (1945), Les Forges <strong>du</strong> Saint-Maurice 1729-1883 (1952)<br />

et une Histoire <strong>du</strong> Canada en deux tomes (1958).<br />

Les titres des principales pro<strong>du</strong>ctions cinématographiques sont<br />

évocateurs: Scènes <strong>du</strong> Haut-Saint-Maurice (1932), <strong>Trois</strong>-Rivières 1934<br />

et Centenaire 1934 (1934), Gloire <strong>à</strong> l'eau et Cantique <strong>du</strong> soleil<br />

(1935), <strong>Trois</strong>-Rivières sous la neige (1937), Hommage <strong>à</strong> notre<br />

paysannerie (1938), Ile aux Grues. terre de sérénité et L'Ile<br />

d'Orléans. reliquaire de l'histoire (1939), Les Bourgault (1940),<br />

C'est l'aviron qui nous mène et Le Credo <strong>du</strong> Paysan (1942), La Forêt<br />

bienfaisante (1943) et <strong>Trois</strong>-Rivières (1949).<br />

75


L'analyse des sources <strong>du</strong> régionalisme de Tessier doit tenir compte<br />

d'une telle affirmation tout en vérifiant dans Quelle mesure on peut y<br />

souscrire. Mais d'autres sources possibles doivent être prises en<br />

considération: la formation reçue des parents et des é<strong>du</strong>cateurs ainsi<br />

Que l'influence déterminante de la nature dans l'élaboration de son<br />

discours régionaliste.<br />

*<br />

L'amour Que vouait Tessier <strong>à</strong> la nature lui vient de sa plus tendre<br />

enfance, dans le cadre champêtre Qui l'a imprégnée. La piété Qui le<br />

mènera au sacerdoce et orientera les finalités de ses thèmes régiona1is-<br />

tes prend sa source dans la foi rayonnante de sa tante et celle, plus<br />

intériorisée, de son père, piété sereine Qu'il a toujours prise comme<br />

modè1e 2o • C'est également dans le terreau familial Que s'enracine l'une<br />

des valeurs <strong>à</strong> laquelle il souscrira sa vie <strong>du</strong>rant, celle <strong>du</strong> patriotisme.<br />

Au séminaire trif1uvien, le jeune Tessier est soumis aux influences<br />

intellectuelles de ses maltres, des prêtres séculiers, pour la plupart<br />

adeptes inconditionnels des idées cléricales et nationalistes de Mgr<br />

Laf1èche. Certains, comme les abbés Té1esphore Giroux (1872-1939) et<br />

Henri Vallée (1875-1957) s'intéressent vivement <strong>à</strong> l'Histoire. Le jeune<br />

20. En effet, l'atmosphère familiale fut déterminante dans<br />

l'élaboration de sa personnalité. De son père, il a reçu le goOt de<br />

l'étude, une philosophie de la vie basée sur la sérénité, le calme<br />

et l'amour des choses de la nature; de sa "bonne tante", Qui avait<br />

pris la relève de sa mère décédée, la nécessité et la beauté <strong>du</strong><br />

travail, <strong>du</strong> dévouement (1.39).<br />

76


séminariste est mis en contact avec les oeuvres historiques de Benjamin<br />

Su1te (1841-1923) et de l'abbé Napoléon Caron (1846-1932). Mais c'est<br />

dans la classe de Rhétorique, en 1913, que se dessineront les orienta-<br />

tions majeures <strong>du</strong> futur défenseur des idées régionalistes.<br />

Le titulaire de la classe, l'abbé Joseph-G. Gélinas, est un é<strong>du</strong>ca-<br />

teur animé par une conception élevée de sa tâche. Le jeune Tessier est<br />

fasciné par cet homme <strong>à</strong> l'idéal exigeant, soucieux de transmettre aux<br />

futures élites des valeurs morales et intellectuelles clairement défi-<br />

nies. Les randonnées dans le Vieux <strong>Trois</strong>-Rivières, les lectures de<br />

Frédéric Mistral et de Louis Veuillot exaltent l'amour de la petite<br />

patrie, un patriotisme agissant et le respect intégral de ce que l'on<br />

considérait alors comme relevant des principes immuables de la religion<br />

catholique. La dissertation de l'élève Tessier que Gé1inas fit publier<br />

dans Le Bien Public (1.1) en porte des marques évidentes. C'est <strong>à</strong> ce<br />

moment bien précis que la vocation <strong>du</strong> régionaliste se situe 21 •<br />

21. Comme nous l'avons souligné précédemment, Albert Tessier exprime<br />

sans ambages sa dette envers Gé1inas. Lors d'une causerie intitulée<br />

"L'Abbé J.-G. Gé1inas, apôtre de la petite histoire" présentée sur<br />

les ondes de CBF le 10 janvier 1938, Tessier affirma que "c'est <strong>à</strong><br />

lui que je dois d'avoir écrit et publié" (2.41). A la fin de sa<br />

vie, en 1974, Tessier consacrera plusieurs pages <strong>à</strong> son vieux ma1tre.<br />

Ainsi écrit-il: "Il prônait un patriotisme gra<strong>du</strong>é, par échelons,<br />

partant <strong>du</strong> connu, <strong>du</strong> quotidien" (2.42). A son "ma1tre de<br />

patriotisme" Tessier doit encore "le meilleur de [sa] formation de<br />

caractère et de [ses] orientations de vie". De fait, Gé1inas n'eut<br />

pas de peine <strong>à</strong> le convaincre que "notre défaut le plus grave était<br />

le manque d'observation directe, l'absence presque totale d'intérêt<br />

pour les humbles choses qui nous entourent". Toutefois, Tessier<br />

n'hésite pas <strong>à</strong> déplorer "le culte excessif de la tradition" (de<br />

l'abbé Gé1inas) qui avait ren<strong>du</strong> "un mauvais service au Séminaire" (2.42).<br />

77


Les écrits et les enseignements de Mgr Laflèche continuaient d'exer­<br />

cer une influence déterminante dans les milieux intellectuels. On ne<br />

saurait se surprendre <strong>du</strong> fait que les idées défen<strong>du</strong>es par le fougueux<br />

évêque trifluvien circulèrent longtemps après que les débats nourris par<br />

l'ultramontanisme fussent apaisés. Les textes régionalistes de Tessier<br />

ne renvoient pas explicitement <strong>à</strong> l'idéologie des Bourget et des Laflèche,<br />

mais des principes comme la suprématie <strong>du</strong> spirituel sur le temporel, de<br />

même que le rôle éminent de l'Eglise dans la formation des laïcs, y<br />

trouvent un écho bienveillant. Certes les oppositions dichotomiques<br />

esprit/matière, âme/corps, vertu/péché ne relèvent pas spécialement de<br />

l'ultramontanisme puisqu'elles constituent des postulats <strong>du</strong> discours<br />

judéo-chrétien. Toutefois, le rigorisme farouche des ultramontains en<br />

amplifient singulièrement la portée.<br />

*<br />

Une autre source, implicite dans la plupart des cas, <strong>du</strong> discours<br />

social de Tessier se retrouve dans le thomisme. Comme tous les sémi­<br />

naristes de son temps, Tessier a été initié <strong>à</strong> La Somme théologique et <strong>à</strong><br />

ses commentaires. Cette connaissance s'approfondit lors de son séjour <strong>à</strong><br />

l'Angelicum où il défendit une thèse sur la prédestination 22 pour l'ob­<br />

tention <strong>du</strong> doctorat en théologie. Aussi, la définition formelle qu'il<br />

donne <strong>du</strong> régionalisme prend-elle par la force des choses une formulation<br />

thomiste. D'autre part, et cette considération est beaucoup plus fon-<br />

22. Albert Tessier, Souvenirs en vrac, p. 110-111.<br />

78


damenta1e, le cheminement proposé par la doctrine régionaliste - con-<br />

na1tre son milieu pour l'aimer, et l'aimer pour le servir en bon chrétien<br />

- mime parfaitement la voie suggérée par l'Aquinate: conna1tre Dieu pour<br />

l'aimer, et l'aimer pour le servir. Malgré ce fait, Tessier était peu<br />

tourné vers la spéculation théologique et se plaisait <strong>à</strong> rappeler qu'il<br />

n'était pas un intellectue1 23 •<br />

Sa spiritualité dénote une volonté plus innovatrice par rapport <strong>à</strong><br />

l'ambiance religieuse de l'époque. Au Grand Séminaire, le jeune ec-<br />

clésiastique préfère le cheminement spirituel (la "petite voie") de<br />

sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus <strong>à</strong> l'ascèse centrée sur les mortifica-<br />

tians proposées par les traités au programme. Tessier obéissait alors <strong>à</strong><br />

un courant présent au Canada français 24 • Le commentaire qu'il griffonna<br />

beaucoup plus tard, en 1971, sur la page de garde d'une biographie de la<br />

petite Thérêse 25 révèle le coeur de ce qui l'anima toute sa vie, y<br />

compris son action régionaliste:<br />

La voie d'enfance rendait un autre son que les livres de<br />

spiritualité de l'époque - Rodriguez, le Sulpicien<br />

Tronson etc... Au lieu de la sanctification par le<br />

sacrifice brutal, le renoncement <strong>à</strong> tout: l'accomp1isse-<br />

23. Les débats entre les défenseurs de saint Thomas et ceux de Jean Duns<br />

Scot le laissent indifférent (Ibid., p. 93). Tessier, qui se<br />

percevait avant tout comme un homme d'action, a toujours manifesté<br />

cette coquetterie anti-1ntel1ectualiste.<br />

24. Voir Jean Hamelin et Nicole Gagnon, Histoire <strong>du</strong> catholicisme québécois:<br />

le XX· siècle, tome 1, p. 171. Durant les années 1920, cette<br />

spiritualité, si bien accordée <strong>à</strong> la mentalité de ce peuple "né pour<br />

un petit pain" commence <strong>à</strong> se répandre.<br />

25. [Anonyme], Une rose effeuillée: Sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus,<br />

(ASTR fonds Albert-Tessier Q1-65).<br />

79


ment dans la charité & l'amour, de la volonté de Dieu<br />

dans les détails quotidiens... Transfiguration par<br />

l'amour des moindres actions. Aimer ses tâches, aimer<br />

les gens, aimer la vie, aimer Dieu <strong>à</strong> travers les besognes,<br />

les gens et la vie! Albert Tessier, p.d. 6 février<br />

1971.<br />

Enfin Tessier fut aussi attiré par la spiritualité proche de la<br />

nature développée par saint François d'Assise. En particulier, il<br />

vibrait au Cantique <strong>du</strong> Frère Soleil, poème où la symbolique de l'eau<br />

éveillait chez lui des élans de ferveur 28 •<br />

*<br />

Ses études européennes le soumirent <strong>à</strong> des influences qui le mar-<br />

quèrent. Son séjour <strong>à</strong> Rome, en 1922, lui permit de connaltre l'idéologie<br />

fasciste; Tessier voua une admiration pour Mussolini qui <strong>du</strong>ra jusqu'en<br />

1937 au moins 27 • Il avait été le témoin oculaire de la marche sur Rome<br />

de 1922. Tessier fut sé<strong>du</strong>it par certaines valeurs défen<strong>du</strong>es par le Duce,<br />

comme le culte de l'effort et <strong>du</strong> renoncement, l'obsession de l'ordre et<br />

<strong>du</strong> travail, de même que l'attachement aux valeurs familiales. Toutefois,<br />

il serait grandement exagéré d'en conclure qu'il était fasciste simp1e-<br />

ment parce qu'il appuyait le renouvellement moral souhaité par le dic-<br />

26. Voir les textes (2.33) et (2.37) <strong>du</strong> corpus.<br />

27. Fait significatif, l'une de ses toutes premières conférences,<br />

prononcées devant l'Académie Saint-Thomas-d'Aquin au séminaire,<br />

porta précisément sur Mussolini, qu'il proposa comme le modèle d'un<br />

homme qui a sauvé son peuple de la révolution (Le Nouvelliste, 5<br />

mars 1929, p. 3). Voir également son article paru dans l'Action<br />

nationale en 1937 (2.43).<br />

80


tateur italien. Des réserves sérieuses étaient émises sur les moyens<br />

totalitaires employés par Mussolini. D'autre part, il faut souligner le<br />

fait que l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme adhérait au courant de pensée favorable<br />

au modèle italien très répan<strong>du</strong> parmi les nationalistes canadiens-fran-<br />

çais, <strong>du</strong> temps de Lionel Grou1x. Le renouveau de fierté régionale prêché<br />

par Tessier trouvait son écho dans la restauration <strong>du</strong> peuple italien.<br />

*<br />

Autre composante majeure de l'horizon intellectuel de Tessier: le<br />

culte qu'il rend <strong>à</strong> l'oeuvre et <strong>à</strong> la personne de Frédéric Mistra1 28 • La<br />

lecture des Mémoires et Récits fut une révélation. Le poète provençal<br />

raconte sa jeunesse épanouie sous le soleil méditerranéen, le chant des<br />

cigales et le parfum des garrigues. Il s'y dégage une poésie lumineuse,<br />

embuée de la nostalgie d'un monde qui n'est plus. La tendresse mater-<br />

ne11e, la sagesse <strong>du</strong> père, les jeunes amours et la naissance de la<br />

28. Frédéric Mistral (1830-1914). Né <strong>à</strong> Maillane (Bouches-<strong>du</strong>-Rhône) de<br />

parents issus de la paysannerie aisée, il rencontre le poète Roumanille<br />

<strong>à</strong> la faculté d'Aix-en-Provence d'où il sort licencié en droit<br />

(1851). Il trouve subitement sa vocation de poète et se fait le<br />

défenseur de la langue et de la culture provençales face <strong>à</strong> l'hégémonie<br />

centralisatrice de Paris. Pour réaliser cet ambitieux projet,<br />

il fonde le félibrige en 1854, en compagnie de six jeunes poètes<br />

imbus <strong>du</strong> même idéal. A 29 ans, il publie son chef d'oeuvre, Mireille<br />

(Mirèio), qui attire l'attention de la France littéraire et<br />

enthousiasme Lamartine. D'autres oeuvres lyriques se succèdent, ce<br />

qui ne l'empêche pas de rédiger un monumental dictionnaire provençal-français,<br />

Lou Tresor d<strong>à</strong>u Felibrige auquel il consacre treize ans<br />

de recherches. Il rédige un Armana Prouvençau et fonde le musée<br />

Ar1aten. les Mémoires et Récits paraissent <strong>à</strong> la fin de sa vie.<br />

L'édition utilisée par Tessier et Gé1inas est celle qui parut chez<br />

Plon, <strong>à</strong> Paris, en 1906.<br />

81


vocation de créateur, toute cette vie balisée par les cycles de la vie<br />

rurale est suggérée par la magie d'une prose poétique mise en valeur par<br />

le halo de la spontanéité. Rien de la légitimation d'un discours, rien<br />

de la justification d'une oeuvre ou d'une vie.<br />

Mistral n'en était pas pour autant <strong>à</strong> l'abri des récupérations<br />

idéologiques. Il afficha sa sympathie avec les milieux de droite où son<br />

effort de rénovation régionale fut reçu avec intérêt. Toutefois, il<br />

refusa d'imprimer une orientation politique au félibrige qu'il avait<br />

fondé. Son oeuvre fut universellement acclamée et Tessier le considérait<br />

comme l'un des plus grands poètes de la France 29 •<br />

Dans les Mémoires de Mistral, un paragraphe comme celui-ci a retenu<br />

l'attention <strong>du</strong> futur régionaliste:<br />

Aujourd'hui, avec l'étroitesse <strong>du</strong> système brutal qui ne<br />

veut plus tenir compte des ailes de l'enfance, des<br />

instincts angéliques de l'imagination naissante, de son<br />

besoin de merveilleux - qui fait les saints et les héros,<br />

les poètes et les artistes - aujourd'hui, dès que l'enfant<br />

na1t, avec la science nue et crue on lui dessèche<br />

29. L'oeuvre mistra1ienne et son influence sont diversement appréciées<br />

aujourd'hui. Jacques de Calumé voit dans l'oeuvre <strong>du</strong> patriarche de<br />

Maillane une "politique de la fuite" fondée sur une "obsession <strong>du</strong><br />

temps qui privilégie le passé" (dans J.-P. De Beaumarchais et coll.<br />

Dictionnaire des littératures de langue francaise, p. 1515-1520.)<br />

Le fait que Maurras ait placé la pensée mistralienne <strong>à</strong> la source de<br />

sa doctrine dessert la popularité actuelle <strong>du</strong> poète de la Provence:<br />

par exemple Robert Lafont parle de "Mistral ou l'Illusion" (voir son<br />

article consacré <strong>à</strong> Mistral dans l'Encyclopaedia Universalis, édition<br />

1985). De son vivant, Mistral avait eu droit aux plus grands<br />

honneurs: les universités de Bonn et de Halle lui décernèrent des<br />

doctorats honorifiques. Il refusa un fauteuil <strong>à</strong> l'Académie <strong>à</strong> cause<br />

de l'obligation de prononcer en français le traditionnel discours<br />

d'entrée. Toutefois, Mistral accepta le prix Nobel de littérature<br />

en 1904 pour l'ensemble de son oeuvre.<br />

82


coeur et âme... Eh! pauvres lunatiques! avec l'âge et<br />

l'école, surtout l'école de la vie vécue, on ne l'apprend<br />

que trop tôt, la réalité mesquine et la désillusion<br />

analytique, scientifique, de tout ce qui nous enchanta 3o •<br />

Ou encore ces lignes empreintes de regrets:<br />

Le travail de la terre va perdant, de plus en plus, son<br />

coloris idyll ique [. .. 1 Les "moissonneuses" qui agitent<br />

leurs griffes au travers de la plaine [ ... l Tout cela <strong>à</strong><br />

l'américaine, tristement, hâtivement, sans allégresse ni<br />

chansons c'est le Progrès, la herse terriblement fatale,<br />

contre laquelle il n'y a rien <strong>à</strong> faire ni <strong>à</strong> dire: fruit<br />

amer de la science, de l'arbre de la science, <strong>du</strong> bien<br />

comme <strong>du</strong> ma 13 1 •<br />

De retour <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, les oreilles encore bourdonnantes des cigales<br />

de Provence, Albert Tessier prend une résolution. Il note, dans un gros<br />

cahier consacré <strong>à</strong> Mistral:<br />

Régionalisme: thème épineux la seule doctrine<br />

littéraire qui réussisse <strong>à</strong> secouer la torpeur de nos<br />

lettrés ... qui y vont ferme une fois réveillés! Toréador!<br />

Rôle de la cape rouge: provoquer [des] réactions!<br />

Attentat <strong>à</strong> la liberté de l'art asservissement de<br />

l'esprit! Beaucoup plus simple: fondé sur la nature:<br />

parents, voisins, [mot illisible]: <strong>du</strong> plus connu, <strong>du</strong><br />

plus aimé ... au moins connu 32 •<br />

Cette ardeur juvénile pousse Tessier vers le régionalisme et l'incite<br />

tout d'abord <strong>à</strong> diffuser l'oeuvre et la vie de Mistra1 33 •<br />

30. Frédéric Mistral, Mémoires et récits, p. 58-59.<br />

31. Ibid., p. 172.<br />

32. ASTR, fonds Albert-Tessier Q2-52.<br />

33. <strong>Trois</strong> conférences sur Mistral sont résumées dans les journaux: Le<br />

Nouvelliste, 24 mars 1930, p. 3, Le Bien Public, 13 mai 1930, p. 3<br />

et Le Nouvelliste, 2 février 1931, p. 3. En plus <strong>du</strong> culte de<br />

Mistral, le défenseur des thèmes régionalistes avait des<br />

83


*<br />

Il convient également de souligner l'intérêt de Tessier envers la<br />

littérature québécoise, <strong>à</strong> une époque où certains mettaient même en doute<br />

son existence. Les Croquis laurentiens de Marie-Victorin, Autour de la<br />

maison de Michelle Le Normand et l'oeuvre poétique de Nérée Beauchemin<br />

soulevaient son enthousiasme. Il Y trouvait des thèmes ruralistes et<br />

naturalistes propres <strong>à</strong> nourrir ses idées sur le régionalisme.<br />

Dernière source d'influence, le nationalisme groulxien, qui a laissé<br />

une empreinte discrète, quoique reconnaissable dans le discours régiona-<br />

liste de Tessier. Une évidente sympathie liait en effet les deux clercs<br />

prédilections sélectives dans la littérature française<br />

contemporaine. Il admirait Francis Jammes, Joseph de Pesquidoux et<br />

une auteure bien oubliée aujourd'hui, Henriette Charasson. Aussi,<br />

il fit goOter <strong>à</strong> certains de ses élèves, comme Clément Marchand, les<br />

oeuvres d'Emile Verhaeren. Francis Jammes (1868-1938). Poète<br />

chrétien, auteur des septs chants des Géorgiques chrétiennes (1911-<br />

1912) et d'autres recueils de poésie intime et champêtre. Selon<br />

lui, "il n'y a qu'une école: celle où, comme des enfants qui<br />

imitent aussi exactement que possible un beau modèle d'écriture,<br />

les poètes copient avec conscience un joli oiseau, une fleur ou une<br />

jeune fille". Joseph de Pesquidoux (1867-1946). Gentilhomme qui<br />

exploitait des métairies et écrivit des romans d'inspiration<br />

rustique. Henriette Charasson, poétesse, auteure dramatique,<br />

conférencière et critique littéraire appréciée dans les milieux<br />

intellectuels de la droite catholique française (Les Heures <strong>du</strong><br />

foyer, la Mère <strong>à</strong> la Page, Mon Seigneur et mon Dieu). Albert Tessier<br />

usa de son titre de professeur d'histoire <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> Laval afin<br />

de proposer Henriette Charasson pour le prix Nobel de littérature en<br />

1938! (Lettre de Tessier au Comité littéraire de la fondation<br />

Nobel, 25 décembre 1938. ASTR, fonds Albert-Tessier 0-1.)<br />

Emile Verhaeren (1855-1916). Poète belge pour qui le spectacle de<br />

la ville moderne devient matière poétique (Les Villes tentaculaires,<br />

1895).<br />

84


patriotes, comme en témoigne leur correspondance 34 • Le Mauricien avait<br />

fort prisé les propos <strong>du</strong> directeur de l'Action francaise lors <strong>du</strong> pèleri-<br />

nage aux Forges de Saint-Maurice. Bien que Tessier n'utilisa guère le<br />

terme nationalisme, et qu'il ne fit jamais allusion au projet séparatiste<br />

de la Laurentie, il voyait néanmoins dans son grand aîné un inspirateur<br />

d'action positive et chercha <strong>à</strong> développer <strong>à</strong> l'échelon régional ce que<br />

Groulx souhaitait pour la fierté des Canadiens français 35 •<br />

Ainsi, le milieu familial, l'ambiance intellectuelle <strong>du</strong> Séminaire,<br />

les influences européennes et les affinités avec la pensée nationaliste<br />

québécoise ont peu <strong>à</strong> peu fourni <strong>à</strong> Tessier le terreau nécessaire <strong>à</strong> l'éla-<br />

boration de son discours social. Faut-il le croire lorsqu'il laisse<br />

entendre qu'un tel discours s'est cristallisé un soir d'été sur la rive<br />

<strong>du</strong> Rhône lorsqu'il prit soudainement conscience d'une mission <strong>à</strong> remplir?<br />

Il relata plus tard l'événement aux membres de la Société Le Flambeau<br />

(1.15) en ces termes:<br />

34. L'échange de lettres se poursuit de 1926 <strong>à</strong> 1958. Groulx appuie la<br />

fondation de la Société d'histoire régionale, s'exprime sur le<br />

patriotisme ou l'importance de l'initiation <strong>à</strong> l'Histoire et<br />

encourage Tessier dans ses entreprises. Ce dernier lui exprime<br />

admiration et gratitude et lui fait part de diverses préoccupations.<br />

(ASTR, fonds Tessier, P-1-148).<br />

35. La conception qu'avait Groulx <strong>du</strong> régionalisme rejoint celle de<br />

Tessier. Le régionalisme, écrit-il dans ses Mémoires (tome 3,<br />

1929-1939, p. 298), est "une simple mais nécessaire prise de<br />

conscience de notre réalité géographique et historique, en vue<br />

d'atteindre, en art et en littérature, <strong>à</strong> l'originalité sinon <strong>à</strong> la<br />

puissance".<br />

85


----- \<br />

Le mirage de la poésie 38 avait créé dans mon esprit des<br />

images tellement fortes que je fus tout décontenancé le<br />

jour où je me trouvai en face <strong>du</strong> Rhône [ ... ] Même la<br />

magie <strong>du</strong> crépuscule n'arrivait pas <strong>à</strong> me donner une vision<br />

qui fut un peu conforme <strong>à</strong> ce que je m'étais imaginé <strong>à</strong><br />

distance. Je n'en voulus pas <strong>à</strong> Mistral parce que c'était<br />

lui qui avait raison; je ne m'en pris qu'<strong>à</strong> moi-même qui<br />

n'avais pas compris tout ce que peuvent cacher de beauté<br />

les choses apparemment banales, mais banales seulement<br />

pour ceux qui ne les voient qu'en surface.<br />

Peu attiré par l'écriture poétique, romanesque ou dramatique, Albert<br />

Tessier transposera le programme mistralien par la médiation des écrits<br />

historiques, de la photographie et <strong>du</strong> cinéma mais surtout par la dif-<br />

/ fusion <strong>du</strong> message régionaliste. De retour <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, il aura le<br />

souvenir de Joseph Gélinas et l'exemple de Lionel Groulx pour affermir<br />

sa détermination 37 •<br />

***<br />

3. Le régionalisme mauricien ou "le gros bon sens"<br />

Albert Tessier fut sans contredit le principal diffuseur <strong>du</strong> régiona-<br />

lisme mauricien. Il le fut car il eut le génie de reprendre les idées de<br />

Joseph-G. Gélinas en les adaptant <strong>à</strong> une réalité sociale qu'il pouvait<br />

36. "Le poème <strong>du</strong> Rhône" de Mistral que l'abbé Gélinas lui avait révélé.<br />

37. Groulx l'avait encouragé en ces termes: "Nous nous mourons<br />

d'absence de patriotisme. Le réveil ne peut venir que par une<br />

résurrection de l'histoire, s'il est vrai que le patriotisme, ce<br />

n'est pas seulement l'amour de la terre natale, mais aussi le<br />

souvenir actif des ancêtres." Lettre de Lionel Groulx <strong>à</strong> Albert<br />

Tessier, 29 février 1932 (ASTR, fonds Albert-Tessier, P-1).<br />

86


plus facilement appréhender que son maître n'avait pu le faire. Le<br />

discours régionaliste de Tessier est ici regroupé en sept thèmes: le<br />

nationalisme, le patriotisme, le régionalisme proprement dit, de la terre<br />

vers le ciel, le matériel, l'histoire et la nature. Ces thèmes peuvent<br />

servir de descripteurs. Les résultats de l'analyse fréquentielle sont<br />

présentés au tableau 7 de l'Annexe l pour chaque thème.<br />

THEME 1: Le nationalisme<br />

Tessier use rarement <strong>du</strong> terme "nationalisme". A Henri Bourassa qui<br />

avait ironiquement qualifié <strong>Trois</strong>-Rivières de "ville nationale par<br />

excellence" en avril et mai 1935 38 , Tessier s'était écrié:<br />

Notre nationalisme, voyez-vous [ ... l est calme, équilibré,<br />

appuyé sur les plus sars principes de la justice<br />

et de la charité. Et <strong>du</strong> bon sens, aussi. Réveiller le<br />

passé [ •.. l, prêcher la fierté, le culte <strong>du</strong> travail, de<br />

la mise en valeur de nos richesses locales [ ... l il y a<br />

l<strong>à</strong>, il me semble [ ... l une formule d'action qui, en<br />

définitive, ne peut qu'enrichir la vie canadienne (2.21).<br />

En réalité, c'est <strong>du</strong> régionalisme dont parle l'animateur trif1uvien;<br />

il Y voit une application concrète <strong>du</strong> nationalisme canadien. Selon lui,<br />

développer l'amour de la petite patrie, c'est faire de "l'é<strong>du</strong>cation<br />

nationale" (2.18). En 1937, revenant contre Bourassa, qui avait ridicu-<br />

38. Robert Rumilly, Henri Bourassa, p. 741.<br />

87


1isé "La Laurentie, la Mauricie et, pourquoi pas, la Kamouraskarie 39 " ,<br />

Tessier déplore "qu'en certains milieux on affecte de redouter les excès<br />

d'une campagne de réveil national", attitude tra<strong>du</strong>isant, selon lui, "une<br />

incompréhension hostile" et "la déformation systématique des faits et des<br />

doctrines prônées" (2.30, p. 262).<br />

A des voyageurs de commerce réunis en congrès, Tessier, en 1933,<br />

affirme qu'il faut savoir "admirer le Saint-Maurice avant d'aller s'ex-<br />

tasier devant les Montagnes Rocheuses" et que c'est "la hiérarchie de<br />

ces sentiments qui formera une puissance nationale" (2.11). La même<br />

année, il écrit que, pour les jeunes, "la forme première <strong>du</strong> devoir<br />

national [ ... l c'est d'abord d'utiliser, de développer <strong>à</strong> leur maximum,<br />

les talents qui dorment en eux" (2.14); "la meilleure façon d'activer la<br />

vie de la nation, ajoute-t-i1, c'est encore de constituer dans le grand<br />

tout une cellule bien vivante [ ... l qui donne autant qu'elle reçoit".<br />

(Ibid. ) Ainsi, pour Tessier, le nationalisme est une "formule" qui<br />

prolonge l'action régionaliste.<br />

Thème 2: Le patriotisme (tableau 8, annexe)<br />

En 1931, citant Mistral, Tessier explique que "le grand patriotisme<br />

nalt de l'attachement que l'on a pour son pays, pour ses coutumes, pour<br />

sa famille". Relever la Patrie, c'est relever "la religion, les tradi-<br />

tions, les souvenirs nationaux, la vieille langue <strong>du</strong> pays" (2.6). A ses<br />

39. Dans une causerie intitulée "Le Canada et la paix mondiale" qu'il<br />

prononça en février 1937 devant l'Alliance canadienne pour le vote<br />

des femmes (La Tribune, 9 février 1937).<br />

88


tivités régionales <strong>du</strong> Canada français. Il expose ainsi la doctrine de<br />

Mistral:<br />

revanche <strong>du</strong> bon sens et <strong>du</strong> sain patriotisme contre le<br />

jacobinisme niveleur qui, depuis un siècle et demi,<br />

s'emploie <strong>à</strong> dépouiller de leur personnalité propre les<br />

différents groupes dont est constitué le peuple français<br />

actuel. (1.2, p. 356)<br />

Tessier émet l'opinion que l'exemple de Mistral comporte d'utiles<br />

leçons pour les Canadiens français - leçons "d'attachement et de fidélité<br />

raisonnée au coin de terre", de respect et d'amour pour les aïeux, de<br />

"fierté et d'émulation <strong>à</strong> ne rien laisser perdre <strong>du</strong> trésor des coutumes<br />

et des traditions régionales" (p. 356). Dans un texte, paru l'année<br />

suivante, il explique que la Société d'histoire régionale veut réveiller<br />

"le sens régional, la fierté locale fondée sur l'attachement <strong>à</strong> un long et<br />

riche passé" (1.3).<br />

Ainsi semble tracé l'essentiel <strong>du</strong> programme <strong>du</strong> régionalisme mauri-<br />

cien. L'amour ou le culte de la petite patrie est la formule constamment<br />

présente dans les écrits de Tessier. Paraphrasant le Chanteclerc d'Ed-<br />

mond Rostand, l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme proclame la nécessité "d'agrandir<br />

notre âme pour qu'en elle passe toute l'âme de notre petite patrie"<br />

(1.13). Il ajoute que les moyens de diffusion que lui-même met en oeuvre<br />

- l'écrit, le reportage photographique et le film - stimuleront la fierté<br />

des Trifluviens en révélant "les grandeurs de leur histoire trois fois<br />

séculaire, le charme de leur terre aux lignes adoucies, la majesté<br />

impétueuse de leur triple rivière aux lourdes eaux bronzées" (1.14).<br />

Pareil réveil collectif doit nécessairement déboucher sur une action<br />

90


collective. Dans l'esprit d'Albert Tessier, une occasion rêvée de<br />

tra<strong>du</strong>ire dans l'action se présente, soit la célébration des Fêtes <strong>du</strong><br />

tricentenaire de la fondation de <strong>Trois</strong>-Rivières en 1934 (1.19), célébra-<br />

tion Qui doit susciter la création d'une "saine mentalité régionaliste"<br />

(1.44).<br />

"L'effort régionalisant" apporte une nouvelle vision <strong>du</strong> monde <strong>à</strong><br />

l'indivi<strong>du</strong>. Tessier, dans une lettre <strong>à</strong> Olivar Asselin, écrit:<br />

Développer le sens de l'observation chez les jeunes; leur<br />

apprendre <strong>à</strong> voir plus loin Que l'écorce, <strong>à</strong> pénétrer<br />

l'âme des choses parmi lesquelles ils vivent ... n'est-cepas<br />

un peu <strong>du</strong> régionalisme? (1.9).<br />

Autrement dit, énonce Tessier, "fouiller en soi, se mieux con-<br />

na1tre, c'est déj<strong>à</strong> <strong>du</strong> régionalisme et combien profitable pour l'avance-<br />

ment de notre perfection" (1.5). Ainsi envisagé sous l'angle <strong>du</strong> service<br />

réel, efficace, "par tous nos actes, même les plus ordinaires [ ... l, le<br />

régionalisme apparaît [ .•. ] comme une saine formule de développement et<br />

de culture personnels":<br />

Partant de visées très réalistes, [le régionalisme] vise<br />

<strong>à</strong> souder les gens avec ce Qui les entoure: les paysages,<br />

les plantes, les bêtes, les travaux des hommes, les<br />

hommes eux-mêmes, ceux <strong>du</strong> présent d'abord, puis ceux <strong>du</strong><br />

passé [ ... l. Pour arriver <strong>à</strong> l'amour de la patrie [ ... ]<br />

il faut d'abord commencer par l'étude de notre portion de<br />

territoire et de la période où nous vivons. (1.27)<br />

Mais le régionalisme de Tessier n'est Qu'une formule de départ: "A<br />

mesure Que la vie et ses découvertes élargiront le cercle de nos ac-<br />

tivités, nous amplifierons au même rythme nos curiosités et nos désirs<br />

91


de mieux étudier [ ..• ] l'univers." Tess i er termi ne en di sant: "Il<br />

importe de commencer par le commencement. Le reste viendra <strong>à</strong> son heure".<br />

*<br />

Le qua 1 if i cat if 1 e plus fréquemment as soc i é au 1 exème .. régO; ona 1 i sme"<br />

ou <strong>à</strong> ses équivalents est "bon sens" 41 • Viennent ensuite "réaliste" et<br />

"sain". Par un moyen typique des procédés <strong>du</strong> discours idéologique,<br />

Tessier cherche <strong>à</strong> convaincre que le régionalisme qu'il défend n'est pas<br />

une idéologie fumeuse, mais la constatation pure et simple d'une situa-<br />

tion qui s'impose <strong>à</strong> l'évidence. Usant la plupart <strong>du</strong> temps des mêmes<br />

déterminatifs 42 , Tessier défend sa vision <strong>du</strong> régionalisme. Curieusement,<br />

il a fréquemment cherché <strong>à</strong> expliciter son point de vue par des énoncés <strong>du</strong><br />

genre: "le régionalisme n'est pas ...... Les termes récurrents sont:<br />

"esprit de clocher", "étroitesse" et "chauvin(;sme)". A "l'esprit de<br />

clocher", Tessier associe l'exclusivisme (1.27), la fermeture d'esprit<br />

(1.31), l'étroitesse de vision (1.25), le rétrécissement des horizons<br />

(1.31) et "le côté mesquin des choses" (1.15). A ses yeux le régiona-<br />

lisme n'est pas "fermé ni déformateur" (1.3) et ses résultats prouvent<br />

qu'il n'a pas été non plus stérile (1.44). Le régionalisme bien compris<br />

41. Parmi les huit occurrences nous avons rencontré les<br />

d'insistance suivantes: "bon sens élémentaire" (1.20),<br />

sens" (1.21.1,1.23) et "simple gros bon sens" (1.27).<br />

92<br />

formules<br />

"gros bon<br />

42. "Réaliste", "sain", "calme", "équilibré", "orthodoxe", "louable",<br />

"fastueux", "militant".


est <strong>à</strong> l'abri de "l'exaltation excessive" (1.36) et ne peut "exciter les<br />

passions, soulever les préjugés ni allumer les haines" (1.30).<br />

A ceux qui trouvent le régionalisme condamnable, Tessier aligne une<br />

série d'exclamations:<br />

Si le régionalisme est la fatuité puérile de gens qui ne<br />

voient rien de beau ni de bon en dehors de leur patelin,<br />

on a raison de crier haro contre ce baudet!<br />

Si c'est l'exclusivisme étroit qui limite uniquement aux<br />

faits et aux choses de son petit coin de pays les recherches<br />

d'art, science, histoire etc., très bien, bannissons-le!<br />

S'il soulève les régions les unes contre les autres, <strong>à</strong><br />

mort! (1.20)<br />

Deux textes tardifs, l'un de 1940 et l'autre de 1946, présentent un<br />

curieux revirement de la part de Tessier. Il récuse le terme "régiona-<br />

1isme" désignant l'action qu'il avait menée sous ce nom. Dans une<br />

rétrospective des années 1920-1940, effectuée <strong>à</strong> la demande <strong>du</strong> Nouvelliste<br />

(1.38), il se propose "d'examiner dans quelle mesure l'accroissement<br />

rapide de la région mauricienne a pu s'accompagner d'un développement<br />

parallèle de la mentalité régionale, ce qui ne veut pas nécessairement<br />

dire mentalité régionalisante". Dans le même ordre de pensée, voici un<br />

extrait de l'entrevue accordée <strong>à</strong> Lucienne Le<strong>du</strong>c:<br />

Parallèlement a commencé dans le public, comme préparation<br />

aux fêtes <strong>du</strong> tricentenaire des <strong>Trois</strong>-Rivières la grande<br />

campagne de renouveau trifluvien que l'on a improprement<br />

appelé <strong>du</strong> régionalisme.<br />

Improprement?<br />

Oui. Ce n'est pas <strong>du</strong> régionalisme, mais <strong>du</strong> réalisme.(1.39)<br />

93


Thème 4: De la terre vers le ciel (Annexe I, tableau 2)<br />

En 1928, Tessier met en garde les Trifluviens. Ces derniers ne<br />

doivent pas se 1 ai sser ébloui r par "les transformations matérielles"<br />

amenées par la prospérité in<strong>du</strong>strielle et l'expansion démographique<br />

accélérée (1.3). Ailleurs, il rappelle que "c'est par son âme, par son<br />

esprit, qu'on juge de la valeur véritable d'un groupe humain" (1.8.1).<br />

Laissons le temporel <strong>à</strong> son rang", ajoute-t-i1, c'est-<strong>à</strong>-dire au second,<br />

après le spirituel. Il cite Gaxotte: "Fai re vivre et <strong>du</strong>rer un peuple<br />

[ ... ] c'est préserver, enrichir un patrimoine spirituel". (1.30) Tessier<br />

incite les gouvernants <strong>à</strong> mettre en valeur "notre capital spirituel" en<br />

plaçant au coeur de leurs préoccupations "la culture humaine". Dans la<br />

conclusion de Ceux gui firent notre pays (1.22), il transcrit un texte<br />

d'Avene 1 (1908):<br />

l'homme en travail depuis cent ans a enfanté des manufactures,<br />

des docks, des bateaux [ ... ] des richesses et des<br />

plaisirs [ ... ] des constitutions politiques et des systèmes<br />

philosophiques. Mais il n'enfante pas de l'amour ni de la<br />

joie; surtout il n'enfante pas de la résignation et de l'idéal,<br />

de la paix et de l'espérance.(1.22)<br />

La prévalence <strong>du</strong> matériel sur le spirituel, voil<strong>à</strong> la source des problèmes<br />

<strong>du</strong> temps présent. Tessier d'ajouter:<br />

Sommes-nous beaucoup plus avancés [?] Jamais, peut-être,<br />

les hommes n'ont été aussi inquiets, aussi troublés,<br />

aussi incontentables [sic], (p. 202).<br />

Le remède réside donc dans les ressources de l'âme. C'est pourquoi,<br />

devant les Chevaliers de Colomb, Tessier explique qu'il faut montrer au<br />

grand jour "l'âme des choses et des gens qui la compose" (1.10).<br />

94


On ne s'étonnera guère de retrouver dans le discours émis par un<br />

prêtre des allusions fréquentes aux thèmes de Dieu, de la Providence et<br />

de l'amour da au Créateur et <strong>à</strong> ses créatures 43 • Ainsi, le régionalisme<br />

"est tout simplement la mise en valeur aussi complète que possible de ce<br />

que Dieu a mis <strong>à</strong> la disposition de chacun" (1.35). Et Tessier d'ajouter:<br />

"Il nous faut "jouer crânement et <strong>à</strong> pleine force le rôle que la Provi-<br />

dence nous confie" (1.30).<br />

Tessier assortit particulièrement ses descriptions <strong>du</strong> régionalisme<br />

d'énoncés prescriptifs, enjoignant ses concitoyens au nom de la morale<br />

catholique, <strong>du</strong> sens <strong>du</strong> devoir et <strong>du</strong> dévouement <strong>à</strong> poser des gestes con-<br />

crets dans le cadre <strong>du</strong> quotidien 44 • Aux voyageurs de commerce, il parle<br />

de la hiérarchie des sentiments et des devoirs: "Nous avons des devoirs<br />

indivi<strong>du</strong>els, familiaux, sociaux, régionaux et nationaux" (1.11). Aux<br />

Chevaliers de Colomb, il souligne "le courage tranquille, la pratique<br />

héroïque des vertus familiales qui constituent le plus beau titre de<br />

noblesse des <strong>Trois</strong>-Rivières." (1.10) A ses yeux, le patriotisme n'est<br />

pas une "vertu facultative" mais "un mode de vie exigé de tous" (1.18.1),<br />

comme l'enseigne saint Thomas d'Aquin qui "établit un rapport indis-<br />

soluble entre le patriotisme et la vertu de religion". Ainsi, le patrio-<br />

tisme impose <strong>à</strong> chacun "l'obligation stricte de développer d'abord en soi<br />

43. La fréquence des principaux mots-pivots reliés au thème n'est pas<br />

aussi élevée qu'on aurait pu le croire <strong>à</strong> prime abord: 8 occurrences<br />

pour "bien" et "Providence", 12 pour "amour" et "aimer".<br />

44. A "devoir" et ses mots-annexes (9 occurrences) s'ajoutent 17<br />

énoncés prescriptifs au sens étroit, c'est-<strong>à</strong>-dire ceux débutant par<br />

"il faut que" et "nous devons".<br />

95


[ ... ] les ressources de l'âme, de l'esprit, <strong>du</strong> coeur, de la volonté".<br />

Enfin, Tessier insiste sur la nécessité "d'exalter le travail humain"<br />

(1.36), et louange le "culte de l'effort" (1.30) et le "culte <strong>du</strong> travail"<br />

(1.21).<br />

Thème 5: Le matériel<br />

Le régionalisme défen<strong>du</strong> par Tessier n'est pas pure spéculation. Il<br />

s'arrime <strong>à</strong> une vision <strong>du</strong> monde fondée sur l'observation de la réalité<br />

immédiate. Dans ses notes pour une conférence sur Mistral en 1930,<br />

Tessier a résumé ainsi ce qui allait devenir le mot d'ordre <strong>du</strong> régiona-<br />

1isme agissant:<br />

Fouiller en soi, autour de soi! [ •.. ] Chaque chose porte<br />

en soi de la beauté! La regarder jusqu'<strong>à</strong> ce que cette<br />

beauté jaillisse! Extraire des actes ou des objets<br />

simples et familiers ce qu'il y a en eux d'universel, de<br />

permanent, d'éternel! [ ... ] D'abord: l'observation.<br />

Voir beau, voir large, voir grand. (1.41)<br />

"Oéve10pper le sens de l'observation" (1.8.1 et 1.10), "percevoir la<br />

beauté, la grandeur, la force" (1.14) répète en effet Tessier <strong>à</strong> tous les<br />

publics, jeunes et a<strong>du</strong>ltes, auxquels il s'adresse. Pour mener <strong>à</strong> bien<br />

cette action constructive, l'apÔtre <strong>du</strong> régionalisme préconise l'uti1isa-<br />

tion systématique des moyens de diffusion: la presse, la photographie et<br />

le cinéma 45 • Prêchant l'amour de la patrie par les films il affirme que<br />

45. Dans l'article paru dans l'Action nationale (1.30) en 1937, Tessier<br />

veut également embrigader le théâtre et la radio dans des formes<br />

appropriées de résurrection <strong>du</strong> passé (p. 267-268). Il propose un<br />

programme d'action. "Un photographe, artiste et poète, pourrait<br />

fixer méthodiquement nos paysages, nos habitations, nos types<br />

humains [ ... ] Des films ne comportant aucune intrigue et n'offrant<br />

96


"le régionalisme n'est pas fait d'autre chose que ces images coutumières"<br />

(1.33). "Montrer au peuple le beau visage <strong>du</strong> pays qu'il habite, c'est un<br />

excellent moyen d'éveiller chez lui de l'affection, de l'attachement, de<br />

l'amour pour sa Patrie" conclut-il dans un bref article <strong>du</strong> Mauricien<br />

(1.32).<br />

Le discours de Tessier fait constall1Tlent référence au "concret", au<br />

"réalisme" et dénonce <strong>à</strong> plusieurs reprises le "théorique" et le "liv-<br />

resque"41S. Les jeunes doivent "mieux voir les réalités qui les enve1op-<br />

pentU (1.14) car "notre peuple est distrait, léger, peu enclin <strong>à</strong> la<br />

réflexion. Il vit dans l'imprécis, sans contact avec la vie réelle"<br />

(1.18). S'adressant <strong>à</strong> l'auditoire <strong>du</strong> Réveil rural en 1936, il expose<br />

ainsi quelques idées sur le régionalisme adapté <strong>à</strong> la vie campagnarde:<br />

"Nous avons le devoir d'étudier le secteur où la Providence nous a<br />

placés" et ceci "demande que nous soyons campés dans le réel" (1.27). Il<br />

faut "regarder la vie en face" (1.30) et "plonger les âmes dans le réel"<br />

(1.31) non "théoriquement, mais réellement, efficacement" (1.31).<br />

Thème 6: L'Histoire (Annexe l, tableau 2)<br />

En maints endroits, l'apôtre de la Mauricie affirme que le véritable<br />

régionalisme est animé par les leçons de l'histoire: "On réalise que<br />

[ ... ] que des suites de belles images de la nature [ ..• ]<br />

prêcheraient d'eux-mêmes le respect de la vie <strong>à</strong> tous ses degrés (p.<br />

266). Par ses films ethnographiques et ses albums de photos,<br />

Tessier réalisera pleinement cet objectif de visualisation <strong>du</strong> milieu<br />

ambiant.<br />

46. Neuf occurrences pour "réel", "réalité", "réellement", "réalisme".<br />

97


trois siècles d'histoire, c'est un héritage qui nous donne des engage­<br />

ments" (1.11) affirme-t-i1 sans hésitation. Passant <strong>à</strong> l'action, Tessier<br />

rédige lui-même de nombreux (et parfois volumineux) textes historiques<br />

fondés sur un historicisme conscient qu'il affirme sans détours: "L'his­<br />

toire doit réincarner le passé", lisons-nous en effet dans l'intro<strong>du</strong>ction<br />

<strong>à</strong> Pèlerinages dans le passé; ou encore: "corrme ce serait agréable et<br />

utile de pouvoir servir l'histoire par tranches de vie chaudes, colorées,<br />

palpitantes". Livrant les mots d'ordre <strong>du</strong> régionalisme mauricien, il<br />

écrit encore: "ressuscitons notre histoire pour donner tous leurs sens<br />

aux paysages et aux monuments" (1.36).<br />

Finalement, 11 insiste sur le fait que "retrouver la vie, l'atmo­<br />

sphère, l'état d'âme des personnages que [l'Histoire] évoque" (1.18.1)<br />

n'est pas réservé aux historiens mais <strong>à</strong> tout vrai patriote et régiona­<br />

liste (1.17). L'Histoire ainsi conçue doit être "convnunion" (1.18) qui<br />

doit "atteindre et toucher les âmes" (1.21). Et cette réalité dans<br />

laquelle l'indivi<strong>du</strong> apprend la vie, c'est d'abord la nature.<br />

Thème 7: La Nature (Annexe I, tableau 2)<br />

S'adressant <strong>à</strong> un auditoire rural, Tessier affirme que le régiona­<br />

lisme doit "créer un climat favorable <strong>à</strong> cette compénétration intime <strong>du</strong><br />

milieu", c'est-<strong>à</strong>-dire "les travaux des champs, les menues besognes <strong>du</strong><br />

foyer" (1.23). Il faut vivre "en harmonie avec le milieu" (1.14),<br />

inculquer aux jeunes "l'amour de la nature" (1.23).<br />

98


Tessier prend les accents <strong>du</strong> poète lorsqu'il s'agit de célébrer la<br />

nature et ses infinies richesses. L'eau surtout le fascine; l'eau<br />

"souveraine richesse: aliment, engrais, force, route" (1.7). Il évoque<br />

les "masses d'eau violentes [<strong>du</strong> Saint-Maurice] qui dévalent des hauts<br />

monts, des puissances presque illimitées capables de fournir aux âmes<br />

lumière, chaleur et force motrice" (1.30):<br />

L'eau, "notre soeur l'eau qui est moult utile et belle et<br />

précieuse et chaste", selon la prière de saint François<br />

d'Assise, l'eau forme le sujet <strong>du</strong> plus beau des documentaires<br />

[ ... ]. L'eau-sanctification, l'eau-beauté, l'eaunourriture,<br />

l'eau-force, l'eau-hygiène, l'eau-route,<br />

l'eau, l'élément essentiel de toute vie, thème aux<br />

infinies variations toutes empreintes d'une même couleur<br />

de chez nous et de louanges <strong>à</strong> la gloire <strong>du</strong> Très-Haut.<br />

(1.33)<br />

En Mauricie, ce thème liquide est indissociable de celui <strong>du</strong> thème de<br />

la rivière Saint-Maurice, par lequel il se rattache au régionalisme.<br />

Aussi Tessier exa1te-t-1l ce grand cours d'eau, source <strong>du</strong> "progrès<br />

matériel de la Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice: métallurgie des Vieilles Forges,<br />

foyer de l'énergie électrique" (1.7). Il identifie par ailleurs la<br />

Mauricie au bassin de la même rivière (1.16), <strong>à</strong> cause de l'unité géogra-<br />

phique et économique que cette identificaiton permet de souligner (1.17).<br />

Au thème de l'eau s'allie tout naturellement celui de la forêt<br />

mauricienne, symbole <strong>du</strong> Canada sauvage. Tessier explique en 1941 que ses<br />

premiers films furent tournés "d'abord simples documentaires de la forêt"<br />

(1. 37), plus tard il évoquera le Canada sauvage, "partout des arbres, le<br />

mystère de la forêt sans pistes" (1.22). Cette vision quasi rousseauiste<br />

tire son origine de son enfance passée en milieu rural, dont il conserve<br />

99


un enracinement qui persistera sa vie <strong>du</strong>rant envers les valeurs associés<br />

<strong>à</strong> la vie agricole. Plus d'une fois il souligne "le charme de la terre<br />

aux lignes adoucies" (1.14); et, face <strong>à</strong> l'urbanisation, il se propose de<br />

"redonner <strong>à</strong> la vie rurale la saveur qui s'impose", (1.23).<br />

Ces propos s'inscrivent naturellement dans une perspective associée<br />

<strong>à</strong> une vision agricu1turiste de l'avenir de la société québécoise. Dans<br />

la conclusion de Ceux gui firent notre pays, paru en 1936, le défenseur<br />

des valeurs régional istes déclare que "de gré ou de force, il faut<br />

orienter nos sans-travail vers le sol". Il ajoute que "c'est le retour <strong>à</strong><br />

la vie champêtre qui [ ... ] favorisera le mieux la discipline d'âme"<br />

(1.22.1). Tessier a maintenu son idéal agricu1turiste jusqu'<strong>à</strong> la fin de<br />

sa carrière. Ainsi, en 1957, il s'oppose <strong>à</strong> Marcel Trude1, qui affirmait<br />

que Samuel de Champlain avait fondé la Nouvelle-France dans un but<br />

mercantile et non pour développer l'agricu1ture 47 • En 1974, Tessier<br />

tente encore de justifier le point de vue qu'il a défen<strong>du</strong> en reprenant <strong>à</strong><br />

son compte la thèse de l'agricu1turisme défen<strong>du</strong>e par Michel Brunet 48 •<br />

47. Voir l'article intitulé "France nouvelle ou simple colonie commerciale?"<br />

(Cahiers des Dix nO 22, 1957), p. 43-51 Tessier y fait la<br />

critique <strong>du</strong> Champlain de Marcel Trude1 paru l'année précédente chez<br />

Fides dans la collection "Classiques canadiens". Trude1 attaque<br />

notamment l'agricu1turisme <strong>du</strong> groupe c1érico-conservateur des<br />

historiens qui ont faussé les intentions véritables des premiers<br />

fondateurs de la Nouvelle-France. En affirmant que Champlain n'a<br />

été ni colonisateur agricole, ni civilisateur, ni évangélisateur,<br />

Trude1 s'en prendrait <strong>à</strong> la classe paysanne, selon Tessier, (Voir<br />

Serge Gagnon, Quebec and its Historians. The Twentieth Century,<br />

p. 42-44.).<br />

48. Voir Michel Brunet, "<strong>Trois</strong> dominantes de la pensée canadiennefrançaise,<br />

l'agricu1turisme, l'anti-étatisme et le messianisme",<br />

Ecrits <strong>du</strong> Canada français, vol. 3, 1957, p. 31-118.<br />

100


"Le seul domaine où les nôtres pouvaient se sentir ma1tres chez eux était<br />

la terre. L'habitant ne dépendait d'aucun ma'tre, il était libre de sa<br />

destinée. Il menait une existence calme, sans inquiétudes sérieuses sur<br />

son avenir et sur celui des siens". Plus loin, Tessier concède néanmoins<br />

que "nous avons mis beaucoup de temps <strong>à</strong> découvrir que la nature <strong>du</strong> pays<br />

imposait aux Québécois une vocation mixte où l'in<strong>du</strong>strie avait plus de<br />

part que l'agriculture" (1.44).<br />

Dans ses textes régionalistes, l'apôtre de la Mauricie a livré un<br />

discours social d'intéret majeur qui prolonge les propos résumés jus­<br />

qu'ici. L'analyse est présentée dans l'Annexe 5.<br />

101


instances de l'héritier spirituel de Gélinas, Albert Tessier, que Nérée<br />

Beauchemin se décide <strong>à</strong> la publication, aidé d'une subvention d'Athanase<br />

David, le Secrétaire de la Province de <strong>Québec</strong>. Patrie intime sort des<br />

presses en 1928 3 • L'oeuvre préfigure plusieurs des thèmes majeurs de la<br />

littérature mauricienne régionaliste. Elle transcende par le verbe<br />

poétique l'attachement <strong>à</strong> la petite patrie, la contemplation silencieuse<br />

devant les gestes et les choses <strong>du</strong> quotidien de même qu'une émotion<br />

religieuse fervente mais discrète. Les futurs thèmes de Tessier transpa-<br />

raissent en filigrane tout le long de Patrie intime:<br />

Et mon amour le plus pieux, / Et ma fête la plus fleurie,<br />

/ Est d'avoir toujours sous les yeux / Le visage de ma<br />

patrie / Parie intime de ma foi, / Dans une immuable<br />

assurance [ ... ]4 Oh! puis-je rester attaché / A l'harmonieuse<br />

attirance / Au charme divin <strong>du</strong> c10cher 5 •<br />

le lien de consanguinité avec la France, évoqué par Gélinas puis par<br />

Marchand, est 'souligné sans hésitation:<br />

Ma France, l'intime France, / C'est mon foyer, mon<br />

berceau, / C'est le lieu de ma naissance, / [ ... ] C'est<br />

la terre où s'enracine l'Erable national, / C'est le ciel<br />

où se dessine / la croix <strong>du</strong> clocher natals.<br />

3. Patrie intime, Montréal, librairie d'Action canadienne-française,<br />

1928, 199 p.<br />

4. Volume 1, p. 149 dans l'édition critique d'Armand Guillemette.<br />

5. Ibid., p. 396. Ces trois vers font partie d'une version primitive<br />

qui a été abandonnée.<br />

6. Ibid., p. 266. La version initiale présentait la variante<br />

suivante: /C'est le pays maternel/.<br />

103


Les thèmes régionalistes sont évoqués dans "Le laboureur", "Le ber",<br />

"Le fleuve", "L'Erable", "Les vieux ormes", "La prière ancestrale", "0<br />

Patrie", "Notre terre", "Le vieux parler", "Reste Française", "La France<br />

au tombeau de Montcalm", "La bonne France", "Les lys" et "A Théodore<br />

Botrel", pour ne citer que les titres les plus frappants. Ainsi, et<br />

probablement <strong>à</strong> son insu, le solitaire de Yamachiche fournit la caution<br />

littéraire au projet régionaliste d'Albert Tessier. C'est pourquoi ce<br />

dernier n'a eu de cesse de diffuser l'oeuvre de Beauchemin et d'attirer<br />

l'attention <strong>du</strong> public sur l'oeuvre autant que sur l'homme.<br />

***<br />

2. La patrie intime<br />

A la sortie de son second recueil, Patrie intime, Beauchemin se voit<br />

subitement chargé d'honneurs: après un concert où la chorale de la<br />

paroisse Notre-Dame (<strong>Trois</strong>-Rivières) exécute trois pièces que J.-Antonio<br />

Thompson a composées <strong>à</strong> partir de ses poèmes, il devient le héros d'une<br />

"apothéose" <strong>à</strong> l'Hôtel de ville de <strong>Trois</strong>-Rivières le 11 novembre 1928.<br />

L'idée <strong>du</strong> "couronnement <strong>du</strong> poète" revenait au Cercle Ozanam de l'A.C.J.C.<br />

qui voulait souligner "l'apostolat lalc par la poésie" de Nérée Beauche­<br />

min. L'<strong>Université</strong> Laval lui remet un doctorat honorifique par Mgr<br />

Camille Roy. L'année suivante, en 1929, Beauchemin reçoit le dip16me de<br />

104


"ma'tre ès Jeux f1orimontains"; en 1930, c'est autour de l'Académie<br />

française de l'honorer d'une médaille envoyée par René Bazin. Demeuré<br />

serein devant cet hommage orchestré par Albert Tessier, le vieux sage de<br />

Yamachiche s'éteint le 29 juin 1931.<br />

Peu après la mort <strong>du</strong> poète, un cahier de la collection "Pages<br />

trifluviennes" présenta un hommage posthume rédigé par le Père Gonzalve<br />

Poulin 7 dont le ton, évidemment, rappelle celui de l'apologie. L'auteur<br />

insiste sur l'influence mystique et la sensibilité <strong>à</strong> fleur de peau de<br />

Nérée Beauchemin. Clément Marchand a publié <strong>à</strong> deux reprises des an-<br />

thologies de celui qu'il avait consulté dans ses premiers essais poéti-<br />

ques. En intro<strong>du</strong>ction <strong>à</strong> l'anthologie de 1957, p. 7-11, Marchand écrit<br />

que:<br />

le premier chez nous Beauchemin regarde l'homme et la<br />

nature avec des yeux neufs [ ... ] Beauchemin est déj<strong>à</strong><br />

bien proche de notre sensibilité moderne. Il prélude <strong>à</strong><br />

une époque [ ... ] qui s'élève des particularismes nationaux<br />

jusqu'<strong>à</strong> l'universalité de l'hommes.<br />

7. Nérée Beauchemin, <strong>Trois</strong>-Rivières, les Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1934,<br />

80 p., coll. "Les Pages trifluviennes", Série B, nO 5. Le compte<br />

ren<strong>du</strong> de l'apothéose de 1928 est présenté en détail. Le ton de<br />

l'ouvrage illustre jusqu'<strong>à</strong> quel point Nérée Beauchemin a exercé une<br />

fascination chez les régionalistes.<br />

8. Choix de poésies de Nérée Beauchemin, <strong>Trois</strong>-Rivières, les Editions<br />

<strong>du</strong> Bien Public, 1950, 216 p. et Nérée Beauchemin, Montréal, Fides,<br />

1957, coll. "Classiques canadiens", 96 p. réédité en 1967. Tessier<br />

avait présenté Marchand <strong>à</strong> Beauchemin. Le vieux poète lut attentivement<br />

les premières pro<strong>du</strong>ctions <strong>du</strong> futur animateur <strong>du</strong> Bien Public et<br />

lui prodigua des conseils sévères mais très précieux, (Voir Le Bien<br />

Public, 22 mars 1934, p. 13 et Le Devoir, 25 novembre 1950, p. 15).<br />

105


De son côté, Armand Gui1mette, l'auteur d'une monumentale édition<br />

critique 9 , souligne en termes plus modérés que "grâce <strong>à</strong> un art sobre,<br />

dépouillé et naturel, Beauchemin est un poète de transition; il prélude,<br />

quoique modestement, <strong>à</strong> la poésie nouvelle"1o. Il ajoute que, "sans être<br />

un artiste prestigieux, il a écrit une poésie valable et d'une sincérité<br />

totale"11. Le poète était peu enclin aux épanchements mais, <strong>à</strong> une<br />

occasion, dans une lettre <strong>à</strong> Albert Tessier, datée <strong>du</strong> 18 avril 1928, il<br />

écrit:<br />

Je n'ai jamais recherché l'Art pour l'Art. J'ai toujours<br />

cherché - sans peut-être le trouver - avant tout, la<br />

richesse <strong>du</strong> sens et la classique vérité <strong>du</strong> Beau12 .<br />

D'avoir atteint cet objectif en maints endroits de l'oeuvre a permis <strong>à</strong><br />

Nérée Beauchemin d'échapper au naufrage de l'oubli, contrairement <strong>à</strong><br />

plusieurs régionalistes de son temps. La critique actuelle situe l'oeu-<br />

vre de Beauchemin dans une perspective plus modeste. Par exemple Laurent<br />

Mailhot et Pierre Nepveu qualifient l'auteur de Patrie intime "d'honnête<br />

artisan parfois artiste"13, "souvent raffiné et subtil, qui vise toujours<br />

le nature1"14.<br />

9. Armand Gui1mette, Nérée Beauchemin. Son oeuvre: édition critique,<br />

Montréal, P.U.Q., 1973 et 1974, trois volumes.<br />

10. Op. cit., vol. 1, p. XIX.<br />

11. Id., p. 21.<br />

12. La lettre est repro<strong>du</strong>ite dans l'édition critique d'Armand Gui1mette,<br />

vol. 3, p. 33.<br />

13. La poésie québécoise des origines <strong>à</strong> nos jours, p. 8.<br />

14. Ibid., p. 81.<br />

106


CHAPITRE VI<br />

UN LIBERAL NATIONALISTE: LOUIS-DELAVOIE DURAND<br />

1. Le tribun flamboyant<br />

Quel vieux Trifluvien ne se rappelle ce petit homme au visage fin,<br />

barré d'une moustache altière, qui aimait <strong>à</strong> se promener dans le centre-<br />

ville, le chef coiffé d'un bérêt? Louis-Delavoie Durand a joué un rôle<br />

de premier plan <strong>du</strong>rant l'entre-deux-guerres <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, aussi bien<br />

dans le domaine intellectuel ou social que dans la sphère politique. Il<br />

a énoncé des propos fervents dans le sens <strong>du</strong> régionalisme qui se démar-<br />

quent sur certains points <strong>du</strong> continuum formé par les discours de Gélinas<br />

et de Tessier. Comme dans les cas précédents, un regard posé sur la<br />

biographie de Durand contribuera <strong>à</strong> mieux saisir les origines de son<br />

discours.<br />

Louis-Delavoie Durand na1t <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières le 29 décembre 1888. Il<br />

était le fils de Joseph L. Durand et de Louise Beaufort Brunelle 1 • Il<br />

1. Sur la vie et la carrière de Durand on consultera: Rémi<br />

Tourangeau, <strong>Trois</strong>-Rivières en liesse, p. 37, la notice de L'état<br />

général des fonds et collections conservées aux archives <strong>du</strong><br />

Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, p. 93, Mes mémoires de Lionel Groulx


Quatre ans plus tard, il rend un hommage public <strong>à</strong> un autre nationaliste<br />

de l'époque, Armand Lavergne, lors d'un discours prononcé <strong>à</strong> Arthabaska.<br />

Durant les années trente, le nationaliste trifluvien se tourne vers<br />

la politique active. Il tente d'abord sa chance sous la bannière des<br />

conservateurs de Bennett en 1930; il a comme adversaire Arthur Bettez,<br />

ancien maire et député de <strong>Trois</strong>-Rivières aux Communes. Il ne réussit<br />

cependant pas <strong>à</strong> remporter le siège aux élections. Durand fonde ensuite<br />

un hebdomadaire conservateur, qui paralt de février <strong>à</strong> juillet 1931 où il<br />

défend la politique de son chef de parti. Il se reprend aux élections de<br />

1935, mais cette fois-ci comme candidat de la Restauration nationale,<br />

l'éphémère parti fondé par Stevens, ex-ministre <strong>du</strong> Commerce dans le<br />

cabinet Bennett. Toutefois, le 14 octobre, il essuie <strong>à</strong> nouveau la<br />

défaite·. Déçu mais non découragé, le bouillant avocat pose sa candida-<br />

ture <strong>à</strong> la mairie trifluvienne en 1937 contre le candidat ouvriériste<br />

Atchez Pitt, mais il mord la poussière une fois de plus.<br />

D'autre part, Louis-O. Durand multiplie les conférences et les<br />

causeries radiophoniques où le thème <strong>du</strong> régionalisme revient <strong>à</strong> plusieurs<br />

reprises. Nommé président des Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire, il tra<strong>du</strong>ira par<br />

l'action sociale son amour de la petite patrie. L'organisation des fêtes<br />

de 1934 fut en effet l'oeuvre de sa vie. Le Conseil de ville trifluvien<br />

4. Cherchant <strong>à</strong> sortir "<strong>du</strong> carcan rouge et <strong>du</strong> carcan bleu", le<br />

programme de Durand est axé sur la construction d'un réseau routier<br />

susceptible d'attirer le tourisme et l'in<strong>du</strong>strie. Il propose le<br />

creusement d'un tunnel routier et ferroviaire sous le Saint-Laurent<br />

<strong>à</strong> la hauteur de <strong>Trois</strong>-Rivières. Il y voit un moyen de réaliser<br />

l'unité mauricienne et de créer de l'emploi pour les chômeurs.<br />

109


le nomme responsable <strong>du</strong> Comité d'initiative le 18 avril 1932. Un an<br />

plus tard, il se voit confier la présidence <strong>du</strong> Comité <strong>du</strong> Tricentenaire;<br />

le 1 er avril 1933, il présente un mémoire au gouvernement provincial qui<br />

sera finalement rejeté. Néanmoins, il conserva son poste malgré, semble-<br />

t-i1, l'opposition que lui vouait Maurice Dup1essis 5 •<br />

Durand présida avec élégance et doigté aux nombreuses manifestations<br />

<strong>du</strong> Tricentenaire; son aménité et son éloquence lui attirèrent la sym-<br />

pathie des Trif1uviens qui furent affectés par le grave accident d'auto<br />

qu'il subit <strong>à</strong> l'automne de la même année. Le discours de réception de la<br />

délégation française fut très remarqué, autant par les membres <strong>du</strong> groupe<br />

que par les Mauriciens. Remis de ses blessures et guéri de la politique,<br />

Durand continua <strong>à</strong> prononcer des allocutions sur l'histoire régionale et<br />

le patriotisme. Il a laissé deux forts volumes de souvenirs 6 avant de<br />

s'éteindre au sanatorium Cooke, <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, le 12 janvier 1965.<br />

*<br />

Ce pittoresque Mauricien a contribué <strong>à</strong> enrichir et <strong>à</strong> diversifier le<br />

discours régionaliste tant par ses écrits que par ses discours au style<br />

5. Comme le laisse entendre Albert Tessier dans une lettre<br />

confidentielle <strong>à</strong> Duplessis datée <strong>du</strong> 24 juin 1933.<br />

6. Paresseux. ignorants. arriérés (1955) et Laborieux. diligents.<br />

débrouillards (1959) dans la collection "L'Histoire régionale".<br />

Durand y livre, dans un style touffu, ses souvenirs sur la vie<br />

trifluvienne depuis le début <strong>du</strong> siècle. On trouve pêle-mêle dans<br />

les deux ouvrages des anecdotes historiques, des remarques<br />

personnelles et le compte ren<strong>du</strong> de rencontres faites avec des gens<br />

des milieux littéraires et diplomatiques.<br />

110


flamboyant. Il a éten<strong>du</strong> les limites de sa Mauricie natale aux dimensions<br />

de l'actuelle région 04 Mauricie/Bois-Francs. De l<strong>à</strong> vient l'importance<br />

de l'analyse de ses propos.<br />

***<br />

2. La Mauricie économique<br />

Louis-De1avoie Durand s'est exprimé <strong>à</strong> quelques reprises sur le<br />

régionalisme qu'il qualifia d'abord de "trif1uvien", puis, après l'adop­<br />

tion <strong>du</strong> nouveau régionyme, de "mauricien". L'intérêt des propos de<br />

Durand transmis par les journaux et les périodiques réside dans la<br />

complémentarité apportée aux discours de Gélinas et de Tessier.<br />

C'est <strong>à</strong> titre de président des Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire que Durand<br />

s'est épanché sur le régionalisme. S'étant d'abord prononcé en avril<br />

1932 sur les avantages économiques découlant d'un tel événement (2.1), il<br />

l'associera directement au mouvement régionaliste quelques mois plus<br />

tard, en prenant la parole <strong>à</strong> l'Heure provinciale (2.2). De fait, il<br />

envisage les Fêtes dans leurs relations non seulement avec la cité de<br />

Laviolette mais également avec la région tout entière, associant dans un<br />

élément commun "tous les petits pays qui nous entourent, qui participent<br />

de notre vie et qui forment avec nous une famille de maisons [sic]".<br />

Durand expose ce qu'il appelle "le travail de pénétration mentale",<br />

111


"l'investissement <strong>du</strong> cerveau public": c'est-<strong>à</strong>-dire l'action rigoureuse de<br />

Tessier et de ses disciples en vue d'intéresser la population <strong>à</strong> l'his­<br />

toire locale. Devant le Conseil des ministres <strong>à</strong> <strong>Québec</strong>, en avril 1933,<br />

où il défend le projet des Fêtes (2.3), le fougueux avocat avance des<br />

arguments d'ordre moral et économique. En temps de crise, il faut donner<br />

une nouvelle vigueur morale aux gens en "illustrant le labeur des an­<br />

cêtres, [",] en prenant conscience de notre destinée, en affirmant avec<br />

la dignité de notre passé nos droits d'a'nesse", Il ajoute que les<br />

Fêtes de 1934 constitueront une "apothéose de ce qu'il y a de plus clair<br />

de notre richesse nationale: les vertus humaines de patience et de<br />

ténacité, la richesse <strong>du</strong> sol, celle de la forêt et des eaux", Quelques<br />

semaines après la clôture des Fêtes, celui qui avait été le président de<br />

cette apothéose régionaliste présente une causerie <strong>à</strong> la radio sous le<br />

thème de la renaissance mauricienne (2,10), A ses yeux, le régionalisme<br />

se nourrit d'une "mystique populaire" pour la petite patrie et n'a<br />

d'ambition que "d'en manifester les gloires, d'en continuer les tradi­<br />

tions et les vertus", Le régionalisme na't d'un "besoin d'économie, On<br />

l'institue afin que rien ne soit per<strong>du</strong> des activités et des possibilités<br />

d'une région", Durand poursuit en rendant hommage <strong>à</strong> Albert Tessier ainsi<br />

qu'<strong>à</strong> la jeunesse trifluvienne dont il souligne l'initiative <strong>du</strong> monument<br />

Le Flambeau, Enfin, il glorifie la rivière Saint-Maurice qu'il désigne<br />

comme l'''âme de la Mauricie [",] l'instigateur et le mainteneur de<br />

l'unité mauricienne",<br />

*<br />

112


C'est en 1936 que Louis-O. Durand donne l'exposé le plus élaboré de<br />

sa conception <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Devant les Chevaliers de<br />

Colomb de Drummondville (2.20), il précise tout d'abord que Nicolet,<br />

Victoriavi11e et Drummondvi11e, "tout le centre de la province de Qué-<br />

bec", ne font qu'un avec la Mauricie dont l'éten<strong>du</strong>e, <strong>à</strong> son -avis, se<br />

confond avec l'ancien gouvernement des <strong>Trois</strong>-Rivières. Se l on lui," 1 es<br />

gens <strong>du</strong> nord" et "les gens <strong>du</strong> sud" doivent continuer de fraterniser comme<br />

ils l'avaient fait <strong>du</strong>rant les Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire. Cette perception<br />

de l'espace régional inspire <strong>à</strong> Durand l'idée de la construction d'un<br />

tunnel sous le fleuve <strong>à</strong> la hauteur de <strong>Trois</strong>-Rivières, projet qui fut le<br />

cheval de bataille de ses campagnes électorales infructueuses.<br />

Au cours de cette conférence, l'avocat trifluvien brosse un tableau<br />

des phénomènes sociaux ayant bouleversé la Mauricie depuis le début <strong>du</strong><br />

siècle - la Première guerre mondiale, "l'in<strong>du</strong>strialisation <strong>à</strong> outrance"7,<br />

l'urbanisation, l'américanisationS et la crise économique 9 • Durand<br />

7. Il déclare notamment: "Nous regardions avec une complaisance<br />

orgueilleuse grossir nos grandes villes pendant que bercés et grisés<br />

par la musique irréelle et trompeuse d'un préten<strong>du</strong> progrès qui<br />

n'aurait jamais défini de limites, nous assistions <strong>à</strong> notre<br />

colonisation intérieure par l'étranger."<br />

8. Durand n'est pas tendre envers l'américanisme outrancier: "Américanisée<br />

presque jusqu'aux moelles par une presse française [ ... ]<br />

yankee de ton et puérile d'allure, notre classe laborieuse, surtout<br />

dans les grandes villes, était américanisée [également] par la<br />

radio, par le cinéma, par l'affiche, par la chanson populaire [ ... ]<br />

On a donné aux autres un droit de serviture sur son cerveau et un<br />

droit de passage dans le domaine sacré de nos sentiments intimes".<br />

113


insiste sur la crise des valeurs morales et spirituelles, le déve1oppe-<br />

ment des idées nationalistes et finalement la "vague <strong>du</strong> marxisme-corn-<br />

munisme" . Et alors, de poursuivre Durand, "quelques Trif1uviens [ ... ]<br />

voyant venir le 300· anniversaire de fondation de leur ville [ ... ] se<br />

mirent <strong>à</strong> étudier la vie [ ... ] de ces humbles soldats, mariniers et<br />

paysans qui dorment [ ... ] dans l'ombre <strong>du</strong> F1ambeau"1o. Vient ensuite la<br />

défense de l'esprit bourgeois fondé sur "l'ordre, l'économie, la vie de<br />

famille". Durand espère en un continent où la mode est aux petites<br />

vi lles, "parce que c'est l<strong>à</strong> [. .. ] que 1 'homme perçoit le mieux la valeur<br />

de l'ordre, l'utilité de l'économie, la bienfaisance de sa vie de fami1-<br />

le, fondement de sa vie raciale". Et justement, le régionalisme c'est,<br />

aux yeux de Durand:<br />

L'instauration d'une vie de famille<br />

divers d'une même région, qui donne<br />

de sa petite patrie [ ... ], c'est une<br />

vie, idéaliste et réaliste <strong>à</strong> la fois.<br />

entre les membres<br />

<strong>à</strong> chacun l'orgueil<br />

attitude devant la<br />

En guise de conclusion, le tribun de <strong>Trois</strong>-Rivières donne le vrai<br />

sens des efforts régionalistes:<br />

9. Il dénonce surtout la misère qui touche si <strong>du</strong>rement les<br />

travailleurs: "Pris <strong>à</strong> la gorge par la gêne, puis par le dénuement,<br />

puis par la misère, notre prolétariat, les yeux rivés dans sa<br />

détresse au macadam des places publiques, [ ... ] essayait de<br />

contrôler la désespérance qui l'étreignait en jouant machinalement<br />

avec les 'pitons' qu'un anonyme lui avait refilé distraitement dans<br />

le corridor froid d'une vague administration."<br />

10. Nous avons sauté dans les citations de Durand les nombreuses<br />

incises, digressions et répétitions d'épithètes qui ornent son<br />

écriture au style oratoire où les amples périodes de trente ou<br />

quarante lignes ne sont pas rares.<br />

114


Or la région, la Mauricie, c'est ce qu'il y a de plus<br />

solide parce que cela implique ce qui seul demeure et<br />

que nous aimons: le clocher, le jardin, le cimetière,<br />

les trois pôles qui, nous retenant le mieux <strong>à</strong> la terre<br />

de chez nous, nous empêcheront le mieux de continuer en<br />

série la fabrication des nomades de l'asphalte.<br />

Nul en Mauricie, pas même Tessier ni Gélinas, n'a résumé de façon<br />

plus éloquente le fondement idéologique <strong>du</strong> mouvement qui a animé la<br />

société régionale de l'époque.<br />

*<br />

Cette rhétorique vibrante, volubile, que l'on imagine débitée avec<br />

force gestes, est au service d'une vision des choses voisine de celle de<br />

Gélinas et de Tessier, mais distincte sur plusieurs aspects. Certes,<br />

Durand reprend des expressions telles "petite patrie", "fierté régiona-<br />

le", "in<strong>du</strong>strialisation <strong>à</strong> outrance" ou encore "vie paysanne saine et<br />

naturelle" volées aux lèvres de l'animateur <strong>du</strong> régionalisme. Mais des<br />

distinctions apparaissent lorsque nous interrogeons de plus près les<br />

textes de Durand. Par exemple la nature, la forêt, les lacs et les<br />

rivières sont plus étroitement associés au développement matériel.<br />

Durand revient inlassablement sur les retombées économiques générées par<br />

les activités <strong>du</strong> Tricentenaire; il emploie habilement les points de vue<br />

susceptibles de toucher l'homme d'affaires - évidemment, il a l'idée des<br />

Fêtes ou un programme électoral <strong>à</strong> vendre - mais l'argument financier lui<br />

est plus spontané que l'argument culturel où moral. A ses yeux l'expan-<br />

sion in<strong>du</strong>strielle et commerciale est essentielle <strong>à</strong> l'avenir de la Mauri-<br />

115


***<br />

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE<br />

A l'instar de son supérieur Mgr Comtois, Tessier lie la doctrine<br />

régionaliste <strong>à</strong> la définition thomiste de la vertu de patriotisme. En<br />

outre, il s'approprie le discours social de Frédéric Mistral qu'il adopte<br />

comme modèle profane. Au fond, Tessier adhère fondamentalement aux idées<br />

de son maltre l'abbé Gé1inas. La pédagogie de l'Histoire mise en prati­<br />

que dans sa classe <strong>du</strong> Séminaire s'en inspire intégralement: amour de la<br />

petite patrie, culte des héros-fondateurs de <strong>Trois</strong>-Rivières. Il lui<br />

ajoute l'observation et l'amour de l'environnement et la fierté agis­<br />

sante. Autant l'apôtre de la Mauricie est réceptif aux nouvelles formes<br />

des médias - la radio, le cinéma, la photographie - autant il demeure<br />

traditionnel dans le maintien de l'ordre social. Pédagogue par instinct<br />

et communicateur-né, Albert Tessier sait ce qu'il faut faire pour mobili­<br />

ser les masses et les impliquer de façon affective autant qu'intellec­<br />

tuelle. Les "projections lumineuses" commentées, les "pageants" <strong>du</strong><br />

Tricentenaire, les reconstitutions d'époque, le chant choral, voil<strong>à</strong><br />

autant de moyens didactiques - de techniques de sé<strong>du</strong>ction douce dirions-<br />

117


nous aujourd'hui - pour toucher et convaincre l'ensemble de la population<br />

mauricienne.<br />

D'autre part, Louis-O. Durand, avocat de profession et membre de la<br />

petite bourgeoisie locale, insiste sur la dimension économique, déplore<br />

comme Tessier les excès d'une in<strong>du</strong>strialisation précipitée, mais tire le<br />

discours régionaliste vers des orientations susceptibles de lui attirer<br />

la faveur de l'électorat: amélioration des voies de communication,<br />

percement d'un tunnel sous le fleuve, attraction <strong>du</strong> tourisme. La triade<br />

<strong>du</strong> régionalisme mauricien: amour de la petite patrie, culte des héros <strong>du</strong><br />

passé et valorisation de la vie rurale, trouve son écho dans le discours<br />

de Durand mais avec une coloration différente, affichant moins vigoureu­<br />

sement les idées clérico-nationalistes et plus ouvertement les valeurs <strong>du</strong><br />

libéralisme économique.<br />

*<br />

La position sociale et la personnalité de chacun des définisseurs <strong>du</strong><br />

régionalisme en Mauricie expliquent pour une bonne part les nuances qui<br />

viennent d'être mises en évidence. A l'ascétisme farouche de l'abbé<br />

Gélinas et <strong>à</strong> son idéalisme intransigeant, Albert Tessier oppose l'obser­<br />

vation et la délectation <strong>du</strong> monde sensible ainsi qu'une vision morale<br />

tempérée par une conception plus réaliste des possibilités humaines. Au<br />

fond, l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme est un pragmatique. Homme d'action avant<br />

tout, il se contente de prouver le mouvement en marchant. Il appartient<br />

<strong>à</strong> cette catégorie d'hommes qui, après s'être tracé une ligne de con<strong>du</strong>ite<br />

118


dans leur jeune âge, la maintiennent sans hésitation ni repentir jusqu'<strong>à</strong><br />

leur dernier souffle. Les débats intellectuels lui répugnent et quand il<br />

s'y trouve mêlé malgré lui, les arguments émotifs surgissent plus spon­<br />

tanément que le raisonnement dialectique. Son écriture en porte la<br />

marque évidente. Il évite les concepts abstraits et leur substitue des<br />

périphrases faisant image, tournures qu'il appelle des formules con­<br />

crètes. Dans ses conférences et la majorité de ses écrits, il emploie un<br />

style sobre, direct et sans apprêt. Un bel exemple est donné par la<br />

première partie de ses Souvenirs en vrac où il raconte son enfance.<br />

L'influence des Mémoires et Récits de Mistral s'y fait sentir de façon<br />

discrète. Lorsqu'il s'emporte, il lui arrive d'user de la rhétorique qui<br />

sévissait chez les régionalistes mineurs - apostrophe, hyperbole, proso­<br />

popée - mais c'est l'exception. Le naturel de ses textes leur a permis<br />

de ne pas vieillir <strong>du</strong> point de vue <strong>du</strong> style.<br />

Il est possible maintenant de soupeser le rôle "respectif de chacun<br />

des quatre acteurs principaux et de spécifier la pensée sociale qui a<br />

étayé leur discours. Gé1inas a été le précurseur immédiat en posant les<br />

fondements idéologiques <strong>du</strong> discours, Beauchemin les a illustrés par les<br />

sortilèges de la poésie, Tessier a donné un nom <strong>à</strong> cette doctrine, le<br />

régionalisme l'a humanisé et, surtout, l'a diffusé dans toutes les<br />

couches de la population. Enfin, Durand a ajouté une touche économique<br />

et politique sans toutefois exercer d'influence déterminante. Au thème<br />

platonicien de l'Idéal chez Gélinas, Tessier et Durand pourvoient l'im­<br />

aginaire mauricien d'une symbolique tirée de la nature sensible. Méta­<br />

phore de la famille chez Durand, métaphore de l'organisme vivant et<br />

119


TROISIEME PARTIE<br />

LE REGIONALISME MAURICIEN ET LA SOCIETE REGIONALE


CHAPITRE YII<br />

LE DEBAT SUR LE REGIONYME "MAURICIE"<br />

1. La création <strong>du</strong> régionyme<br />

Nommer le pays constitue l'une des activités symboliques liées <strong>à</strong> la<br />

quête d'identité collective. On ne saurait donc s'étonner qu'en Mauricie<br />

cet acte de nomination coïncide avec l'expansion de l'idée régionaliste<br />

et que son auteur soit justement Albert Tessier.<br />

Durant la première moitié <strong>du</strong> XIX· siècle, comme l'attestent les<br />

journaux de l'époque, l'expression "district de <strong>Trois</strong>-Rivières" était<br />

employée pour désigner la région qui correspond <strong>à</strong> peu près au gouverne­<br />

ment des <strong>Trois</strong>-Rivières <strong>du</strong> Régime français. Cette désignation régionale<br />

régressa au profit de "Yallée <strong>du</strong> Saint-Maurice" <strong>à</strong> partir <strong>du</strong> moment où<br />

l'exploitation forestière <strong>du</strong> bassin hydrographique <strong>du</strong> Saint-Maurice prit<br />

de l'expansion, vers 1850. Calqué sur "St. Maurice Valley", le nouveau


toponyme correspondait mal au sens français de va11ée 1 et choquait<br />

l'oreille des puristes 2 •<br />

A son retour d'Europe, Tessier s'employa donc <strong>à</strong> trouver une a1terna-<br />

tive correcte au régionyme décrié. Dans un texte de 1927 (2.2), il<br />

utilisa "Bouches-<strong>du</strong>-Saint-Maurice" pour désigner la région. L'expression<br />

rappelle "Bouches-<strong>du</strong>-Rhône", le département français qu'il avait visité <strong>à</strong><br />

l'occasion de son voyage <strong>à</strong> Maillane et dont la physionomie modelée par le<br />

delta <strong>du</strong> puissant fleuve lui avait rappelé sa petite patrie. Dans un<br />

article daté de 1932 (2.7), nous pouvons encore lire sous la plume de<br />

Tessier l'expression "aux bouches <strong>du</strong> Métabéroutin"; l'expression ne fit<br />

pas long feu car on ne la revoit plus par la suite dans les discours et<br />

les écrits de Tessier.<br />

C'est sur le terme "Mauricie" que devait finalement s'arrêter le<br />

choix de l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme. Une occasion de répandre le néolo-<br />

gisme se présenta au printemps 1933. Lucien Desbiens, journaliste de La<br />

Tuque et collaborateur au Devoir, lui soumet le manuscrit d'une monogra-<br />

phie destinée <strong>à</strong> para'tre dans la série Les Pages trifluviennes. Albert<br />

1. Raymond Douville met en relief le caractère impropre de l'expression<br />

(2.4).<br />

2. Par exemple Albert Tessier juge que le syntagme "Vallée <strong>du</strong> Saint­<br />

Maurice" est "inélégant et inexact" (4.7). Il Y a tout lieu de<br />

croire que, comme Douville, il s'appuyait sur la définition <strong>du</strong><br />

Littré: "Vallée, espace entre deux ou plusieurs montagnes".<br />

123


***<br />

2. La controverse<br />

La résistance se manifesta <strong>à</strong> l'occasion d'une séance publique de<br />

l'Académie Saint-Thomas-d'AQuin tenue au Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières le 3<br />

décembre. En sa Qualité de président d'honneur, Tessier demanda <strong>à</strong> six de<br />

ses étudiants de présenter des travaux se rapportant <strong>à</strong> divers aspects -de<br />

la Mauricie ou de lire des extraits d'ouvrages régionalistes. Il y<br />

voyait "l'occasion de consacrer l'appellation nouvelle" (4.7)7. Mgr<br />

Comtois, Qui présidait l'assemblée, fut appelé <strong>à</strong> prononcer l'allocution<br />

de clôture. Visiblement contrarié, il signifia sans ménagement son rejet<br />

<strong>du</strong> terme nouveau. Quarante ans plus tard, Albert Tessier décrit l'inci-<br />

dent en ces termes:<br />

Monseigneur monta sur la scène pour le mot de la fin.<br />

Debout, les deux poings sur les hanches, il martela des<br />

mots Qui ne m'annonçaient aucune félicitation: 'Jus­<br />

Qu'ici je croyais vivre dans la région <strong>du</strong> Saint-Maurice.<br />

Les historiens m'apprennent Que je vis dans la Mauricie.<br />

Non, pas la mort ici'(4.31).<br />

Poursuivant son algarade, l'évêque auxiliaire allégua Que l'appel1a-<br />

tian proposée enlevait <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières sa primauté sur tout l'arr1ère-<br />

7. L'étudiant Qui prononçait le discours d'ouverture attribua la<br />

paternité de "La Mauricie" au préfet des études, ajoutant Que<br />

l'Académie Saint-Thomas-d'AQuin s'était fait un devoir de l'inscrire<br />

en tête <strong>du</strong> programme "tenant <strong>à</strong> signifier, par l<strong>à</strong>, Qu'elle applaudit<br />

<strong>à</strong> ce mot riche et gracieux, ce mot poétique et charmant" (4.7).<br />

125


pays qui tire d'elle "son perfectionnement et sa vie". Il exposa ensuite<br />

les motifs qui, d'après lui, devraient faire préférer le régionyme<br />

"Trifluvianie". Il s'en prit finalement <strong>à</strong> ceux qui veulent faire remon-<br />

ter l'activité trif1uvienne au début <strong>du</strong> siècle actuel, rappelant le<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières de sa jeunesse alors que les églises s'emplissaient tous<br />

les dimanches. "Aujourd'hui ce sont les théâtres (cinémas) qui débor-<br />

dent! Cette vie-l<strong>à</strong>, je n'en suis pas!" de conclure le prélat 8 •<br />

Deux membres <strong>du</strong> clergé portèrent appui <strong>à</strong> leur évêque auxiliaire.<br />

l'abbé l. Freddy Bellemare, curé de Batiscan, expédia une lettre ouverte<br />

au Nouvelliste et au Bien Pub1ic 9 dans laquelle il protestait contre le<br />

vocable nouveau. Sous le pseudonyme "Abbé D.P.", l'abbé Donat Picotte,<br />

aumônier de l'Académie De-la-Salle, ironise dans sa lettre contre "le<br />

petit groupe d'instruits, profonds penseurs, savants distingués" et<br />

souhaite "plus d'attachements [sic] aux traditions <strong>du</strong> passé"1o. la<br />

riposte ne tarda pas. Elle vint d'Armour landry, dont la lettre fut<br />

publiée <strong>à</strong> côté de celle de l'abbé Picotte 11 • Maniant <strong>à</strong> son tour<br />

8. Ces paroles sont rapportées par Tessier (4.7); elles sont dignes de<br />

foi car le contexte l'obligeait <strong>à</strong> en donner la version la plus<br />

exacte, Mgr Comtois se trouvait être son supérieur ecclésiastique.<br />

9. "Autre protestation contre la Mauricie", le Nouvel 1 iste, 3 janvier<br />

1934, p. 3 et "Sur le mot Mauricie", le Bien Public, 4 janvier 1934,<br />

p. 7. Dans le second article, le texte de la lettre est suivi <strong>du</strong><br />

commentaire de Raymond Douville où ce dernier se demande ce qu'il y<br />

a de répréhensible <strong>à</strong> faire comme en Gaspésie. le rédacteur anonyme<br />

<strong>du</strong> Nouvelliste fait état <strong>du</strong> différend sans prendre position et<br />

expose l'argument de Mgr Comtois en faveur de "Trif1uvianie".<br />

10. "Autre opinion: la Vallée <strong>du</strong> St-Maurice ou la Mauricie?", le<br />

Nouvelliste, 5 janvier 1934, p. 3.<br />

11. "la Mauricie ou ... ?", le Nouvell iste, 5 janvier 1934, p. 3.<br />

126


l'ironie, Landry suggère, puisque les détracteurs de "la Mauricie"<br />

veulent revenir <strong>à</strong> l'expression la plus "historique", d'utiliser le mot<br />

indien désignant le St-Maurice, ce qui donnerait "la vallée madobalodé-<br />

niak" ... Sur un ton plus sérieux, Le Bien Public repro<strong>du</strong>it un article de<br />

l'Echo <strong>du</strong> St-Maurice où le président de la Société de Linguistique <strong>du</strong><br />

Canada, M. Casimir Hébert, appuie sans réserve le régionyme "Mauricie"12.<br />

Le débat prend de l'ampleur avec une opposition venant de la mino-<br />

rité anglophone. Le rédacteur <strong>du</strong> St. Maurice Valley Chronicle exprime<br />

ses craintes <strong>à</strong> l'effet que les touristes venant de l'extérieur <strong>du</strong> <strong>Québec</strong><br />

auraient de la difficulté <strong>à</strong> comprendre "la Mauricie"13. Douville répli-<br />

que aussitôt que "la Mauricie n'est pas d'une prononciation plus dif-<br />

ficile en anglais que Grand'Mère et La Tuque" (4.14). Le rédacteur<br />

anglophone revient <strong>à</strong> la charge en notant avec satisfaction que le mini-<br />

stère de la Voirie a publié un dépliant intitulé "la Vallée <strong>du</strong> Saint-<br />

Maurice (4.16). D'autre part, La Gazette <strong>du</strong> Nord de La Tuque et l'Echo<br />

<strong>du</strong> Saint-Maurice de Shawinigan (4.17) appuient ouvertement le néologisme.<br />

Un concours sur "la Mauricie" est organisé dans la page féminime <strong>du</strong><br />

Nouvelliste (4.20), tandis qu'un article publié dans un programme-<br />

12. Le Bien Public, 25 janvier 1934, p. 7. Après avoir fait remarquer<br />

que "Laurentie", le néologisme qu'il avait créé en 1916, s'était<br />

imposé avec le temps, Hébert démontre la cohérence <strong>du</strong> terme "la<br />

Mauricie" avec d'autres créations lexicales récentes conrne<br />

"Gaspésie" et "Laurentie". Toutefois il attribue erronément<br />

l'origine de "la Mauricie" <strong>à</strong> Lucien Desbiens.<br />

13. Il parle d'un "cacophonous word" mis de l'avant par un groupe<br />

composé principalement "of amateur 'litérateurs' [siC]", puis il<br />

insiste habilement sur les objections de Mgr Comtois et fait<br />

remarquer que le ministre de la Voirie, un francophone, a admis que<br />

"La Mauricie" se tra<strong>du</strong>it mal en anglais.<br />

127


souvenir publié par l'Académie De-la-Salle met sur un pied d'égalité<br />

"Laurentie-Trif1uvianie-Mauricie", sans doute sous l'influence de l'abbé<br />

Picotte (4.18). Même la page sportive <strong>du</strong> Petit Journal fait écho au<br />

débat en favorisant l'expression de Tessier contre le "Trif1uvianie" de<br />

Mgr Comtois (4.19).<br />

Placé au coeur de la controverse un peu malgré lui, Lucien Desbiens<br />

défend le terme nouveau lors d'une causerie prononcée <strong>à</strong> CKAC le 7 aoOt<br />

1934 14 • De leur côté, les partisans de "la Mauricie" ne sont pas fâchés<br />

de la publicité entourant la po1émique 15 • Pour quelque temps, Tessier<br />

juge plus prudent de ne plus employer le terme litigieux (4.31), même si<br />

Le Bien Public l'utilise systématiquement, en compagnie de son dérivé<br />

lexical "mauricien". l'usage des deux néologismes se répand rapidement<br />

sans qu'aucune opposition régionale ne se manifeste. On peut lire dans<br />

L'Action catholique <strong>du</strong> 25 avril 1935 que l'Académie canadienne-française,<br />

14. Desbiens énumère les appuis d'Omer Héroux (le Devoir), Edouard<br />

Belleau (La Voix de La Tuque), E1zéar Dal1aire (L'Echo <strong>du</strong> Saint­<br />

Maurice, voir 4.23) et de l'écrivain Sarah larkin. Il rappelle que<br />

le Conseil de ville de La Tuque avait adopté une résolution en<br />

faveur de "La Mauricie"; il souligne également le fait qu'un Café de<br />

la Mauricie avait vu le jour <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières et que certains<br />

restaurants trifluviens avaient inscrit une "salade de la Mauricie"<br />

<strong>à</strong> leur menu. Le Bien Public présente la conclusion de la causerie<br />

(4.21) tandis que La Chronique de la Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice, qui<br />

jusque-l<strong>à</strong> n'était pas intervenue, rapporte la totalité <strong>du</strong> texte de<br />

Desbiens (4.22).<br />

15. Douville s'en réjouit dans le Bien Public (4.14). Dans une lettre <strong>à</strong><br />

Tessier, Desbiens écrit que "les adversaires <strong>du</strong> mot Mauricie nous<br />

font, sans s'en douter, peut-être, une excellente publicité. Le<br />

mot, grâce <strong>à</strong> ces critiques, se répand avec une rapidité<br />

vertigineuse" (4.15).<br />

128


par son Comité de linguistique, recommande l'adoption <strong>du</strong> terme "la<br />

Mauricie"18.<br />

En 1937, la polémique refait surface <strong>à</strong> cause de quelques boutades<br />

d'Henri Bourassa. S'adressant <strong>à</strong> un auditoire sherbrookois, le célèbre<br />

tribun ridiculise certains jeunes gens dêsoeuvrés qui "inventent la<br />

laurentie, la Mauricie, toutes sortes de 'scies'" (4.24). Il revient <strong>à</strong><br />

la charge peu de temps après <strong>à</strong> l'occasion d'un autre discours. Prônant<br />

un nationalisme pan-canadien, il se gausse de "cette Mauricie, cette<br />

laurentie et bientôt peut-être la Kamouraskarie" (4.28). Bourassa<br />

confondait une démarche d'identité régionale avec des aspirations autono-<br />

mistes. On pouvait s'attendre <strong>à</strong> ce que Tessier réaglt vivement. Effec-<br />

,<br />

tivement, le défenseur <strong>du</strong> régionalisme mauricien, sous le pseudonyme<br />

transparent de "Le Tisserand", dénonce dans le Bien Public ce qu'il<br />

appelle les "visions séniles" d'un homme qui associe injustement des<br />

"idées de haine au nom de la Mauricie" (4.25) . . La réplique vient aus-<br />

sitôt d'un journaliste <strong>du</strong> Canada qui appuie Bourassa dans sa lutte "aux<br />

nationalismes exagérés des petites patries" et attaque Le Bien Public,<br />

l'associant <strong>à</strong> l'Union nationale de Duplessis17 . Dans la région, seule La<br />

Chronique de la Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice se fait l'écho de la dispute en<br />

qualifiant Henri Bourassa de "vieux drôle" (4.27).<br />

16. Le Comité de linguistique émit l'opinion que "Mauricie" était "de<br />

bonne formation et de belle sonorité", constatant que le régionyme<br />

était déj<strong>à</strong> "fort répan<strong>du</strong>" (4.29).<br />

17. Le style enflammé de l'article rappelle la prose virulente des<br />

Olivar Asselin, Jean-Charles Harvey et Claude-Henri Grignon. Henri<br />

Girard en est l'auteur probable, <strong>à</strong> moins que ce ne soit Edmond Turcotte.<br />

129


***<br />

3. Une nouvelle conscience régionale<br />

Cet incident fut sans lendemain et le régionyme "Mauricie" entra<br />

définivitement dans les habitudes langagières. En réalité, il nommait<br />

adéquatement un espace régional que l'imaginaire collectif était en train<br />

de baliser symbo1iquement 18 • Le fait que la création et la diffusion<br />

d'un régionyme nouveau aient cOlncidé avec l'essor <strong>du</strong> mouvement régiona-<br />

liste ne relève pas d'un simple hasard. Après avoir bâti le pays, il<br />

faut le nommer; et cet acte de nomination doit, pour recevoir l'assenti-<br />

ment collectif, être issu d'un mouvement en accord avec l'imaginaire de<br />

la population impliquée. "District de <strong>Trois</strong>-Rivières" et "Vallée <strong>du</strong><br />

Saint-Maurice" ont constitué en leur temps une représentation lexicale<br />

adéquate de l'espace régional, le premier illustrant le développement<br />

agricole centré sur les rives <strong>du</strong> Saint-Laurent, le second tra<strong>du</strong>isant la<br />

rotation de l'axe de développement <strong>à</strong> partir de l'orientation <strong>du</strong> fleuve<br />

vers celle <strong>du</strong> Saint-Maurice.<br />

Née de l'in<strong>du</strong>strialisation massive amorcée <strong>du</strong>rant la dernière<br />

décennie <strong>du</strong> XIX· siècle et de son corollaire inévitable, l'urbanisation<br />

18. Quant <strong>à</strong> Mgr Comtois, il renonça <strong>à</strong> la "Trif1uvianie" mais, selon<br />

Tessier, "il voua une hostilité permanente <strong>à</strong> son adversaire<br />

victorieux" (4.30). Il s'agissait sans doute de ce que Daudet<br />

nommait une "rancune ecclésiastique", c'est-<strong>à</strong>-dire de celles qui<br />

<strong>du</strong>rent toute une vie ...<br />

130


accélérée, la métamorphose des paysages humanisés et des activités<br />

économiques avait mobilisé les intellectuels dans la recherche d'une<br />

identité collective renouvelée. Cet objectif fut atteint par la média­<br />

tion de créations symboliques provenant d'un imaginaire collectif que<br />

dynamisait le contexte des bouleversements rapides de la société. La<br />

création et la diffusion d'un néonyme désignant l'espace régional se<br />

présentaient, au même titre que l'expansion <strong>du</strong> régionalisme mauricien,<br />

comme des modalités de cette activité symbolique.Cette hypothèse peut<br />

s'étayer en scrutant<br />

opposés <strong>à</strong> la nouvelle<br />

131<br />

les intentions de ceux qui s'étaient obstinément<br />

appellation, dans une attitude révélatrice des<br />

enjeux symboliques mis en cause. Comment ne pas déceler dans l'argumen­<br />

tation avancée par les opposants francophones un système de rationalisa­<br />

tions sécurisant par sa logique apparente? Le comportement de Mgr<br />

Comtois est significatif <strong>à</strong> cet égard. A première vue, sa prise de<br />

position étonne par son caractère obstiné qui semble déplacé. Mais <strong>à</strong> y<br />

regarder de plus près, elle peut s'expliquer en tenant compte de divers<br />

facteurs que les contemporains pouvaient difficilement déceler.<br />

Les propos de l'auxiliaire tra<strong>du</strong>isent la nostalgie d'une structure<br />

sociale révolue de même qu'un malaise profond en face <strong>du</strong> caractère<br />

définitif que prenaient les paramètres sociétaux mis en place depuis le<br />

début <strong>du</strong> siècle. La vision <strong>du</strong> monde de Mgr Laflèche où la société civile<br />

s'ordonnait selon les préceptes émis par les chefs religieux ne tenait<br />

plus. Les solutions que réclamaient les problèmes sociaux soulevés par<br />

l'urbanisation et le chômage ne pouvaient plus s'appuyer sur l'ordre<br />

ancien. Le visage de <strong>Trois</strong>-Rivières avait fait peau neuve depuis 1908,


l'année de la conflagration et de l'apparition de la grande in<strong>du</strong>strie;<br />

les anciens s'y retrouvaient difficilement. De plus, pour le Trif1uvien<br />

de naissance qu'était Alfred-Odilon Comtois, la suprématie de la cité de<br />

Lavio1ette lui semblait menacée. A-t-il craint la division de son<br />

diocèse consécutive <strong>à</strong> la création éventuelle d'un évêché <strong>à</strong> Shawinigan?<br />

Hypothèse plausible quoique difficilement vérifiable. Néanmoins, il ne<br />

pouvait pas ne pas avoir présent <strong>à</strong> l'esprit la douloureuse division <strong>du</strong><br />

diocèse trifluvien qui avait tant affecté Mgr Laf1èche en 1885 19 •<br />

Chez les anglophones, les arguments avancés contre "la Mauricie"<br />

sont d'une nature plus matérialiste. Les leaders régionaux étaient<br />

sensibles aux bénéfices de l'in<strong>du</strong>strie touristique en plein essor dans<br />

une économie secouée par la Crise. Or, on craignait que le nouveau<br />

régionyme ne crée de la confusion chez les touristes, qui étaient de<br />

langue anglaise pour la majorité. L'opinion <strong>du</strong> public en général n'ap-<br />

para1t nulle part dans les journaux, l'habitude des sondages n'étant pas<br />

encore installée. Néanmoins on peut dé<strong>du</strong>ire de la rapidité avec laquelle<br />

le terme créé par Tessier s'est imposé qu'aucune opposition ne s'était<br />

constituée. Ainsi une innovation toponymique consacrait, dans le<br />

19. On ne saurait nier une circonstance qui a nourri la prévention de<br />

Mgr Comtois contre l'initiative de Tessier. Les contemporains ont<br />

noté l'opposition des caractères chez les deux protagonistes <strong>du</strong><br />

débat linguistique. Dans la notice biographique, l'abbé Hermann<br />

Plante a mis en relief la personnalité austère de Mgr Comtois:<br />

"Professeur froid [ ... l il manquait de dynamisme, d'imagination et<br />

de chaleur [ ... l Peut-être n'était-il guère attirant, moins encore<br />

fut-il jamais chaleureux". En fait, tout le contraire d'Albert<br />

Tessier, dont le charisme lui permettait de convaincre et de<br />

susciter l'adhésion envers ses projets sans avoir <strong>à</strong> imposer son<br />

autorité. Comment l'évêque auxiliaire pouvait-il ne pas être agacé<br />

par ce préfet remuant et sympathique? (Op. cit., p. 7).<br />

132


egistre de la parole et de l'écrit, la réalité des changements sociétaux<br />

qui avaient contribué <strong>à</strong> la constitution d'une conscience régionale. Pour<br />

certains, optimistes devant la capacité de cette mutation sociale <strong>à</strong><br />

réaliser un bonheur collectif, "la Mauricie" se chargeait d'une connota­<br />

tion amé1iorative et devenait "agréable". Mais pour d'autres, qui<br />

voyaient s'évanouir les modalités d'une permanence illusoire, le régio­<br />

nyme novateur rappelait un contexte menaçant, voire mortifère si on<br />

considère la fameuse boutade de Mgr Comtois: "Mauricie/mort ici". Pour<br />

l'évêque auxiliaire et ceux qui partageaient<br />

Mauricie devenait un équivalent symbolique de<br />

133<br />

sa vision des choses, la<br />

la mort ici. Ce débat<br />

intellectuel sur la nomination régionale n'a guère franchi la frontière<br />

des Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire qui ont mobilisé une fraction significative de<br />

la population trifluvienne.


CHAPITRE VIII<br />

LES FETES DU TRICENTENAIRE<br />

1. L'organisation des Fêtes<br />

Les Fêtes qui ont commémoré le 300· anniversaire de la fondation de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières par le Sieur de Laviolette le 4 juillet 1634 constituèrent<br />

sans aucun doute l'illustration la plus manifeste <strong>du</strong> mouvement enclenché<br />

par le régionalisme mauricien. Albert Tessier l'affirme sans ambages:<br />

"L'idée de préparer le troisième centenaire des <strong>Trois</strong>-Rivières a été <strong>à</strong> la<br />

base <strong>du</strong> mouvement régionaliste" (2.12). Nul événement de l'époque<br />

considérée n'est mieux en mesure d'illustrer l'impact de l'école régiona­<br />

liste que ces fêtes fastueuses qui ont rassemblé jeunes et vieux, les<br />

anglophones avec les francophones, l'élite intellectuelle avec la popula­<br />

tion en général dans un mouvement concerté d'enthousiasme véritable.<br />

Les nombreuses péripéties qui marquèrent la planification et l'or­<br />

ganisation des Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire s'étendent sur une période de huit<br />

années. Alors secrétaire de la toute nouvelle Société d'histoire régio­<br />

nale, Tessier écrit en 1926:


Dans huit ans notre cité aura ses trois siècles [ ... l.<br />

En 1934 [ ..• l quel beau monument ce serait, pour exalter<br />

le souvenir de ceux qui ont fait notre petite patrie - et<br />

une bonne partie de la grande - qu'un beau et bon livre<br />

où seraient relatés leurs gestes hérolques et leurs<br />

menues activités quotidiennes (2.12)!<br />

Jusqu'en 1932, diverses publications naissent de la plume des<br />

membres de la Société d'histoire régionale, réalisant partiellement le<br />

voeu de Tessier. Durant ce temps le projet des fêtes déborde largement<br />

le domaine de l'écriture historique2o • En mars 1932, la Chambre de<br />

Commerce et la Société d'histoire régionale se concertent pour rencontrer<br />

les autorités municipales; de son côté, la puissante Commission <strong>du</strong> Hâvre,<br />

formée de notables influents, appuie la démarche sans hésitation. Alors<br />

le Conseil de ville crée le 18 avril un Comité d'initiative présidé par<br />

Louis-O. Durand 21 • Celui-ci met sur pied un secrétariat avec la subven-<br />

tion accordée par la municipalité. Armour Landry suggère la tenue d'une<br />

exposition historique. En novembre, le Comité d'initiative rencontre<br />

Ernest Cormier pour un projet d'exposition-musée; un plan d'aménagement<br />

<strong>du</strong> terrain de l'exposition est soumis au Conseil municipal en mars 1933<br />

par Tessier, Durand et Denoncourt. Les autorités prévoient 100 000 $<br />

pour les travaux. A partir de ce moment, des difficultés se présentent,<br />

puis une aide est · demandée auprès <strong>du</strong> gouvernement fédéral.<br />

20. Sauf indication contraire, la trame des événements est fondée sur<br />

les renseignements puisés dans l'ouvrage de Rémi Tourangeau: <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières en liesse.<br />

21. En plus <strong>du</strong> maire G.-H. Robichon et L.-D. Durand, le comité est<br />

composé d'Albert Tessier, Ernest L. Denoncourt, Philippe Bigué,<br />

Frank Ritchie, Edouard Langlois et Omer Laroche.<br />

135


Finalement, en novembre 1933, Ottawa consent une somme globale pour<br />

les Fêtes de <strong>Trois</strong>-Rivières, Gaspé et Toronto et le Comité abandonne le<br />

projet d'une exposition historique. Il propose plutôt la reconstitution<br />

<strong>du</strong> fort de <strong>Trois</strong>-Rivières et l'érection de monuments en l'honneur de<br />

Lavio1ette et de Lavérendrye. Le gouvernement Taschereau confirme en<br />

janvier suivant l'octroi d'une somme de 100 000 $ conditionnel <strong>à</strong> l'accord<br />

d'une somme équivalente par le Fédéral. Le temps presse de plus en plus,<br />

et Durand présente un nouveau projet le mois suivant; on ne s'entend<br />

toujours pas sur le plan définitif des célébrations.<br />

Ce n'est que le 21 avril 1934 que le programme des fêtes est arrêté<br />

pour de bon. Quelques semaines plus tard, M. Léon Trépanier est chargé<br />

de l'organisation générale des spectac1es 22 • Le Tricentenaire aura un<br />

caractère <strong>à</strong> la fois historique et distrayant, où les célébrations re1i-<br />

gieuses alterneront avec des festivités populaires susceptibles d'attirer<br />

le grand public. Le détail <strong>du</strong> calendrier des activités est ren<strong>du</strong> public<br />

le 30 ma i .<br />

Le Comité d'organisation démarre en catastrophe et fait des prodiges<br />

pour que tout soit prêt <strong>à</strong> temps. A l'exception peut-être de Léon Trépa-<br />

nier, l'ordonnateur des fêtes, personne n'était rémunéré 23 • Un enthou-<br />

siasme sans faille mobilise les responsables qui ne ménagent aucun effort<br />

pour assurer une réussite totale. Effectivement le programme sera<br />

22. La présidence des Fêtes est confiée <strong>à</strong> L.-D. Durand; ce dernier est<br />

également responsable <strong>du</strong> comité des monuments et <strong>du</strong> comité radiociné-actualités.<br />

23. Témoignage <strong>du</strong> Docteur Conrad Godin, dans Tourangeau, op, cit., p. 99.<br />

136


éalisé tel que prévu avec la complicité d'une température exceptionnel­<br />

lement favorable.<br />

***<br />

2. Le déroulement des festivités<br />

Comme on pouvait s'y attendre, les fêtes religieuses occupèrent une<br />

place importante et revêtirent une grande solennité. L'ouverture des<br />

célébrations se déroule le 30 juin avec l'arrivée <strong>du</strong> cardinal Rodrigue<br />

Villeneuve, chef de l'archidiocèse de <strong>Québec</strong> dont relève <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

Les jours suivants, des messes pontificales célébrées <strong>à</strong> la cathédrale, au<br />

petit sanctuaire de Cap-de-1a-Madeleine et au Séminaire Saint-Joseph<br />

déploient les fastes d'une liturgie correspondant au sentiment religieux<br />

de l'époque. Le 26 juillet, une célébration se déroule <strong>à</strong> la cathédrale<br />

afin de commémorer la première messe dite <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1615.<br />

Les fêtes <strong>à</strong> caractère profane exhibent quant <strong>à</strong> elles une magnifi­<br />

cence qui témoigne de l'importance qu'on attache <strong>à</strong> la mémoire historique<br />

et collective. Une partie importante de la jeunesse trifluvienne et de<br />

nombreux a<strong>du</strong>ltes sont impliqués dans leur déroulement. La reconstitution<br />

de l'arrivée <strong>du</strong> Sieur de Laviolette au Platon, avec défilé et danses<br />

indiennes, souligne l'inauguration officielle des Fêtes le 14 juillet<br />

1934. Les spectateurs se déplacent ensuite au terrain de l'exposition où<br />

137


Sainte-Philomène 27 est présenté sous forme d'une suite de vingt-deux<br />

tableaux indépendants qui proposent une synthèse de l'histoire triflu-<br />

vienne 28 • L'action dramatique est soutenue par une imposante chorale de<br />

700 voix sous la direction de l'abbé Joseph-Gers Turcotte (1887-1975),<br />

alors que J.-Antonio Thompson (1896-1974) dirige la Philharmonie De-La-<br />

Salle. Les organisateurs avait prévu trois représentations. Devant<br />

l'enthousiasme des spectateurs et un concours unanime d'éloges, sept<br />

représentations supplémentaires sont tenues. La dernière se déroule en<br />

présence <strong>du</strong> lieutenant-gouverneur Esioff Patenaude et <strong>du</strong> premier ministre<br />

Alexandre Taschereau. Au total 80 000 spectateurs se sont rassemblés<br />

dans la cour <strong>du</strong> Séminaire pour communier <strong>à</strong> la théâtralisation de l'his-<br />

toire mauricienne. Tourangeau écrit:<br />

Cette idéologie de la situation rêvée constitue le<br />

langage métaphorique d'une ville transformée. Elle<br />

correspond au discours des responsables des Fêtes de 1934<br />

qui, par le jeu des pageants, cherchaient <strong>à</strong> susciter dans<br />

l'existence présente un modèle ancien et <strong>à</strong> rendre momentanément<br />

actuel un idéal moral. C'était l<strong>à</strong> une entreprise<br />

systématique de restauration de l'histoire que<br />

seules pouvaient réaliser des élites unies par une même<br />

pensée spirituelle 29 •<br />

Diverses manifestations ponctuaient d'un rythme presque quotidien le<br />

déroulement des festivités: ralliement et défilé de jeunes (22 juillet),<br />

27. Née Cécile Parent (1894-1975). Sa longue carrière d'enseignante<br />

s'est déroulée dans diverses institutions trifluviennes dirigées par<br />

les Ursulines.<br />

28. L'auteure a principalement utilisé et adapté des récits comme Les<br />

Fastes trifluviens d'Albert Tessier et Ecrin de Jeanne L'Archevêque­<br />

Duguay.<br />

29. Rémi Tourangeau, op. cit., p. 65-66.<br />

139


dévoilement de monuments 30 , bals historiques (en costumes) le 31 juillet<br />

et le 24 aoOt, sorties des Troubadours dans les rues de la ville, fête de<br />

la jeunesse (12 aoOt), défilé de nuit avec "chars allégoriques" (14 aoOt)<br />

etc. La diversité des manifestations <strong>à</strong> caractère historique, les<br />

activités des Troubadours, les costumes des vendeuses dans les magasins,<br />

les banderolles, écussons et drapeaux déployés un peu partout créent un<br />

décor propice <strong>à</strong> l'évasion dans le passé 31 • Par ailleurs, la tenue des<br />

Fêtes fut aussi l'occasion d'attirer <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières plusieurs congrès<br />

professionnels ou ralliements, tels les voyageurs de commerce, les in-<br />

stituteurs, les zouaves, gardes paroissiales et fanfares, les syndicats<br />

catholiques, l'Union des municipalités, la Société des auteurs canadiens,<br />

la Corporation des pharmaciens, celle des médecins (congrès interna-<br />

tional), sans oublier le Jamboree scout (<strong>du</strong> 3 au 7 aoOt) et la visite<br />

d'une délégation des Scouts de France (29 aoOt).<br />

*<br />

Des manifestations culturelles se déroulent aussi parallèlement aux<br />

activités populaires. Le musée Pierre-Boucher <strong>du</strong> Séminaire est inauguré<br />

30. Outre le Flambeau et la Porte <strong>du</strong> Souvenir, les monuments de<br />

Lavérendrye (Terrasse Turcotte) et de Benjamin Sulte, Antoine Gérin­<br />

Lajoie, Edmond de Nevers, Ludger Duvernay et Nérée Beauchemin (parc<br />

Champlain) sont dévoilés.<br />

31. Comme l'affirme Jean Quéniart: "le pavoisement des rues constitue<br />

un décor transformant le visage de la cité et entend montrer que la<br />

fête, rupture avec le quotidien, se déroule dans un espace irréel<br />

apte <strong>à</strong> faire oublier un moment les nécessités de la vie ordinaire".<br />

Culture et société urbaines dans la France de l'Ouest au XVIIIsiècle,<br />

p. 342.<br />

140


officiellement le 17 juillet avec le dévoilement <strong>du</strong> buste <strong>du</strong> célèbre<br />

gouverneur trifluvien. Dans la foulée d'une riche et ancienne tradition<br />

musicale bien implantée <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières 32 , les Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire<br />

fournissent le prétexte <strong>à</strong> de nombreux événements musicaux. L'action<br />

enthousiaste de l'abbé Turcotte donne lieu <strong>à</strong> un véritable renouveau <strong>du</strong><br />

chant choral. Le dévoué maltre de musique dirige une chorale mixte<br />

(audace pour l'époque) composée de 700 voix. L'exécution de messes<br />

polyphoniques remporte de vifs succès mais ce sera sa participation aux<br />

"pageants" qui fera connaltre la chorale au grand pub1ic 33 • Elle alterne<br />

avec la Philharmonie De-La-Sa11e dirigée par J.-Antonio Thompson. L'or-<br />

ganiste Bernard Piché 34 donna une série mémorable de récitals d'orgue <strong>à</strong><br />

la cathédrale. Chaque jour, le matin, <strong>du</strong>rant six semaines, il donna un<br />

récital dont la moitié était consacrée <strong>à</strong> l'oeuvre de J.-S. Bach. Durant<br />

32. Voir René Verrette, Le rôle des associations littéraires et musicales<br />

dans l'animation de la sociabilité spontanée: <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

1840-1900. Travail présenté dans le cadre d'un séminaire sur la sociabilité,<br />

<strong>UQTR</strong>, <strong>Trois</strong>-Rivières, disponible chez l'auteur, 1986,<br />

73 p. Aussi, J.-Antonio Thompson, Cinquante ans de vie musicale <strong>à</strong><br />

<strong>Trois</strong>-Rivières (1900-1950), <strong>Trois</strong>-Rivières, Le Mauricien médical et<br />

Le Bien Public, 1970.<br />

33. Selon Georges Beaumier, "La chorale devait synchroniser les divers<br />

tableaux de notre histoire trifluvienne [ ... l. Elle intervenait<br />

entre certains tableaux, aux intermèdes, pour éviter les vides ou<br />

les temps morts. Imaginez quand cette masse de chanteurs entrait<br />

dans le jeu!", (Rémi Tourangeau, op. cit., p. 87).<br />

34. Bernard Piché travailla avec Tournemire <strong>à</strong> Paris, puis fut titulaire<br />

des grandes orgues de la cathédrale de 1931 <strong>à</strong> 1945. Après un séjour<br />

<strong>à</strong> Lewiston, au Maine, il fut professeur au Conservatoire trif1uvien<br />

de 1965 <strong>à</strong> 1973. Bernard Piché est l'auteur de plusieurs Messes et<br />

Fugues pour orgue (Voir Helmut Ka11mann, Gilles Potvin et Kenneth<br />

Winters, Encyclopédie de la musique au Canada, édition 1983.).<br />

141


les fêtes de 1934, les Trifluviens auront le privilège d'entendre les<br />

trois-quarts de l'oeuvre pour orgue <strong>du</strong> Cantor de Leipzig.<br />

*<br />

Même si c'est la vie intellectuelle qui domine la célébration des<br />

Fêtes, les activités sportives ne sont pas négligées pour autant. La<br />

fondation <strong>du</strong> Club Radisson au début de l'année 1934 tra<strong>du</strong>it dans les<br />

faits l'esprit insufflé par le régionalisme de Tessier3s . Une course de<br />

canots se déroule entre La Tuque et <strong>Trois</strong>-Rivières les 18 et 19 août.<br />

Elle se renouvellera chaque année et constituera l'activité majeure <strong>du</strong><br />

Club Radisson jusqu'<strong>à</strong> aujourd'hui. D'autre part, le tournoi de golf <strong>du</strong><br />

Tricentenaire se déroule <strong>à</strong> la fin juillet au Club Ki-8-Eb et est suivi<br />

d'une course de cyclistes professionnels et amateurs au début août, puis<br />

d'un marathon nautique de cinq milles pour hommes et femmes. Le 27 août,<br />

le tournoi de tennis <strong>du</strong> Tricentenaire obtint un vif succès.<br />

L'importance accordée au tennis et au golf <strong>du</strong>rant les célébrations<br />

de 1934 illustre l'influence de la culture anglo-américaine, tandis que<br />

les activités <strong>du</strong> Club Radisson, plus étroitement reliées au déroulement<br />

35. Roland Bourdon (1909-1986), le fondateur <strong>du</strong> Club Radisson, relate<br />

l'implication des canotiers dans les Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire dans<br />

Rémi Tourangeau, op. cit., p. 93-95. Il explique que le Club "avait<br />

pour objectif principal de répondre <strong>à</strong> des besoins d'exploration de<br />

régions difficiles d'accès; il ne négligeait pas pour autant le côté<br />

sportif qui l'a con<strong>du</strong>it <strong>à</strong> des randonnées en pleine nature".<br />

142


des fêtes36 , renvoient aux valeurs de courage, d'en<strong>du</strong>rance et <strong>à</strong> l'esprit<br />

d'aventure des premiers explorateurs valorisés dans le discours régiona-<br />

liste de Tessier 37 •<br />

*<br />

L'ombre d'Albert Tessier se profile sur la longue période de prépa-<br />

ration et sur toute la <strong>du</strong>rée des festivités. Avec acharnement, l'apôtre<br />

de la Mauricie s'implique dans les comités et multiplie les conférences<br />

sur l'histoire de la ville, les projets pour le Tricentenaire ou le<br />

régionalisme. Mécontent de la tiédeur de Duplessis vis-<strong>à</strong>-vis les démar-<br />

ches de Durand, il rédige une lettre au député de <strong>Trois</strong>-Rivières (devenu<br />

chef <strong>du</strong> parti conservateur) où, dans un style véhément, il déplore avec<br />

amertume le fait que <strong>Trois</strong>-Rivières serait privé de l'aide requise <strong>à</strong><br />

cause de l'opposition Duplessis-Durand. En conclusion, Tessier supplie<br />

l'homme politique d'être "humain"38. D'autre part, il faut souligner le<br />

36. Ce sont les membres <strong>du</strong> Club Radisson qui<br />

reconstitution de la flottille qui aborde<br />

l'inauguration des fêtes, le 14 juillet.<br />

figurent<br />

la rive<br />

143<br />

dans la<br />

lors de<br />

37. Dans son témoignage, Roland Bourdon explique que "devenu un point de<br />

ralliement des jeunes, le Club a été pour eux une école de discipline<br />

et de formation. Combien de Trifluviens doivent <strong>à</strong> ce club<br />

la réussite même de leur carrière et de leur promotion [ ... l.<br />

Celui-ci leur inculquait une certaine confiance en eux", (Rémi<br />

Tourangeau, op. cit., p. 95). Tessier ne pouvait qu'applaudir<br />

devant de tels résultats.<br />

38. Lettre confidentielle d'Albert Tessier <strong>à</strong> Maurice Duplessis, 24 juin<br />

1933 (fonds Albert-Tessier, ASTR, FN-0014).


fait que la préparation des Fêtes n'a pas recueilli l'unanimité des<br />

suffrages, <strong>du</strong> moins au début.<br />

L'évêque auxiliaire Mgr Comtois boude tout d'abord les préparatifs<br />

<strong>du</strong> Tricentenaire. Albert Tessier a soutenu que son attitude créa une<br />

gêne qui pesa sur les organisateurs tout au long des manifestations 39 •<br />

Finalement rassuré par le projet, qui prévoyait des fêtes religieuses,<br />

Mgr Comtois parlera publiquement <strong>du</strong> Tricentenaire la première fois au<br />

Séminaire le 24 avril 1934, devant les membres de la Société Le Flambeau,<br />

puis rencontrera peu de temps après le cardinal Villeneuve afin de<br />

l'inviter <strong>à</strong> présider les manifestations liturgiques prévues au programme.<br />

***<br />

3. L'idéologie des Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire<br />

Quelle a été la nature des rapports idéologiques entre le régiona-<br />

1isme mauricien et "l'esprit" des fêtes de 19341 Les deux principaux<br />

diffuseurs <strong>du</strong> régionalisme, Tessier et Durand, ont apposé une marque<br />

39. Tessier écrit notamment: "le comité bénévole [ ... ] s'était adjoint<br />

un anglo-protestant, Frank Ritchie, beau-frère de l'abbé Turcotte.<br />

A l'évêché on dénonça le 'comité protestant' et on lui opposa un<br />

'comité catholique'". Il ajoute avec un brin d'ironie que c'est<br />

lui-même qui fut chargé de représenter le comité protestant aux<br />

réunions <strong>du</strong> comité catholique! (Souvenirs en vrac, p. 167). Ces<br />

propos démontrent l'éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> malaise existant entre Tessier et<br />

Comtois de même que le fossé idéologique qui les séparait.<br />

144


tard, se rappellent les événements de l'été 1934 43 • L'effet d'occulta-<br />

tion d'un présent difficile et l'évasion par l'imaginaire historique sont<br />

clairement exprimés dans les propos de plusieurs témoins.<br />

Comment ces manifestations ont-elles pu réaliser si adéquatement<br />

leur mission de médiation d'un discours idéologique? Rémi Tourangeau et<br />

Denis Goulet ont interrogé le sens profond des célébrations par l'analyse<br />

de la fonction sociale de la fête. Le premier écrit:<br />

Centrées principalement sur l'histoire [les festivités]<br />

s'apparentent surtout aux formes artistiques et imagées<br />

<strong>du</strong> théâtre. Comme telles, elles permettent aux Trifluviens<br />

de faire l'exercice d'une sacralisation des<br />

Fêtes et d'une théâtralisation de l'histoire [ •.• ] Les<br />

Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire sont avant tout une ardente<br />

apothéose <strong>du</strong> passé, en face <strong>du</strong> peu d'inquiétude <strong>du</strong><br />

présent et de l'avenir 44 •<br />

Et Tourangeau de conclure:<br />

fondées sur une structure <strong>du</strong> réel et un comportement<br />

humain, ces Fêtes constituent un long dialogue des gens<br />

d'ici avec leur époque qui entretient l'exercice <strong>du</strong> jeu,<br />

<strong>du</strong> rêve et de la vie. Elles sont nécessaires <strong>à</strong> une<br />

population qui veut faire l'apprentissage de sa<br />

1iberté 45 •<br />

43. Voir les témoignages présentés dans l'Annexe VII.<br />

44. Rémi Tourangeau, op. cit., p. 157-158.<br />

45. Ibid., p. 160.<br />

146


D'autre part, Denis Goulet développe l'idée qu'une telle fête se mue<br />

en une idéologie:<br />

La ritualisation des valeurs d'ordre, de foi ou de<br />

patriotisme contribue en effet <strong>à</strong> concrétiser un modèle<br />

idéologique. C'est ainsi que l'on s'est efforcé de<br />

promouvoir la tradition, la morale catholique, la tempérance,<br />

le culte des ancêtres et l'esprit de famille<br />

[ .•. ] L'insistance sur la liesse populaire et les grands<br />

rassemblements dévoilent ainsi une stratégie d'é<strong>du</strong>cation<br />

et d'intégration46 .<br />

Stratégie d'é<strong>du</strong>cation et d'intégration? Nous n'en doutons pas. Une<br />

telle conclusion rend compte avec justesse <strong>du</strong> discours des régionalistes<br />

mauriciens, et en éclaire la finalité. En somme, l'ensemble des manifes-<br />

tations se rapportant aux fêtes <strong>du</strong> 300· anniversaire de la ville de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières se présentent comme la tra<strong>du</strong>ction dans les faits <strong>du</strong><br />

discours social émis par les propagandistes <strong>du</strong> régionalisme.<br />

Deux points complémentaires méritent néanmoins d'être soulignés.<br />

Prétendant exprimer la volonté populaire (et c'est l<strong>à</strong> une caractéristique<br />

<strong>du</strong> discours petit-bourgeois) le discours social déclencheur des fêtes est<br />

émis par les élites cléricales et professionnelles: il vise la transmis-<br />

sion et la perpétuation de leur système de valeurs. Tourangeau en vient<br />

<strong>à</strong> la conclusion que "la fête apparaît ici plus celle de l'élite que celle<br />

de la population dont le rôle est ré<strong>du</strong>it <strong>à</strong> une contemplation passive"47.<br />

Tessier eat certainement <strong>à</strong> redire sur ces propos si l'on considère le<br />

populisme latent de beaucoup de ses allocutions. Toutefois la critique<br />

46. Ibid., p. 71-72.<br />

47. Ibid., p. 157.<br />

147


de Tourangeau nous para1t juste et nous pouvons même étendre son affirma-<br />

tion <strong>à</strong> l'ensemble <strong>du</strong> discours et des actions régionalistes.<br />

D'autre part, les multiples avatars connus par le projet de 1927 <strong>à</strong><br />

1934 témoignent d'un glissement révélateur. En effet, le projet des<br />

fêtes est passé d'une activité purement intellectuelle (rédaction d'un<br />

volume), puis <strong>à</strong> une commémoration impliquant l'affectivité (exposition-<br />

musée) et, finalement, <strong>à</strong> un spectacle unissant diverses formes de la<br />

culture savante (théâtre, musique, danse), populaire (folklore, costumes)<br />

et de masse ("pageants") où la raison, l'imaginaire et le symbolique<br />

avaient chacun leur part. D'abord conçu par l'élite clérico-nationa-<br />

liste, le projet, <strong>à</strong> mesure qu'il suscitait des adhésions et mobilisait un<br />

groupe de plus en plus large, se tourna peu <strong>à</strong> peu vers des valeurs<br />

libérales sous l'influence de Durand et sans doute aussi des leaders<br />

économiques. s , puis finalement afficha des airs populistes par suite de<br />

l'intervention des hommes politiques· 9 •<br />

Ainsi, la communauté trifluvienne a vibré au diapason des fêtes<br />

grandioses de 1934, alors que défilés, reconstitutions et spectacles<br />

jalonnèrent les étapes d'un été merveilleux où la fête se renouvelait<br />

quotidiennement.<br />

48. Tels les chefs de file de la Chambre de Commerce et de la Commission<br />

<strong>du</strong> Hâvre.<br />

49. Comme le maire Robichon, ses échevins et probablement Maurice Duplessis.<br />

148


CHAPITRE IX<br />

LA MYSTIQUE DU FLAMBEAU<br />

1. La fondation de la Société Le Flambeau<br />

Plusieurs mouvements de renouveau social prirent naissance au sein<br />

de la jeunesse canadienne-française <strong>à</strong> partir de 1930. Le plus célèbre<br />

fut sans doute le regroupement connu sous le nom de Jeune-Canada. Les<br />

jeunes gens qui se regroupèrent pour la fondation de périodiques comme<br />

Vivre, <strong>à</strong> <strong>Québec</strong>, et La Relève, <strong>à</strong> Montréal, participèrent de cet élan<br />

d'enthousiasme juvénile. A trois-Rivières on peut associer la Société Le<br />

Flambeau <strong>à</strong> ce même courant de remise en question.<br />

L'idée de rassembler la jeunesse trif1uvienne afin d'organiser sa<br />

participation aux Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire prend corps au début de 1934 1 •<br />

1. Philippe Poisson a relaté les origines <strong>du</strong> Flambeau dans Le<br />

Coteil1agè, vol. 1, nO 2, décembre 1981, p. 16-17. Déçus d'avoir<br />

été écartés de l'organisation générale <strong>du</strong> Tricentenaire, un groupe<br />

de jeunes gens qui avaient complété leurs études eurent l'idée de<br />

former un organisme parallèle qui animerait <strong>à</strong> sa façon les fêtes de<br />

1934. Poisson précise que les membres devaient avoir moins de 40<br />

ans.


Un comité provisoire est mis en place en février2 , auquel s'adjoint<br />

presque aussitôt un comité féminin 3 • L'initiative est portée <strong>à</strong> l'atten-<br />

tion <strong>du</strong> Conseil municipal qui l'appuie avec sympathie 4 • La réunion de<br />

fondation a lieu le 21 février. Les objectifs suivants étaient précisés<br />

dans la demande d'incorporation de la Société 5 : promouvoir les recher-<br />

ches historiques, encourager le développement des arts sous toutes ses<br />

formes, vulgariser l'étude des sciences, favoriser la connaissance des<br />

lettres et, enfin, aider les mouvements de fierté "trifluvienne" (5.1).<br />

Même si Albert Tessier n'était pas présent dans le comité, l'objec-<br />

tif général de "fierté trifluvienne" et l'objectif spécifique relié <strong>à</strong><br />

l'histoire sont directement inspirés <strong>du</strong> régionalisme. La jeunesse<br />

trif1uvienne revendique un rôle dans la préparation et le déroulement des<br />

Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire. "Préparons-nous <strong>à</strong> rendre dignement hommage aux<br />

héros grands et obscurs de notre petite histoire" écrit, dans Le Nouvel-<br />

liste. l'un des organisateurs; et il ajoute: "les jeunes sentent le<br />

besoin de retremper leur patriotisme au feu de l'idéal des Nicolet, des<br />

Hertel, des Boucher et des Lavérendrye" (5.1).<br />

2. Les membres sont: Charles-Auguste Saint-Arnaud, Gaston Francoeur,<br />

Philippe Carette, Omer-Jules Desaulniers, Jean Allard, Fernand<br />

Gagnon, Armour Landry, Clément Marchand, Jos. Lefebvre, Raymond<br />

Douville et Philippe Poisson (Le Nouvelliste, 14 février 1934,<br />

p. 3).<br />

3. Le comité est composé d'élèves ou d'anciennes élèves des Ursulines:<br />

Lucile Godin (présidente), Monique Bureau, Blandine Neault, Blanche<br />

Cayer, Marguerite Bourgeois, Madeleine Trude1, Bella Beaulac, Jeanne<br />

Trottier et Germaine Fortin (Le Nouvelliste, 24 février 1934, p. 3).<br />

4. Le Nouvelliste, 3 mars 1934, p. 3.<br />

5. Enregistrée le 7 mars 1934.<br />

150


*<br />

La Société emprunte son nom au projet ambitieux qu'elle met de<br />

l'avant: l'érection d'un monument représentant un flambeau, porteur de<br />

la flamme symbolisant l'idéal de la jeunesse de <strong>Trois</strong>-Rivières 6 • Le site<br />

choisi est la place Pierre-Boucher, <strong>à</strong> proximité <strong>du</strong> fort construit par le<br />

fondateur de la ville, le Sieur de Lavio1ette, en 1634. Le directeur de<br />

l'Ecole des Beaux-Arts de Montréal organise un concours pour les plans <strong>du</strong><br />

Flambeau. S'inspirant d'une esquisse de J. David Deshaies, l'architecte<br />

Paulet présente un plan qui est adopté 7 • Une souscription publique est<br />

lancée afin d'amasser les fonds nécessaires. Elle a ceci de particulier<br />

qu'elle met <strong>à</strong> contribution la jeunesse des écoles, des usines et des<br />

"magasins". Chacun donne 0,25, 0,50 ou 1,00 $8; le 1 er juin, une somme<br />

de 1212,25$ est recueillie (5.3). Une corvée est organisée pour le<br />

creusement des fondations et un entrepreneur prête de l'équipement.<br />

Les organisateurs se rendent rapidement compte que le coat dépassera<br />

le montant assemblé; il faudra espérer une aide des pouvoirs publics.<br />

6. "Après les fêtes <strong>du</strong> troisième centenaire [ ... ] le flambeau demeurera<br />

le symbole permanent de l'offrande qui se consumera sur l'autel <strong>du</strong><br />

souvenir" (5.2).<br />

7. L'attribution de l'esquisse préliminaire <strong>à</strong> J.-D. Deshaies est<br />

précisée dans un article <strong>du</strong> Nouvelliste, 10 janvier 1987, p. 27.<br />

8. De mars <strong>à</strong> mai Le Nouvelliste publie quotidiennement la liste des<br />

souscripteurs. Aux élèves des écoles (dont l'école St. Patrick)<br />

s'ajoutent les employés des magasins, de l'hôtel Saint-Louis et de<br />

la Balcer Glove; la grande in<strong>du</strong>strie embotte le pas avec les<br />

employés de la St. Lawrence Paper. Plusieurs autres commerces et<br />

usines complètent la liste.<br />

151


Une requête est alors adressée par la Société Le Flambeau au premier<br />

ministre <strong>du</strong> Canada, l'Honorable R.B. Bennett 9 • Le député conservateur de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières <strong>à</strong> Ottawa, Charles Bourgeois, dont la fille Marguerite fait<br />

partie <strong>du</strong> comité, transmet la demande <strong>à</strong> Bennett en la recommandant<br />

chaleureusement. Le 18 juin, la Chambre des Communes octroie une somme<br />

de 7 000 $ pour la réalisation <strong>du</strong> projet 10 • La pose de la première<br />

pierre se déroule deux semaines plus tard, Mgr Comtois et le député<br />

Bourgeois prennent la parole <strong>à</strong> l'occasion de l'événement et un défilé est<br />

organisé pour attirer l'attention de la population 11 • En un mois, le<br />

monument est complété. L'inauguration officielle a lieu le 12 août en<br />

présence d'une foule immense. L'honneur de dévoiler le Flambeau revient<br />

<strong>à</strong> Mgr François-Xavier Cloutier. Le vénérable évêque, âgé de 85 ans, est<br />

mené près <strong>du</strong> monument et tire lentement la draperie qui recouvre le<br />

Flambeau jusqu'<strong>à</strong> son sommet. Lucile Godin, la présidente <strong>du</strong> comité<br />

féminin, fait jaillir la flamme de la torche sous les applaudissements<br />

des milliers de jeunes réunis place Pierre-Boucher; et au même moment des<br />

pigeons sont lancés dans le ciel. Les musiciens de l'Union musicale et<br />

9. Daté <strong>du</strong> 1 er janvier 1934, le document explique que le monument<br />

"symbolisera les missionnaires, explorateurs et pionniers de cette<br />

cité". Il est aussi mentionné que "des milliers d'enfants et de<br />

jeunes gens ont fait des sacrifices pour la réalisation d'un beau<br />

rêve de jeunesse".<br />

10. Lettre de Charles Bourgeois <strong>à</strong> L.-P. Poisson, secrétaire de la<br />

Société Le Flambeau, 18 juin 1934 (ASTR, fonds Le Flambeau); voir<br />

aussi "Me Bourgeois annonce un octroi pour Le Flambeau", Le Nouvelliste,<br />

21 juin 1934, p. 3.<br />

11. [Anonyme]. "Toute la jeunesse trifluvienne se rallie autour <strong>du</strong><br />

Flambeau", Le Nouvelliste, 5 juillet 1934, p. 3.<br />

152


les 700 voix de la chorale de l'abbé Turcotte ajoutent une note grandiose<br />

<strong>à</strong> l'événement 12 •<br />

La Société Le Flambeau ne limite pas ses activités <strong>à</strong> l'aménagement<br />

<strong>du</strong> monument de la place Pierre-Boucher. Des programmes culturels diver­<br />

sifiés sont offerts aux membres <strong>à</strong> l'occasion de réunions mensuelles:<br />

concerts, "sketches" et conférences attiraient un public nombreux et<br />

attentif; d'ailleurs, le plus souvent les musiciens et les orateurs<br />

étaient membres de la Société, entre autres, Clément Marchand, Raymond<br />

Douvi 11e et Hervé Bi ron. Albert Tessier et Paul Bouchard prennent<br />

également la parole devant l'auditoire <strong>du</strong> F1ambeau 13 • La Société s'im-<br />

plique dans divers dossiers <strong>du</strong> patrimoine 1 • mais c'est <strong>à</strong> la publication<br />

<strong>du</strong> périodique Le Flambeau qu'elle concentre l'essentiel de ses énergies.<br />

***<br />

12. [Anonyme], "La jeunesse trifluvienne allume le flambeau symbolique",<br />

Le Nouvelliste, 13 aoOt 1934, p. 3 et 8.<br />

13. [Anonyme], "Les heures <strong>du</strong> Flambeau", Le Flambeau, vol. 2, nO 5,<br />

janvier 1936, p. 25. Le grand violoniste Henryk Szeryng est reçu en<br />

1944.<br />

14. Par exemple, elle demande le transfert <strong>du</strong> vieux moulin au rond-point<br />

angle Royale et Normand (Le Nouvelliste, 28 avril 1938, p. 3). Il<br />

fut aussi proposé la construction d'un "Palais des Arts", genre de<br />

centre d'exposition des oeuvres récentes pro<strong>du</strong>ites en Mauricie, de<br />

même qu'une fête annuelle de la jeunesse. Aucun de ces projets n'a<br />

abouti <strong>du</strong>rant les années trente.<br />

153


2. La revue Le Flambeau<br />

La revue Le Flambeau, organe de la Société <strong>du</strong> même nom, eut une<br />

existence éphémère mais brillante. Cinq numéros paraissent entre janvier<br />

1935 et janvier 1936. Le directeur de la revue, Philippe Poisson,<br />

explique dans l'éditorial de la première livraison 15 quelle nécessité a<br />

imposé la création de la nouvelle revue. Il rappelle d'abord le texte de<br />

l'inscription gravée sur le socle <strong>du</strong> monument Le Flambeau: "Hommage de<br />

la jeunesse trif1uvienne aux héros de la petite patrie". Poisson ajoute<br />

que le symbolisme éloquent <strong>du</strong> flambeau crée "une mystique trifluvienne".<br />

En conséquence, la revue qu'il dirige se présentera comme "le miroir<br />

réfléchissant des travailleurs de l'esprit de notre patrie, sans cepen-<br />

dant se confiner <strong>à</strong> un régionalisme étroit". L'objectif visé est détaillé<br />

en ces termes:<br />

Poursuivre une saine é<strong>du</strong>cation nationale, en enregistrer<br />

toutes les évolutions, les gra<strong>du</strong>er de façon <strong>à</strong> ce qu'elles<br />

puissent constituer un idéal national assez fort pour<br />

s'imposer et inspirer confiance en l'avenir.<br />

15. "Pourquoi?" Le Flambeau vol. 1, nO 1, janvier-février-mars 1935, p.<br />

3. Louis-Philippe Poisson est né <strong>à</strong> Gentilly en 1908. Il a<br />

collaboré au Nouvelliste de 1930 <strong>à</strong> 1934 avant de prendre la<br />

direction <strong>du</strong> Flambeau. Durant près d'un demi-siècle il a été un<br />

membre actif des Compagnons de Notre-Dame (troupe de théâtre<br />

amateur) et de l'Orphéon de <strong>Trois</strong>-Rivières (chorale qui a effectué<br />

de nombreuses tournées). Il a rédigé un volume intitulé "Cinquante<br />

ans de théâtre amateur <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières". Enseignant de profession<br />

et comédien amateur, Philippe Poisson a fait partie de la<br />

distribution <strong>du</strong> radio-roman Mon quartier de Sy1vio Saint-Amant<br />

(station CHLN).<br />

154


Inspirer confiance en l'avenir: voil<strong>à</strong> justement ce dont la jeunesse<br />

de 1935 a le plus besoin devant les incertitudes engendrées par la crise<br />

économique. Dans le numéro suivant, Poisson précise l'orientation de la<br />

revue18 . Celle-ci doit viser la création d'un climat où s'épanouira la<br />

vie spirituelle, nationale et économique. "Notre in<strong>du</strong>strialisation a été<br />

trop hâtive, explique Poisson, elle n'a pas respecté les lois fondamen-<br />

tales de la nature". Aussi croit-il que l'orientation <strong>du</strong> peuple cana-<br />

dien-français doit désormais se porter vers les arts, les sciences et les<br />

lettres; il faut lui redonner le sens de la discipline, de l'autorité et<br />

de la solidarité. Faisant le bilan de deux ans d'activités, Poisson<br />

affirme que la Société et la revue ont puisé dans le régionalisme mauri-<br />

cien "tout le réalisme nécessaire pour se constituer [ ... ] un levain<br />

moral"17; l'une et l'autre ont favorisé ce qu'il nomme "un acheminement<br />

vers la virilité intellectuelle". Egratignant au passage les clubs<br />

Rotary et Kiwanis: "sous-sections dont la tête est aux Etats-Unis"18,<br />

Poisson leur oppose la Société Le Flambeau vouée <strong>à</strong> des aspirations<br />

d'ordre spirituel et culturel et seule apte, selon lui, <strong>à</strong> assurer l'é<strong>du</strong>-<br />

cation nationale des Trif1uviens et l'épanouissement de la personne<br />

humaine. Plus explicitement que Poisson, Raoul Provencher, le vice-<br />

16. "Orientation", Le Flambeau, vol. 1, nO 2, avri1-mai-juin 1935,<br />

p. 27-28.<br />

17. "Le Flambeau", Le Flambeau, vol. 1, nO 4, octobre-novembredécembre<br />

1935, p. 75-77.<br />

18. Poisson en profite pour décocher une flèche contre "l'oisiveté<br />

bourgeoise un instant troublée <strong>du</strong>rant l'été de 1934" et "les<br />

remarques somnifères [sic] de certains personnages ombrageux de<br />

leur quiétude".<br />

155


président de la Société Le Flambeau, rattache les objectifs de la revue<br />

aux thèmes de Tessier: "développer dans la mentalité de nos gens l'es-<br />

prit d'un régionalisme intelligent, [ ... ] inculquer dans le coeur de la<br />

jeunesse la fierté des choses de chez nous"19.<br />

Le lecteur qui feuillette un tant soit peu attentivement n'importe<br />

lequel des numéros parus se rend <strong>à</strong> l'évidence qu'une véritable "mystique"<br />

de l'action est mise de l'avant. Le ton rappelle celui de La Relève mais<br />

ne renvoie pas explicitement <strong>à</strong> des auteurs tels Emmanuel Mounier ou<br />

Jacques Maritain, peut-être jugés dangereux. "La revue [Le Flambeau] est<br />

un appel <strong>à</strong> l'action intellectuelle" précise le président Omer-Jules<br />

Desaulniers 2o • En effet, le collaborateur est "obligé <strong>à</strong> des études et <strong>à</strong><br />

des recherches sérieuses". Plus vaste est le champ d'action présenté par<br />

Armour Landry dans un texte précisément intitulé "Agir ... "21. L'auteur<br />

de l'article pointe le malaise présent dans la jeunesse de 1935, déso-<br />

rientée, amère et divisée entre l'appel <strong>du</strong> "néo-paganisme" et l'aspira-<br />

tion vers la lumière de l'esprit. Le remède réside dans l'agir. Action<br />

d'abord intérieure, qui "améliore le langage, sélectionne les amit iés,<br />

force le développement des facultés", prélude <strong>à</strong> l'action collective "sur<br />

19. "Lendemain d'un soir d'apothéose", Le Flambeau, vol. l, nO 2, avrilmai-juin<br />

1935, p. 26.<br />

20. "Message <strong>du</strong> président", Le Flambeau, vol. l, nO l, janvier-févriermars<br />

1935, p. 2.<br />

21. "Agir.:.", Le Flambeau, vol. 1, nO 1, janvier-février-mars 1935, p.<br />

4. Né <strong>à</strong> Drummondville en 1905, Armour Landry a habité successivement<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières et Montréal. Historien et photographe, il a<br />

collaboré <strong>à</strong> la sensibilisation <strong>du</strong> public trifluvi en envers le passé<br />

et a été le maître d'oeuvre <strong>du</strong> Synd i cat d'initiative.<br />

156


les destinées de la race et <strong>du</strong> pays". De son côté, Hervé Biron22 insiste<br />

sur la nécessité d'une réforme 23 • Il brosse d'abord une esquisse en<br />

style métaphorique de l'histoire <strong>du</strong> peuple canadien-français puis déplore<br />

non seulement l'attitude de soumission, mais également la fraternisation<br />

avec le conquérant. Jugeant la jeunesse actuelle de "plus réaliste, plus<br />

personnelle", Biron lui assigne une "tâche gigantesque", celle de la<br />

nouvelle conquête <strong>du</strong> pays. Pour ce faire, la jeunesse de 1935 peut<br />

compter sur son sens de l'idéal et <strong>du</strong> "désintéressement", oubliant son<br />

propre bien pour celui de la nation. L'auteur ajoute qu'il ne s'agira<br />

22. Hervé Biron (1910-1976), né <strong>à</strong> Pointe-<strong>du</strong>-Lac, est le cadet d'une<br />

famille de douze enfants. Il poursuit des études au Collège<br />

séraphique de <strong>Trois</strong>-Rivières et au juniorat des Frères <strong>du</strong> Sacré­<br />

Coeur <strong>à</strong> Ottawa. Il collabore <strong>à</strong> L'Almanach trifluvien, au Flambeau,<br />

<strong>à</strong> L'Action catholique, au Soleil et au Devoir. Il est rédacteur au<br />

Nouvelliste jusqu'en 1956, puis éditorialiste jusqu'en 1964, alors<br />

qu'il est nommé éditeur adjoint au Journal des débats de l'Assemblée<br />

législative <strong>à</strong> <strong>Québec</strong>. Archiviste <strong>du</strong> séminaire trifluvien de 1942 <strong>à</strong><br />

1947, il est secrétaire (1945-1948) puis président (1948-1956) de la<br />

Société d'histoire régionale. Erudit, raffiné et pourvu d'une<br />

grande sensibilité, Hervé Biron publie un recueil de poèmes,<br />

Paroissiales, 1939, SU1Vl d'une étude sur Francis Jammes ainsi que<br />

des ouvrages d'histoire: Vers les pays d'en-haut (1944) en<br />

collaboration avec Albert Tessier, Grandeurs et misères de l'Egl ise<br />

tri f1uvienne (1615-1947) (1947), Deux siècles de vie paroissiale <strong>à</strong><br />

la Pointe-<strong>du</strong>-Lac, en collaboration avec l'abbé Georges Biron (1939)<br />

ainsi que des romans: Poudre d'or (1945) et Nuages sur les brûlés:<br />

la colonisation au Témiscamingue (1947). Cette dernière oeuvre a<br />

été portée <strong>à</strong> l'écran par l'ONF. Travaillant <strong>à</strong> la manière de<br />

Flaubert, Biron avait amassé une documentation considérable sur le<br />

sujet de la colonisation. En 1976 les éditions de l'Hexagone ont<br />

publié un recueil posthume de poésie, L'Herbier de chair.<br />

L'influence de Balzac, Montaigne et Péguy a été relevée par les<br />

auteurs <strong>du</strong> Dictionnaire pratique des auteurs québécois, p. 66. Voir<br />

aussi Christiane Saint-Pierre et Aurélien Boivin "Poudre d' or, roman<br />

d'Hervé Biron", dans le Dictionnaire des oeuvres littéraires <strong>du</strong><br />

<strong>Québec</strong>, tome 3, p. 801.<br />

23. "Jeunesse 1935", Le Flambeau, vol. 1, nO 1, janvier-février-mars<br />

1935, p. 14.<br />

157


plus de résister ou de conserver les positions mais de passer <strong>à</strong> l'offen-<br />

sive, de reconquérir, de reconstruire 24 •<br />

Les thèmes <strong>du</strong> développement de la personnalité, de la réalisation<br />

d'un idéal sublimé dominent dans l'article de Blandine Neault 25 • Selon<br />

ses propos, la réalisation <strong>du</strong> Flambeau a jailli spontanément de la<br />

conscience de jeunes qui n'avaient pas per<strong>du</strong> confiance en la possibilité<br />

d'une société meilleure et plus belle". L'idéal, pour la jeunesse, c'est<br />

un catholicisme fervent comme celui de saint Paul, non en marge de la vie<br />

moderne, replié sur lui-même, mais qui "respecte notre autonomie, notre<br />

personnal ité". L'auteure affirme également que des organismes comme Le<br />

Flambeau et L'Action catholique peuvent contribuer au développement de la<br />

"personnalité chrétienne".<br />

Le culte <strong>du</strong> héros de l'histoire, la confiance en l'avenir, l'action<br />

soutenue par un idéal spirituel, l'oubli de soi dans une cause collec-<br />

t;ve, le développement de la personnalité: tous ces thèmes dessinent la<br />

constellation idéologique établissant "la mystique <strong>du</strong> Flambeau". Dans un<br />

article paru dans Le Terroir, Armour Landry développe le symbolisme<br />

24. Hervé Biron a rédigé un article favorable au séparatisme dans les<br />

colonnes <strong>du</strong> Flambeau ("Séparatisme", vol. 1, nO 3, juillet-aoOtseptembre<br />

1935, p. 60). Il écrit: "les Canadiens français doivent<br />

( ... ] enfanter un patriotisme qui les rendra maîtres de leur<br />

existence". On notera au passage que Biron utilise déj<strong>à</strong><br />

l'expression "le <strong>Québec</strong>".<br />

25. "Le développement de 1 a personna 1 i té" Le Fl ambeau voL 2, nO 5,<br />

janvier-février-mars 1936, p. 17-20. L'article repro<strong>du</strong>it la<br />

conférence donnée par Blandine Neault, secrétaire-adjointe de la<br />

Société Le Flambeau et commissaire des Guides catholiques, lors de<br />

la réunion mensuelle <strong>du</strong> 4 mai 1936.<br />

158


nourrissant cette mystique et associe ses réalisations avec les thèmes <strong>du</strong><br />

régionalisme mauricien:<br />

Le Flambeau est un monument [ ... ] qui possède une âme,<br />

une âme de feu, une âme ardente d'ancien Trifluvien qui<br />

cherche <strong>à</strong> communiquer sa flamme <strong>à</strong> la génération nouvelle<br />

[ ... l. Il est le point de ralliement de la jeune génération<br />

qui veut faire beau et grand pour sa petite patrie<br />

et [ ... l s'inspire des faits et gestes de notre histoire<br />

régionale"26.<br />

Landry écrit que la réalisation <strong>du</strong> Flambeau a "renforci l'esprit<br />

régionaliste qui se développe <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières et dans la Mauricie". Il<br />

ajoute que, grâce au régionalisme, des talents ignorés ont pu se faire<br />

valoir dans le domaine des arts et des lettres.<br />

***<br />

3. Un régionalisme plus ouvert<br />

Si on effectue un retour sur les événements liés d'une façon ou<br />

d'une autre: la fondation de la Société Le Flambeau, les péripéties<br />

entourant la réalisation <strong>du</strong> monument de la place Pierre-Boucher, ou<br />

encore la brève aventure de la revue Le Flambeau, il ressort que les<br />

thèmes favoris des régionalistes mauriciens sont évoqués fréquemment, que<br />

ce soit la petite patrie, les héros de l'histoire trifluvienne, la fierté<br />

26. "Le Flambeau", Le Terroir, vol. 17, nO 1, juin 1935, p. 20.<br />

159


et l'é<strong>du</strong>cation nationale. Toutefois, une analyse plus serrée révèle que<br />

la thématique régionaliste est replacée dans une perspective novatrice,<br />

plus ouverte, qui déj<strong>à</strong> n'est plus celle de Joseph Gél.inas ou d'Albert<br />

Tessier. La fierté régionale se dilate <strong>à</strong> la dimension de l'espace<br />

canadien-français. La "reconquête" n'est plus seulement d'ordre moral ou<br />

spirituel, mais économique et politique, pouvant aboutir si nécessaire <strong>à</strong><br />

la séparation <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> de la Confédération 27 • La fierté n'est plus<br />

principalement établie sur les promesses <strong>du</strong> passé mais actualisée dans le<br />

développement de la personnalité et le refus <strong>du</strong> repliement. L'exaltation<br />

de la Nature, de la vie paysanne et <strong>du</strong> ruralisme est mise de côté. Ces<br />

jeunes a<strong>du</strong>ltes qui s'expriment dans les pages <strong>du</strong> Flambeau ou <strong>à</strong> l'occasion<br />

des réunions mensuelles de la Société assument leur condition de cita-<br />

dins 28 , sans renier le passé sans non plus s'accrocher <strong>à</strong> lui. Ils sont<br />

toujours chrétiens 29 , mais se tournent vers un catholicisme engagé dans<br />

l'action sociale, où l'acceptation de Dieu n'entra1ne pas le refus de<br />

l'homme. Par ailleurs, l'activité intellectuelle dans les arts et les<br />

sciences est valorisée comme expression de soi. L'idéalisme des Gé1inas<br />

et des Tessier est toujours vivant mais renouvelé. Bref, ces glissements<br />

de la vision <strong>du</strong> monde, des systèmes de valeur, font passer la nouvelle<br />

27. L'idée <strong>du</strong> séparatisme n'était pas neuve puisque déj<strong>à</strong> <strong>du</strong>rant les<br />

années vingt, l'abbé Lionel Grou1x, le P. Rodrique Villeneuve et Mgr<br />

Alfred-Odilon Comtois avaient évoqué cette possibilité. En<br />

revanche, jamais Gélinas ni Tessier n'avaient promu cette idée ni<br />

même abordé le sujet.<br />

28. La plupart des animateurs de la jeune génération sont nés en milieu<br />

rural et transplantés tôt <strong>à</strong> la ville.<br />

29. Par exemple, deux membres <strong>du</strong> Comité féminin, Marguerite Bourgeois et<br />

Lucile Godin, entrèrent en communauté.<br />

160


génération, née entre 1900 et 1915, d'un monde rêvé <strong>à</strong> un monde<br />

réalisable.<br />

Mais dans ce début de remise en question, rien d'essentiel ne<br />

bascule. En tout cas, la génération précédente, celle qui détient les<br />

postes de commande, ne semble pas s'inquiéter des propos de ceux qui les<br />

remplaceront un jour. La Société Le Flambeau, la revue et l'idée <strong>du</strong><br />

mouvement, reçurent un accueil unanimement favorable. Même Albert<br />

Tessier et l'auxiliaire Comtois prirent la parole devant les membres <strong>du</strong><br />

Flambeau et les appuyèrent chaleureusement 3o • Le Nouvelliste fit un<br />

accueil enthousiaste <strong>à</strong> la revue 31 et trois des candidats <strong>à</strong> l'élection<br />

fédérale de 1935 courtisèrent la jeunesse dans les pages de la revue 32 •<br />

Finalement, Le Mauricien repro<strong>du</strong>isit un article <strong>du</strong> journal Le Droit, qui<br />

30. Albert Tessier présente une causerie devant les membres le 25<br />

novembre 1938. "Ceci ressemble fort <strong>à</strong> ce qu'on a appelé le régionalisme<br />

mauricien" s'exclame-t-il <strong>à</strong> la lecture <strong>du</strong> programme des<br />

activités <strong>du</strong> Flambeau. Il ajoute: "Vous êtes devenus le groupement<br />

auquel on pense chaque fois qu'il s'agit d'une démonstration où<br />

l'art et la culture jouent un rôle". Le 26 avril 1934, Mgr Comtois<br />

prit la parole <strong>à</strong> l'occasion d'une soirée organisée au profit <strong>du</strong><br />

Flambeau. Il déclara qu'il était heureux de s'associer au mouvement<br />

créé autour <strong>du</strong> Flambeau "flamme <strong>du</strong> souvenir, flamme de l'idéal" ("Le<br />

troisième centenaire doit être un chant <strong>à</strong> notre patrie", Le Nouvelliste,<br />

27 avril 1934, p. 3).<br />

31. "La revue Le Flambeau [ ... ] pleine de vie, de gaieté, d'humour [ ... l<br />

tiendra [sic] de la Crise un caractère pratique et sérieux (Le<br />

Nouvelliste, 9 avril 1935, p. 3) voir aussi "Première revue vraiment<br />

intellectuelle et artistique", lisons-nous dans Le Nouvelliste (15<br />

avril 1935, p. 3).<br />

32. Le numéro de juillet-aoOt-septembre 1935 fit para1tre les publicités<br />

de Philippe Bigué (parti libéral), Léon Méthot (parti conservateur)<br />

et Louis Durand (parti de la Restauration).<br />

161


applaudit les initiatives de la jeunesse trifluvienne 33 • Le monument Le<br />

Flambeau fit parler de lui dans la presse américaine, ce qui ne pouvait<br />

qu'exciter la fierté des animateurs <strong>du</strong> mouvement de la jeune génération <strong>à</strong><br />

<strong>Trois</strong>-Rivières 34 •<br />

Un dernier aspect mérite d'être souligné. Albert Tessier n'a joué<br />

aucun rôle direct dans la fondation de la Société Le Flambeau, la réd ac-<br />

tion de son programme, la réalisation <strong>du</strong> monument ou la direction de la<br />

revue. C'était une habitude bien ancrée chez lui de chercher <strong>à</strong> prendre<br />

l'initiative dans les entreprises qui l'intéressaient mais ici les faits<br />

nous incitent <strong>à</strong> croire que le noyau de jeunes a<strong>du</strong>ltes <strong>à</strong> l'origine <strong>du</strong><br />

mouvement tint <strong>à</strong> préserver son autonomie en maintenant l'apôtre de la<br />

Mauricie <strong>à</strong> distance respectueuse, tout en étant d'accord avec la majorité<br />

de ses idées. Tessier fut invité <strong>à</strong> prendre la parole devant les membres<br />

<strong>du</strong> Flambeau et un article de son cru se trouve dans la revue. On remar-<br />

quera, toutefois, que les "Jeunes-Flambeau" n'hésitèrent pas <strong>à</strong> mettre les<br />

colonnes de la revue <strong>à</strong> la disposition d'un farouche adversaire <strong>du</strong> régio-<br />

nalisme, Ronald Murray. Il ne s'agissait pas d'une attitude frondeuse en<br />

elle-même, car une confrontation polémique était prévue dans chaque<br />

numéro de la revue. Le fait illustre simplement que la nouvelle généra-<br />

tion posait un regard plus distancié, plus critique, envers les propos de<br />

33. "Un hommage au Flambeau", Le Mauricien, vol. 1, nO 4, février 1937,<br />

p. 8.<br />

34. Des articles<br />

York Journal<br />

"La région<br />

Nouvelliste,<br />

162<br />

parurent dans l'Indianapolis Star (21 mai 1939), New<br />

(4 juin 1938) et Dayton Ohio News (14 mai 1939). Voir<br />

des <strong>Trois</strong>-Rivières a bonne presse aux Etas-Unis", Le<br />

22 janvier 1940, p. 3.


la classe dirigeante, même si l'adhésion fondamentale envers la structure<br />

sociale n'était nullement remise en question.<br />

163


CHAPITRE X<br />

LE REGIONALISME MAURICIEN ET LES PRATIQUES<br />

CULTURELLES DES ANNEES TRENTE<br />

1. La vie intellectuelle trif1uvienne<br />

Une vie culturelle intense anime le <strong>Trois</strong>-Rivières des années 1925-<br />

1940. Ville d'importance moyenne coïncée entre <strong>Québec</strong> et Montréa1-<br />

"Athènes et la Métropo1e"1 la cité de Lavio1ette compte un noyau de<br />

clercs et de laïcs concernés par l'histoire locale, la littérature<br />

canadienne-française et une certaine conception de la culture française.<br />

Un groupuscule d'intellectuels diffuse ses points de vue par l'entremise<br />

d'une société historique, de la presse trif1uvienne et de diverses<br />

publications.<br />

A partir <strong>du</strong> 22 octobre 1925, Le Bien Public consacre une chronique<br />

hebdomadaire <strong>à</strong> la petite histoire dans le but de créer un intérêt parmi<br />

les lecteurs. Albert Tessier, l'auteur des textes, répand l'idée de la<br />

1. Selon l'expression de Georges Maheux lorsqu'il présenta Albert<br />

Tessier au Congrès de l'ACFAS <strong>à</strong> <strong>Québec</strong> (Le Nouvelliste, 18 décembre<br />

1936, p. 7).


création d'une société historique; il envoie une lettre aux principaux<br />

intéressés 2 ; Omer Héroux écrit un article favorable au projet trifluvien<br />

dans Le Devoir en avril 1926. L'assemblée de fondation de la Société<br />

d'histoire régionale a lieu le 3 mai; des membres <strong>du</strong> clergé et de l'élite<br />

locale composent le groupe initial: les abbés Joseph-G. Gé1inas, Albert<br />

Tessier, Donat Baril, Té1esphore Giroux, Eddie Hamelin, Arthur Jacob et<br />

Emile Cloutier; le frère Germain, é.c., le Père Joya1, o.m.i., les<br />

journalistes Jean-Baptiste Meilleur-Barthe et Heotor Héroux, l'avocat et<br />

journaliste Louis-O. Durand, le notaire J.-A. Trude1, le protonotaire<br />

Adé1ard Provencher, l'architecte Paul-Emile Piché, le greffier Arthur<br />

Béliveau, MM. J.-A. Lemire et Robert Trudel. Le chanoine L.-A. Lévesque-<br />

Dusablon, curé de Louisevi11e, fait également partie <strong>du</strong> groupe. Arthur<br />

Béliveau est élu président, tandis que Albert Tessier se voit tout<br />

naturellement confier la tâche de secrétaire.<br />

La Société organise des conférences et des pèlerinages historiques<br />

aux Forges de Saint-Maurice, au Platon <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières et <strong>à</strong> Ste-Anne-de-<br />

la-Pérade 3 • L'objectif principal est "la formation d'un état d'esprit<br />

2. La source utilisée pour cette note historique est le rapport<br />

présenté par Albert Tessier aux membres le 21 novembre 1936 et<br />

repro<strong>du</strong>it dans Le Nouvelliste <strong>du</strong> surlendemain, p. 3 et 5.<br />

3. Le 19 juin 1927, 1500 personnes envahissent le site historique des<br />

Forges. Louis-O. Durand présente un aperçu historique et Lionel<br />

Grou1x soulève l'enthousiasme avec un vibrant appel <strong>à</strong> la jeunesse<br />

afin qu'elle saisisse le sens de l'Histoire (voir Le Bien Public, 22<br />

septembre 1932, p. 1). Le 3 juin 1928, la Société convie la population<br />

<strong>à</strong> une reconstitution <strong>du</strong> passé sur le site <strong>du</strong> Platon, près <strong>du</strong><br />

Bureau de poste, <strong>à</strong> l'emplacement <strong>du</strong> premier fort de <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

Plusieurs membres, le maire Arthur Bettez et Montarville Boucher de<br />

la Bruère prennent la parole. Le troisième pélerinage se déroule le<br />

15 juin 1930 au pays de Madeleine de Verchères et de Mgr Laflèche,<br />

165


plus attentif et plus respectueux <strong>à</strong> l'égard de tous les documents,<br />

souvenirs, lieux, personnes qui, <strong>à</strong> un titre quelconque, appartiennent <strong>à</strong><br />

l'histoire trifluvienne"4. Il ne s'agit pas seulement d'augmenter les<br />

connaissances, mais d'insuffler un esprit nouveau qui nourrira l'im­<br />

aginaire collectif. L'organisme propose le choix de noms historiques<br />

pour les nouvelles rues, l'adoption <strong>du</strong> nom Lavérendrye pour le "traver­<br />

sier" qui fait la navette avec la rive sud, l'érection de monuments aux<br />

gloires locales et l'aménagement de sites historiques. La Société fut<br />

également <strong>à</strong> l'origine de la collection des "Cahiers d'histoire régionale"<br />

et des "Pages trifluviennes".<br />

C'est en 1928 que para't, en effet, le premier "Cahier d'histoire<br />

régionale" sous la plume de Montarville Boucher de la Bruère. L'ouvrage<br />

de cet érudit, de surcro't descendant de Pierre Boucher, s'intitule La<br />

Naissance des <strong>Trois</strong>-Rivières. Deux ans plus tard, l'abbé Henri Vallée­<br />

qui s'était joint au groupe de la Société d'histoire régionale après le<br />

décès <strong>du</strong> chanoine Dusablon - fait para'tre une monographie solidement<br />

documentée sur le grand-vicaire Noiseux, curé de <strong>Trois</strong>-Rivières au début<br />

<strong>du</strong> siècle dernier. De son côté, Albert Tessier rassemble des notes de<br />

Benjamin Sulte et publie Fastes trifluviens, plaquette ornée de gravures<br />

illustrant les grands moments de l'histoire locale. D'autres cahiers<br />

paraltront jusqu'aux années cinquante.<br />

soit Sai nte-Anne-de-l a-Pérade.<br />

4. Le Bien Public, 18 octobre 1934, p. 1.<br />

166


La collection Les Pages trifluviennes voit le jour en 1932. Armour<br />

Landry donne en effet le coup d'envoi avec ses Bribes d'histoire, recueil<br />

d'articles parus antérieurement dans Le Bien Public. Trente-cinq autres<br />

publications suivront en sept ans. L'animateur de la collection, Albert<br />

Tessier, répartit les sujets en trois séries. La première regroupe des<br />

monographies historiques, des études économiques et des biographies. La<br />

deuxième rassemble des récits historiques, des relations de voyages et<br />

des mémoires, tandis que la troisième se compose de poèmes, pièces de<br />

théâtre, contes et nouvelles sur des thèmes mauriciens 5 • La majorité des<br />

auteurs sont d'origine régionale, quelques-uns sont de l'extérieur ou<br />

même de la France 6 • Le discours régionaliste s'exprime dans plusieurs de<br />

ces pages.<br />

*<br />

D'autres médias d'information jouent également un rôle de premier<br />

plan dans l'émergence <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Fondé en 1920, le<br />

5. Un résumé des 34 premiers ouvrages est présenté dans l'Almanach<br />

trifluvien, vol. IV, 1935, p. 89-92. Voir l'Annexe VIII pour le<br />

catalogue complet de la collection.<br />

6. Parmi les historiens, outre Armour Landry et Albert Tessier,<br />

mentionnons Montarville Boucher De La Bruère, Dollard Dubé, Henri<br />

Vallée, Eddie Hamelin, Hermann Plante, Lucien Desbiens, Fabre<br />

Surveyor, Francis-J. Audet, Auguste Désilets, Louis-Georges Godin,<br />

Louis-Delavoie Durand, Gonzalve Poulin, Pierre Dupin et Victor<br />

Barrette. Les géographes Benoît Brouillette et Raymond Tanghe, les<br />

écrivains MOlsette Olier, Clément Marchand, François<br />

Hertel ,(pseudonyme <strong>du</strong> Père Rodolphe Dubé s.j.), Sylvain (pseudonyme<br />

<strong>du</strong> Dr Auguste Panneton), Jeanne L'Archevêque-Duguay et Marguer ite<br />

Bourgeois complètent l'équipe de rédaction des Pages trifluviennes.<br />

167


quotidien Le Nouvelliste rejoint toutes les couches de la population. De<br />

1750 qu'il était en 1921 son tirage passe <strong>à</strong> 10 621 en 1940. Le rédac-<br />

teur-en-chef est Hector Héroux, de 1923 <strong>à</strong> 1948; il est le frère d'Omer et<br />

d'Onésime Héroux, autres journalistes de renom <strong>à</strong> l'époque. Albert<br />

Tessier a souligné l'apport précieux <strong>du</strong> Nouvelliste au "réveil" tri-<br />

fluvien des années trente; il mentionne les articles d'Hervé Biron et<br />

d'Yvon Thériault 7 •<br />

C'est toutefois dans Le Bien Public qu'on retrouve l'essentiel <strong>du</strong><br />

discours régionaliste. Fondé en 1909 par Mgr François-Xavier Cloutier<br />

comme organe officieux de l'évêché, Le Bien Public diffuse non seulement<br />

l'idéologie clérico-nationaliste, mais s'inspire de la pensée de Mgr<br />

Laflèche et appuie l'émergence <strong>du</strong> syndicalisme catholique. Le rédac-<br />

teur-en-chef de 1909 <strong>à</strong> 1933 est l'avocat conservateur Joseph Barnard 8 •<br />

Avec la crise, le bi-hebdomadaire accumule cependant des déficits.<br />

Aussi, les autorités diocésaines se proposent-elles d'interrompre la<br />

parution. Mais grâce <strong>à</strong> l'intervention d'Albert Tessier, Clément Marchand<br />

et Raymond Douville - deux jeunes journalistes dans la vingtaine - se<br />

7. Albert Tessier, "Dix belles années de ferveur régionale", Le<br />

Nouvelliste, 31 octobre 1970, p. 92.<br />

8. Joseph Barnard (1872-1939). Fils d'un arpenteur de <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

il fit ses études au Séminaire St-Joseph et fut reçu avocat en 1897.<br />

Il collabora au Trif1uvien <strong>à</strong> partir de 1902 et fut nommé archiviste<br />

au Palais de Justice en 1938. Jusqu'en 1933 la direction <strong>du</strong> Bien<br />

Public était confiée <strong>à</strong> un ecclésiastique: l'abbé Émile Cloutier<br />

(1909-1916), l'abbé Té1esphore Giroux (1916-1918), Mgr Dionis<br />

Gé1inas (1918-1932) et l'abbé Jean-Baptiste Carignan (1932-1933).<br />

168


enthousiasme. Le tirage <strong>du</strong> St. Maurice Valley Chronic1e était de 3750 en<br />

1940, chiffre qui dépasse largement les effectifs anglophones de <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières.<br />

D'autres journaux ou périodiques jouent également le rôle de dif­<br />

fuseur d'idées. Mentionnons, entre autres, La Chronique de la Vallée <strong>du</strong><br />

St-Maurice, un hebdomadaire francophone publié sous la direction des<br />

propriétaires <strong>du</strong> St. Maurice Valley Chronic1e, avec Charles-Auguste<br />

Saint-Arnaud comme rédacteur-en-chef. Le journal met l'accent sur la vie<br />

in<strong>du</strong>strielle et commerciale et s'intéresse aux loisirs et au syndica­<br />

lisme. Le tirage passa de 4500 en 1930 <strong>à</strong> 6500 dix ans plus tard. La<br />

Chronique a joué un rôle secondaire dans la diffusion <strong>du</strong> message régiona­<br />

liste.<br />

D'une existence très brève, de février <strong>à</strong> juillet 1931, Le Drapeau<br />

est un hebdomadaire conservateur dirigé par Louis-O. Durand. Le journal<br />

défend la politique économique <strong>du</strong> premier ministre Bennett et les idées<br />

chères <strong>à</strong> Durand exposées dans le chapitre VI.<br />

Plus importante fut sans aucun doute la parution de 1932 <strong>à</strong> 1935 de<br />

L'Almanach trif1uvien. D'abord conçu sur le plan d'un almanach tradi­<br />

tionnel, avec calendrier et éphémérides, <strong>à</strong> la façon de l'Almanach <strong>du</strong><br />

libraire Charbonneau (1912-1919), l'Almanach trif1uvien changea d'orien­<br />

tation sous l'impulsion de Clément Marchand. La publication devint un<br />

almanach littéraire <strong>à</strong> partir de 1933, <strong>à</strong> l'image de l'Almanach provençal<br />

170


des félibres de Mistra1 12 • La vie religieuse, scolaire, municipale et<br />

artistique n'est pas négligée pour autant; de précieuses biographies et<br />

des notes historiques complètent l'ensemble. L'équivalent anglophone de<br />

l'Almanach trifluvien est le Three Rivers Year Book, qui paraît de 1932 <strong>à</strong><br />

1935. Il soutient activement le mouvement qui anima les fêtes <strong>du</strong> Tricen-<br />

tenaire. Des articles très élogieux sur Albert Tessier et Louis-D.<br />

Durand célèbrent la bonne entente des deux communautés linguistiques de<br />

la ville.<br />

Le Flambeau parut cinq fois entre janvier 1935 et mars 1936.<br />

Publication d'une haute tenue typographique, la revue s'adresse <strong>à</strong> la<br />

. jeunesse cultivée et particulièrement aux Jeunes-Flambeau. Né <strong>du</strong> même<br />

mouvement qui fut <strong>à</strong> l'origine de la Relève et de Vivre, le Flambeau se<br />

rapprochait plutôt des orientations de la revue de Jean-Louis Gagnon. Le<br />

rôle joué par Le Flambeau a été exposé au chapitre IX.<br />

Finalement, mentionnons la revue Le Mauricien qui se présente comme<br />

une revue régionaliste illustrée" et adopte le modèle de La Revue<br />

populaire. Il paraît mensuellement de novembre 1936 <strong>à</strong> décembre 1939. A<br />

partir de mars 1939 le nom change pour celui de Horizons, la politique<br />

demeure la même et la présentation ne change pas. Joseph Barnard et<br />

Charles-Auguste St-Arnaud sont respectivement directeur et rédacteur<br />

<strong>du</strong>rant la première année. Clément Marchand et Raymond Douville leur<br />

succèdent en 1937. Leur arrivée cOlncide avec une orientation plus<br />

12. Clément Marchand, "Préface", Almanach trifluvien, vol. II, 1935,<br />

p. 67.<br />

171


canadienne-française depuis le début <strong>du</strong> siècle a eu son écho en Mauricie,<br />

soulevant les passions dans l'élite intellectuelle locale 1 •• D'autre<br />

part, un survol, même très sommaire, fait ressortir que la littérature<br />

mauricienne - <strong>du</strong>rant la période qui nous occupe - s'inscrit globalement<br />

dans le projet <strong>du</strong> régionalisme littéraire <strong>à</strong> peu d'exceptions près.<br />

Il est cependant hors de notre propos de présenter dans les pages<br />

qui suivent une analyse qualitative des ouvrages littéraires suscités par<br />

le courant régionaliste mauricien. Nous voudrions plutôt mettre en<br />

évidence le rapport entre le discours idéologique des régionalistes<br />

mauriciens et les oeuvres littéraires ou historiques élaborées en réponse<br />

<strong>à</strong> l'appel des émetteurs <strong>du</strong> régionalisme en Mauricie.<br />

*<br />

Les propos tenus par Albert Tessier devant les membres de l'Associa-<br />

tion des auteurs canadiens ne laissent planer aucun doute sur ses préfé-<br />

rences envers le régionalisme littéraire. Brossant une esquisse de la<br />

vie intellectuelle en Mauricie, il place Nérée Beauchemin, l'auteur de<br />

Patrie intime, "<strong>à</strong> la tête de tous nos écrivains" (3.1). Au Congrès de la<br />

langue française, en 1937, il énonce un véritable projet littéraire.<br />

Pour lui, la Nature consiste la principale richesse que l'écrivain doit<br />

exploiter. Délaissant la culture livresque et les poncifs des manuels<br />

14. Par exemple voir l'article "Un <strong>du</strong>el littéraire sur le régionalisme"<br />

(Le Nouvelliste, 5 mars 1929, p. 1) <strong>à</strong> propos de la querelle entre<br />

Harry Bernard et Jean-Charles Harvey. L'auteur favorise les idées<br />

régionalistes de Bernard.<br />

173


scolaires, la littérature doit exalter des thèmes familiers empruntés au<br />

cadre de vie où chacun se reconna'it: "Le goOt <strong>du</strong> travail, le culte de<br />

l'effort tenace, l'amour <strong>du</strong> risque". Voil<strong>à</strong>, de poursuivre Tessier, "les<br />

éléments susceptibles d'alimenter une littérature forte, originale, bien<br />

<strong>à</strong> nous" (3.13). Même s'il admettra plus tard que la littérature <strong>du</strong><br />

terroir l'attirait <strong>du</strong>rant ses années de séminariste, Albert Tessier se<br />

défendra de confondre régionalisme et terroirisme. Il précise ce point<br />

dans une lettre <strong>à</strong> Jean-Charles Harvey15 et reprend la même affirmation<br />

dans une lettre datée <strong>du</strong> jour suivant <strong>à</strong> 01ivar Asselin16 . Mais une<br />

pareille distinction nous semble peu convaincante, tellement Tessier a<br />

appuyé le retour <strong>à</strong> la terre et promu les oeuvres associées <strong>à</strong> la 1ittéra-<br />

ture <strong>du</strong> terroir (voir le chapitre IV). Guère plus défendable ne nous<br />

appara1t encore l'idée que "l'oeuvre régionaliste est universelle par la<br />

beauté qu'elle contient" (1.5). Le défenseur des idées régionalistes<br />

semble oublier que c'est par l'universalité de la thématique qu'une<br />

oeuvre peut espérer avoir accès <strong>à</strong> la pérennité. La nostalgie frileuse ou<br />

l'accrochement passéiste ne sauraient prétendre <strong>à</strong> l'universel, quelle que<br />

soit la richesse stylistique avec laquelle ils sont énoncés. Il est<br />

curieux de constater que, malgré cette incompréhension, Tessier a tout de<br />

même proposé aux auteurs la thématique de l'eau, sujet qui offre la<br />

possibilité de transcender tout contexte particulier 17 .<br />

15. Lettre d'Albert Tessier <strong>à</strong> Jean-Charles Harvey, 2 avril 1933. ASTR,<br />

fonds Albert-Tessier FN-0014, P-2.<br />

16. Lettre d'Albert Tessier <strong>à</strong> 01ivar Asse1in, 3 avril 1933. ASTR, fonds<br />

Albert-Tessier, FN-0014, P-1.<br />

17. Voir (3.6) et le thème de la Nature dans le Chapitre IV.<br />

174


*<br />

Une vision plus large <strong>du</strong> régionalisme littéraire est présentée par<br />

Clément Marchand 18 • Aussitôt qu'il accède <strong>à</strong> la direction <strong>du</strong> Bien Public,<br />

Marchand expose en effet l'idée régionaliste qu'il entend incarner dans<br />

les pages de son journal (3.2). Transposant l'idéologie d'Albert Tessier<br />

dans le domaine de la littérature, Marchand trace le programme <strong>du</strong> régio-<br />

nalisme littéraire en ces termes:<br />

Que l'écrivain maurlClen [ ... ] exploite les' richesses qui<br />

l'entourent, qu'il referme parfois les yeux sur la beauté<br />

toujours renouvelée <strong>du</strong> fragment de pays dans lequel il<br />

vit [ ... ] qu'il garde la liberté d'enfermer de l'humanité<br />

18. Clément Marchand est né en 1912 <strong>à</strong> Ste-Geneviève-de-Batiscan.<br />

Orphelin en bas âge, il est pensionnaire chez les Soeurs françaises<br />

<strong>du</strong> Jardin de l'Enfance <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, puis au Séminaire St-Joseph<br />

où il fait la rencontre d'Albert Tessier. Il soumet ses premiers<br />

essais littéraires <strong>à</strong> ce dernier qui l'encourage; il fréquente le<br />

groupe d'Alfred DesRochers <strong>à</strong> Sherbrooke. En 1933, Marchand devient<br />

co-propriétaire et rédacteur <strong>du</strong> Bien Public. C'est l'époque de la<br />

rédaction de Courriers des villages et des Soirs rouges publiés plus<br />

tard, recueil qui lui ont valu successivement le Prix David en 1939<br />

et en 1942. En tant que responsable des Editions <strong>du</strong> Bien Public,<br />

Clément Marchand fait paraître plus de 300 titres et encourage les<br />

jeunes écrivains. Bon nombre d'auteurs lui doivent d'avoir été<br />

publiés une première fois, comme Gérald Godin, Suzanne Paradis et<br />

Yves Préfontaine. A la retraite depuis le début des années 80,<br />

Clément Marchand continue d'être un grand animateur de la vie de<br />

l'esprit en Mauricie. Il a reçu le prix littéraire de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

en 1985. Les Presses laurentiennes ont publié en 1983 Le choix<br />

de Clément Marchand dans l'oeuvre de Clément Marchand tandis que<br />

Stanké rééditait Soirs rouges et Courriers des villages dans la<br />

collection 10/10. Une anthologie de Nérée Beauchemin, des articles<br />

de critique, des essais dans les revues et des textes pour Radio­<br />

Canada complètent la bibliographie de Clément Marchand, sans oublier<br />

les écrits journalistiques <strong>du</strong> Bien Public. Finalement, mentionnons<br />

que Clément Marchand a rédigé un compte ren<strong>du</strong> de l'activité littéraire<br />

régionale entre 1920 et 1940: "Notes sur le mouvement<br />

littéraire aux <strong>Trois</strong>-Rivières depuis vingt ans", Le Nouvelliste, 23<br />

novembre 1940, p. 71 et 84.<br />

175


dans ses oeuvres, qu'il lui soit permis de parcourir tous<br />

les sentiers de la pensée humaine (3.2).<br />

Prônant un régionalisme ouvert, le rédacteur <strong>du</strong> Bien Public insiste<br />

sur la nécessité de se pénétrer <strong>du</strong> génie de la stylistique des auteurs<br />

français tout en dégageant la personnalité canadienne-française. Initié<br />

tôt aux régionalistes français par Tessier 19 , Clément Marchand les<br />

propose comme modèles. Quelques années plus tard, déplorant l'essouffle-<br />

ment <strong>du</strong> mouvement littéraire des années 1930-1935, il propose, afin de<br />

raviver ce courant, de lui assigner une mission élevée (au-del<strong>à</strong> <strong>du</strong><br />

militantisme et de l'utilitarisme), celle de définisseur de la nation,<br />

en prenant la littérature française comme exemple:<br />

La France est l'oeuvre profonde de<br />

ment, de ses écrivains, de toute<br />

de penseurs et de fous inspirés,<br />

siècles (3.17)!<br />

qui, sinon, véritab1ecette<br />

longue théorie2o<br />

déroulée au cours des<br />

Clément Marchand prend ses distances avec la perspective tradition-<br />

nelle lorsque, par exemple, il écrit que le <strong>Québec</strong> devait son étonnante<br />

stérilité littéraire <strong>à</strong><br />

une certaine mentalité de douce insuffisance qui [ ... ]<br />

faisait croire <strong>à</strong> nos gens qu'ils constituaient sur le<br />

globe une race prédestinée comblée de tous les dons d'une<br />

providence aisément compatissante (3.14).<br />

19. Dans une entrevue accordée <strong>à</strong> Adrienne Choquette, il déclare ses<br />

préférences envers des auteurs tels Alphonse de Chateaubriant, Jean<br />

Giono, Henri Pourrat, Léon Daudet, Marie Le Franc. Tessier lui<br />

avait fait goûter Francis Jammes et Emile Verhaeren, mais son<br />

intérêt se tourne également vers Gide et Valéry, (Le Mauricien,<br />

novembre 1938, p. 32-34).<br />

20. Au sens classique de défilé, procession.<br />

176


Allant plus loin encore, il répond <strong>à</strong> Adrienne Choquette que ce sont<br />

les préjugés moraux qui empêchent l'expression d'un art sincère 21 • Dans<br />

Le Mauricien, puis Horizons, il n'a pas hésité <strong>à</strong> publier des textes de<br />

Jean-Charles Harvey, François Hertel, René Garneau et plusieurs autres<br />

dont le contenu tranchait avec le discours de Tessier. Ainsi il n'ap-<br />

paralt plus possible de proclamer l'unanimité des propos sur le "projet<br />

littéraire", <strong>à</strong> l'intérieur même <strong>du</strong> discours des régionalistes. Peu <strong>à</strong><br />

peu, Marchand, et d'autres avec lui, se sont détachés progressivement de<br />

la fascination envers leur ancien maltre, sans toutefois renier quoi que<br />

ce soit de l'admiration inconditionnelle pour la littérature française 22 •<br />

La carrière de Clément Marchand a été liée de façon significative avec<br />

celle d'un autre témoin capital des années trente <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

Raymond Douville.<br />

21. "Est-il possible, par exemple, d'exercer le métier de romancier dans<br />

un pays où la peur des mots oblige souvent <strong>à</strong> de longues périphrases,<br />

et où une norme sévère de la morale, confite dans l'i11usionisme et<br />

l'hypocrisie, empêche l'écrivain d'être complet en le confinant <strong>à</strong><br />

des sujets conventionnels" (Le Mauricien, novembre 1938, p. 34).<br />

Ce texte a été publié sous le titre de Confidences d'écrivains<br />

canadiens-français recueillies par Adrienne Choguette aux éditions<br />

<strong>du</strong> Bien Public en 1939. Les Presses Laurentiennes ont réédité<br />

l'ouvrage en 1976.<br />

22. En pleine fièvre régionaliste <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, Marchand rédige<br />

Courriers des villages, recueil de nouvelles où les contemporains ne<br />

surent pour la plupart discerner le caractère subversif de plusieurs<br />

pages essentielles. Récupéré et louangé par les chantres <strong>du</strong><br />

régionalisme littéraire (comme Claude-Henri Grignon), l'ouvrage de<br />

Marchand connaîtra une certaine éclipse jusqu'au moment où une<br />

lecture plus dégagée fera ressortir une modernité occultée par des<br />

critiques ré<strong>du</strong>ctrices. Ainsi, Jean Royer écrit, dans la préface de<br />

la réédition de Courriers des villages (p. 10-11) que "ces pages<br />

n'appartiennent au terroir que pour s'en détacher" précisant que,<br />

dans les faits, Clément Marchand observait "la fin <strong>du</strong> village".<br />

177


*<br />

Raymond Douvi11e 23 a joué un rôle plus effacé quoique déterminant<br />

dans la diffusion <strong>du</strong> régionalisme littéraire en Mauricie 24 • Rédacteur au<br />

Bien Public avec Clément Marchand, il favorise la diffusion des oeuvres<br />

régionalistes 25 , appuie le mouvement culturel et social enclenché par<br />

Albert Tessier et n'a de cesse d'imposer des valeurs intellectuelles <strong>à</strong><br />

une population quelque peu "endormie". L'aventure se poursuit dans Le<br />

Mauricien et Horizons alors que Douville appuient les efforts<br />

23. Né <strong>à</strong> Ste-Anne-de-la-Pérade en 1905, Raymond Douville a pourSU1Vl ses<br />

études au Séminaire de Nicolet et <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> de Montréal.<br />

D'abord journaliste au Nouvelliste, puis secrétaire de la librairie<br />

d'action canadienne-française, il s'embarque dans l'aventure <strong>du</strong><br />

Bien Public aux côtés de Clément Marchand en 1933. Il Y participera<br />

jusqu'en 1959, année où il est nommé sous-secrétaire de la province;<br />

onze ans plus tard, il devient archiviste de la province de <strong>Québec</strong>.<br />

Maintenant retraité <strong>à</strong> <strong>Québec</strong>, il consacre encore ses loisirs <strong>à</strong><br />

l'histoire. Dès 1932, il publiait La vie aventureuse d'Arthur<br />

Buies; succéderont Aaron Hart (1938), Les premiers seigneurs et<br />

colons de Ste-Anne-de-la-Pérade (1946), Visages <strong>du</strong> Vieux <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières (1955, un second tome vient de paraître en 1988).<br />

Débordant le cadre régional, son oeuvre historique comprend<br />

également deux oeuvres publiées chez Hachette <strong>à</strong> Paris: Vie<br />

quotidienne en Nouvelle-France (1964) et Vie quotidienne des Indiens<br />

<strong>du</strong> Canada (1967). Raymond Douville est membre de la Société des Dix<br />

depuis 1948 et de la Société Royale <strong>du</strong> Canada depuis 1957. Il a été<br />

président de la Société d'histoire régionale de 1947 <strong>à</strong> 1959.<br />

24. Clément Marchand, son collaborateur au Bien Public, le souligne dans<br />

une lettre où il écrit: uR.D., historien important de l'écurie<br />

Tessier [ ... ] Sans Douville et son action journalistique au Bien<br />

Public, Mgr Tessier et son régionalisme n'auraient probablement pas<br />

eu le même rayonnement en Mauricie de même que dans le reste <strong>du</strong><br />

<strong>Québec</strong>" (Lettre de Clément Marchand <strong>à</strong> René Verrette, 11 mai 1987).<br />

25. Douville tient ses lecteurs au courant des réalisations et des<br />

projets de la littérature mauricienne (3.5). Une vingtaine d'années<br />

plus tard, profitant de son accession <strong>à</strong> la Société royale <strong>du</strong><br />

Canada, il brosse un tableau succint mais complet de l'activité<br />

culturelle née <strong>du</strong> régionalisme en Mauricie (3.19).<br />

178


persévérants de Marchand. A l'instar d'Albert Tessier, il conjugue<br />

littérature et histoire en livrant un récit historique qu'il intitule <strong>du</strong><br />

nom de son héros, Aaron Hart. L'ouvrage relate, sur une base historique<br />

établie <strong>à</strong> partir des archives d'époque, la carrière mouvementée d'un<br />

marchand juif installé <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1760. La vie de Hart est<br />

romancée d'une façon si naturelle qu'il est difficile de départager ce<br />

qui relève de l'histoire ou de la fiction. D'autre part, Raymond Dou-<br />

ville signe une courte nouvelle "Un soir au café de la Mauricie" qui<br />

parut dans L'Almanach trif1uvien 28 •<br />

Le même numéro de L'Almanach tr;f1uv;en fait para1tre un article <strong>du</strong><br />

Père Gonzalve Poulin, o.f.m., sur le régionalisme littéraire. Le distin-<br />

gué directeur de La Revue franciscaine avance l'idée que le contexte<br />

difficile de la situation présente (crise morale et économique) est<br />

propice <strong>à</strong> l'éclosion d'une véritable littérature régionaliste. Refusant<br />

toute forme de patois ("le huron ou l'iroquois" de Crémazie), il affirme,<br />

s'appuyant sur les propos d'Adjutor Rivard, que "notre langue et notre<br />

littérature ne peuvent vivre et se développer normalement que si elles<br />

restent françaises". Le Père Poulin définit le régionalisme littéraire<br />

ainsi:<br />

une inspiration plus large et plus compréhensive <strong>du</strong><br />

26. "Un soir au café de la Mauricie", Almanach trif1uvien, vol. III,<br />

1934, p. 204-205. Le récit est repris dans En vrac, nO 35-36,<br />

printemps-été 1988, p. 132-139.<br />

179


génie, des moeurs, de la géographie et de la petite<br />

histoire de chacune de nos région27 .<br />

Ce projet est en tous points conforme <strong>à</strong> celui d'Albert Tessier.<br />

D'ailleurs le Père Poulin vante les mérites <strong>du</strong> régionalisme littéraire en<br />

Mauricie en citant la collection des Pages trifluviennes en exemple. Il<br />

s'empresse de louanger les journaux régionaux, au premier chef Le Bien<br />

Public, qui apparaissent selon lui, comme "l'une des formes les plus<br />

intéressantes <strong>du</strong> personnalisme régional"28. Ces énoncés de principe ne<br />

sont pas restés lettre morte. Poètes, nouvellistes et historiens se sont<br />

mis résolument <strong>à</strong> la tâche, aiguillonnés par l'appel des régionalistes.<br />

***<br />

3. Brève analyse des oeuvres littéraires et historiques<br />

L'étude analytique <strong>du</strong> corpus littéraire influencé par le discours<br />

régionaliste en Mauricie, pour intéressante qu'elle soit, fournirait la<br />

27. "Régionalisme littéraire", Almanach trifluvien, vol. III, 1934,<br />

p. 162-163 (3.3). Une partie <strong>du</strong> texte qui concerne les journaux<br />

régionaux parut dans Le Mauricien, vol. 1, nO 1, novembre 1936, p. 8<br />

(3.7).<br />

28. Le mot "personnalisme" rappelle le mouvement créé par Emmanuel<br />

Mounier en France qui commence <strong>à</strong> faire parler de lui dans les<br />

milieux catholiques. Tessier emploie également le terme <strong>à</strong> une<br />

occasion. Il ne faut pas en conclure que les deux auteurs adhéraient<br />

essentiellement aux thèses de Mounier; "personnalisme" est<br />

plutôt utilisé comme synonyme de "personnalité".<br />

180


matière <strong>à</strong> une thèse substantielle. Nous nous limiterons dans ce chapitre<br />

<strong>à</strong> signaler et commenter brièvement les textes <strong>à</strong> saveur régionaliste<br />

publiés ou écrits avant 1940 dont le paysage mauricien, le cadre des<br />

Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire ou encore les idées chères <strong>à</strong> Tessier constituent<br />

un thème majeur.<br />

En mai 1932, Le Bien Public organise un concours littéraire ayant<br />

comme sujet l'histoire de <strong>Trois</strong>-Rivières. <strong>Trois</strong> textes retenus pour leur<br />

qualité paraissent dans les colonnes de l'hebdomadaire trif1uvien; ils<br />

sont ensuite publiés dans une plaquette parue la même année 29 • Le<br />

premier texte, signé <strong>du</strong> pseudonyme Gilles Quentin 30 (frère Noël Gosselin)<br />

s'intitule "Le Réveil <strong>du</strong> vieux pin". L'histoire de la cité trifluvienne<br />

est présentée par la voix d'un pin ancestral témoin des débuts de l'épo-<br />

pée de la Mauricie. De son côté, dans Le Geste de la croix, Clément<br />

Marchand sous le pseudonyme de Capitanal 31 , raconte l'arrêt de Cartier <strong>à</strong><br />

l'île Saint-Quentin en 1535 dans une séquence de douze sonnets. La<br />

richesse des images et la précision <strong>du</strong> vocabulaire dénotent la maîtrise<br />

précoce de l'auteur de ces pages vibrantes d'un romantisme désuet.<br />

L'épopée trifluvienne de François Hertel (pseudonyme de Rodolphe Dubé<br />

29. Bas-Reliefs. <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Bien Public (1932),<br />

44 p. Voir l'article de Suzanne Paradis et Kenneth Landry dans le<br />

Dictionnaire des oeuvres littéraires <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, tome 2, p. 134-135.<br />

30. Allusion <strong>à</strong> l'île Saint-Quentin, où Jacques Cartier planta une croix<br />

en 1535, <strong>à</strong> l'embouchure de la Saint-Maurice.<br />

31. Nom <strong>du</strong> chef amérindien qui réussit <strong>à</strong> convaincre Champlain d'établir<br />

un poste français en permanence <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

181


qualificatif de "roman régional". L'apôtre <strong>du</strong> régionalisme édite encore<br />

deux oeuvres de MOlsette Olier dans la collection des Pages trifluvien-<br />

nes. Le Saint-Maurice, texte servant de liminaire <strong>à</strong> l'étude <strong>du</strong> géographe<br />

Raymond Tanghe 37 , paru en 1932, constitue un hymne aux "eaux qui ont<br />

baptisé la ville tricentenaire". Deux ans plus tard, c'est au tour de<br />

Cha8inigane 38 , "monographie poétisée", de voir le jour; puissante évoca-<br />

tion de l'histoire mauricienne, Cha8inigane prend les allures d'une<br />

épopée hérolque traversée d'invocations dans le style de la Bible. Le<br />

ton grandiloquent qui agace le lecteur d'aujourd'hui y sévit comme <strong>du</strong><br />

reste dans quelques-unes des oeuvres nées de la ferveur "mystique" <strong>du</strong><br />

régionalisme mauricien.<br />

Deux oeuvres de la romancière de Shawinigan sortirent des presses <strong>du</strong><br />

Nouvelliste en 1936: Etincelles et Mademoiselle Sérénité. Etincelles 39<br />

évoque l'épopée des Forges <strong>du</strong> Saint-Maurice dans un cadre romanesque où<br />

l'intrigue amoureuse maintient l'intérêt <strong>du</strong> lecteur. Mademoiselle<br />

36. Ouvrage publié <strong>à</strong> Montréal, aux Editions<br />

Tessier l'a fait paraître en feuilleton<br />

novembre 1932 au 17 janvier 1933.<br />

183<br />

Edouard Garand, en 1927.<br />

dans Le Bien Public <strong>du</strong> 29<br />

37. Au pays de l'énergie, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1932, les Editions <strong>du</strong> Bien<br />

Public, coll. Pages trifluviennes, Série B, nO 5, 46 p. Il avait<br />

paru auparavant sous le titre de "Le Saint-Maurice" dans Le Bien<br />

Public, 14 juin 1932, p. 1 et 5 sous le pseudonyme de Riveraine.<br />

38. Cha8inigane. <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1934, coll.<br />

Pages trifluviennes, série C, nO 6, 68 p.<br />

39. Etincelles. <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Nouvelliste 1936, 222 p.<br />

Une première version avait paru en feuilleton dans Le Bien Public<br />

<strong>du</strong> 28 septembre 1933 au 12 juillet 1934 sous le titre de Cendres.<br />

Le roman publié comprend les deux premières parties de Cendres<br />

légèrement retouchées; la troisième, qui décrit le déclin des Forges<br />

de Saint-Maurice, a été supprimée.


Sérénité 40 , dont l'intrigue se noue dans l'atmosphère des Fêtes <strong>du</strong><br />

tricentenaire, décrit la vie petite-bourgeoise telle qu'elle pouvait se<br />

dérouler dans une ville comme Shawinigan. Dans ces quatre ouvrages,<br />

l'auteure démontre qu'elle avait parfaitement compris la leçon de Tes-<br />

sier.<br />

L'année faste <strong>du</strong> régionalisme mauricien, 1934, voit également la<br />

parution d'Ecrin, recueil de textes en vers et en prose de Jeanne L'Ar-<br />

chevêque-Duguay41. L'ouvrage se divise en deux sections. La première<br />

partie, "Pierres précieuses", raconte divers événements religieux et<br />

profanes rel iés <strong>à</strong> la fondation de <strong>Trois</strong>-Rivières. "Simples pierres", le<br />

second volet d'Ecrin, prend un caractère intimiste et dévoile l'attache-<br />

ment de l'auteure <strong>à</strong> la vie domestique et aux tâches maternelles. Même si<br />

Suzanne Paradis42 n'y perçoit qu'un lointain rapport avec la poésie, on<br />

ne peut dédaigner la noblesse <strong>du</strong> ton et l'émotion sincère que l'oeuvre<br />

recèle. L'admiration des héros trif1uviens et la défense de la vie<br />

40. Mademoiselle Sérénité. <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Nouvelliste,<br />

1936.<br />

41. Jeanne L'Archevêque-Duguay est née <strong>à</strong> Montréal en 1901. Elle épouse<br />

le peintre nico1étain Rodolphe Duguay en 1929 et fait ses débuts<br />

dans le journalisme au Bien Public en 1930. Durant sa riche et<br />

longue carrière elle a collaboré au Droit, au Canada français et <strong>à</strong><br />

Paysana. Elle a également publié, entre autres, dans la période qui<br />

nous occupe, en 1940, Comme nous sommes heureux!, album de photos<br />

avec textes en collaboration avec Albert Tessier, aux Editions <strong>du</strong><br />

Bien Public (Voir Ecrivains de la Mauricie: Dictionnaire biobibliographique,<br />

critique et antho10gique, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions<br />

<strong>du</strong> Bien Public, 1981, p. 159-166).<br />

42. Voir son article "Ecrin" dans le Dictionnaire des oeuvres<br />

littéraires <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, tome 2, p. 395-396.<br />

184


paysanne rendent cette dernière conforme aux codes esthétiques et sociaux<br />

<strong>du</strong> régionalisme mauricien.<br />

Une représentante <strong>du</strong> monde littéraire français emboîte le pas au<br />

mouvement enclenché en Mauricie. En effet, paraît en 1936 La Randonnée<br />

passionnée 43 de Marie Le Franc. La sortie <strong>du</strong> roman fait figure d'événe-<br />

ment en Mauricie. Pour plus d'un, tel Raymond Douville, c'est ni plus ni<br />

moins que la rentrée <strong>du</strong> Saint-Maurice dans la littérature française.<br />

L'auteure avait utilisé les notes <strong>du</strong> voyage qu'elle avait rédigées lors<br />

d'un voyage en Haute-Mauricie. Le prix Fémina accordé <strong>à</strong> Marie Le Franc<br />

l'avait auréolée d'une certaine notoriété qui se maintint avec la publi-<br />

cation de nombreux romans. Lors de son séjour <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, elle<br />

livra ses impressions et donna une "leçon de régionalisme" devant les<br />

membres <strong>du</strong> cercle Marie-de-l'Incarnation, de la Société Le Flambeau et <strong>du</strong><br />

Club Radisson 44 • La forêt mauricienne a également inspiré une romancière<br />

américaine, Sarah Larkin 45 , qui publie, en 1934, <strong>à</strong> New York son poème<br />

43 . La Randonnée passionnée, Paris, Ferenczi, 1936, 248 p.<br />

44. [Anonyme], "Marie Le Franc", Le Flambeau, vol. 1, nO 3, juillet<br />

1935, p. 70. Marie Le Franc (1879-1964) naquit en Bretagne et passa<br />

une partie de sa vie au <strong>Québec</strong>. Ses romans parurent <strong>à</strong> Paris, la<br />

Randonnée passionnée a été réédité chez Fides <strong>à</strong> Montréal en 1962.<br />

Elle s'est adonnée au journalisme en signant des articles dans les<br />

Carnets viatoriens et Le Mercure de France. Comme celle d'Henriette<br />

Charasson, il semble que son oeuvre soit tombée dans l'oubli car<br />

aucun dictionnaire de littérature récent n'en fait mention.<br />

45. Sarah Larkin (1896-1988) était une Américaine très fortunée qui<br />

passa les étés et les vacances d'hiver au majestueux domaine <strong>du</strong> Lac<br />

Clair (Canton Lange1ier) entre 1930 et 1965. Issue d'un milieu<br />

cultivé, elle avait fait des études en France et s'adonnait par<br />

plaisir <strong>à</strong> l'écriture. La vie simple des Amérindiens et des forestiers,<br />

les paysages naturels de même que la diversité de la faune<br />

aiguisaient sa sensibilité d'artiste. Comme bien d'autres, elle fut<br />

185


Three Rivers, un long ouvrage rédigé en vers libres, où les débuts<br />

historiques de la Mauricie et les légendes amérindiennes forment la trame<br />

d'une épopée pleine d'élan et de grandeur 46 • Sarah Larkin fait également<br />

paraître aux Editions <strong>du</strong> Bien Public une relation des exploits de Pierre­<br />

Esprit Radisson, le fameux explorateur trifluvien, sous forme d'une<br />

épopée en vers 47 • L'héroïsme des découvreurs et le cadre grandiose dans<br />

lequel ils évoluent sont évoqués avec les accents qui plaisaient aux<br />

régionalistes mauriciens. Dans une causerie prononcée le 26 avril 1935<br />

<strong>à</strong> l'Heure provinciale (CKAC), Sarah Larkin exposa l'essentiel des sources<br />

de son attachement <strong>à</strong> la Mauricie, qui était devenue sa seconde patrie 48 •<br />

En 1934, la collection des "Pages trifluviennes" s'enrichit de<br />

plusieurs titres, dont La Belle au Bois dormant 49 , une évocation histori-<br />

embrigadée par Tessier<br />

Clément Marchand, qui la<br />

de ses textes et a été<br />

de Roland Héroux dans Le<br />

186<br />

dans le courant littéraire régionaliste.<br />

tient en haute estime, a tra<strong>du</strong>it plusieurs<br />

son éditeur fidèle (Voir les deux articles<br />

Nouvelliste, 26 mars 1988, p. 11A).<br />

46. Three Rivers, New York, G.P. Putnam's & Sons, 1934, 93 p. avec un<br />

glossaire de termes amérindiens et une bibliographie d'ouvrages<br />

historiques.<br />

47. Radisson, <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

L'auteure mentionne les<br />

l'égide de Tessier. Des<br />

spécialisée sont présentés<br />

les Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1938, 147 p.<br />

recherches historiques effectuées sous<br />

documents d'archives et une bibliographie<br />

<strong>à</strong> la fin de l'ouvrage.<br />

48. Texte repro<strong>du</strong>it dans Le Three Rivers Year Book 1935, p. 121-123.<br />

Plusieurs articles des années trente font écho <strong>à</strong> l'oeuvre de Sarah<br />

Larkin. Par exemple, ceux d'Olivar Asse1in ("Madame Sarah Larkin­<br />

Loening", Almanach trif1uvien, vol. III, (1934), p. 164-167) et de<br />

Clément Marchand ("Sarah Larkin, la poétesse américaine <strong>du</strong> Lac<br />

Clair", Le Mauricien, juin 1939, p. 8-9).<br />

49. La Belle au Bois dormant, <strong>Trois</strong>-Rivières, les Editions <strong>du</strong> Bien<br />

Public, 1934, 80 p., coll. "Pages trifluviennes", Série C, nO 7.


que de Marguerite Bourgeois 5o • Cette belle endormie qui s'éveille, c'est<br />

la ville de <strong>Trois</strong>-Rivières vers 1860. La vie des gens <strong>du</strong> siècle dernier<br />

est décrite d'une façon attachante et digne des meilleurs récits histori-<br />

ques.<br />

Ainsi, la thématique régionaliste, avec sa constellation: cadre.<br />

naturel - vie paysanne - évocation <strong>du</strong> passé, s'inscrit de façon quasi<br />

automatique dans le champ littéraire restreint que le contexte idéo1ogi-<br />

que et culturel imposait <strong>à</strong> l'écriture féminine <strong>du</strong>rant les années trente.<br />

Cette thématique appara't cependant dans une optique plus "virile"<br />

ou plus "masculine" (si l'on veut utiliser les stéréotypes ayant cours <strong>à</strong><br />

l'époque) dans les oeuvres de Clément Marchand et de Raymond Douville<br />

mentionnées précédemment, de même que chez Sylvain, Ringuet ou Alfred<br />

Desrochers dont il sera question plus loin. Un ouvrage, paru en 1932,<br />

aborde un thème nouveau, le quotidien urbain envisagé sous l'angle de<br />

l'humour. La rue des Forges 51 , de Philippe Laferrière 52 est un recueil de<br />

50. Marguerite Bourgeois, née <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1912, est la fille <strong>du</strong><br />

sénateur Charles Bourgeois qui fut député fédéral <strong>du</strong>rant les années<br />

trente. Elle a publié également plusieurs articles dans L'Almanach<br />

trif1uvien et Le Flambeau. Elle tint le rôle de "Mademoiselle<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières" dans les reconstitutions historiques avant d'entrer<br />

au Carmel sous le nom de Soeur Marguerite <strong>du</strong> Saint-Sacrement. Elle<br />

vit maintenant dans un monastère <strong>à</strong> Singapour.<br />

51. Phyl Laferrière, La rue des Forges, Montréal, Editions Albert<br />

Lévesque, 1932, 172 p. L'auteur avait retenu 26 des 52 textes parus<br />

sous les titres Billet <strong>du</strong> samedi ou Billet <strong>du</strong> lundi dans Le<br />

Nouvelliste entre le 5 avril 1930 et le 13 avril 1931. Voir le<br />

Dictionnaire des oeuvres littéraires <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, tome 2 1900-1939,<br />

p. 987-988.<br />

187


26 nouvelles brèves où sont relatés avec talent les menus faits de la rue<br />

commerçante de <strong>Trois</strong>-Rivières vus d'un café. La fantaisie et la gaieté<br />

s'allient pour se moquer, entre autres, de ceux qui rouspètent contre les<br />

inventions récentes que sont l'automobile et la radio. Germaine Rous-<br />

seau-De1igny écrit, dans le Mercure de France S3 , que l'auteur "nous<br />

initie <strong>à</strong> la vie canadienne-française et nous fait aimer nos 'cousins' si<br />

simples, si jeunes de caractère [sic] et restés si français de coeur".<br />

Même si l'ouvrage de Laferrière n'adhère pas explicitement au Credo<br />

régionaliste de Tessier, il n'en constitue pas moins un témoignage<br />

précieux de l'époque.<br />

*<br />

Les Editions <strong>du</strong> Bien Public font paraître En flânant dans les<br />

portages de Sylvains. dans la collection "Pages trif1uviennes" Série C<br />

nO 4. Dans ces pages "ciselées <strong>à</strong> la gloire de la nature mauricienne",<br />

52. Philippe Laferrière (1891-1971), né <strong>à</strong> Montréal, compléta ses études<br />

<strong>à</strong> l'Académie Jul1ian de Paris avant de diriger une banque et de<br />

passer au journalisme. Au Nouvelliste de 1930 <strong>à</strong> 1932, il devint<br />

bibliothécaire <strong>à</strong> <strong>Québec</strong> puis <strong>à</strong> Montréal.<br />

53. L'article non daté est repro<strong>du</strong>it dans Le Bien Public <strong>du</strong> 15 février<br />

1934 sous le titre: "Ce qu'on dit en France d'un livre trifluvien".<br />

54. Le Docteur Auguste Panneton a pris en littérature le pseudonyme de<br />

Sylvain, témoignage de son attachement profond envers la forêt<br />

mauricienne. Né <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1888, il fit ses études au<br />

Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> de Montréal et <strong>à</strong><br />

l'<strong>Université</strong> de Lyon. Il exerça sa spécialité d'oto-rhinolaryngologue<br />

<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières et occupa ses loisirs <strong>à</strong> l'écriture.<br />

Il édita <strong>à</strong> son propre compte En flânant dans les portages en 1932<br />

avant de confier l'oeuvre aux Editions <strong>du</strong> Bien Public deux ans plus<br />

tard. Sylvain a signé quelques autres oeuvres illustrant la<br />

Mauricie et parues après 1940. Il est décédé en 1966, <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

188


pour reprendre l'expression de Tessier, l'auteur use d'une prose poétique<br />

lui permettant d'épancher son lyrisme méditatif. Kenneth Landry55 estime<br />

que l'oeuvre préfigure L'Abatis de Félix-Antoine Savard. La publicité<br />

des "Pages trifluviennes" prétend qu'il s'agit <strong>du</strong> "seul ouvrage [ ... ]<br />

consacré spécialement <strong>à</strong> la forêt et aux eaux de notre province". L'année<br />

précédente, soit en 1933, dans la même collection (Série C nO 2) avait<br />

paru Mon petit pays, texte de 46 pages où l'on retrouve une série de<br />

tableaux (récits historiques, anecdotes, réflexions) sur des sujets comme<br />

"le cadran solaire", "un érable mort", "la vieille maison", "au temps des<br />

enseignes françaises". Toutefois, ce sera le frère de Sylvain, Ringuet,<br />

qui se démarquera d'une façon éclatante de la littérature régionaliste.<br />

Ce serait faire injure <strong>à</strong> Trente arpents, le chef-d'oeuvre de Rin-<br />

guet 58 , et peut-être le meilleur roman québécois des années trente, que<br />

de l'inclure dans la présente série d'ouvrages régionalistes. En effet,<br />

la sobriété efficace <strong>du</strong> style, l'universalité des personnages et des<br />

situations enfin, et surtout, le regard distancié et sans complaisance de<br />

55. Dans le Dictionnaire des oeuvres littéraires <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, tome 2, p. 421.<br />

56. Ringuet est le pseudonyme (nom de famille de sa mère) <strong>du</strong> Docteur<br />

Philippe Panneton (1895-1960), né <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières. Après des<br />

études mouvementées chez les Soeurs françaises <strong>du</strong> Jardin de<br />

l'Enfance de <strong>Trois</strong>-Rivières, au Séminaire Saint-Joseph de <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, au Collège Sainte-Marie de Montréal, au Séminaire de<br />

Joliette, <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> de Montréal et en Europe, il se spécialise<br />

en oto-rhino-laryngologie. Il exerce sa profession <strong>à</strong> Montréal et<br />

enseigne <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> de Montréal. Membre fondateur de l'Académie<br />

canadienne-française, il en assume la présidence de 1947 <strong>à</strong> 1953.<br />

Nommé ambassadeur au Portugal en 1956, il décède <strong>à</strong> Lisbonne quatre<br />

ans plus tard. Voir Jean Panneton. Ringuet, Montréal, Fides, 1970,<br />

coll. Ecrivains canadiens d'aujourd'hui, p. 177-180. Trente arpents<br />

est d'abord paru chez Flammarion <strong>à</strong> Paris en 1938 puis chez Fides en<br />

1957; il a été tra<strong>du</strong>it en anglais et en allemand.<br />

189


l'auteur-chirurgien envers la paysannerie permettent de situer Trente<br />

arpents dans le courant de la grande littérature. Si l'oeuvre est<br />

mentionnée dans ce chapitre, c'est que l'auteur est trifluvien d'origine,<br />

que la majeure partie de l'action se déroule près de Maskinongé et que<br />

l'oeuvre a suscité des commentaires divergents en Mauricie, même si on ne<br />

peut parler de polémique véritablement 57 • Ringuet a clairement spécifié,<br />

au début <strong>du</strong> manuscrit de Trente arpents, que l'oeuvre n'est ni régiona-<br />

liste ni naturaliste 58 •<br />

*<br />

La pro<strong>du</strong>ction écrite couvre un champ littéraire aligné selon un axe<br />

allant de la fiction pure (roman et poésie) <strong>à</strong> l'ouvrage historique ou<br />

économique en passant par le roman historique, le "récit historique"<br />

(Aaron Hart) et le document ethnographique poétisé. En plus de certains<br />

57. D'une part Albert Tessier parle d'un "grand livre d'une force et<br />

d'une qualité exceptionnelle" sans trop se rendre compte <strong>du</strong> caractère<br />

anti-ruraliste <strong>du</strong> roman (Le Bien Public, 5 janvier 1939, p. 1-<br />

2), tandis qu'un lecteur d'Horizons, Charles Lussier, dénonce vertement<br />

"ce goût <strong>du</strong> dénigrement, cette passion <strong>du</strong> vide, cet éréthisme<br />

[sic] <strong>du</strong> néant" et se propose de démontrer que le paysan de Ringuet<br />

est un fantôme qui n'existe que dans son imagination. Il poursuit<br />

en disant que Trente arpents avilit le rôle de la femme canadiennefrançaise.<br />

Plus lucide que Tessier, Lussier avait perçu le côté<br />

audacieux de l'oeuvre, résolument étrangère <strong>à</strong> toute forme de prédication<br />

agriculturiste ou nationaliste. L'article de Lussier, paru<br />

dans la livraison de juin 1939 d'Horizons, p. 21, 34 fut repro<strong>du</strong>it<br />

dans L'Action catholique, 24 juillet 1939, p. 4.<br />

58. Ringuet a écrit "ce livre n'est pas un roman 'régionaliste'; les<br />

paysans que j'ai connus n'étaient pas des héros. Ce livre n'est pas<br />

un roman 'naturaliste'; les paysans que j'ai connus n'étaient pas<br />

des brutes" (Voir Jean Panneton, "Pour les cinquante ans de Trente<br />

Arpents", Lettres québécoises, nO 53, printemps 1989, p. 59-60).<br />

190


ouvrages abordés précédemment, c'est le catalogue des "Pages trifluvien-<br />

nes" au complet qu'il faudrait citer. Dans le domaine proprement his-<br />

torique ou ethnographique, signalons Les légendes indiennes <strong>du</strong> Saint-<br />

Maurice de Dollard Dubé 59 et Anciens chantiers <strong>du</strong> Saint-Maurice de Pierre<br />

Dupin 80 en plus des monographies sur l'histoire de plusieurs localités<br />

mauriciennes (Grand-Mère, Batiscan, etc.) ou des monographies portant sur<br />

un aspect de l'histoire trifluvienne. Dans cette dernière catégorie, il<br />

faut citer le Mémorial trifluvien <strong>du</strong> Docteur Louis-Georges Godin où le<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières d'avant le feu de 1908 est évoqué avec nosta1gie 81 • La<br />

collection comprend enfin un recueil de courtes pièces de théâtre,<br />

Tableaux d'histoire, de Victor Barrette 62 • <strong>Trois</strong> des quatre saynètes<br />

furent présentées par les élèves <strong>du</strong> Séminaire Saint-Joseph le 22 décembre<br />

1933. Elles sont inspirées de l'histoire de <strong>Trois</strong>-Rivières: "Veillée de<br />

59. Série C, nO 3, 1934, 80 p. Dollard Dubé (1906-1940) est né <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières et a complété ses études au Séminaire Saint-Joseph.<br />

Enseignant de carrière puis inspecteur d'école <strong>à</strong> Nico1et <strong>à</strong> partir de<br />

1935, Dubé a publié des ouvrages historiques et ethnographiques<br />

dans la collection des Pages trifluviennes en plus de sa<br />

collaboration au Mauricien.<br />

60. Série B, nO 7, 1935, 132 p.<br />

61. Série B, nO 1, 1932. Le Docteur Louis-Georges Godin (1897-1932)<br />

avait rédigé une série de billets qui furent publiés au Bien Public<br />

en 1921 sous le titre de Les "Dicts" <strong>du</strong> passant.<br />

62. Série C, nO 8, 1935, 52 p. Victor Barrette (1888-1958) a passé la<br />

majeure partie de sa carrière de journaliste au Droit d'Ottawa après<br />

avoir enseigné la littérature et l'histoire <strong>à</strong> Joliette, sa ville<br />

natale. Il a défen<strong>du</strong> les droits des francophones de l'Ontario et<br />

s'est lié d'amitié avec Omer Héroux et Albert Tessier. Victor<br />

Barrette rédigea une chronique en vieux français <strong>à</strong> l'occasion <strong>du</strong><br />

Tricentenaire et fut l'auteur de la "Proclamation de Champlain " lue<br />

par le personnage <strong>du</strong> Sieur de Laviolette lors de ces mêmes<br />

célébrations.<br />

191


Noël <strong>à</strong> Saint-Malo en 1535", "Pierre Boucher", "Jacques Buteux" et "Rêve".<br />

Par ailleurs, la revue Le Flambeau annonce le<br />

L'Heure provinciale consacrée <strong>à</strong> la Mauricie et<br />

192<br />

programme de l'émission<br />

prévue le 26 novembre<br />

1935. L'article fait mention d'un "sketch sur le régionalisme qui sera<br />

ren<strong>du</strong> par Philomène Moreau et Roméo Desaulniers"63.<br />

A ce corpus substantiel d'oeuvres publiées ou diffusées en public,<br />

il serait possible d'ajouter des textes courts (poèmes, contes, nouvel­<br />

les) parus dans les journaux et les périodiques de <strong>Trois</strong>-Rivières, tels<br />

ces Ondes mauriciennes (Francienne), Mauriciades (Ulric Gingras) etc.<br />

L'immense majorité de ces oeuvres mineures intéressent le sociologue ou<br />

l'historien mais non l'amateur de littérature. Il faut mettre <strong>à</strong> part la<br />

"Salutation incantatoire" d'Alfred Desrochers, d'abord parue dans Le Bien<br />

Public et repro<strong>du</strong>ite dans <strong>Trois</strong>-Rivières en liesse de Rémi Tourangeau (p.<br />

120-121). Pièce de circonstance sans doute, mais d'une qualité poétique<br />

supérieure aux autres oeuvres écrites <strong>à</strong> la gloire <strong>du</strong> régionalisme.<br />

Clément Marchand fréquentait le cercle d'Alfred Desrochers; le poète<br />

sherbrookois lui envoya cette modeste page par amitié.<br />

*<br />

On serait porté <strong>à</strong> croire que la totalité <strong>du</strong> champ littéraire mauri­<br />

cien des années trente fut occupée par la thématique <strong>du</strong> régionaliste<br />

mauricien et soumis <strong>à</strong> ses canons esthétiques. Ce serait négliger<br />

63. Le Flambeau, vol. 1, nO 3, 1935, p. 68.


l'apport original de deux oeuvres, l'une de Clément Marchand et l'autre<br />

d'Alphonse Piché, parues après les années trente, mais rédigées <strong>du</strong>rant<br />

la crise économique. Dans le recueil des Soirs rouges, Clément Marchand<br />

tra<strong>du</strong>it dans un hymne <strong>à</strong> la vie prolétarienne la révolution qui s'opère<br />

dans le peuple québécois 64 • Les titres de certains poèmes sont élo-<br />

quents: "Ame des locataires", "Les petites gens", "Les prolétaires".<br />

Le féroce poème intitulé "le bourgeois" ne para1tra que dans la seconde<br />

édition, en 1986 65 • Alphonse Piché rattache plus directement que Mar-<br />

chand sa vocation de poète au contexte provoqué par le krach de 1929 68 •<br />

Piché est l'auteur des Ballades de la petite extrace 87 où il se penche<br />

64. Clément Marchand, Les soirs rouges, <strong>Trois</strong>-Rivières, les Editions <strong>du</strong><br />

Bien Public, 1947, 224 p. Le recueil a été réédité en 1986 aux<br />

Editions Stanké <strong>à</strong> Montréal avec une préface de Claude Beausoleil et<br />

des commentaires de l'auteur. Marchand écrit en 1985 (p. 196):<br />

"Avant ma vingtième année, frais émoulu <strong>du</strong> collège, j'observai,<br />

étonné, ce phénomène de dépersonnalisation [ ... ] et c'est de cette<br />

expérience décisive, vécue par les hommes de cette époque, que j'ai<br />

tiré la matière de mon poème Les soirs rouges au début des années<br />

trente [ ... ] J'ai senti le besoin d'une poétique urbaine qui<br />

tiendrait compte des ouvriers d'usine hier encore travailleurs de la<br />

glèbe et devenus serviteurs de la machine".<br />

65. Edition de 1986, p. 154-155. "Coeur de salaud, âme confite/Dans la<br />

rose et l'hypocrisie/Et que l'intérêt débilite/Négateur de la<br />

poésie/Dans un décor sans horizon/où le soupçon tient ses<br />

archives/Le préjugé que tu cultives/Etouffe ta faible raison".<br />

66. "C'est <strong>à</strong> la suite <strong>du</strong> désenchantement, de la débâcle financière et<br />

des drames engendrés par la crise universelle des années 1929, 30 et<br />

31 et autres que je ressentis en mes flancs la blessure de la poésie<br />

[ ... ] Et toute cette misère collective avait établi les bornes, les<br />

amers d'une route familière <strong>à</strong> mes propensions littéraires: l'absurde<br />

et la pitié" (Alphonse Piché, "Lettre <strong>à</strong> Jean Laprise", Le<br />

Sabord, na 12, automne 1986, p. 6-7).<br />

67. Parues en 1946 <strong>à</strong> Montréal aux Editions Fernand Pilon, rééditées en<br />

1966 aux Editions <strong>du</strong> Bien Public <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières et intégrées <strong>à</strong><br />

Poèmes 1946-1968 en 1976 aux Editions de l'Hexagone. Le recueil des<br />

Ballades fut rédigé en 1939.<br />

193


sur "le destin précaire des prolétaires, des gagne-petit, les reprises de<br />

la joie et de l'espoir". Les jeux de ruelles, les déménagements de<br />

locataires sont évoqués avec vérité et tendresse 68 • Les Soirs rouges et<br />

les Ballades s'inspirent de l'urbanisation de <strong>Trois</strong>-Rivières et de la<br />

crise économique; au lieu d'occulter ou d'idéaliser ces deux bouleverse-<br />

ments sociaux, chaque recueil en stigmatise les aspects les plus déshuma-<br />

nisants. Marchand et Piché, deux poètes au "verbe rouge" (selon l'ex-<br />

pression de Laurent Mailhot dans son anthologie), ont choisi l'aventure<br />

plutôt que l'ordre <strong>à</strong> une époque où il était malsain de l'oser. Ce n'est<br />

pas l<strong>à</strong> leur moindre mérite.<br />

Un témoignage littéraire d'un autre ordre est celui de Maurice<br />

Genevoix 69 , romancier de la vie rustique, qui effectue une randonnée de<br />

deux semaines dans la Mauricie en compagnie d'Albert Tessier <strong>du</strong>rant l'été<br />

1939 7°. De retour en France, Genevoix écrit un roman "canadien", intitulé<br />

68. "Qu'elle est <strong>du</strong>re cette existence/Aux petites gens des trottoirs/Qui<br />

n'ont de bien que l'espérance et de trésors que la souffrance",<br />

p. 15. "Soir et matin ou nuitamment/Vers d'autres ruelles<br />

tortues/Qu'ils quitteront au bout de l'an/S'en vont les hordes<br />

d'humbles gens/Qui semblent fuir <strong>à</strong> l'aveuglette", p. 23.<br />

69. Maurice Genevoix (1890-1980) a célébré dans quelques-uns de ses<br />

romans les paysages et les petites gens de l'Orléanais, sur les<br />

rives de La Loire. Il s'était fait connaître <strong>du</strong> public canadien par<br />

Raboliot qui avait mérité le prix Goncourt en 1925. Entré <strong>à</strong><br />

l'Académie française en 1946, il en devint le secrétaire perpétuel<br />

de 1958 <strong>à</strong> 1974.<br />

70. Albert Tessier, "Maurice Genevoix. Tavi accompagne le célèbre<br />

écrivain français dans une randonnée de 2000 milles <strong>à</strong> travers la<br />

Province", Horizons, juillet 1939, p. 8-10. Une des photographies<br />

présente Genevoix en train de taquiner la truite avec Jean Crête, le<br />

"roi de la Mauricie".<br />

194


Laframboise et Bellehumeur, <strong>du</strong> nom des personnages principaux 71 • Nazaire<br />

Laframboise et Roméo Bellehumeur sont deux trappeurs mauriciens dont<br />

Genevoix fait partager l'existence et magnifie le courage simple. Le<br />

lecteur mauricien reconnaît Sainte-Anne-de-la-Pérade dans la petite<br />

localité où l'auteur de Raboliot campe ses personnages 72 • Comment ne pas<br />

voir dans l'abbé Bouchard, inspecteur des écoles ménagères <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> qui<br />

va de village en village présenter des films d'é<strong>du</strong>cation populaire,<br />

l'hôte enthousiaste qui avait reçu Genevoix de façon si empressée,<br />

l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme mauricien 73 •<br />

***<br />

4. Revue des autres pro<strong>du</strong>ctions artistiques<br />

Le mouvement culturel enclenché <strong>à</strong> cette époque a débordé le cadre<br />

littéraire et historique en favorisant l'éclosion d'oeuvres musicales ou<br />

71. Le roman a d'abord été publié chez Flammarion, <strong>à</strong> Paris, en 1942,<br />

puis repris chez le même éditeur en 1980 en compagnie d'un autre<br />

roman canadien, Eva Charlebois et de trois nouvelles plus courtes,<br />

sous le titre: Je verrai, si tu le veux, les pays de la neige.<br />

72. Même la maison <strong>du</strong> neveu Clarence correspond <strong>à</strong> la maison natale de<br />

Tessier, "juste au bord de la route [ ... ] la petite école <strong>du</strong> rang<br />

d'un côté, de l'autre un grand calvaire avec son christ au flanc<br />

saignant", (p. 10 dans l'édition de 1980).<br />

73. Le film de l'abbé Bouchard est décrit p. 16-18; il correspond <strong>à</strong> ceux<br />

de Tessier.<br />

195


de pro<strong>du</strong>ctions rattachées aux arts visuels. Dans le domaine musical, J.-<br />

Antonio Thompson harmonise les chants <strong>du</strong> Saint-Maurice recueillis par<br />

Do11ard Dubé et compose le poème symphonique Mon pays. La photographie<br />

avec Harvey Rivard, J.-Avi1a Denoncourt et Albert Tessier 74 , les arts<br />

plastiques avec Henri Beau1ac 75 , Monique Bureau, Aline Piché-Whisse1,<br />

Jean-Jacques Spénard 78 , Léonce Cuve1ier et Léa Arbour 77 illustrent chacun<br />

<strong>à</strong> leur façon les thèmes folkloriques, historiques ou naturalistes. La<br />

ferronnerie d'art des frères Lebrun et le comptoir d'artisanat domestique<br />

"L'Araignée d'or", fondé par Albert 01ivier 78 , diffusent les réalisations<br />

des métiers d'art. Mentionnons également l'influence déterminante<br />

exercée par Albert Tessier sur le cheminement artistique de Rodolphe<br />

74. Comme collaborateurs, leurs photos et albums sont signés Tavi. Le<br />

Docteur J. Avila Denoncourt, né <strong>à</strong> Pointe-<strong>du</strong>-Lac en 1902, a poursuivi<br />

des études au Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> Laval et <strong>à</strong><br />

Paris où il se spécialisa en chirurgie. Il occupe ses loisirs <strong>à</strong> la<br />

photographie, <strong>à</strong> la sculpture sur bois et <strong>à</strong> la peinture. Michelle<br />

Roy-Guérin, "Avi1a et Thérèse Denoncourt ont marqué la vie<br />

trif1uvienne", Le Nouvelliste, 18 avril 1984, p. 40.<br />

75. Henri Beaulac est né <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1914. A l'occasion <strong>du</strong><br />

Tricentenaire, il collabora <strong>à</strong> la réalisation <strong>du</strong> pageant scout.<br />

Comme dessinateur, il a illustré des articles <strong>du</strong> Nouvelliste et <strong>du</strong><br />

Bien Public de même que de nombreux ouvrages publiés <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

76. Jean-Jacques Spénard, né en 1913 <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, a été professeur<br />

<strong>à</strong> l'Ecole des Beaux-Arts de <strong>Québec</strong> (1944-1972). Il a réalisé un<br />

monument <strong>à</strong> Jacques Buteux et a décoré des "chars allégoriques" <strong>du</strong><br />

défilé de la Saint-Jean en 1939 <strong>à</strong> la demande d'Albert Tessier. Il a<br />

également réalisé plusieurs murales.<br />

77. Léo Arbour est né <strong>à</strong> la Pointe-<strong>du</strong>-Lac en 1913. Il a sculpté des<br />

séries de personnages historiques (tel Pierre Boucher), le chemin de<br />

croix de l'église de Pointe-<strong>du</strong>-Lac et a enseigné <strong>à</strong> l'Ecole technique<br />

de <strong>Trois</strong>-Rivières <strong>du</strong>rant quinze ans. Il avait été l'élève de Léonce<br />

Cuvelier et de Rodolphe Duguay.<br />

78. Le Tisserand (pseudonyme d'Albert Tessier) dans Le Mauricien vol. 1,<br />

nO 5, mars 1937, p. 2.<br />

196


Duguay. L'apôtre <strong>du</strong> régionalisme s'emploie <strong>à</strong> faire conna1tre l'art <strong>du</strong><br />

peintre de Nicolet par des expositions et des achats d'oeuvres. Les<br />

gravures de Duguay rehaussent bon nombre des publications régionalistes.<br />

Les films d'Albert Tessier contribuent <strong>à</strong> propager l'idéal ruraliste et<br />

les valeurs traditionnelles. En 1936, le Syndicat d'initiative organisa<br />

un "ciné-concours" afin de couronner le meilleur reportage filmé sur la<br />

course en canots La Tuque-<strong>Trois</strong>-Rivières. Finalement, la botanique<br />

régionale retint l'attention <strong>du</strong> Mauricien qui publia le travail de Jean<br />

Laneuvi11e 79 • En somme, il apparaît évident que peu de domaines ont<br />

échappé au prosélytisme des diffuseurs <strong>du</strong> message régionaliste en Mauri-<br />

cie, illustration convaincante de l'importance <strong>du</strong> discours régionaliste <strong>à</strong><br />

cette époque.<br />

Nous pouvons conclure le présent chapitre sur le constat d'une<br />

activité littéraire intense pour la Mauricie des années trente. Le<br />

discours des régionalistes mauriciens et les événements qui peuvent lui<br />

être associés ont avivé une créativité déj<strong>à</strong> vigoureuse en la nourrissant<br />

de thèmes riches de possibilités poétiques ou romanesques. On serait<br />

tenté, après cinquante ans et en pleine "post-modernité", de juger avec<br />

hauteur une pro<strong>du</strong>ction littéraire alimentée par la nostalgie ou le<br />

repliement, et empruntant des formes traditionnelles (l'alexandrin, le<br />

sonnet, l'ode, l'épopée) ou une stylistique surannée (usage de l'hyper-<br />

bo1e, de l'apostrophe, de la prosopopée). Toutefois, il nous apparaît<br />

injuste de ne pas admettre que ces romans, récits historiques et poèmes<br />

79. "La flore trifluvienne", Le Mauricien, vol. 1, nO 6, avril 1937,<br />

p. 27.<br />

197


sont le fruit d'une émotion vraie et d'une sincérité qui peut aller<br />

jusqu'<strong>à</strong> la candeur. Prisonniers d'un contexte culturel très particulier<br />

et d'une idéologie émise par les acteurs dominants, les auteurs ont<br />

pro<strong>du</strong>it des oeuvres de circonstance dont le plus souvent ils connais-<br />

saient les limites. La plupart de ces écrivains ont fait preuve d'un<br />

talent réel même si des maladresses, une imagination conventionnelle et<br />

l'insistance <strong>à</strong> présenter des bons sentiments entachent la valeur propre<br />

de leurs ouvrages. Des éléments de modernité (ou, pour être plus précis,<br />

d'autonomie intellectuelle) font surface précisément dans les oeuvres en<br />

rupture plus ou moins ouverte avec le code esthétique <strong>du</strong> régionalisme de<br />

Tessier, comme La Ballade de la petite extrace et les deux recueils de<br />

Clément Ma1chand8o .<br />

***<br />

80. Gilles De La Fontaine dans "La vi lle romancée", En Vrac, nO 30,<br />

hiver 1986, p. 41-48, a repéré 32 romans publiés avant 1950 qui font<br />

état de <strong>Trois</strong>-Rivières, puis les a regroupés en quatre optiques ou<br />

visions idéologiquement caractérisées. Les oeuvres de Moïsette<br />

Olier sont rangées dans l'optique Pierre Boucher (résidence et<br />

rayonnement), tandis que Trente arpents et les oeuvres de Sarah<br />

Larkin sont rattachées <strong>à</strong> l'optique Radisson (création et critique)<br />

affranchie de l'idéologie fondatrice dans une perspective plus<br />

réaliste et plus critique.<br />

198


CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE<br />

Ainsi le discours régionaliste mauricien s'est diffusé par la<br />

médiation d'associations culturelles, de débats intellectuels, de mani­<br />

festations de la culture populaire. La création <strong>du</strong> régionyme "Mauricie"<br />

et la polémique qui entoura son adoption, le déroulement fastueux des<br />

Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire, la pro<strong>du</strong>ction culturelle élaborée autour de la<br />

mystique <strong>du</strong> flambeau - la société, le monument, la revue - et l'ensemble<br />

des créations culturelles issues de l'exploitation des thèmes régionalis­<br />

tes, toute cette effervescence socio-culturelle et idéologique de la<br />

Mauricie de 1930-1940 se présente <strong>à</strong> nos yeux comme le reflet dans l'ordre<br />

<strong>du</strong> symbolique d'une dynamique régionale fondée sur une spécificité<br />

solidement assise. Une action sociale conforme <strong>à</strong> l'imaginaire régiona­<br />

liste et <strong>à</strong> sa vision <strong>du</strong> monde a imprimé une orientation au développement<br />

de la Mauricie des années trente.<br />

199


QUATRIEME PARTIE<br />

LE RAYONNEMENT DU DISCOURS REGIONALISTE


CHAPITRE XI<br />

LE RESEAU MEDIATIQUE<br />

1. La presse locale<br />

Comme il fallait s'y attendre, la doctrine des Tessier et des Durand<br />

fait couler beaucoup d'encre. A <strong>Trois</strong>-Rivières, aussi bien la presse<br />

anglophone que la presse francophone font écho aux discours des régiona­<br />

listes de même qu'aux réalisations qui leur sont associées. A Montréal,<br />

<strong>à</strong> <strong>Québec</strong>, <strong>à</strong> Ottawa et dans plusieurs autres villes, les journalistes et<br />

les éditorialistes n'ont pas négligé ce qui se passait <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

Les plus nationalistes d'entre eux s'en feront même un devoir. Il est<br />

intéressant de constater que la presse américaine s'est penchée sur le<br />

phénomène mauricien, ou <strong>du</strong> moins de quelques-uns de ses aspects, ainsi<br />

que la presse française, sans oublier un article d'une contrée aussi<br />

lointaine que l'Ile Maurice.<br />

Hervé Biron, journaliste<br />

Public et <strong>à</strong> L'Action catholique,<br />

*<br />

au Nouvelliste, collaborateur au Bien<br />

appuie le mouvement régionaliste de


façon très engagée. En 1935, il écrit que le régionalisme a apporté un<br />

souffle d'enthousiasme aux Trifluviens; il constitue, ajoute-t-il, une<br />

initiation au patriotisme. Autrement dit, le régionalisme est "la porte<br />

par où le patriotisme peut entrer", car il "met les hommes - et plus<br />

spécialement les jeunes - en contact direct avec la terre canadienne<br />

(2.12)". Le régionalisme se présente donc comme une forme d'é<strong>du</strong>cation,<br />

une "fontaine <strong>à</strong> laquelle vont s'abreuver les jeunes avant de partir <strong>à</strong> la<br />

conquête de l'avenir". Dans une causerie prononcée devant les membres <strong>du</strong><br />

Club Rotary en 1935 (2.6), Biron affirmera de nouveau la nécessité d'un<br />

mouvement d'é<strong>du</strong>cation populaire, constatant que la jeunesse actuelle est<br />

désemparée. Il juge que la cause véritable <strong>du</strong> malaise n'est pas la crise<br />

économique mais plutôt la passivité de l'é<strong>du</strong>cation, c'est-<strong>à</strong>-dire, en<br />

bref, le dressage <strong>à</strong> la résignation. Dénonçant le communisme, mais<br />

donnant son appui au corporatisme, Biron évoque avec sympathie le modèle<br />

d'é<strong>du</strong>cation <strong>du</strong> fascisme de Mussolini; "le fascisme, écrit-il, c'est le<br />

désintéressement [ ... l l'ennemi <strong>du</strong> confort". Et Biron de conclure sa<br />

conférence en suggérant fortement d'envoyer les jeunes "conquérir le<br />

sol" par la colonisation dans un geste concret d'élan patriotique.<br />

Ainsi, comme tant d'autres écrivains de sa génération, Biron reprend la<br />

séquence "régionalisme-patriotisme-retour <strong>à</strong> la terre" qui gagnait de plus<br />

en plus d'adeptes <strong>du</strong>rant la crise.<br />

Même discours chez Raymond Douville, un confrère d'Hervé Biron, qui<br />

oeuvre au Bien Public. Dans une causerie intitulée "Sommes-nous des Don<br />

Quichotte?" (prononcée lors de l'inauguration des soirées littéraires de<br />

la société Le Flambeau) Douville prend, <strong>à</strong> son tour, la défense <strong>du</strong> mouve-<br />

202


ment de réveil trifluvien contre ceux qui qualifient ses animateurs<br />

d'''idéologues ou d'utopistes (2.22)." Selon lui, il est faux de croire<br />

que ce sont les fêtes de 1934 qui ont opéré ce "réveil magique". Le<br />

Tricentenaire, comme le Flambeau, ajoute-t-il, en constitue la consé-<br />

quence et non la cause. Il avance que la Mauricie a changé, non pas<br />

physiquement mais dans son état d'âme:<br />

Ne trouvez-vous pas plus de charme qu'autrefois <strong>à</strong> flâner<br />

dans nos bois, depuis que vous avez lu les délicieuses<br />

chroniques que le Dr Panneton a réunies dans son ouvrage<br />

[ ••• ] 1 ?<br />

Dénonçant la politique, la finance et la presse <strong>à</strong> grand tirage, Douville<br />

s'écrie:<br />

Et pourtant [ ... ] l'idée <strong>du</strong> réveil trifluvien va de<br />

l'avant [ ... ]. Le régionalisme, tel que nous l'entendons,<br />

est une force et [ ... ] il est même la seule planche<br />

de salut capable de sauver notre peuple, pourvu que la<br />

formule se pratique également et avec autant d'intensité<br />

dans les autres régions de la Province 2 •<br />

et Raymond Douville de préciser qu'il préfère le terme "discipline" <strong>à</strong><br />

celui de "mystique" pour désigner le réveil trifluvien, qui constitue <strong>à</strong><br />

ses yeux une "oeuvre de raisonnement, d'effort constant et de ferveur<br />

obstinée". Il conclut sur un ton optimiste en affirmant que dans cin-<br />

1. Douville fait allusion <strong>à</strong> l'oeuvre <strong>du</strong> Dr Auguste Panneton, En flânant<br />

dans les portages, publiée sous le pseudonyme de Sylvain en 1935.<br />

2. R[aymond] D[ouville], "L'exemple trifluvien", Le Devoir, 20 février<br />

1935, p. 7, repro<strong>du</strong>it <strong>du</strong> Bien Public, 14 février 1935, p. 3.<br />

203


quante ans "l'idée que nous nous faisons de la Mauricie sera devenue<br />

alors une réalité vivante"3.<br />

Un autre journaliste, Charles-Auguste Saint-Arnaud, écrit pour sa<br />

part, dans l'éditorial de la première livraison <strong>du</strong> Mauricien (2.23), que<br />

le choix <strong>du</strong> nom de sa revue tra<strong>du</strong>it un état d'esprit ayant cours dans la<br />

région. A ses yeux le terme Mauricie ne va pas sans l'idée régionaliste,<br />

"un des mots-clés <strong>du</strong> programme de la renaissance canadienne-française".<br />

D'ailleurs, Saint-Arnaud se propose de faire connaître et aimer sa région<br />

dans les colonnes <strong>du</strong> nouveau périodique qu'il dirige. Quelques pages<br />

plus loin, il présente un extrait d'une conférence d'Albert Tessier en<br />

avançant l'idée que la formule régionaliste est "la doctrine qui a le<br />

plus transformé notre mentalité depuis quelques années" et que le régio-<br />

nalisme est "une théorie de réalisme [sic] appliquée <strong>à</strong> nos besoins<br />

propres" (2.24).<br />

Philippe Poisson présente de son côté une étude sur le régionalisme<br />

dans la revue qu'il dirige, Le Flambeau (2.21)4. A ses yeux le régiona-<br />

3. Voir aussi l'article de Raymond Douville intitulé "Tels que nous<br />

sommes et tels que nous devrions être" (Le Bien Public, 8 février<br />

1934, p. 2, 4) dans lequel il vante l'exemple trifluvien. Il cite <strong>à</strong><br />

ce propos un article de Denis de Vitré paru dans L'Echo <strong>du</strong> Bas<br />

Saint-Laurent, dans lequel ce dernier décrit l'oeuvre accomplie par<br />

la Société d'histoire régionale de <strong>Trois</strong>-Rivières qu'il propose<br />

comme modèle pour d'autres régions. Toutefois, les propos de<br />

Douville ne se cantonnent pas dans le culte exclusif <strong>du</strong> passé:<br />

"Notre devoir n'est pas de continuer la tradition de nos aînés: il<br />

est de préparer les voies <strong>à</strong> ceux qui nous suivront", 1ance-t-il aux<br />

membre <strong>du</strong> Jeune-Commerce <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

4. L'aventure de la revue Le Flambeau est relatée dans le chapitre IX:<br />

"la mystique <strong>du</strong> flambeau".<br />

204


lisme a donné aux Trifluviens une patrie concrète, la Mauricie. Destiné<br />

<strong>à</strong> créer une originalité "transcendante" <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières et <strong>à</strong> la région,<br />

le régional isme mauricien fonde "la personna1 ité collective trifluvienne"<br />

par une triple progression: "l'amour de la nature humanisée", "la<br />

domination de la nature par l'architecture et la sculpture", "la f1orai-<br />

son des arts, des sciences et des lettres". La première étape est ren<strong>du</strong>e<br />

possible grâce <strong>à</strong> la vulgarisation des paysages mauriciens au moyen <strong>du</strong><br />

fi lm. La seconde s'accomplira lorsqu'une architecture urbaine originale<br />

se substituera <strong>à</strong> la laideur et <strong>à</strong> la banalité des habitations construites<br />

dans les quartiers ouvriers trifluviens. Et, finalement, la créativité<br />

développée <strong>à</strong> l'occasion de cette recherche architecturale pourra s'appli-<br />

quer aux domaines des arts, des sciences et des lettres. Poisson prend<br />

comme modèle l'histoire de la France pour convaincre le lecteur que son<br />

ambitieux programme est réalisable. Il termine son exposé en ces termes:<br />

Le régionalisme est donc une doctrine de premier ordre<br />

dans l'édification de la personnalité de notre ville qui<br />

se distinguera des autres groupements de campagnards<br />

devenus citadins. A la nullité bourgeoise de laisser le<br />

chemin libre aux Trifluviens qui tentent de faire de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières et de la Mauricie l'inexpugnable cité<br />

[sic] d'une culture catholique et française.<br />

Malgré cette profession de foi, le responsable <strong>du</strong> Flambeau ne<br />

s'oppose pas <strong>à</strong> la publication dans sa revue d'un article de Ronald Murray<br />

carrément défavorable au discours de Tessier. Paru en 1935, l'article<br />

(2.13) est présenté sous la rubrique Polémique; il est accompagné de la<br />

riposte de Tessier qui reprend un <strong>à</strong> un les arguments de Murray5. Murray<br />

5. Voir notre chapitre V pour l'analyse de la polémique.<br />

205


oppose le régionalisme <strong>à</strong> la nécessité de l'unité nationale <strong>à</strong> l'échelle <strong>du</strong><br />

Canada. La solution des problèmes d'ordre moral et économique exige,<br />

soutient-il, que soient mis en veilleuse les besoins locaux; dans son<br />

optique, le régionalisme verse dans le chauvinisme et "s'oppose au<br />

développement d'un civisme intelligent". Loin d'être un facteur de<br />

civisme, comme l'affirme Tessier, le régionalisme favorise l'esprit de<br />

clocher. Si chacune des régions venait <strong>à</strong> réaliser ses besoins immédiats<br />

par l'action suscitée dans le cadre d'un mouvement semblable <strong>à</strong> celui que<br />

Tessier promeut, le <strong>Québec</strong> serait "morcelé" et "incapable [ ... ] de<br />

résister <strong>à</strong> des influences subversives, de faire respecter la langue<br />

française, de lui conserver le peu de droits qu'il lui reste".<br />

En conclusion, le contradicteur <strong>du</strong> régionalisme utilise la métaphore<br />

de l'édifice social canadien. La construction d'une "forteresse inexpug­<br />

nable où serait protégée une nation forte et progressive" est préférable<br />

<strong>à</strong> l'édification "d'une série de petits châteaux régionaux où l'on cherche<br />

<strong>à</strong> se démolir mutuellement". La collectivité apparaît menacée et doit<br />

faire front commun devant une menace effective. Les malheurs de la crise<br />

économique et ce que Murray nomme les "influences subversives" mettent en<br />

danger l'avenir <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> et celui <strong>du</strong> Canada en général.<br />

Finalement, parmi tous les écrits journalistiques parus sur le<br />

régionalisme mauricien, il importe de retenir les résultats d'une brève<br />

enquête parue dans l'Almanach trif1uvien pour l'année 1934. Les rédac­<br />

teurs de l'Almanach trif1uvien avaient posé les deux questions suivantes:<br />

"Où est <strong>Trois</strong>-Rivières? Où situez-vous l'âme de <strong>Trois</strong>-Rivières?" <strong>à</strong> un<br />

206


certain nombre de notables trifluviens. D'aucuns prétendent que <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières n'a pas d'âme, d'autres ne répondent pas, enfin six person-<br />

nalités livrent des textes, tous intéressants et significatifs <strong>à</strong> divers<br />

égards. le Révérend Frère Hébert, é<strong>du</strong>cateur émérite et directeur de<br />

l'Académie De La Salle déclare que c'est "dans le coeur des enfants et<br />

des jeunes gens qu'il faut jeter la semence d'où germera [sic] l'âme<br />

trifluvienne et l'âme nationale". De son côté, le Docteur Auguste<br />

Panneton rend hommage <strong>à</strong> Albert Tessier en le campant dans son décor<br />

naturel, une chambre <strong>du</strong> Séminaire encombrée de documents. En conclusion,<br />

il écrit: "Où la mieux sentir vibrer, l'âme trifluvienne, qu'entre ces<br />

quatre murs blancs où un patriote militant se dépense pour la gloire de<br />

son petit pays?" Un rédacteur <strong>du</strong> Nouvelliste, Onésime Héroux, situe,<br />

quant <strong>à</strong> lui, l'âme trifluvienne au Séminaire Saint-Joseph, son Alma<br />

Mater, en relatant ses souvenirs d'écolier:<br />

le Séminaire des <strong>Trois</strong>-Rivières est l'âme de la région,<br />

le souffle mystérieux qui élève et vivifie la génération<br />

montante, nous défend contre la déchéance morale et<br />

intellectuelle, nous pousse vers un avenir de gloire.<br />

De son côté Hervé Biron rattache l'âme trifluvienne <strong>à</strong> l'histoire de la<br />

région, c'est-<strong>à</strong>-dire au culte des ancêtres mauriciens. Il rappelle ses<br />

jeux d'enfant <strong>à</strong> travers lesquels il incarnait avec ses amis les person-<br />

nages glorieux de l'histoire <strong>du</strong> Canada. Dans la même veine, Roméo<br />

Morissette, ingénieur civil, voit l'âme dans les "reliques" <strong>du</strong> Vieux-<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, plus précisément dans les anciennes maisons d'inspiration<br />

normande, les enseignes pittoresques des boutiques et l'église parois-<br />

siale (disparue en 1908) que les Trifluviens appelaient tout simplement<br />

207


"La Paroisse": "L'âme <strong>du</strong> vieux <strong>Trois</strong>-Rivières est pleine d'idéalisme,<br />

écrit-il, c'est pourquoi elle ne se marie pas facilement avec l'âme <strong>du</strong><br />

nouveau <strong>Trois</strong>-Rivières, qui est toute moderne et utilitaire". Il con­<br />

state que "les vieilles familles des <strong>Trois</strong>-Rivières ont da [ ... ] s'ef­<br />

facer devant un modernisme plus provoquant [ ... ] N'entre pas qui veut<br />

dans une vieille famille trifluvienne". Finalement, Philippe Poisson,<br />

l'animateur <strong>du</strong> Flambeau, a<br />

enflammée ce qu'il appelle<br />

208<br />

vu dans le monument représentant une torche<br />

"l'étincelle de l'âme trifluvienne". Exp1i-<br />

quant que le courant d'idées, né autour <strong>du</strong> Flambeau, a fasciné la popula­<br />

tion trifluvienne, Poisson précise que les jeunes Trifluviens de "vieille<br />

souche" ont travaillé côte <strong>à</strong> côte avec ceux qui n'étaient pas natifs de<br />

la cité de Laviolette. "C'était le but de ce mouvement de former <strong>à</strong><br />

partir des âmes indivi<strong>du</strong>elles une âme trifluvienne collective" ajoute-t­<br />

il en conclusion. Ainsi l'âme trifluvienne telle que perçue par certains<br />

notables locaux est-elle associée invariablement <strong>à</strong> la configuration<br />

spécifique des thèmes et des préoccupations <strong>du</strong> régionalisme mauricien --<br />

la petite patrie, les héros de l'histoire, les vieux édifices, le rôle<br />

idéologique <strong>du</strong> séminaire trifluvien (et Tessier qui y enseignait), sans<br />

oublier l'é<strong>du</strong>cation de la jeunesse et la formation des futurs dirigeants<br />

de la société locale.<br />

*<br />

Le point de vue de la minorité anglophone trifluvienne constitue<br />

encore un témoignage précieux sur la pénétration des idées régionalistes


dans les mentalités. Une figure domine la presse locale d'expression<br />

anglaise: Robert J. Clark, responsable <strong>du</strong> St. Maurice Valley Chronicle<br />

et rédacteur au Three Rivers Year Book. Parfait bilingue, lié d'amitié<br />

avec plusieurs notables francophones, Clark entretient de bonnes rela-<br />

tions avec Albert Tessier, même s'il est réticent <strong>à</strong> l'adoption <strong>du</strong> terme<br />

"Mauricie". Les festivités <strong>du</strong> Tricentenaire et l'action intellectuelle<br />

de l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme lui inspirent des textes dont l'enthousiasme<br />

dénote une sincérité qui va au-del<strong>à</strong> des formules polies.<br />

Dans un compte ren<strong>du</strong> des fêtes de 1934 6 , il écrit:<br />

The head and front of this movement was Rev. Abbé Tessier<br />

[ ... ] If Rev. Father Tessier preaches a gospel of regionalism<br />

with his writings, Louis D. Durand, k.c. was no<br />

less active, both with tongue and pen. His Gallic<br />

enthousiasm inspired some, who perhaps only dimly understood<br />

what he was driving at.<br />

Clark met en évidence le caractère spontané de ces manifestations<br />

qui faisaient appel <strong>à</strong> la sensibilité et <strong>à</strong> l'imagination des Trifluviens.<br />

Il fait dire <strong>à</strong> ces Trifluviens:<br />

We are paying tribute, in our way, to the hardihood and<br />

bravery of our ancestors - simple folk like ourselves.<br />

Puis après avoir résumé la séquence des événements de ce glorieux été 7 ,<br />

6. Three Rivers Year Book 1935, "The Tercentenary of <strong>Trois</strong>-Rivieres" ,<br />

p. 81-86. Le texte a été repris dans le supplément <strong>du</strong> jubilé d'or<br />

<strong>du</strong> St. Maurice Valley Chronicle, p. 4 et 21, sous le titre:<br />

"Tercentenary Celebrations Were Highlight In Chronicle's History".<br />

7. Entre autres Clark souligne la généreuse contribution de la<br />

Shawinigan Water & Power Co. (la société régionale d'électricité)<br />

qui avait illuminé la flèche gothique <strong>du</strong> clocher de la cathédrale<br />

209


le directeur de St. Maurice Valley Chronicle conclut en écrivant que la<br />

commémoration des origines de la région a contribué au développement de<br />

la fierté collective. Et il ajoute:<br />

Three Rivers' Tercentenary justified itself as a needed<br />

inspiration, a fresh guarantee of C1V1C and community<br />

pride and a reminder that unstudied and natural selfexpression<br />

pro<strong>du</strong>ces the best art.<br />

Enfin, le même numéro <strong>du</strong> Three Rivers Year Book présente les photogra-<br />

phies de Tessier et de Durand accompagnées de textes très flatteurs 8 •<br />

De son côté l'hebdomadaire de Bob Clark, le St. Maurice Valley<br />

Chronicle, suit les préparatifs et le déroulement des activités de 1934<br />

avec intérêt. Même la collection des "Pages trifluviennes", entièrement<br />

rédigée en français reçut une attention admirative 9 • Quant <strong>à</strong> l'abbé<br />

Tessier, il est identifié aux premiers missionnaires de la Mauricie:<br />

Obviously Abbé Tessier could never have been other than a<br />

priest. Had he been born three hundredyears ear1ier,<br />

he would have been with "Père" Buteux or "Père" Jogues,<br />

ministering to the children of the woods ... And even if<br />

he couldn't have had his 16mm. movie outfit in these<br />

days, he would certainly have had parchmin and inkhorn<br />

with him ... How we would have loved to read the particu1ar<br />

"Relation" that Père Tessier would have written<br />

about the St. Maurice Mission 10 !<br />

<strong>du</strong>rant les manifestations.<br />

8. Tessier est félicité d'avoir développé "a local self-consciousness<br />

and a local pride" et les discours de Durand sont qualifiés de "rea1<br />

oratorical masterpieces".<br />

9. On peut lire ainsi dans la le St. Maurice Valley Chronicle <strong>du</strong> 25<br />

janvier 1934, p. 1, <strong>à</strong> propos de quatre ouvrages parus récemment, que<br />

"he's the best cosmopolite who loves his native country best".<br />

10. "Born 300 years too 1ate?", 26 aoOt 1936.<br />

210


Le précédent texte montre bien comment celui qu'on appelait l'apôtre<br />

de la Mauricie avait créé une forte impression en milieu anglophone.<br />

Cette admiration non équivoque surprend <strong>à</strong> première vue si l'on se rap­<br />

pelle les propos virulents des deux ténors <strong>du</strong> régionalisme contre la<br />

sujétion <strong>à</strong> l'Angleterre. Mais la minorité anglophone qui était placée <strong>à</strong><br />

la direction des grandes usines de la région (et un homme comme R.J.<br />

Clark qui connaissait bien la petite bourgeoisie canadienne-française<br />

locale) savait qu'il était moins dangereux de voir la population célébrer<br />

ses ancêtres ou de la voir s'indigner en paroles, que de la sentir<br />

remettre en question sa destinée de gagne-petit, ou encore la voir poser<br />

des gestes efficaces pour que cette situation prenne fin.<br />

***<br />

2. La presse canadienne<br />

La presse canadienne fait écho des événements qui se pro<strong>du</strong>isent <strong>à</strong><br />

<strong>Trois</strong>-Rivières et commente le courant d'idées qui leur est associé. Un<br />

dépouillement thématique <strong>du</strong> Devoir, de L'Action Nationale et <strong>du</strong> Terroir a<br />

été réalisé afin d'exposer sommairement le point de vue des journalistes<br />

et penseurs de l'époque. De fait, les journaux et les périodiques<br />

trifluviens repro<strong>du</strong>isaient les articles louangeurs parus <strong>à</strong> Montréal,<br />

211


<strong>Québec</strong> ou ailleurs.<br />

212<br />

De son côté, Albert Tessier a rassemblé soigneuse-<br />

ment lei articles parus sur le régionalisme et non repris par la presse<br />

trif1uvienne. Quant aux articles défavorables, ils sont plutôt dif­<br />

ficiles <strong>à</strong> trouver, bien qu'une source indirecte puisse être constituée<br />

par les réfutations contenues dans la correspondance de Tessier et dans<br />

plusieurs articles <strong>du</strong> corpus. Parmi la liste des journaux canadiens dont<br />

nous avons retenu des articles, citons Le Devoir, L'Action Catholique, Le<br />

Droit, Le Petit Journal, La Patrie, La Presse, L'Avenir <strong>du</strong> Nord, L'Evé­<br />

nement, Le Canada, La Province, Le Journal, L'Ordre et La Liberté. Des<br />

articles parus dans L'Action Nationale, le Terroir et L'Enseignement<br />

secondaire font également l'objet d'une analyse. Enfin, les opinions des<br />

journalistes 01ivar Asse1in et Jean-Charles Harvey, exposées dans leur<br />

correspondance avec Tessier, complètent la section réservée <strong>à</strong> la presse<br />

québécoise.<br />

Dévoué tout entier <strong>à</strong> la cause nationaliste, Le Devoir ne pouvait<br />

qu'applaudir devant les réalisations régionalistes trif1uviennes. Omer<br />

Héroux, ami des intellectuels trifluviens et très au fait des événements<br />

locaux, a signé plusieurs articles tra<strong>du</strong>isant une adhésion totale envers<br />

les objectifs <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Il salue ceux qu'il appelle les<br />

généreux fanatiques de la petite patrie qui se mettent <strong>à</strong> la tâche pour<br />

écrire l'histoire de leur région (2.5). Il suggère même l'usage <strong>du</strong><br />

phonographe pour la conservation de certains témoignages. Dans un<br />

article daté de 1937 (2.25.1), Héroux repro<strong>du</strong>it le questionnaire que<br />

l'apôtre de la Mauricie a remis <strong>à</strong> ses élèves avant les vacances de Noël


et le propose aux lecteurs <strong>du</strong> Devoir 11 • Peu de temps après, le rédacteur<br />

<strong>du</strong> Devoir, délaissant les sujets politiques 12 , profite de la parution<br />

d'un ouvrage de la collection des "Pages trifluviennes" pour expliquer la<br />

doctrine régionaliste tout en vantant les efforts d'Albert Tessier<br />

(2.27.1). La valeur de la monographie sur Saint-Justin tient <strong>à</strong> la<br />

présence de tableaux de moeurs rurales et de la reconstitution de la vie<br />

d'autrefois, de préciser Héroux. Se portant <strong>à</strong> la défense des idées<br />

chères <strong>à</strong> son ami trifluvien, Héroux écrit que le régionalisme ne cor-<br />

respond pas <strong>à</strong> "une étroite conception <strong>du</strong> monde". Poursuivant dans la<br />

même veine, il ajoute:<br />

Cet instinct d'en appeler au passé, aux anciens, ce désir<br />

de continuité tiennent évidemment au plus profond <strong>du</strong><br />

coeur ·humain [ ... ] L'histoire est toujours la grande<br />

Ma1tresse de vie; mais, encore, faut-il la connaître ...<br />

En conclusion, Héroux reprend un mot d'ordre de Lionel Groulx:<br />

"Apprenons notre histoire. C'est l'un de nos plus pressants devoirs". A<br />

l'automne de la même année, Omer Héroux revient <strong>à</strong> la charge (2.30) en<br />

faisant l'éloge de l'oeuvre et la personnalité régionaliste de <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières: "Curieux homme que cet abbé Tessier, écrit-il, il s'intéresse<br />

d'abord <strong>à</strong> son pays" après avoir beaucoup voyagé et connu "le vaste<br />

monde". Héroux propose l'action des régionalistes français comme modèle<br />

11. Le questionnaire vise essentiellement <strong>à</strong> mesurer le taux d'affichage<br />

et la pro<strong>du</strong>ction commerciale francophone par rapport <strong>à</strong> la<br />

pénétration anglophone. Le texte est repro<strong>du</strong>it en annexe dans les<br />

documents.<br />

12. Omer Héroux avait déj<strong>à</strong> rédigé un entrefilet enthousiaste <strong>à</strong> l'endroit<br />

de l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme et de ses écrits historiques (Voir "Un<br />

propagandiste", Le Devoir, 24 octobre 1936, p. 7).<br />

213


et souhaite l'apparition d'un Mistral canadien-français qui renouvel-<br />

lerait la réussite de Mireille dans le cadre d'une paroisse d'ici.<br />

Le Devoir publie également les articles de Lucien Desbiens, origi-<br />

naire de La Tuque, qui se propose de se faire l'écho de la parole "juste<br />

et opportune" de celui qu'il surnomme "l'apôtre de la Mauricie". Des-<br />

biens développe surtout une des idées maîtresses de Tessier, <strong>à</strong> savoir<br />

que<br />

Le régionalisme est en quelque sorte l'apprentissage le<br />

plus parfait <strong>du</strong> patriotisme qui, lui, embrasse toute la<br />

patrie 13 •<br />

Suit une série de suggestions d'activités régionalistes (voir la Con-<br />

clusion générale). Enfin, <strong>du</strong>rant le déroulement des fêtes <strong>du</strong> Tricen-<br />

tenaire, Desbiens rend un hommage vibrant d'émotion envers celui qu'il<br />

appelle "le pivot de la vie intellectuelle de <strong>Trois</strong>-Rivières". Il<br />

rappelle son courage devant l'apathie, son enthousiasme contagieux et le<br />

rôle qu'il joue dans l'animation des fêtes et la direction des "Pages<br />

trifluviennes". Dans ce texte qui constitue peut-être le plus bel éloge<br />

que Tessier ait jamais reçu, Desbiens termine en ces termes:<br />

13. Desbiens appuie son assertion sur la pensée de Mistral dont il<br />

retient le passage suivant: "Si vous respectez en moi mon instinct<br />

filial pour ma région, si vous maintenez la solidarité pieuse qui<br />

m'unit <strong>à</strong> tous les miens, aux vivants par la sympathie, aux ascendants<br />

par l'hérédité; si vous me faites sentir que je suis une<br />

personnalité et qu'en cette personnalité est résumée toute la vie<br />

collective d'un groupe, je m'attacherai <strong>à</strong> ma cité et, m'y attachant,<br />

je comprendrai que les autres aiment la leur comme j'aime la mienne.<br />

Je serai prêt <strong>à</strong> les aider autant qu'ils seront prêts <strong>à</strong> m'aider euxmêmes"<br />

(Le Devoir, 12 aoOt 1933, p. 1).<br />

214


créer ce chef-d'oeuvre de patriotisme qu'est l'âme d'un<br />

BARRES ou d'un GROULX.<br />

Ainsi, chacun <strong>à</strong> leur façon, Desbiens et Richer ont cherché, tout en<br />

faisant l'apologie <strong>du</strong> régionalisme et l'éloge de son défenseur, <strong>à</strong> rat-<br />

tacher les principes <strong>du</strong> mouvement trifluvien <strong>à</strong> ceux <strong>du</strong> nationalisme<br />

défen<strong>du</strong> dans les colonnes <strong>du</strong> Devoir, celui de Lionel Groulx, selon lequel<br />

la connaissance historique doit inspirer les actions libératrices <strong>du</strong><br />

peuple canadien-français.<br />

*<br />

Le journal L'Action catholique de <strong>Québec</strong> a appuyé le régionalisme<br />

mauricien pour des motifs similaires, principalement sous la plume<br />

d'Eugène L'Heureux qui, <strong>à</strong> plusieurs reprises, fait état de l'activité<br />

régionaliste 18 • Son article le plus substantiel paraît en décembre 1936<br />

(2.25). Après l'avoir dissocié de l'esprit de clocher, L'Heureux relie<br />

le régionalisme au "patriotisme le plus pur et le plus fécond". Il<br />

explique que "le Canadien français des <strong>Trois</strong>-Rivières 17 , pour atteindre <strong>à</strong><br />

16. Par exemple (2.14) il accorde la palme <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières pour ce<br />

qu'il appelle l'activité régionaliste - c'est-<strong>à</strong>-dire l'intérêt pour<br />

l'histoire régionale comme <strong>à</strong> Chicoutimi, Rimouski et Beauport où<br />

existent des sociétés historiques. Une coquille amusante de la<br />

transcription de l'article paru dans Le Devoir laisse entendre que<br />

Tessier anime "le gouvernement régionaliste trifluvien". L'apôtre<br />

de la Mauricie devait commencer <strong>à</strong> s'y habituer, lui qu'une autre<br />

coquille, parue dans Le Nouvelliste, avait qualifié d'''ingénieur''<br />

<strong>du</strong> régionalisme ...<br />

17. Les régionalistes tentèrent d'imposer le pluriel pour le toponyme<br />

"<strong>Trois</strong>-Rivières". Cet usage qui a connu une certaine faveur ne<br />

s'est pas imposé et est tombé en désuétude malgré l'insistance de<br />

216


sa pleine valeur d'homme, doit avoir une âme et un esprit différents de<br />

l'âme et de l'esprit <strong>du</strong> Français de France [sic], de l'Anglais d'Angle-<br />

terre" etc. Il doit imprégner son idéal des éléments propres au milieu<br />

trifluvien: "histoire, géographie économique et physique, éléments<br />

ethniques, coutumes, tournure générale des esprits". Le régionalisme<br />

"positif et généreux" permettra de corriger la passivité et la légèreté<br />

intellectuelles, défauts généralisés au Canada français. En plus des<br />

articles de L'Heureux, L'Action catholique a fait para1tre des textes<br />

d'Hervé Biron et des comptes ren<strong>du</strong>s <strong>du</strong> Tricentenaire.<br />

Le témoignage d'un autre journaliste de L'Action catholique, André<br />

Laurendeau, est significatif car tout nationaliste qu'il était, il était<br />

loin de vibrer aux épanchements de la littérature régionaliste. Il écrit<br />

néanmoins 18 qu'Albert Tessier fut l'un des premiers <strong>à</strong> réagir contre la<br />

formation livresque, <strong>à</strong> prêcher la culture par l'observation, la décou-<br />

verte personnelle sur le terrain. De plus, dans Souvenirs en vrac (p.<br />

136), l'apôtre de la Mauricie a rapporté des propos de Laurendeau où ce<br />

dernier affirme qu'<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, "on y est régionaliste fort intel-<br />

ligemment".<br />

Le Droit d'Ottawa, bastion des francophones de l'Ontario, a ouvert<br />

ses colonnes au régionalisme de la Mauricie. En 1934, Victor Barrette<br />

(2.8) consacre un article important <strong>à</strong> l'oeuvre régionaliste de Tessier,<br />

plusieurs Trifluviens. D'ailleurs la tendance actuelle est de dire<br />

"<strong>à</strong>" Pointe-<strong>du</strong>-Lac, "<strong>à</strong>" Cap-de-la-Madeleine, etc.<br />

18. André Laurendeau, "La querelle <strong>du</strong><br />

catholique, 28 avril 1941.<br />

217<br />

régional isme", l' Action


"animateur d'un passé prodigieux" et "éveilleur de sa région". Plus<br />

spécifiquement, le journaliste <strong>du</strong> Droit souligne le rôle d'éditeur de la<br />

collection des "Pages trifluviennes" qu'Albert Tessier remplit avec<br />

enthousiasme et compétence; les collaborateurs les plus notoires sont<br />

mentionnés: le Docteur Louis-Georges Godin, M01sette Olier, Jeanne<br />

L'Archevêque-Duguay et l'illustrateur de la collection, le peintre<br />

Rodolphe Duguay. Barrette se tourne vers l'avenir:<br />

Et quand, au siècle prochain, d'autres mains rallumeront<br />

la flamme, et si elles le font avec encore plus de fierté<br />

que cette année [1934], c'est qu'elles auront lu tout<br />

leur devoir en ces recueils de petite histoire régionaliste<br />

où un prêtre aura su enclore l'âme trifluvienne ...<br />

De son côté, Pierre Daviault s'exprime sur le réveil trifluvien<br />

qu'il avait observé lors de son passage en Mauricie <strong>du</strong>rant les fêtes de<br />

1934 19 • Séjournant en Mauricie l'année suivante, il passe en revue ce<br />

que les manifestations régionalistes ont laissé de <strong>du</strong>rable - le Flambeau,<br />

les monuments, le Syndicat d'initiative, le Bien Public transformé par<br />

Marchand et Douvi 11e, la collection des "Pages trifluviennes" et la<br />

Société d'histoire régionale. Faisant allusion aux membres de la Société<br />

Le Flambeau, Daviault encourage le groupe de jeunes qui entretiennent<br />

l'activité intellectuelle et luttent contre l'inertie des gens plus âgés.<br />

Il termine son article en écrivant que le "révei 1 trifluvien" est 1 'oeu-<br />

vre de Tessier.<br />

19. P[ierre] D[aviault], "Billet/Le<br />

septembre 1935, l'article est<br />

trifluvien (2.10).<br />

218<br />

réveil trifluvien", Le Droit, 12<br />

repris en partie dans l'Almanach


En 1935, dans Le Petit Journal, hebdomadaire populaire de Montréal,<br />

Robert Rumilly (2.15) commente de son côté la polémique soulevée dans Le<br />

Flambeau qui oppose Albert Tessier <strong>à</strong> Ronald Murray. Rumilly prend<br />

nettement parti pour l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Il explique que<br />

cette doctrine peut mettre un frein au mouvement centralisateur des<br />

états. L'ancien camelot <strong>du</strong> Roi cite le cas de la France où "cette<br />

tyrannie a tué, ou presque, des traditions, des autonomies locales<br />

pittoresques et précieuses". Néanmoins, ajoute-t-il, "ce sont les hommes<br />

les plus attachés au terroir qui sont, le plus souvent, les meilleurs<br />

patriotes". Rumilly termine en écrivant que "les régionalistes <strong>à</strong> la<br />

manière de l'abbé Tessier et de ses amis seront toujours parmi les<br />

meilleurs Canadiens". Deux ans plus tard, dans un article paru encore<br />

dans le même journal, Rumilly20 se range <strong>du</strong> côté de Tessier contre Henri<br />

Bourassa (qui n'est pas nommé mais dont l'identité est transparente) qui<br />

raillait l'amour de la petite patrie. Le régionalisme est envisagé en<br />

tant que moyen d'enrayer l'exode des campagnes vers la ville en retenant<br />

les paysans <strong>à</strong> la terre.<br />

Un article de La Patrie paru en février 1937 et repro<strong>du</strong>it dans Le<br />

Terroir abonde dans le même sens. On y lit que ceux qui se moquent des<br />

régionalistes sont des "déracinés, des êtres ondoyants qui, pour se<br />

vanter d'être des citoyens <strong>du</strong> monde , répudient le nationalisme et perdent<br />

20. Quoique l'article ne soit pas signé, nous croyons qu'il est de<br />

Rumilly car il avait tenu, vers la même époque, des propos<br />

semblables dans une lettre non datée qu'il avait adressée <strong>à</strong> Tessier.<br />

(ASTR, Fonds Albert-Tessier FN-0014 P-2). Il écrit: "Par<br />

l'histoire et le régionalisme, vous offrirez <strong>à</strong> la jeunesse quelque<br />

chose où se raccrocher".<br />

219


la notion <strong>du</strong> véritable patriotisme (2.52.2 )". Toujours la même année,<br />

Jean Saint-Georges, un autre chroniqueur de La Patrie, rédige un article<br />

sur la Mauricie artistique21 . Illustré de plusieurs repro<strong>du</strong>ctions de<br />

gravures réalisées par Rodolphe Duguay et de photographies, le texte de<br />

Saint-Georges fait l'apologie de l'oeuvre de Tessier, "actif champion <strong>du</strong><br />

régional isme". Après avoir résumé les manifestations régionalistes,<br />

Saint-Georges conclut son article en ces termes:<br />

La MAURICIE est un endroit privilégié de la province<br />

[ ... ] parce qu'Celle] groupe des hommes d'envergure, qui<br />

ont su observer et aimer la nature, et qui ont explicité,<br />

<strong>à</strong> bon escient, les richesses que la Providence a bien<br />

voulu leur confier.<br />

Finalement, un troisième article, anonyme cette fois, répond aux<br />

insinuations de Bourassa en affirmant que "le culte de la Mauricie ou de<br />

la Laurentie n'est pas <strong>à</strong> dédaigner, car il se confond avec celui de la<br />

patrie canadienne"22.<br />

Dans La Presse, Damase Potvin 23 se montre de son côté enthousiaste<br />

vis-<strong>à</strong>-vis la collection des "Pages trifluviennes", expression idéale <strong>du</strong><br />

mouvement d'é<strong>du</strong>cation régionale amorcé en Mauricie 24 •<br />

21. Jean Saint-Georges, "La Mauricie artistique", La Patrie, 14 février<br />

1937, p. 64-65.<br />

22. "Cultivons le régionalisme", La Patrie, 14 février 1937.<br />

23. Sainte-Foy (pseudonyme de Damase Potvin), "Bel effort d'é<strong>du</strong>cation",<br />

La Presse, 9 novembre 1934, p. 6.<br />

24. L'abbé Elie-J. Auclair de Saint-Jérôme écrit pour sa part deux<br />

articles dans L'Avenir <strong>du</strong> Nord sur "le réveil historique de <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières" et sur les fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire. La doctrine de Tessier<br />

est résumée dans un article de L'Evénement de <strong>Québec</strong> et dans un<br />

220


Rex Desmarchais raconte dans La Province (2.29) les impressions<br />

personnelles d'un séjour de 48 heures dans la Cité de Lavio1ette. Il se<br />

propose de rechercher sous ce qu'il nomme "la surface judéo-ang1o-améri-<br />

caine" la trace des survivances françaises, "la discrète promesse qu'il<br />

ne faut pas désespérer". Desmarchais trouve l'âme de <strong>Trois</strong>-Rivières non<br />

pas dans son architecture, mais dans sa vitalité régionaliste. Les<br />

ouvrages de Tessier, le magazine Le Mauricien, la boutique d'artisanat<br />

"L'Araignée d'Or" et les oeuvres de Rodolphe Duguay font tour <strong>à</strong> tour<br />

l'objet de son enthousiasme et constituent <strong>à</strong> ses yeux le secret de l'âme<br />

trifluvienne. "Le régionalisme trif1uvien [ ... ] garde des fenêtres<br />

grandes ouvertes sur l'extérieur; il est amène et accueillant" d'ajouter<br />

le journaliste de La Province. Desmarchais résume ainsi la formule des<br />

disciples de Tessier:<br />

Extraire ce qu'il y a de bon et de beau dans sa région en<br />

acceptant joyeusement ce qu'il y a de beau et de bon dans<br />

toutes les autres. (2.29)<br />

L'Ordre, quotidien de Montréal, affiche sous la houlette d'Olivar<br />

Asselin des vues nationalistes, mais fustige néanmoins les nalvetés <strong>du</strong><br />

régionalisme littéraire. On n'est pas surpris de constater que l'ap-<br />

préciation de la saga régionaliste en Mauricie est très mitigée. A<br />

article paru dans Le Canada <strong>à</strong> l'occasion d'une distinction accordée<br />

<strong>à</strong> l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme mauricien (Les articles sont repro<strong>du</strong>its<br />

dans Le Bien Public des 23 février 1934 et 29 mars 1934). [Anonyme],<br />

"Le régionalisme défini par l'abbé Tessier", L'Evénement, 17<br />

décembre 1936. H.G., "L'abbé Tessier est décoré", Le Canada, 11<br />

décembre 1935.<br />

221


Tessier qui lui demandait d'écrire sur les dernières parutions des "Pages<br />

trifluviennes", Asselin lui répond qu'il est débordé de travail mais<br />

qu'il rend hommage "<strong>à</strong> l'énergie que votre ville a montrée en survivant <strong>à</strong><br />

travers les fumées pestilentielles qui l' infectent"25. Rédacteur <strong>à</strong><br />

l'Ordre, Albert Pelletier26 rédige, en novembre 1934, un article intitulé<br />

"Un pays de cocagne <strong>du</strong> régionalisme" (2.11). Il perçoit essentiellement<br />

le régionalisme au sens où l'entend Tessier comme étant une approche<br />

didactique ou, plus exactement, une stratégie pédagogique. En tant que<br />

telle, elle est destinée aux enfants! A la question de Tessier: "Etes-<br />

vous converti au régionalisme?" le journaliste de l'Ordre répond catégo-<br />

riquement: "Non, pas pour l'a<strong>du</strong>lte instruit". Le régionalisme est<br />

salutaire <strong>à</strong> l'enfant, mais l'adolescent doit l'abandonner pour tendre <strong>à</strong><br />

l'universalisme afin d'y parvenir <strong>à</strong> l'état a<strong>du</strong>lte. Pelletier ajoute que<br />

la doctrine mise de l'avant par l'abbé trifluvien agit "plus sur le<br />

caractère que sur l'intelligence". Cette "tentative d'é<strong>du</strong>cation nation-<br />

ale" n'est pas exempte d'illusions. Malgré ces réserves, Pelletier<br />

admire l'initiative et la ténacité de Tessier même s'il "n'attendait rien<br />

de ses travaux". En somme, Pelletier admet la bonne volonté <strong>du</strong> régiona-<br />

25. Lettre d'Olivar Asselin <strong>à</strong> Albert Tessier, 4 avril 1933. Quatre<br />

jours plus tard, il écrit <strong>à</strong> Tessier que les ouvrages ont été passés<br />

au Docteur Philippe Panneton et que dans ce geste "il n'y a nulle<br />

mauvaise volonté". (ASTR, Fonds Albert-Tessier, FN-0014 P-1).<br />

26. Albert Pelletier (1896-1971), né <strong>à</strong> St-Pascal-de-Kamouraska, notaire<br />

et fonctionnaire, édite les Demi-Civilisés de Jean-Charles Harvey en<br />

1933, fonde les éditions <strong>du</strong> Totem en 1934 et crée la revue Idées<br />

(19?). Il a rédigé des chroniques dans L'Ordre et le Canada.<br />

222


liste mauricien, mais remet en question sa doctrine en la ramenant aux<br />

proportions d'une pédagogie pour enfants 27 •<br />

Finalement, <strong>à</strong> Saint-Boniface au Manitoba, Donatien Frémont écrit<br />

dans La Liberté 28 que la Société d'histoire régionale de <strong>Trois</strong>-Rivières a<br />

développé le goOt des recherches historiques et qu'elle a enclenché le<br />

mouvement pour les fêtes de 1934. Il rappelle le souvenir des explora-<br />

teurs trifluviens qui ont parcouru l'Ouest canadien et l'épisode mission-<br />

naire de la carrière de Mgr Laflèche.<br />

*<br />

Quelques périodiques des années trente se font aussi l'écho bien-<br />

veillant <strong>du</strong> mouvement trifluvien. Au premier chef il convient de soulig-<br />

ner l'appui sans réserves de L'Action Nationale, porte-parole <strong>du</strong> nationa-<br />

lisme de Lionel Groulx. Tessier en est le correspondant pour la Mauri-<br />

cie. Il rédige les notices biographiques de Mgr Comtois et de Duples-<br />

sis 29 mais sa contribution la plus importante demeure l'article de 1937<br />

(1.30) où se trouve justifiée l'action régionaliste. Plusieurs col-<br />

27. Raymond Douville (2.22) cite un autre article de Pelletier où celuici<br />

déplore que Tessier "gaspille sa grande activité" et en vient <strong>à</strong><br />

la conclusion que "le régionalisme trifluvien avec ses douze volumes<br />

par année ne servira jamais qu'<strong>à</strong> dégoOter les Trifluviens de même<br />

[sic] toute lecture".<br />

28. "Nos amis des <strong>Trois</strong>-Rivières", La Liberté, 14 décembre 1932.<br />

29. Voir L'Action Nationale, 3 8 année, tome 5, mars 1935, p. 145-149 et<br />

3 e année, tome 3, mars 1933, p. 171-174. Les articles ne sont pas<br />

signés mais leur attribution est confirmée dans Mes Mémoires de<br />

Groulx et Souvenirs en vrac de Tessier (p. 184).<br />

223


laborateurs de l'Action Nationale font paraître des articles dans la<br />

même ligne de pensée.<br />

Ainsi, Lionel Groulx, dans le compte ren<strong>du</strong> de <strong>Trois</strong>-Rivières 1535-<br />

1935 (2.18) paru en 1935, loue l'auteur de la fresque historique en<br />

écrivant qu'il a "mis au monde la Mauricie". Selon Groulx, Tessier a<br />

plus fait pour sa région "que tous les barrages et toutes les usines";<br />

l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme est <strong>à</strong> ses yeux <strong>à</strong> la fois un historien et un<br />

poète, plus <strong>à</strong> l'aise dans l'épopée <strong>du</strong> Régime français que dans l'ère<br />

in<strong>du</strong>strielle où l'élan de l'écrivain n'est plus le même. Finalement le<br />

célèbre nationaliste canadien-français émet le souhait que des mouvements<br />

similaires naissent dans divers coins <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>. Un autre ami de <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières, François Hertel, rédige dans le même numéro de 1935 une présen-<br />

tation <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Après avoir défini le régionalisme en<br />

général (2.17), Hertel voit dans le régional isme mauricien un "patrio-<br />

tisme localisé" dont l'aboutissement constitue "la vie régionale, la VIE<br />

tout cou rt" . Cette doctrine est étrangère <strong>à</strong> un patriotisme "négatif,<br />

défensif, qui serait une réaction contre l'Angleterre et les Anglais"; au<br />

contraire, d'ajouter l'ancien élève de l'abbé Gélinas, les régionalismes<br />

ne feront "qu'intensifier la vie nationale des deux groupes" dans un<br />

esprit de collaboration. Etayant ses propos de citations tirées des<br />

oeuvres de Nérée Beauchemin 30 et de Maurice Barrès 31 , François Hertel<br />

30. "Se faire une forteresse d'un coin de terre".<br />

31. A propos de sa petite patrie, "si j'éprouve assez d'amour, c'est moi<br />

qui deviendra son coeur". Hertel mentionne les noms de poètes<br />

régionaux comme Mistral, Botrel, Brizeux et Aicard.<br />

224


termine par un hommage <strong>à</strong> Tessier et aux réalisations régionalistes.<br />

Enfin, et toujours dans la même livraison de l'Action Nationale, Emile<br />

Marion 32 expose le régionalisme de la minorité francophone de l'Alberta<br />

et fait référence au mouvement de <strong>Trois</strong>-Rivières 33 •<br />

Le dépouillement de quelques autres périodiques de l'époque fait<br />

ressortir l'intérêt soutenu envers l'école régionaliste de la Mauricie.<br />

Le Terroir, Le Canada français et L'Enseignement secondaire auxquels il<br />

faut ajouter La Relève, Vivre et Idées, abordent le sujet de l'efferves-<br />

cence mauricienne. Le Père P.-E. Farley, clerc de Saint-Viateur, dans un<br />

article paru dans L'Enseignement secondaire (2.19), remarque que la<br />

doctrine de Tessier est basée sur la psychologie et le sens commun. Il<br />

suggère que les élèves entreprennent des recherches sur leur milieu de<br />

vie <strong>du</strong>rant les vacances estivales avec la collaboration des cercles<br />

l ittérai res. Ainsi, poursuit-il, "les élèves [ ... ] se font l'encoura-<br />

geante illusion [sic] d'accumuler des documents qui serviront efficace-<br />

32. "Le régionalisme d'une minorité", L'Action Nationale, 3 e année, tome<br />

6, novembre 1935, p. 191-201.<br />

33. Deux ans plus tard, Maurïce Tremblay déplorera la situation<br />

d'infériorité économique des Canadiens français et proposera comme<br />

remède une sorte de régionalisme <strong>à</strong> saveur économique fondé sur<br />

l'avènement d'un corporatisme menant <strong>à</strong> l'établissement de centres<br />

politiques régionaux autonomes. A cela devrait s'ajouter, aux yeux<br />

de Tremblay, une vie intellectuelle en région appuyée par des<br />

"universités rurales" avec bibliothèques publiques, cours <strong>du</strong> soir<br />

et conférences "branchées" sur la culture française d'inspiration<br />

catholique. Rempart contre l'américanisation, la formule régionaliste,<br />

concluait Tremblay, permettra le développement d'une Laurentie<br />

"couvrant [sic] l'Amérique <strong>du</strong> rayonnement de sa culture et de sa<br />

foi" ("Régionalisme", L'Action Nationale, 6 8 année, tome 8, p. 274-<br />

289) .<br />

225


de Paris, a publié un compte ren<strong>du</strong> <strong>du</strong> périple de la mission française35<br />

et dédie le chapitre XI de sa chronique de voyage aux "jeunes filles de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières", en résumant la réception offerte par les Trif1uviens.<br />

Impressionné par les traits <strong>du</strong> Sieur de Lavio1ette gravés dans la pierre,<br />

le populaire romancier apprécie le défilé organisé en l'honneur de la<br />

mission; mais ce qui le frappe le plus, c'est le banquet au manège<br />

militaire. Bordeaux tourne son attention vers le costume traditionnel<br />

des provinces françaises que portent les jeunes serveuses et les membres<br />

de la chorale de l'abbé Turcotte; il n'omet pas de citer les discours <strong>du</strong><br />

maire Robichon, <strong>du</strong> député Bourgeois et <strong>du</strong> président des fêtes, Louis-O.<br />

Durand. Le correspondant de l'Illustration complète son texte par une<br />

adresse aux jeunes filles de <strong>Trois</strong>-Rivières:<br />

Ailleurs nous avons rencontré d'autres joies, cueilli<br />

d'autres fruits de votre beau pays. Mais vous en étiez<br />

la fleur. A <strong>Trois</strong>-Rivières il y avait de l'amour dans<br />

l'air, de cet amour délicieux qui commence, qui ne sait<br />

pas où il va, qui ne doute de rien parce qu'il n'a rien<br />

que de pur et de délicat.<br />

De retour en France, Franc-Nohain 38 rédige, de son côté, pour L'Echo<br />

de Blois (Voir Le Nouvelliste, 1 er septembre 1934, p. 1).<br />

35. Nouvelle et Vieille France, une mission au Canada, Paris, Plon,<br />

1934, 245 p. La composition détaillée de la délégation est présentée<br />

en annexe de l'ouvrage.<br />

36. Franc-Nohain était le pseudonyme de Maurice-Etienne Legrand, avocat<br />

et sous-préfet (1873-1934). Poète humoriste, il était l'auteur de<br />

vers satiriques constituant les deux séries des Fables (1921) et<br />

Nouvelles Fables (1927). Sa mort survenue peu après son passage en<br />

Mauricie fut soulignée dans un article de Clément Marchand, "Sur la<br />

tombe <strong>du</strong> cher Franc-Nohain" (Le Bien Public, 8 novembre 1934, p. 5),<br />

où il est fait mention <strong>du</strong> câblogramme adressé <strong>à</strong> sa famille par "les<br />

jeunes filles de <strong>Trois</strong>-Rivières".<br />

227


de Paris, une série de notes de voyage dont la sixième porte sur l'arrêt<br />

<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières 37 • Il commence par expliquer <strong>à</strong> ses lecteurs ce qu'est<br />

un "pageant" et leur signale que les habitants de <strong>Trois</strong>-Rivières s'appel-<br />

lent des Trifluviens 38 • Puis il s'extasie sur les jeunes filles "fral-<br />

ches et franches, toute grâce et toute santé", dans leurs costumes de<br />

servantes, "Perrettes champenoises ou picardes"; il vante la pureté de<br />

leur chant qui lui a rappelé les vieux airs français. Comme son collègue<br />

de l'Illustration, le distingué fabuliste avoue que le plus beau jour de<br />

son voyage s'est passé <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières. Par ailleurs, R.-G. Nobécourt,<br />

<strong>du</strong> Journal de Rouen, représentant également la Société normande de<br />

géographie, abonde dans le même sens; il ajoute son couplet admiratif<br />

envers les Trifluviennes <strong>à</strong> ceux de ses deux confrères 39 de même qu'<strong>à</strong><br />

celui <strong>du</strong> <strong>du</strong>c de Lévis-Mirepoix dans Paris-Soir 4o .<br />

37. Franc-Nohain, "Bonjour Messieurs! ... ", L'Echo de Paris, 22 septembre<br />

1934, repro<strong>du</strong>it dans Le Nouvelliste, 18 octobre 1934, p. 2; 19<br />

octobre 1934, p. 2; 20 octobre 1934, p. 2; 22 octobre 1934, p. 2 et<br />

23 octobre 1934, p. 2. L'article sur les jeunes filles avait paru<br />

dans Le Nouvelliste le 17 octobre 1934, p. 3 et fut repro<strong>du</strong>it dans<br />

L'Almanach trifluvien, vol. III, 1934, p. 196-197.<br />

38. Toutefois, il se demande quelle est la troisième rivière, outre le<br />

Saint-Maurice et le Saint-Laurent. Ignorance ou pointe d'esprit<br />

parisien?<br />

39. R.G. Nobécourt, "L'étape la plus merveilleuse de notre magnifique<br />

randonnée", Le Journal de Rouen, 6 octobre 1934 repro<strong>du</strong>it dans Le<br />

Bien Public, 15 novembre 1934, p. 7. Mentionnons enfin que G.<br />

Lavallée fait mention des costumes de jeunes filles dans le très<br />

sérieux Concours médical. (Voir Le Bien Public, 25 octobre 1934, p.<br />

7, qui repro<strong>du</strong>it un texte <strong>du</strong> Devoir signé G.P. et intitulé "les<br />

trifluviennes ont fait sur les visiteurs français une impression<br />

tenace".)<br />

40. [Anonyme], "Le Duc de Lévis-Mirepoix et nous", Le Bien Public, 8<br />

novembre 1934, p. 1. Antoine-Pierre-Marie de Lévis-Mirepoix (1884-<br />

1981), né en Ariège, fut un historien spécialiste <strong>du</strong> Moyen-âge et de<br />

228


*<br />

Des échos de l'action régionaliste sont également perceptibles dans<br />

la presse américaine, et tout spécialement dans la presse franco-améri-<br />

caine de la Nouvelle-Angleterre. Ainsi un article de Harry Bernard en<br />

hommage <strong>à</strong> l'oeuvre de Tessier paraît <strong>à</strong> Worcester (2.32). Auteur d'une<br />

thèse sur le roman régionaliste aux Etats-Unis, Bernard énumère les<br />

principales réalisations d'Albert Tessier en mettant l'accent sur le<br />

renouveau régional que ce dernier a insufflé <strong>à</strong> la Mauricie. Le même<br />

enthousiasme se fait sentir chez le correspondant <strong>du</strong> Christian Science<br />

Monitor de Boston 41 • Lloyd Roberts, qui écrit un article flatteur sur<br />

les manifestations prévues pour 1934. Son résumé de l'histoire locale<br />

présenté en intro<strong>du</strong>ction insiste <strong>à</strong> la façon de Tessier sur l'épopée<br />

glorieuse des fils de <strong>Trois</strong>-Rivières - tels Jean Nicolet, Jacques Hertel,<br />

Jean et Thomas Godefroy, François Marguerie, Pierre Pépin, Radisson, Des<br />

Groseillers, Lavérendrye et ses fils. Roberts convie ses lecteurs <strong>à</strong><br />

participer aux évocations <strong>du</strong> passé trifluvien et <strong>à</strong> constater la prospé-<br />

rité actuelle de la ville. Dans l'Ouest américain, découvert par les<br />

explorateurs issus de <strong>Trois</strong>-Rivières, Grace Lee Nute, archiviste de la<br />

Société historique <strong>du</strong> Minnesota, rassemble quant <strong>à</strong> elle des documents<br />

pour une étude sur Radisson et Des Groseillers. Elle décide alors de<br />

la Renaissance; il était entré <strong>à</strong> l'Académie française en 1953.<br />

41. L'article est repro<strong>du</strong>it dans le Three Rivers Year Book 1935, p. 127-<br />

128, sous le titre "Tercentenary celebrations as seen by the others".<br />

229


Deux tendances se détachent nettement <strong>à</strong> la lecture des articles que<br />

nous venons de présenter: la première insiste sur la description des<br />

événements régionalistes, comme le Tricentenaire, et fait état des<br />

impressions immédiates des gens, alors que la seconde expose, justifie ou<br />

condamne la doctrine de l'école régionaliste. Les textes des commen­<br />

tateurs français de même que celui de Grace Lee Nute relèvent la première<br />

tendance par leur caractère anecdotique et une élaboration littéraire qui<br />

touche le lecteur. Cette approche vise peut-être moins la valeur intrin­<br />

sèque de la doctrine régionaliste que les circonstances qui ont mis les<br />

auteurs en contact avec ses réalisations. Les auteurs n'ont guère eu le<br />

temps d'appréhender le mouvement<br />

tians dont seul le caractère<br />

d'idées qui<br />

pittoresque<br />

231<br />

sous-tendait ces réalisa­<br />

a retenu leur attention.<br />

Toutefois la majorité des articles appartiennent <strong>à</strong> la seconde tendance:-<br />

soit qu'on appuie l'école régionaliste, soit qu'on la dénonce, en la<br />

reliant <strong>à</strong> des événements qui en paraissent la conséquence ou l'origine.<br />

Souvent les textes s'attardent <strong>à</strong> un aspect complémentaire que Tessier<br />

lui-même n'avait pas abordé - par exemple, le nationalisme, le corpora­<br />

tisme, le pouvoir régional, la décentralisation politique, l'ethnogra­<br />

phie. A cette partie purement doctrinale s'ajoute fréquemment une<br />

appréciation passionnée envers Albert Tessier dont le charisme d'anima­<br />

teur est mis en évidence. Il est d'ailleurs souvent malaisé de départa-


ger ce qui relève de l'adhésion logique ou de la fascination exercée par<br />

une personnalité hors <strong>du</strong> commun 44 •<br />

L'impact <strong>du</strong> régionalisme mauricien s'est diversement tra<strong>du</strong>it selon<br />

l'origine géographique et l'horizon culturel des médiateurs ou des<br />

récepteurs. La presse trifluvienne est presque unanimement dithyrambi-<br />

que, emportée qu'elle est par la fièvre historique <strong>du</strong> Tricentenaire et,<br />

il faut insister sur ce point, par l'enthousiasme contagieux d'Albert<br />

Tessier et de Louis-O. Durand. Seul fait exception l'article de Ronald<br />

Murray dont on peut se demander si l'auteur a simplement voulu se faire<br />

l'avocat <strong>du</strong> diable. Les anglophones trifluviens ont réagi positivement,<br />

soulagés plus ou moins consciemment <strong>du</strong> fait que l'ordre social, loin<br />

d'être remis en question, reçoit un appui collectif. L'accueil de la<br />

presse canadienne est plus nuancé. Les journaux et périodiques nationa-<br />

listes ajoutent leur voix <strong>à</strong> la chorale régionaliste. Le Devoir, Le<br />

Droit, L'Action Catholique et L'Action Nationale n'ont que des éloges <strong>à</strong><br />

l'endroit <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Toutefois la fraction la plus<br />

éclairée et la plus lucide <strong>du</strong> journalisme - représentée par les Asselin,<br />

Pelletier et Harvey - résiste aux sirènes régionalistes en stigmatisant<br />

44. Communicateur-né, homme de parole, Albert Tessier a su tirer profit<br />

des nouveaux médias dont la présence s'intégrait peu <strong>à</strong> peu dans le<br />

quotidien. L'Heure provinciale <strong>à</strong> CKAC et Radio-Collège <strong>à</strong> CBF ont<br />

accueilli le porte-parole de la Mauricie. Plusieurs émissions de<br />

L'Heure provinciale ont eu le tricentenaire et la région<br />

trifluvienne comme sujet. On peut consulter la description <strong>du</strong><br />

corpus dans la Bibliographie. La première station radiophonique,<br />

CHLN, ouvre ses portes en 1937. Sa création était réclamée depuis<br />

une dizaine d'années. L'oeuvre cinématographique de Tessier fait<br />

une large part aux thèmes régionalistes. L'ouvrage de René<br />

Bouchard, Filmographie d'Albert Tessier, présente une excellente<br />

synthèse des thèmes abordés par le cinéaste mauricien.<br />

232


la nalveté, l'étroitesse de vue et l'attitude de repli que cette vision<br />

des choses reflète <strong>à</strong> leurs yeux. La compréhension de la presse étrangère<br />

ne dépasse pas la curiosité vis-<strong>à</strong>-vis un exotisme nostalgique. Ainsi la<br />

réception au discours régionaliste varie selon que le récepteur est ou<br />

non Mauricien, ou qu'il est ou non nationaliste traditionnel. Pour les<br />

uns, le régionalisme de Tessier se présente comme une vérité évidente;<br />

pour les autres, il représente une vision passéiste dont on commençait <strong>à</strong><br />

se lasser <strong>du</strong>rant les années trente.<br />

233


CHAPITRE XII<br />

LE RESEAU ASSOCIATIF<br />

1. Le Syndicat d'initiative et la SSJB<br />

Le réseau associatif constitue un terrain d'élection pour la dif­<br />

fusion et le renforcement des discours sociaux, de même que pour leur<br />

mise en application. Le réseau peut devenir également le support de la<br />

résistance <strong>à</strong> ces discours ou même devenir le lieu d'énonciation de<br />

nouvelles idéologies lorsque les intérêts spécifiques des associations<br />

sont en cause. Le réseau trif1uvien a réagi au régionalisme selon des<br />

perspectives et avec des moyens que nous passons maintenant en revue pour<br />

chacun des groupements les plus représentatifs. Si possible, l'analyse<br />

de la composition socio-professionnelle <strong>du</strong> leadership ou <strong>du</strong> membership<br />

sera esquissée en rapport avec la participation des animateurs <strong>du</strong> régio­<br />

nalisme mauricien. Le rôle de la Société d'histoire régionale a été<br />

illustré précédemment et le cas de la Société Le Flambeau, dont les<br />

objectifs se confondent avec ceux <strong>du</strong> régionalisme mauricien, a été traité<br />

<strong>à</strong> part dans un précédent chapitre. Il sera ici d'abord question de<br />

"Syndicat d'initiative" qui fournit l'exemple-type d'un organisme ayant


trouvé sa justification dans le discours régionaliste, tout en pour-<br />

suivant les objectifs inhérents <strong>à</strong> son rôle propre, soit celui d'un bureau<br />

de tourisme.<br />

*<br />

C'est Armour Landry qui mit sur pied, en 1931, un service de guides<br />

historiques, avec l'assistance de Gaston Francoeur et d'Arthur Spénard 1 •<br />

Ces guides recrutés parmi les enseignants et formés par Albert Tessier<br />

doivent être capables de s'exprimer en anglais. Leur tâche est d'effec-<br />

tuer des visites commentées <strong>du</strong> quartier historique de <strong>Trois</strong>-Rivières et<br />

<strong>du</strong> site des Forges de Saint-Maurice. Devant le succès obtenu, Landry se<br />

propose de donner plus d'ampleur au projet; il part pour la France afin<br />

d'assister <strong>à</strong> un congrès sur le tourisme. Il revient avec la formule des<br />

Syndicats d'initiative développée avec succès <strong>à</strong> Paris et en province<br />

depuis 1889. Tessier, le maire Robichon et les fonctionnaires <strong>du</strong> mini-<br />

stère <strong>du</strong> Tourisme sont sé<strong>du</strong>its par l'idée et accordent leur aval au<br />

projet d'un Syndicat d'initiative de la Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice qui voit<br />

le jour en juin 1933. Le conseil d'administration est composé de nota-<br />

bles locaux auxquels s'ajoutent les maires des villes de la Maur;cie-<br />

- Cap-de-de-Madeleine, Grand-Mère, Shawinigan, La Tuque et, naturelle-<br />

ment, <strong>Trois</strong>-Rivières. En tant que directeur, Landry établit des contacts<br />

1. Rémi Tourangeau <strong>Trois</strong>-Rivières en liesse, p. 101-102. Armour Landry<br />

a présenté l'historique de l'organisme dans une conférence donnée <strong>à</strong><br />

l'occasion de la fondation <strong>du</strong> Syndicat d'initiative de <strong>Québec</strong>, le 3<br />

février 1937 (Voir Le Nouvelliste, 4 février 1937, p. 3).<br />

235


avec la presse touristique de Montréal; il se rend <strong>à</strong> New York où il<br />

présente une causerie radiophonique. Un bureau est ouvert rue Saint-<br />

Pierre, dans le quartier historique, puis déménagé au manoir de Niver-<br />

ville, rue Bonaventure.<br />

Les objectifs principaux <strong>du</strong> Syndicat d'initiative sont les suivants:<br />

coordonner les activités touristiques régionales, opérer un bureau de<br />

renseignements, former des guides historiques, éditer et distribuer les<br />

cartes ou dépliants touristiques, faire connaître les sites historiques<br />

et endroits de chasse et pêche, encourager les arts domestiques et,<br />

finalement, servir de lien entre les municipalités, l'in<strong>du</strong>strie hôtelière<br />

et les organismes <strong>à</strong> vocation touristique 2 • L'organisme se propose<br />

surtout de "glorifier notre petite patrie, de la faire connaître et, par<br />

l<strong>à</strong>, [de] mieux [l]'aimer" et de lui créer une "physionomie typique"3. Il<br />

vise également <strong>à</strong> l'amélioration de la vie intellectuelle en s'occupant<br />

plus "de l'éveil intérieur que l'exploitation mercantile des attraits de<br />

la région". Finalement, le Syndicat d'initiative de la Vallée <strong>du</strong> Saint-<br />

Maurice cherche <strong>à</strong> encourager l'art domestique afin de développer "le bon<br />

goût" et entend pro<strong>du</strong>ire un courant de "tourisme intérieur"4.<br />

2. La Mauricie, vol. 1, nO 1, octobre 1933, p. [2]. La Mauricie se<br />

présentait comme l'organe officiel <strong>du</strong> Syndicat d'initiative mais n'a<br />

paru qu'une seule fois.<br />

3. Armour Landry, "Notre Syndicat d'initiative", La Mauricie, vol. 1,<br />

nO 1, p. [5]. L'article a été repris intégralement dans L'Almanach<br />

trifluvien, vol. III, 1934, p. 142.<br />

4. Les services offerts sont détaillés <strong>à</strong> la suite de l'article<br />

précédent: guides historiques, liaisons télégraphiques et<br />

téléphoniques "longue distance", et même un service de tra<strong>du</strong>ction<br />

pour l'anglais, l'allemand, l'italien, l'espagnol et le russe. Sont<br />

236


Le Syndicat d'initiative est un organisme sans but lucratif dont la<br />

source principale de revenus provient de subventions municipales; les<br />

services offerts <strong>à</strong> la population sont gratuits et les responsables misent<br />

principalement sur le bénévolat. Des difficultés d'ordre financier<br />

surgissent rapidement 5 et les activités cessent après quelques années<br />

d'existence <strong>à</strong> cause effectivement d'un financement précaire 6 • Quant au<br />

désistement progressif des villes participantes, il s'explique par le<br />

fait que les autorités locales jugèrent sans doute que l'organisme<br />

profitait surtout <strong>à</strong> la collectivité trifluvienne.<br />

*<br />

disponibles au local de la rue Saint-Pierre des publications<br />

touristiques ou gouvernementales, des bottins, des indicateurs de<br />

chemin de fer et d'autobus sans oublier les cartes routières. Des<br />

ouvrages d'artisans de la région sont également présentés. Armour<br />

Landry émet une série de suggestions dans Le Mauricien (vol. 1, nO<br />

6, avril 1937, p. 25): amélioration <strong>du</strong> réseau routier, installation<br />

de plaques commémoratives près des sites historiques, aménagement de<br />

"belvédères rustiques" et formation de clubs de chasse et pêche. En<br />

fait, tous ces projets ne se réaliseront que vingt ou trente ans<br />

plus tard.<br />

5. [Anonyme], "Le Syndicat d'Initiative va fermer ses portes", Le<br />

Nouvelliste, 29 mai 1934, p. 3. Le 300$ accordé par le conseil de<br />

ville trifluvien est jugé insuffisant.<br />

6. Le Syndicat suspend ses opérations en février 1940 (Le Nouvelliste,<br />

28 février 1940, p. 3; 29 février 1940, p. 11; 15 mars 1940, p. 3)<br />

et cesse définitivement d'exister deux ans plus tard (Le<br />

Nouvelliste, 9 novembre 1942, p. 3). Le bilan des activités depuis<br />

la fondation est présenté dans Le Nouvelliste, 22 février 1940, p. 3.<br />

237


L'effervescence de cette collectivité <strong>du</strong>rant les années trente fut<br />

sans doute favorable <strong>à</strong> la réorganisation de la Société Saint-Jean-Bap-<br />

tiste trifluvienne qui s'était assoupie depuis un certain temps7. En<br />

1934, un groupe de militants nationalistes, adeptes de Lionel Groulx,<br />

dont Hervé Biron et Dollard Dubé, insuffle une vitalité nouvelle <strong>à</strong> la<br />

SSJB en mettant en place une association dont les objectifs véritables<br />

sont de favoriser le nationalisme économique et l'entreprise privée<br />

détenant le petit capita1 8 • En 1938, la Société regroupe une cinquan-<br />

taine d'é<strong>du</strong>cateurs (religieux pour une moitié), un nombre <strong>à</strong> peu près égal<br />

de membres des professions libérales, environ 150 hommes d'affaires et<br />

une dernière catégorie comprenant une centaine d'employés de l'in<strong>du</strong>strie<br />

papetière, des contremaîtres de pro<strong>du</strong>ction principalement. Ainsi les<br />

diverses fractions de la petite-bourgeoisie locale francophone sont-elles<br />

bien représentées. La pénétration des régionalistes trifluviens est plus<br />

faible que ce qu'on pouvait espérer <strong>à</strong> première vue, et la Société Saint-<br />

Jean-Baptiste n'a joué qu'un rôle secondaire dans l'animation des événe-<br />

ments de 1934. La participation au financement de l'édition de Fastes<br />

trifluviens et l'accueil d'Albert Tessier comme conférencier ne suffisent<br />

pas pour considérer la SSJB comme étant un véhicule majeur <strong>du</strong> discours<br />

régionaliste. On peut étendre cette affirmation aux Chevaliers de Colomb<br />

7. Yvan Rousseau, "Vie associative et rapports sociaux: le cas de la<br />

Société Saint-jean-Baptiste de la Mauricie", Mémoire de maîtrise en<br />

études québécoises, <strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, 1987,<br />

288 p.<br />

8. Yvan Rousseau, op. cit., p. 54. Des lettres patentes sont demandées<br />

en mai par Paul-Emile Neveu, gérant, Maurice Gélinas, assureur et<br />

Sylvia Carignan, épicier (Le Nouvelliste, 9 mai 1934, p. 3).<br />

238


devant lesquels Tessier et Durand eurent l'occasion d'exposer le régiona-<br />

lisme. Aucun régionaliste n'est présent dans la liste des officiers des<br />

Chevaliers de Colomb pour 1932 9 •<br />

***<br />

2. Les clubs de service et les associations professionnelles<br />

La liste des administrateurs de la Chambre de Commerce de <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières pour la période s'étendant de 1921 <strong>à</strong> 1951 10 révèle que sur 72<br />

personnes, quatre seulement ont eu un rapport quelconque avec l'action<br />

régionaliste et une seule de façon directe 11 • La Chambre s'était fixé<br />

9. "Une grande initiation de Chevaliers de Colomb pour dimanche<br />

prochain, Le Nouvelliste, 13 avril 1932, p.3.<br />

10. Liste aimablement transmise par M. Gilles Vallée, auteur d'un<br />

mémoire en études québécoises (<strong>UQTR</strong>) intitulé: "La Chambre de<br />

Commerce de <strong>Trois</strong>-Rivières 1881-1981: profil des membres<br />

participants" (1988).<br />

11. Les membres sont Me François Lajoie, administrateur (1923-1929),<br />

vice-président (1929-1932), président (1932-1935) et <strong>à</strong> nouveau<br />

administrateur (1935-1939) qui prononce des allocutions pour la<br />

tenue des fêtes de 1934; M. Emile Jean, administrateur (1932-1942),<br />

directeur <strong>du</strong> Nouvelliste qui accorde son appui au régionalisme;<br />

Robert J. Clark, vice-président (1938-1940) et président (1940-<br />

1942), qui suscite l'adhésion des anglophones aux célébrations <strong>du</strong><br />

Tricentenaire; le Dr Conrad Godin, administrateur (1949 et 1950),<br />

qui milite dans la Société Le Flambeau, participe au Tricentenaire<br />

et entreprend de répandre la petite histoire aux Trifluviens et aux<br />

visiteurs de passage. Des quatre, seul le dernier a véritablement<br />

été un animateur régionaliste. Mentionnons d'autre part que la<br />

majorité des membres <strong>du</strong> Comité général des fêtes faisaient partie de<br />

239


comme objectif 1. de favoriser le développement in<strong>du</strong>striel de <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières en diffusant de l'information sur le potentiel de la ville,<br />

2. de jouer un rôle prépondérant dans le règlement des problèmes concer-<br />

nant "les intérêts de toute la population", c'est-<strong>à</strong>-dire dans les faits,<br />

les intérêts de ses membres 12 • Il n'est donc pas étonnant que les<br />

préoccupations globales de la Chambre de Commerce (indépendamment de<br />

l'intérêt manifesté indivi<strong>du</strong>ellement par certains de ses membres) étaient<br />

éloignées de l'idéalisme des régionalistes; la tenue des fêtes <strong>du</strong> Tricen-<br />

tenaire est dès lors perçue comme étant un stimulant de l'économie et<br />

comme étant propice <strong>à</strong> la popularité de la ville.<br />

Le Jeune Commerce de <strong>Trois</strong>-Rivières fait également partie <strong>du</strong> renou-<br />

veau des années trente dans le réseau associatif. Fondé en octobre<br />

1933 13 par un groupe de jeunes professionnels et hommes d'affaires,<br />

l'organisme regroupe en peu de temps une cinquantaine de membres. Les<br />

objectifs poursuivis sont "de promouvoir le développement de ses membres,<br />

de cultiver leur esprit d'initiative et de civisme et de propager les<br />

saines doctrines en matière sociale et économique". Plus précisément, le<br />

Jeune Commerce entend créer un point de contact entre les jeunes et<br />

permettre <strong>à</strong> ses membres de se rencontrer et de discuter les problèmes<br />

"moins dans le but de prétendre solutionner ces grands problèmes que de<br />

la Chambre de commerce.<br />

12. Pour un exemple de cette distorsion, caractéristique de l'idéologie<br />

de la petite bourgeoisie, voir [Anonyme], "La Chambre de Commerce",<br />

Almanach trif1uvien, vol. III, 1934, p. 97.<br />

13. Alphonse Lamy, "Le Jeune Commerce des <strong>Trois</strong>-Rivières", Almanach<br />

Trifluvien, vol. III, 1934, p. 93.<br />

240


se renseigner mutuellement les uns les autres"14. Des causeries pronon-<br />

cées par des spécialistes constituent la voie d'accès <strong>à</strong> ce programme<br />

généreux. Des régionalistes sont évidemmment invités, tels Albert<br />

Tessier, le Docteur Auguste Panneton, Emile Jean, Maître Auguste Dési-<br />

lets, de même que deux piliers <strong>du</strong> Tricentenaire, Léon Trépanier et l'abbé<br />

Donat Fréchette15 . Parmi les huit fondateurs <strong>du</strong> mouvement, il faut<br />

signaler la présence de Léon Trépanier, organisateur des fêtes de 1934,<br />

Charles-Auguste Saint-Arnaud, directeur de L'Almanach trifluvien et <strong>du</strong><br />

Mauricien et surtout celle de Raymond Douville, diffuseur capital <strong>du</strong><br />

régionalisme mauricien, qui occupe la présidence en 1935-1936.<br />

Plus minime encore fut la participation des membres <strong>du</strong> bureau de<br />

direction <strong>du</strong> Barreau et <strong>du</strong> Jeune-Barreau aux fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire. A<br />

l'exception de Maître Auguste Désilets, alors bâtonnier pour le district<br />

judiciaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, aucun avocat ou juge rattaché <strong>à</strong> ces deux<br />

organismes n'ont participé de près <strong>à</strong> l'action régionaliste16 . Par<br />

ailleurs, sauf Armour Landry et Ernest Denoncourt, aucun régionaliste<br />

mauricien ne faisait non plus partie <strong>du</strong> bureau de direction <strong>du</strong> club<br />

14. [Anonyme], "Le Jeune Commerce des <strong>Trois</strong>-Rivières", Almanach<br />

Trifluvien, vol. IV, 1935, p. 32.<br />

15. On notera également la présence de Jean-Marie Gauvreau, directeur de<br />

l'Ecole <strong>du</strong> Meuble de Montréal, de plusieurs personnalités <strong>du</strong> monde<br />

des affaires et des professeurs <strong>à</strong> l'Ecole des Hautes Etudes Commerciales.<br />

16. Voir Le Nouvelliste <strong>du</strong> 1 er et <strong>du</strong> 2 mai 1934, p. 3.<br />

241


Rotary pour l'année 1932 17 et pour l'année 1934 18 • La présence de plu-<br />

sieurs anglophones, cadres supérieurs pour la plupart, est <strong>à</strong> noter, dont<br />

celle de C.W. Lambton, président <strong>du</strong> club. L'association, qui poursuit<br />

des buts humanitaires, constitue une importation de la culture américai-<br />

ne; d'ailleurs les réserves <strong>du</strong> clergé viennent <strong>à</strong> peine d'être levées. De<br />

jeunes régionalistes comme Philippe Poisson sont méfiants vis-<strong>à</strong>-vis ces<br />

clubs de service, tels le Rotary et le Kiwanis, dont le style paraît<br />

étranger au peuple canadien-français 19 •<br />

***<br />

3. Les associations de jeunesse<br />

La doctrine de Tessier visait avant tout <strong>à</strong> rejoindre la jeunesse et,<br />

plus spécifiquement, <strong>à</strong> encadrer les futures élites qui constitueront la<br />

relève de la petite bourgeoisie dans le clergé, le corps enseignant, le<br />

monde des communications, sans négliger les professions libérales et le<br />

commerce.<br />

17.<br />

18.<br />

"Me L.-D Durand a traité, devant<br />

Tricentenaire", Le Nouvelliste,<br />

Denoncourt est directeur.<br />

le Rotary Club, des<br />

13 avril 1932, p. 3.<br />

"Pourquoi nous devons fêter notre tricentenaire en 1934",<br />

Nouvelliste, 4 avril 1934, p. 3. Armour Landry est directeur.<br />

242<br />

fêtes <strong>du</strong><br />

Ernest<br />

19. Philippe Poisson, "Le Flambeau", Le Flambeau, vol. 1, nO 4, octobrenovembre-décembre<br />

1935, p. 75.


Le Cercle catholique des instituteurs de <strong>Trois</strong>-Rivières rassemble<br />

des enseignants laïcs qui reçoivent des conférenciers les entretenant de<br />

pédagogie ou de culture générale. Parmi les membres présents se trouvent<br />

Omer-Jules Désaulniers, collaborateur au Flambeau, et futur surintendant<br />

de l'Instruction publique, de même que G.-H. Hamel qui a rédigé un<br />

questionnaire sur l'histoire locale <strong>à</strong> l'intention des écoliers. On note<br />

encore la présence d'Hervé Biron <strong>à</strong> titre de secrétaire <strong>du</strong> Cercle Laflèche<br />

de l'Association catholique des voyageurs de commerce pour l'année<br />

1938 2°. Le Cercle Ozanam de l'A.C.J.C. (Association catholique de la<br />

jeunesse canadienne) forme un comité spécial d'histoire régionale en<br />

1932. Pour se préparer convenablement aux fêtes de 1934, le Cercle<br />

reçoit des conférenciers et organise des lectures d'ouvrages historiques<br />

<strong>à</strong> l'intention de ses membres 21 • De son côté, le Cercle "le Jeune Idéal",<br />

fondé en 1932, qui se propose de préparer les jeunes hommes d'affaires <strong>à</strong><br />

l'étude et <strong>à</strong> l'action 22 , choisit la devise "plus de lumière" et offre <strong>à</strong><br />

ses membres la possibilité d'une "saine et franche camaraderie". Plus<br />

20. "Le Cercle Laflèche élit M. M. Gélinas", Le Nouvelliste, 11 janvier<br />

1938, p. 3.<br />

21. Le Nouvelliste, "Nos jeunes et la question <strong>du</strong> tricentenaire", 9<br />

novembre 1932, p. 3.<br />

22. Le Nouvelliste, "M. Gérard Forest devant le cercle 'Jeune Idéal''', 8<br />

février 1934, p. 3. "Devenons [ ... ] une élite qui possède la vérité<br />

et qui la fera rayonner de tous les sommets où demain nous porterons<br />

[sic] notre jeunesse et notre vie" de di re Gérard Forest, le<br />

secrétaire <strong>du</strong> cercle.<br />

243


conrètement le Cercle constitue une bibliothèque et publie un manuel<br />

intitulé Le Trifluvien 23 •<br />

Une section trifluvienne des "Jeunesses Patriotes" est formée le 29<br />

mars 1936 <strong>à</strong> l'hôtel de ville 24 • Plusieurs dirigeants montréalais pren-<br />

nent alors la parole, dénonçant tour <strong>à</strong> tour le patronage, l'infiltration<br />

communiste, l'influence des Juifs et l'accaparement des trusts. Ils<br />

accordent leur appui <strong>à</strong> l'Union nationale de Duplessis et de Gouin,<br />

favorisent l'indépendance culturelle, économique et politique des Cana-<br />

diens français, de même que le relèvement économique et la décentralisa-<br />

tion administrative. Seul ce dernier point possède un rapport avec le<br />

régionalisme, mais ce n'est pas celui de Tessier ni de Durand, qui n'ont<br />

jamais revendiqué de pouvoir administratif ou politique <strong>à</strong> l'échelon<br />

régional.<br />

Quant aux autorités des principales institutions d'enseignement<br />

trifluviennes (le Séminaire Saint-Joseph, le Collège séraphique et le<br />

Couvent des Ursulines), encadrent leurs élèves au sein d'associations<br />

culturelles afin de les initier <strong>à</strong> la vie de l'esprit mais surtout en vue<br />

d'assurer la transmission intégrale des valeurs religieuses et morales<br />

de la société traditionnelle. Philosophie, morale, littérature et<br />

questions sociales sont les sujets que les élèves s'efforcent de dévelop-<br />

per selon les règles de la dissertation et de la rhétorique. C'est ainsi<br />

23. Le Nouvelliste, "Le cercle Jeune Idéal toujours des plus actif", 15<br />

décembre 1934, p. 3.<br />

24. Le Nouvelliste, "Une section trifluvienne des Jeunesses Patriotes",<br />

30 mars 1936, p. 3 et 5.<br />

244


que l'on retrouve l'Académie Saint-Thomas-d'Aquin au Séminaire de <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières. Au moment de sa fondation 25 , en 1861, l'Académie se fixait<br />

comme objectif de former les élèves afin qu'ils puissent mettre en<br />

pratique l'enseignement reçu <strong>à</strong> l'occasion des "combats de la vie: corn-<br />

bats pour la religion et la patrie dans les journaux, dans les assemblées<br />

ou dans la chaire [ ... l". Les sujets traités se divisent en éloquence<br />

patriotique, prose philosophique et poésie. Les responsables de l'Acadé-<br />

mie (des enseignants) invitent <strong>à</strong> l'occasion des conférenciers nationalis-<br />

tes tels Omer Héroux (ancien membre), Henri Bourassa et Mgr Denis Gérin.<br />

Il est fréquemment question des oeuvres de Mgr Laflèche et de Louis<br />

Veui llot 26 • Le régionalisme n'est pas discuté en tant que tel mais les<br />

valeurs qui l'imprègnent sont prêchées <strong>à</strong> maintes reprises 27 •<br />

25. Un an après la fondation <strong>du</strong> Collège des <strong>Trois</strong>-Rivières (séminaire en<br />

1874) et l'année même où l'abbé Laflèche, futur évêque revient <strong>à</strong><br />

<strong>Trois</strong>-Rivières comme procureur <strong>du</strong> diocèse. L'historique de<br />

l'Académie Saint-Thomas-d'Aquin a fait l'objet d'un discours<br />

prononcé par J.-Agapit Clermont en 1912 et repro<strong>du</strong>it dans Le<br />

Ralliement, novembre-décembre 1933, p. 18-20.<br />

26. D'autres sujets sont abordés, tels l'hygiène, l'alcoolisme, l'idéal<br />

chrét i en, 1 e sil ence et l'usage <strong>du</strong> tabac. Des" académi ci ens"<br />

déclament des poèmes de leur cru aux titres évocateurs comme<br />

"l'orpheline" ou "la Tentation de Saint-Thomas-d'Aquin". La<br />

récitation de la "cloche de Louisbourg" de Nérée Beauchemin remporte<br />

un vif succès.<br />

27. Albert Tessier parle <strong>du</strong> fascisme et de la réorganisation de l'Italie<br />

en 1929 (Le Nouvelliste, 5 mars 1929, p. 3); une séance solennelle<br />

est consacrée <strong>à</strong> Frédéric Mistral afin de rappeler le centenaire de<br />

sa naissance en 1930. Voir l'Annuaire <strong>du</strong> séminaire des <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, année académique 1929-1930, 6 8 série, nO 1, p. 66.<br />

L'Académie Duns Scot poursuivait des buts similaires au Collège<br />

séraphique mais n'a pas joué un rôle aussi déterminant que sa rivale<br />

<strong>du</strong> Séminaire. Marcel Trudel en est le président en 1935.<br />

245


Chez les Ursulines, le Cercle Marie-de-l'incarnation reçoit d'abord<br />

Albert Tessier comme conférencier, qui est d'ailleurs nommé aumônier <strong>du</strong><br />

cercle en 193028 . Il prononce devant les étudiantes des conférences sur<br />

des sujets aussi divers que la géologie ou la caractérologie. Les<br />

oeuvres de Paul Bourget, d'Henriette Charasson (La Clef <strong>du</strong> bonheur<br />

conjugal) font l'objet d'études. Les membres <strong>du</strong> cercle rédigent égale-<br />

ment de courts textes qui paraissent dans Le Bien Public. Le thème pour<br />

1934 est naturellement l'histoire trifluvienne; la rédaction jugée la<br />

meilleure est publiée dans la collection des "Pages trifluviennes"29.<br />

Le Cercle Marie-de-l'Incarnation organise des bazars et des thés musicaux<br />

afin de venir en aide <strong>à</strong> des oeuvres charitables3o • Ainsi conquises <strong>à</strong><br />

l'idéal régionaliste, les étudiantes <strong>du</strong> Cercle constitueront le noyau de<br />

Comité féminin de la Société Le Flambeau.<br />

***<br />

28. Les objectifs et le fonctionnement <strong>du</strong> Cercle sont présentés dans le<br />

Rapport de l'année d'études 1932-1933 signé par Germaine La France<br />

et repro<strong>du</strong>it dans l'Almanach Trifluvien, vol. II, 1933, p. 138-140.<br />

Les exercices de piété et autres activités religieuses sont<br />

également détaillés.<br />

29. Il s'agit d'une étude sur "<strong>Trois</strong>-Rivières en 1860" dont l'auteure<br />

est Marguerite Bourgeois. Tessier parle de Nérée Beauchemin et de<br />

MOlsette Olier, deux auteurs régionalistes (Le Nouvelliste, 28<br />

novembre 1934, p. 3), et <strong>du</strong> peintre Rodolphe Duguay (Le Nouvelliste,<br />

13 décembre 1934, p. 3).<br />

30. Le Nouvelliste, 10 décembre 1935, p. 3. Les membres enseignent le<br />

catéchisme aux enfants d'un patronage et préparent des layettes pour<br />

l'Oeuvre des berceaux. L'auteur de l'article <strong>du</strong> 28 novembre écrit<br />

que "de vibrantes apôtres [ ... ] sauront mettre au coeur des petits<br />

Trifluviens de demain l'amour de la petite patrie".<br />

246


Ainsi, le régionalisme mauricien bénéficie des ressources d'un<br />

réseau associatif dense, varié et bien structuré, qui joue en premier<br />

lieu le rôle de diffuseur <strong>du</strong> message régionaliste et, en certains cas, de<br />

catalyseur de l'action sociale reliée <strong>à</strong> la doctrine des régionalistes.<br />

Certes la participation effective varie selon les associations. Ainsi la<br />

Société d'histoire régionale sert de déclencheur intellectuel, alors que<br />

la Société Le Flambeau, le Syndicat d'initiative et le Club Radisson<br />

puisent leurs objectifs dans les thèmes régionalistes, <strong>du</strong> moins lors de<br />

leurs premières années d'existence. Les associations culturelles <strong>du</strong><br />

Séminaire et <strong>du</strong> couvent des Ursulines ont assuré la formation idéologique<br />

d'un bon nombre de futurs régionalistes, fonction que le Jeune-Commerce a<br />

exercé <strong>à</strong> sa façon dans la sphère publique. La Chambre de Commerce, le<br />

Barreau, les Chevaliers de Colomb et les autres cercles professionnels<br />

demeurent attentifs aux réalisations et les appuient, mais sans s'impli-<br />

quer directement en tant qu'organisme. Enfin, la Société Saint-Jean-<br />

Baptiste en phase de réorganisation et le mouvement syndical aux prises<br />

avec des luttes majeures canalisent leurs préoccupations dans d'autres<br />

directions 31 • En second lieu, la diversité des objectifs particuliers <strong>à</strong><br />

31. En effet, pour le mouvement syndical, nous n'avons rien trouvé de<br />

significatif dans notre vérification des procès-verbaux et des<br />

listes d'officiers. Les dirigeants syndicaux étaient absorbés par<br />

la rédaction des premières conventions collectives et la fondation<br />

d'unités syndicales pour chaque corps de métier. Les premiers<br />

affrontements majeurs (évoqués au chapitre II), de même que le débat<br />

sur les causes et les effets <strong>du</strong> marasme économique ressentis si<br />

<strong>du</strong>rement par les syndiqués laissaient peu d'espace aux<br />

considérations culturelles. L'absence de documents nous empêche de<br />

247


chacune des associations <strong>du</strong> réseau a exercé une influence sur l'énoncé et<br />

la diffusion <strong>du</strong> régionalisme. Les diffuseurs, principalement Albert<br />

Tessier, ont effectué un effort d'adaptation de leur message aux préoc-<br />

cupations de leurs auditeurs 32 , opération qui enrichit le discours 1ui-<br />

même. De cette façon, une dialectique discours/action régionaliste - ob-<br />

jectifs <strong>du</strong> réseau associatif s'est-elle établie par la médiation <strong>du</strong><br />

réseau associatif entre les régionalistes et le milieu mauricien.<br />

situer avec exactitude la position <strong>du</strong> Jeune Idéal, des Jeunesses<br />

Patriotes et de l'Académie Duns Scot vis-<strong>à</strong>-vis le régionalisme mauricien.<br />

32. Par exemple Tessier parle de pédagogie régionaliste devant les<br />

enseignants, Durand des retombées économiques <strong>du</strong> Tricentenaire<br />

devant la Chambre de Commerce, etc.<br />

248


CHAPITRE XIII<br />

LE RESEAU INSTITUTIONNEL<br />

1. L'Eglise catholique<br />

L'institution qui exerce le pouvoir idéologique et culturel le plus<br />

considérable pour la période <strong>à</strong> l'étude est sans contredit l'Eglise<br />

catholique locale en communion étroite avec les autorités romaines.<br />

Depuis 1852, <strong>Trois</strong>-Rivières est le siège d'un évêché qui a été occupé par<br />

Monseigneur Laflèche de 1870 <strong>à</strong> 1898. Le souvenir <strong>du</strong> chef de file des<br />

ultramontains reste vivace, d'autant plus que son successeur et ancien<br />

bras droit, Monseigneur Cloutier, est encore en poste et le demeurera<br />

jusqu'<strong>à</strong> son décès survenu quelques semaines après la clôture des Fêtes <strong>du</strong><br />

Tricentenaire 1 • Il avait cédé l'administration <strong>du</strong> diocèse trois ans plus<br />

1. Mgr François-Xavier Cloutier, né <strong>à</strong> Sainte-Geneviève-de-Batiscan en<br />

1848 est au Collège des <strong>Trois</strong>-Rivières, d'abord comme élève (1861-<br />

1868), puis comme professeur (1872-1880) avant d'être nommé curé de<br />

la cathédrale (1884), chanoine et procureur <strong>du</strong> diocèse. Il succède<br />

<strong>à</strong> Mgr Laflèche en 1899 et déploie une activité considérable en<br />

rapport avec la mutation sociale de la collectivité trif1uvienne:<br />

création de plusieurs paroisses urbaines, fondation des caisses<br />

populaires et des Syndicats catholiques. Dans un domaine plus<br />

strictement religieux, il répand la dévotion au Sacré-Coeur et<br />

achève la construction de la cathédrale. Ses funérailles donnent<br />

lieu <strong>à</strong> un déploiement fastueux illustré par Clément Marchand dans


tôt <strong>à</strong> son auxiliaire Monseigneur Comtois nommé en 1926. Ce dernier joue<br />

un rôle peu glorieux dans l'épopée régionaliste. Nationaliste ardent 2 et<br />

grand admirateur de Maurice Duplessis, qui avait été son élève au Sémi-<br />

naire 3 , Mgr Alfred-Odilon Comtois prend en effet <strong>à</strong> partie Albert Tessier<br />

contre l'utilisation <strong>du</strong> néorégionyme "Mauricie", l'accusant de "déchris-<br />

tianiser" la région (Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice) et d'en faire l'évêque des<br />

Noirs comme <strong>à</strong> l'Ile-Maurice 4 • Il n'appuie les Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire<br />

une nouvelle intitulée "Le garçonnet amoureux parue dans un collectif,<br />

Premier amour, Montréal, Stanké, 1988, collection 10/10,<br />

p. 165-187, et qui dénote le triomphalisme de l'Eglise régionale.<br />

2. Un extrait de l'allocution qu'il prononça devant une délégation de<br />

l'épiscopat français de passage <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1926 est repro<strong>du</strong>it<br />

dans la note biographique anonyme parue dans L'Action nationale<br />

(vol. 3, nO 5, mars 1935, p. 145-149) qui est de la plume d'Albert<br />

Tessier. On y lit: "Nous soupirons après le jour où nous<br />

constituerons un Etat, non seulement autonome, mais indépendant.<br />

Qui sait si, un jour en Amérique, nous ne serons pas appelés <strong>à</strong><br />

continuer la tradition française: Gesta Dei Der Francos". Devenu<br />

titulaire, Mgr Comtois ne cessera de proclamer la soumission aux<br />

autorités civiles, rappelant l'attitude <strong>du</strong> cardinal Villeneuve qui<br />

s'était trouvé placé dans la même position délicate. Mgr Comtois<br />

dira: "Je crois en l'Empire [Britannique]. Tant que nous ferons<br />

partie de l'Empire, notre devoir sera de contribuer aux guerres<br />

entreprises pour le bien général de l'Empire" explique-t-il lors<br />

d'un dîner-causerie en mai 1941 (cité par Robert Rumilly, Histoire<br />

de la Province de <strong>Québec</strong>, tome 39, p. 69).<br />

3. Le juge Philippe-Auguste Choquette, ancien libéral préoccupé par<br />

l'ingérence <strong>du</strong> clergé dans la politique provinciale (voir Rumilly,<br />

Histoire de la Province de <strong>Québec</strong>, tome 35) lui adresse une lettre<br />

de reproches le 2 février 1937 où il l'accuse d'avoir prononcé un<br />

discours en faveur de Duplessis <strong>à</strong> l'occasion d'un banquet offert en<br />

l'honneur de celui-ci <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières (ASTR, Fonds Alfred-Odilon<br />

Comtois, FN-0258). L'évêque trifluvien avait, paraît-il, conclu son<br />

allocution en disant: "J'aime ma province, je souhaite qu'elle ait<br />

toujours le meilleur gouvernement, dirigé par le meilleur député,<br />

celui de <strong>Trois</strong>-Rivières" (Le Nouvelliste, 26 janvier 1937, p. 7).<br />

4. Dont le gentilé est également "Mauricien ". Ces propos sont relatés<br />

dans Souvenirs en Vrac, p. 166. Mis au courant <strong>du</strong> conflit, le<br />

cardinal Villeneuve aurait rétorqué: "Depuis quand les évêques ont-<br />

250


qu'en avril 1934, peu de temps avant leur début (2.7) en les mettant en<br />

rapport avec la vertu de patriotisme telle que définie par saint Thomas-<br />

d'Aquin. Il reçoit le cardinal Villeneuve en grandes pompes mais limite<br />

aux célébrations religieuses sa contribution aux fêtes de 1934. Ce sera<br />

l'évêque titulaire, Mgr Cloutier qui, malgré son âge avancé, sera invité<br />

<strong>à</strong> inaugurer le monument Le Flambeau (voir le Chapitre IX). Le 4 juin, il<br />

avait signé une "Lettre pastorale <strong>à</strong> l'occasion <strong>du</strong> <strong>Trois</strong>ième centenaire<br />

des <strong>Trois</strong>-Rivières", y rappe11ant que le piété patriotique est une vertu<br />

corollaire au 4- commandement de Dieu; joignant par ailleurs la foi et le<br />

patriotisme, le chef de l'Eglise locale évoque l'histoire religieuse et<br />

conclut sa lettre pastorale en écrivant que le Tricentenaire doit être<br />

l'occasion:<br />

d'un renouveau dans le dévouement aux causes sacrées de<br />

la Patrie afin [ ••• 1 qu'elle serve toujours plus <strong>à</strong> nous<br />

assurer la conquête <strong>du</strong> royaume éternels.<br />

Le cardinal Villeneuve, archevêque de <strong>Québec</strong> et Métropolitain de la<br />

province ecclésiastique de <strong>Québec</strong> dont relève le diocèse trif1uvien<br />

inaugure solennellement les célébrations religieuses <strong>du</strong> Tricentenaire, et<br />

se prononce en faveur <strong>du</strong> régionalisme 6 •<br />

ils juridiction sur la géographie?" (Ibid., p. 167).<br />

5. Monseigneur François-Xavier Cloutier, Mandements. lettres pastorales<br />

et circulaires, vol. V, 1923-1934, p. 677-683.<br />

6. Voir les extraits cités précédemment dans le texte de Pierre<br />

Daviau1t, chapitre XI.<br />

251


***<br />

2. Le réseau de l'é<strong>du</strong>cation<br />

Intégré <strong>à</strong> l'Eglise locale, le réseau de l'enseignement est solide­<br />

ment implanté <strong>du</strong>rant les années trente <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières: le Collège<br />

Marie-de-l'Incarnation, l'Académie De-la-Salle, le Séminaire Saint­<br />

Joseph, le Collège séraphique et le Jardin de l'Enfance constituent un<br />

ensemble scolaire dont les objectifs et les moyens diversifiés permettent<br />

l'éclosion de vocations religieuses, intellectuelles ou de professions<br />

libérales. L'institution d'enseignement la plus ancienne est le couvent<br />

des Ursulines. Fondé en 1697, il prend en 1935 le nom de Collège Marie­<br />

de-l'Incarnation et dispense le cours classique <strong>à</strong> partir de la même<br />

année. La petite bourgeoisie locale et celles des villages proches y<br />

envoient leurs jeunes filles afin qu'elles reçoivent une formation<br />

d'élite. Les religieuses elles-mêmes sont le plus souvent d'anciennes<br />

élèves et perpétuent un enseignement axé sur la culture générale, les<br />

activités littéraires et artistiques, une formation morale stricte, la<br />

tenue de la maison impeccable et les bonnes manières. La majorité des<br />

membres <strong>du</strong> Cercle Marie-de-l'Incarnation formeront le Comité féminin de<br />

la Société Le Flambeau 7 • Les Frères de la Doctrine chrétienne prennent,<br />

quant <strong>à</strong> eux, la direction, en 1844, d'une école privée fondée en 1827,<br />

qui portera ensuite le nom d'école Sainte-Ursule, puis au début <strong>du</strong><br />

7. Voir le Chapitre XII.<br />

252


siècle, deviendra l'Académie De-la-Salle, où les religieux, devenus les<br />

Frères des Ecoles Chrétiennes, assurent le cours primaire et le secon-<br />

daire commercial. Une partie non-négligeable de leur clientèle étudiante<br />

est recrutée dans la classe laborieuse. Le thème de "la Maurice-la-<br />

Laurentie-1a Trif1uvianie" est abordé en 1934 dans le programme-souvenir<br />

d'une "séance" académiques.<br />

Le principal foyer <strong>du</strong> régionalisme, comme <strong>du</strong> nationalisme, est sans<br />

contredit le Séminaire Saint-Joseph. Monseigneur Thomas Cooke, premièr<br />

évêque de la place, fonde le Collège des <strong>Trois</strong>-Rivières en 1860, qui<br />

1<br />

devient séminaire diocésain en 1874. La grande majorité des régiona1is-<br />

tes y sont passés, soit comme élèves, soit comme professeurs 9 • La<br />

mentalité est ultra-conservatrice et tout imprégnée <strong>du</strong> rigorisme de Mgr<br />

Laflèche, lequel est honoré comme un héros et un saint. En 1931, la<br />

direction <strong>du</strong> Séminaire est confiée <strong>à</strong> Mgr Té1esphore Giroux que Tessier<br />

considère comme hostile <strong>à</strong> tout changement, parce qu'il voit en lui le<br />

prêtre tout préoccupé par la stricte observance des règlements dont<br />

certains remontent aux temps de Mgr de Lava1 1o •<br />

8. Voi r le Chapitre VII.<br />

9. Entre autres, sont reçus bacheliers ès lettres: l'abbé Dusab10n en<br />

1886, l'abbé Vallée en 1898, Rodolphe Dubé (François Hertel) en<br />

1925; bacheliers ès sciences: Joseph Barnard en 1894; bachelier ès<br />

arts: l'abbé Té1esphore Giroux en 1894, l'abbé Joseph-G. Gé1inas et<br />

Mgr Comtois en 1895, l'abbé Turcotte en 1906, le Père Alexandre<br />

Dugré en 1907, Maurice Duplessis en 1910, Hector Héroux en 1911, le<br />

Docteur Louis-Georges Godin en 1916, le Docteur Avila Denoncourt en<br />

1923 et Benolt Brouillette en 1925. En 1930, Philippe Poisson,<br />

Dollard Dubé et Hermann Plante sont en Philo II et Clément Marchand<br />

en rhétorique (Voir Séminaire des <strong>Trois</strong>-Rivières, Année académique<br />

1929-1930, 6 8 série, nO 1, 1930, p. 22-29).<br />

10. Albert Tessier, Souvenirs en vrac, p. 157-160.<br />

253


La clientèle se compose de fils de cultivateurs, souvent amenés par<br />

le curé de la paroisse qui voit en eux de futurs prêtres (ou tout au<br />

moins de futurs médecins ou avocats) et de fils de médecins, avocats et<br />

notaires de la petite bourgeoisie locale. Le corps enseignant, constitué<br />

de membres <strong>du</strong> clergé diocésain, est recruté souvent parmi les anciens<br />

élèves. Tessier, tout comme Marcel Trudel dans ses Mémoires d'un autre<br />

sièc1e 11 , ont déploré le caractère traditionaliste et fermé d'un enseig-<br />

nement classique qui par ailleurs présentait des avantages certains. La<br />

chaire de Rhétorique, de même que le préfectorat des études furent<br />

occupés successivement par Joseph-G. Gé1inas et Albert Tessier. Ces deux<br />

tribunes et le prestige qui leur était rattaché ont permis au discours<br />

régionaliste de s'implanter solidement dans la petite bourgeoisie locale<br />

et ont donné l'occasion <strong>à</strong> l'action sociale qui s'y rattache de trouver<br />

des agents efficaces et convaincus. Comme l'affirment plusieurs témoins<br />

de l'époque, "l'âme trif1uvienne" réside bien au Séminaire Saint-Joseph.<br />

11. Marcel Trude1, Mémoires d'un autre siècle. L'historien natif de<br />

Saint-Narcisse a séjourné au Jardin de l'Enfance de 1926 <strong>à</strong> 1930, au<br />

Collège séraphique de 1930 <strong>à</strong> 1935, au Séminaire Saint-Joseph de 1936<br />

<strong>à</strong> 1938 et au Grand Séminaire de 1938 <strong>à</strong> 1939. Son témoignage est <strong>du</strong><br />

plus haut intérêt pour l'époque qui nous occupe et restitue sans<br />

complaisance l'atmosphère qui régnait dans les maisons d'é<strong>du</strong>cation.<br />

/ Trude1 ne se gêne pas pour railler l'inculture de certains<br />

professeurs dont le port de la soutane constituait la seule<br />

référence (voir p. 97-98) mais reconnaît la valeur intellectuelle de<br />

quelques-uns d'entre eux (p. 103). Même Albert Tessier n'a pas<br />

hésité <strong>à</strong> se moquer <strong>du</strong> mépris de la culture affichée par le supérieur<br />

qui avait précédé Mgr Giroux, Mgr Louis Chartier, et <strong>à</strong> déplorer<br />

l'étroitesse d'esprit de l'époque. Ses idées pédagogiques avancées<br />

pour l'époque l'ont opposé <strong>à</strong> ses deux supérieurs qu'il n'a pas<br />

ménagés (voir Souvenirs en vrac, p. 130, 145, 146, 150, 152, et 154).<br />

254


Le rôle institutionnel joué par le Collège séraphique dans le<br />

régionalisme est beaucoup plus modeste. Les Franciscains offrent le<br />

cours classique <strong>à</strong> des élèves pensionnaires dans ce qu'on appelait alors<br />

un juvénat 12 • L'esprit qui y règne est très différent <strong>du</strong> Séminaire.<br />

Les disciples de saint François d'Assise insistent sur une solide forma-<br />

tion humaniste gréco-latine et obtiennent la discipline par la persuasion<br />

et la bonne humeur. L'idéal moral est aussi élevé, mais moins attaché <strong>à</strong><br />

des préceptes strictement moraux 13 • Albert Tessier prend la parole deux<br />

fois devant les élèves et les professeurs <strong>du</strong> Collège séraphique (1.4 et<br />

3.1), mais aucune action régionaliste n'en a résulté. Il faut toutefois<br />

signaler que le Père Gonzalve Poulin a traité <strong>du</strong> régionalisme 1ittérai-<br />

re 14 sans s'impliquer directement dans le mouvement de Tessier. Le<br />

Jardin de l'Enfance est un pensionnat pour garçons qui dispense l'enseig-<br />

nement au niveau élémentaire. Il est dirigé par les Filles de Jésus,<br />

communauté transplantée de la Bretagne <strong>du</strong>rant les premières années de ce<br />

siècle. Les Soeurs françaises, comme tout le monde les appelle, sont<br />

très exigeantes <strong>à</strong> propos de la qualité de la langue écrite et par1ée 15 •<br />

Ainsi qu'au Collège séraphique, la plupart des élèves sont originaires de<br />

la petite bourgeoisie locale. Les religieuses leur parlent de la France<br />

et de la Bretagne; chassées de leur pays d'origine par les lois Combes,<br />

12. Marcel Trude1, op. cit., p. 73-90.<br />

13. Parmi les élèves <strong>du</strong> Collège séraphique, mentionnons Hervé Biron et<br />

Alfred Des Rochers.<br />

14. Voir le Chapitre X.<br />

15. Marcel Trudel, op. cit., p. 59-70.<br />

255


elles témoignent de la nostalgie d'une France catholique et monarchiste.<br />

la fascination pour la culture française observée chez plusieurs inte1-<br />

1ectue1s trif1uviens tirera en partie sa source de l'influence exercée<br />

par ces religieuses qui avaient fait venir en 1925 le barde régionaliste<br />

breton Théodore Botrel, comme l'a affirmé Clément Marchand 16 •<br />

*<br />

Il n'existe pas encore d'université <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières <strong>du</strong>rant la<br />

décennie 1930-1940. Toutefois trois géographes <strong>du</strong> réseau universitaire<br />

canadien-français se sont penchés sur la Mauricie dans le but de pro<strong>du</strong>ire<br />

des études spécialisées: Benoît Brouillette 17 , originaire de la région,<br />

Raymond Tanghe 18 , natif de France arrivé jeune au Canada et Raoul Blan-<br />

16. Voir "Comment j'en vins <strong>à</strong> écrire", l'Enseignement secondaire au<br />

Canada, vol. 21, nO 3, décembre 1941, p. 197: "J'eus le bonheur<br />

d'entendre parler le français dans toute sa pureté [ ... ] ce beau<br />

parler m'a beaucoup aidé [ ... ] Quelle pédagogie pénétrante qui<br />

cultive un peu tout <strong>à</strong> la fois chez l'enfant!"<br />

17. Benoît Brouillette (1904-1979) est né <strong>à</strong> Saint-Théophile-<strong>du</strong>-lac et a<br />

complété ses études classiques au Séminaire Saint-Joseph en 1925.<br />

licencié en sciences commerciales en 1928, il fut l'élève <strong>à</strong> Paris<br />

des géographes De Martonne et Brunhes; il fut reçu docteur en<br />

géographie (1931) avec une thèse sur la chasse des animaux <strong>à</strong><br />

fourrure au Canada publiée chez Gallimard <strong>à</strong> Paris, en 1934. Outre<br />

la monographie sur la Mauricie, il a publié le Canada par l'image en<br />

1935 et une série de manuels scolaires avec la collaboration de<br />

Pierre Dagenais. Brouillette fut professeur aux Hautes Etudes<br />

Commerciales <strong>à</strong> partir de 1931.<br />

18. Raymond Tanghe (1898-1969) naquit <strong>à</strong> Tourcoing en France. Docteur en<br />

sciences sociales, prix David 1930, professeur <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> de<br />

Montréal et aux Hautes Etudes Commerciales, puis conservateur de la<br />

bibliothèque de l'<strong>Université</strong> de Montréal, il a publié l'Initiation <strong>à</strong><br />

la géographie humaine (1943) et la Géographie économique <strong>du</strong> Canada<br />

(1944), ainsi que des ouvrages sur laurier et sur la bibliothéconomie.<br />

256


chard 19 qui a vécu en France tout en enseignant dans la province de<br />

<strong>Québec</strong>. Ces trois géographes ont été tour <strong>à</strong> tour sollicités par l'apôtre<br />

<strong>du</strong> régionalisme afin de légitimer scientifiquement l'identité mauricien-<br />

ne 20 •<br />

En 1945, Raymond Tanghe publie la série de causeries prononcées <strong>à</strong><br />

l'émission Radio-Collège de CBF. Intitulé Itinéraire canadien21 , le<br />

recueil présente les principales villes canadiennes, dont <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

Tanghe connaît la région. Il a, en effet, déj<strong>à</strong> publié une monographie<br />

dans la collection "Pages trifluviennes"22. Le chapitre sur <strong>Trois</strong>-<br />

Rivières s'étend de la page 55 <strong>à</strong> 64: après un court historique, l'écono-<br />

mie locale est esquissée. Déplorant l'architecture "plutôt pauvre" d'une<br />

ville qui semble "peut-être dépourvue d'attraits esthétiques <strong>à</strong> l'étranger<br />

19. Raoul Blanchard (1877-1965), né <strong>à</strong> Orléans, fut orienté vers la<br />

géographie par Charles Péguy et devint le disciple de Vidal de la<br />

Blache. Reçu docteur d'Etat en 1906, il enseigne <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> de<br />

Grenoble jusqu'en 1948. Durant ses fréquents séjours au <strong>Québec</strong>, il<br />

sillonne la province, explore le territoire,· enseigne <strong>à</strong> Montréal,<br />

prononce des conférences et publie cinq volumes sur le Canada<br />

français qui paraissent entre 1935 et 1952: L'Est <strong>du</strong> Canada<br />

français, Le Centre <strong>du</strong> Canada français, L'Ouest <strong>du</strong> Canada français<br />

(en deux volumes) et la monographie sur la Maur;cie.<br />

20. La correspondance d'Albert Tessier révèle que l'apôtre de la<br />

Mauricie a "assiégé" Raymond Tanghe de 1929 <strong>à</strong> 1933 réclamant un<br />

ouvrage de géographie sur la région (ASTR, Fonds Albert-Tessier, FN-<br />

001 P-2). Tessier s'est tourné en 1931 vers Benoît Brouillette, son<br />

ancien élève, lequel, ne pouvant résister, a fait paraître l'année<br />

suivante Le développement in<strong>du</strong>striel de la Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice<br />

aux éditions <strong>du</strong> Bien Public. Finalement, Tessier, intéressé par<br />

l'approche régionaliste de Blanchard, a réussi <strong>à</strong> convaincre ce<br />

dernier de publier La Mauricie aux Editions <strong>du</strong> Bien Public, en 1950.<br />

21. Publié aux éditions B.P. Simpson <strong>à</strong> Montréal.<br />

22. Voir le Chapitre X.<br />

257


genres de vie dans une approche teintée de ruralisme25 . Cette vision<br />

des choses ne pouvait que plaire <strong>à</strong> Albert Tessier. Une correspondance<br />

nourrie26 révèle une grande amitié entre les deux hommes, amitié fondée<br />

sur des affinités certaines. Raoul Blanchard explore la Mauricie en<br />

1935 et en 1937 pour la rédaction d'un ouvrage qui paraîtra sous le titre<br />

de Centre <strong>du</strong> Canada français. En 1949, il revient dans la région afin de<br />

mettre <strong>à</strong> jour les données nécessaires <strong>à</strong> la rédaction de La Mauricie.<br />

Dans ce dernier ouvrage, écrit sur l'insistance de l'apôtre <strong>du</strong> régiona-<br />

lisme, Blanchard délimite un espace régional qui correspond avec le<br />

bassin hydrographique de la Saint-Maurice avec, en plus dans la plaine<br />

laurentienne, le paléo-delta accumulé par les sables arrachés aux Lauren-<br />

tides <strong>à</strong> cause <strong>du</strong> glacier quaternaire puis modelé par le retrait de la mer<br />

de Champlain (la région comprise entre Yamachiche et Champlain)27 Cette<br />

25. Rodolphe De Koninck, "L'oeuvre de Raoul Blanchard: un héritage <strong>à</strong><br />

investir", Cahiers de géographie <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, vol. 30, nO 80,<br />

septembre 1986, p. 133-135. L'article constitue l'intro<strong>du</strong>ction <strong>à</strong> un<br />

numéro spécial consacré <strong>à</strong> l'influence de Blanchard sur la géographie<br />

québécoise. L'oeuvre <strong>du</strong> grand géographe est sévèrement critiquée<br />

dans sa démarche épistémologique par Gilles Ritchot qui décèle dans<br />

les textes une utopie sous-jacente où la nature est en contact avec<br />

l'homme sans la médiation <strong>du</strong> droit, des lois ni des conventions.<br />

"La géomorphologie dans l'oeuvre de Blanchard au <strong>Québec</strong>: la part de<br />

l'utopie", p. 161-173.<br />

26. Au total 45 lettres. Le style est familier et souvent<br />

humoristique. Ainsi, Blanchard écrit <strong>à</strong> Tessier le 8 juin 1950:<br />

"Enchanté d'avoir de vos nouvelles précambriennes et merci de me les<br />

avoir envoyées de ce milieu de pedzouilles". La lettre est signée:<br />

Tibissime, Raoul le Mauricien (Tessier était surnommé Ti-Tess par<br />

ses élèves) (ASTR, fonds Albert-Tessier, FN-0014 P-1).<br />

27.<br />

Normand Brouillette, Laurent Deshaies<br />

Mauricie de Blanchard <strong>à</strong> la Mauricie<br />

changements", Cahiers de géographie <strong>du</strong><br />

septembre 1986, p. 217-233.<br />

259<br />

et Armand Séguin, "De la<br />

actuelle: continuités et<br />

<strong>Québec</strong>, vol. 30, nO 80,


définition "minimale" de la Mauricie correspond <strong>à</strong> celle de Tessier et<br />

s'oppose <strong>à</strong> la Mauricie "maximale" de Louis-O. Durand qui englobe toute<br />

la région comprise aujourd'hui dans la Mauricie-Bois/Francs, avec la<br />

rive sud, Drummondvi11e et Victoriaville 28 •<br />

***<br />

3. Les trois niveaux de gouvernement<br />

Les trois niveaux de gouvernement - municipal, provincial et fédér-<br />

al - ont réagi <strong>à</strong> l'action sociale <strong>du</strong> régionalisme mauricien. Sur le<br />

plan local, le conseil municipal trifluvien a appuyé sans réserve les<br />

manifestations de 1934. Sous l'impulsion de l'avocat Georges-Henri<br />

Robichon 29 , qui occupe le poste de maire entre 1931 et 1937, le Conseil<br />

28. Plus récemment les géographes de l'<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières ont circonscrit un espace régional <strong>à</strong> partir de critères<br />

socio-économiques. Cette spécification spatiale correspond en<br />

première approximation aux comtés municipaux de Maskinongé, Saint­<br />

Maurice, Champlain, Nicolet et Yamaska. Elle constitue par conséquent<br />

une "moyenne" entre la Mauricie de Blanchard/Tessier et celle<br />

de Durand. (Voir Armand Séguin, "Evolution des espaces fonctionnels<br />

dans la région administrative de <strong>Trois</strong>-Rivières", Cahiers de géographie<br />

<strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, vol. 26, nO 67, avril 1982, p. 45-63.)<br />

29. Georges-Henri Robichon (1883-1937) était le fils d'un négociant<br />

trifluvien. Il est admis <strong>à</strong> la pratique <strong>du</strong> droit en 1908 après ses<br />

études classiques au Séminaire trifluvien et <strong>à</strong> l'<strong>Université</strong> Laval de<br />

Montréal. Echevin de 1921 <strong>à</strong> 1923, il est battu <strong>à</strong> la mairie par<br />

Arthur Bettez, mais parvient <strong>à</strong> se faire élire <strong>à</strong> l'élection de 1931.<br />

En 1934, Robichon est élu par acclamation. Spécialiste de la Loi<br />

des accidents de travail et favorable au syndicalisme, il avait su<br />

260


effectue les démarches délicates visant <strong>à</strong> assurer le financement des<br />

fêtes <strong>du</strong> tricentenaire, puis met diverses ressources <strong>à</strong> la disposition des<br />

organisateurs. Aucun régionaliste ne figure sur le Conseil municipa1 30 ;<br />

seul l'avocat Arthur Béliveau, greffier de l'Hôtel de ville, est un<br />

passionné de l'histoire locale: il dirige la Société d'histoire régionale<br />

<strong>à</strong> sa fondation. Une ombre au tableau: Albert Tessier exprime dans une<br />

lettre son indignation envers des propos que Robichon aurait tenus <strong>à</strong><br />

l'effet que ses Ucritiques faisaient <strong>du</strong> tort <strong>à</strong> la vil1e u31 .<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières est représentée <strong>à</strong> l'Assemblée législative par nul<br />

autre que Maurice Duplessis 32 dont l'ascension politique, de simple<br />

député <strong>à</strong> premier ministre de la Province, se déroule <strong>du</strong>rant la décennie<br />

1930-1940. Celui que les Trifluviens appellent familièrement uMaurice u<br />

n'accorde pas un appui explicite au régionalisme de Tessier; le thème <strong>du</strong><br />

s'attirer les suffrages de la classe ouvrière et eut l'occasion<br />

d'agir comme médiateur dans des conflits de travail.<br />

30. Sur le conseil municipal de 1934 on retrouve un avocat, un médecin,<br />

des entrepreneurs et de petits commerçants.<br />

31. Lettre d'Albert Tessier <strong>à</strong> Georges-Henri Robichon, 30 décembre 1936.<br />

32. Maurice Duplessis (1890-1959) est issu de la petite bourgeoisie<br />

locale, fils de Nérée Duplessis, maire de <strong>Trois</strong>-Rivières, député,<br />

puis juge <strong>à</strong> la Cour supérieure. Au Séminaire Saint-Joseph, il est<br />

l'élève de l'abbé A.-O. Comtois, futur évêque et de l'abbé JOS.-G.<br />

Gélinas. Défait aux élections de 1923, il remporte la victoire en<br />

1927 sous l'étendard <strong>du</strong> Parti conservateur et sera réélu député sans<br />

interruption jusqu'<strong>à</strong> son décès. Chef <strong>du</strong> Parti conservateur en<br />

1932, Duplessis noue une alliance avec des libéraux mécontents<br />

animés par Paul Gouin en fondant le parti de l'Union Nationale<br />

(1935); il renverse le cabinet libéral d'Adélard Godbout l'année<br />

suivante et conserve le poste de premier ministre jusqu'en 1939<br />

alors que Godbout reprend le pouvoir avec l'appui des libéraux<br />

fédéraux.<br />

261


discours prononcé <strong>à</strong> l'occasion <strong>du</strong> banquet donné en son honneur est celui<br />

de la menace communiste; il mentionne les valeurs traditionnelles <strong>à</strong><br />

protéger qui vont dans le sens des idées régionalistes, mais elles ne<br />

peuvent leur être rapportées spécifiquement. Les relations Tessier-<br />

Duplessis, généralement cordiales, ont connu des fluctuations multiples.<br />

En 1933, l'apôtre de la Mauricie n'hésite pas <strong>à</strong> reprocher la tiédeur de<br />

Duplessis en rapport avec le financement des fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire33 .<br />

Par ailleurs, la note biographique que Tessier rédige sur Duplessis en<br />

1933 pour L'Action nationale soulève le mécontentement chez les admira-<br />

teurs de "Maurice"34. Les deux hommes se réconcilient cependant en 1936<br />

après une franche conversation35 . Duplessis offre alors <strong>à</strong> Tessier une<br />

bourse d'études de trois ans <strong>à</strong> Paris pour étudier mais ce dernier décline<br />

l'offre. L'année suivante, Tessier accepte toutefois le poste de visi-<br />

teur des écoles ménagères que Duplessis lui propose36 .<br />

33. Voir le Chapitre IV.<br />

34. Voir Souvenirs en vrac, p. 184 et Mes Mémoires, de Lionel Groulx,<br />

tome 3 (1926-1939), p. 310. Tessier écrit "Il lui a manqué une<br />

culture générale suffisamment approfondie, une ampleur de vision<br />

capable d'envisager les problèmes sur tous leurs aspects et, peutêtre,<br />

le feu sacré des grands convaincus. C'est ce qui explique<br />

pourquoi il n'a pu créer encore de programme strictement original,<br />

ni attacher son nom et son programme <strong>à</strong> aucune grande question<br />

nationale". En somme, Tessier reproche <strong>à</strong> Duplessis de ne pas<br />

entretenir la flamme nationaliste <strong>à</strong> la façon d'un Lionel Groulx<br />

("Maurice Duplessis", L'Action Nationale, novembre 1933, tome II,<br />

p. 171-174).<br />

35. Voir Souvenirs en vrac, p. 184-187.<br />

36. Ibid., p. 187 et 183. Duplessis fait encore acheter par Athanase<br />

David des exemplaires de la collection des Pages trifluviennes.<br />

262


Au Fédéral, le député Charles Bourgeois s'implique d'une façon<br />

concrète. Comme il s'efforce d'attirer le plus de subsides pour le<br />

redressement économique d'une ville affectée par la Crise, il obtient une<br />

somme pour le Tricentenaire et on a vu précédemment qu'il en obtint une<br />

autre pour le monument Le Flambeau.<br />

***<br />

CONCLUSION DE LA QUATRIEME PARTIE<br />

En résumé, les éléments <strong>du</strong> réseau institutionnel qui ont opéré <strong>à</strong> la<br />

façon de véhicule dans la transmission de l'idéologie régionaliste sont<br />

l'Eglise catholique et les institutions scolaires locales. Les valeurs<br />

traditionnelles et intellectualistes ne pouvaient avoir d'avocats plus<br />

enthousiastes que les structures sociales dont le fondement reposait sur<br />

cette vision statique <strong>du</strong> monde. L'appareil politique a appuyé l'action<br />

sociale régionaliste en l'incorporant dans son propre discours social<br />

sans toutefois l'ériger en thème majeur <strong>à</strong> défendre. Finalement, on<br />

constate que ce sont les intellectuels sollicités par Tessier, comme<br />

notamment Brouillette et Tanghe, auxquels on peut ajouter Olivar Asselin<br />

et Jean-Charles Harvey, qui manifestent le plus de résistance. Seul fait<br />

exception Raoul Blanchard, dont la conception particulière de la géogra-<br />

263


CONCLUSION GENERALE<br />

L'APPROPRIATION SYMBOLIQUE D'UN ESPACE REGIONAL<br />

La conceptualisation de l'idéologie, élaborée dans l'intro<strong>du</strong>ction<br />

générale, nous a con<strong>du</strong>it <strong>à</strong> l'analyse la plus serrée possible, non seule­<br />

ment des textes régionalistes, mais également des faits de société qui<br />

ont constitué les ancrages culturels de la société mauricienne des années<br />

1920-1930. Cette approche longue et laborieuse a fourni des pistes<br />

éclairantes pour la compréhension <strong>du</strong> mouvement social enregistré en<br />

Mauricie <strong>à</strong> cette époque. A cette étape-ci, il est possible de lever le<br />

voile sur les raisons pour lesquelles le régionalisme mauricien a réussi<br />

<strong>à</strong> accaparer le marché des idéologies dans un contexte avide de discours<br />

rassurants. Même avant le désastre boursier d'octobre 1929, une constel­<br />

lation d'événements vécus depuis plusieurs décennies avait fait émerger<br />

au niveau des consciences (et simultanément au plan de l'imaginaire<br />

collectif) la perception d'un espace régional renouvelé, enrichi.<br />

Les principaux phénomènes observés, tels l'exploitation forestière<br />

de l'arrière-pays, la stabilisation <strong>du</strong> front pionnier consécutive <strong>à</strong> la


saturation <strong>du</strong> terroir exploitable 1 , l'équipement hydro-électrique <strong>du</strong><br />

Saint-Maurice, la création de liens routiers et ferroviaires vers la<br />

Haute-Mauricie, l'arrivée massive de la grande in<strong>du</strong>strie de type moderne<br />

et, finalement, l'accélération de l'urbanisation ont constitué autant de<br />

facteurs de transformations ayant déterminé une quête d'identité spécifi-<br />

que <strong>à</strong> la région. De fait, toutes ces transformations, autant sociales<br />

qu'économiques, rendaient plus impérieuse la nécessité d'intégrer les<br />

nouvelles représentations sociales imposées par l'accélération de l'His-<br />

toire au sein d'une collectivité jusque-l<strong>à</strong> adaptée <strong>à</strong> une vision immuable<br />

des choses. Le choc culturel est brutal: depuis peu transplantés dans<br />

les villes in<strong>du</strong>strielles, les ruraux apportent avec eux leurs habitudes<br />

de vie traditionnelle. Or ces néo-citadins; entassés dans les quartiers<br />

ouvriers aménagés <strong>à</strong> la hâte, s'agrippent <strong>à</strong> des mentalités ou se nourris-<br />

sent d'un imaginaire traditionnel qui leur procure sans doute les satis-<br />

factions symboliques, mais sans pour autant colmater leurs angoisses de<br />

déracinés. Ils participent néanmoins <strong>à</strong> l'euphorie <strong>du</strong> discours libéral,<br />

véritable utopie <strong>du</strong> progrès économique sans limites et de la richesse <strong>à</strong><br />

la portée de quiconque s'en donne la peine. Pour ce qui est de la<br />

jeunesse citadine, qu'elle soit de vieille souche urbaine ou issue de la<br />

paysannerie, elle se prend d'engouement pour tout ce qui arrive d'outre-<br />

quarante-cinquième. Elle se passionne pour les stars d'Hollywood, les<br />

orchestres de jazz captés en fin de soirée sur les stations radiophoni-<br />

ques américaines et achète les disques 78-tours de la chanson populaire<br />

1. Les dernières érections canoniques en milieu rural datent de 1917<br />

(Sainte-Angèle-de-Prémont) et de 1922 (Saint-Gérard-des-Laurentides)<br />

(Voir Panneton et Magnan, op. cit., p. 394).<br />

266


américaine. Le baseball, le tennis, le ski suscitent encore son en­<br />

thousiasme participant, tandis que le hockey et le curling développent<br />

leur popularité. Par conséquent, les élites locales et parmi elles, les<br />

régionalistes mauriciens, froncent les sourcils devant cette marée<br />

menaçante. Elles favorisent des sports plus austères et plus indivi<strong>du</strong>a­<br />

listes comme le canotage; elles encouragent de leur mieux le mouvement<br />

scout d'autant plus que, même d'inspiration américaine ou anglaise, ces<br />

deux nouveautés rappellent l'effort d'en<strong>du</strong>rance des premiers mission­<br />

naires et explorateurs. Certes le Canada français ne fait que suivre<br />

une vogue étrangère, mais celle-ci est adaptée aux impératifs idéologi­<br />

ques par une opération récupératrice.<br />

Plus généralement, l'Eglise se sent menacée sur son propre terrain.<br />

Elle raidit ses positions en étalant son triomphalisme clérical et en<br />

cherchant <strong>à</strong> récupérer toutes les nouveautés sociales, comme les mouve­<br />

ments de jeunesse, la radio et le cinéma. D'autre part, elle peut<br />

compter sur une superstructure idéologique solidement implantée depuis<br />

la seconde moitié <strong>du</strong> XIX· siècle. Ainsi de Monseigneur Laflèche <strong>à</strong> l'abbé<br />

Gélinas, puis de l'abbé Gé1inas <strong>à</strong> Monseigneur Tessier, un idéal mobilisa­<br />

teur s'est constitué par l'énonciation d'un discours fortement teinté de<br />

spiritualisme, mais quand même centré sur une action sociale fermement<br />

désignée. L'aliénation économique résultant de la mainmise <strong>du</strong> capital<br />

anglo-américain est profonde au point de provoquer une amnésie dans le<br />

discours des élites occultant la moindre velléité de reconquête économi­<br />

que. Evidemment, on recommande d'acheter chez le commerçant canadien­<br />

français plutôt que chez le Juif mais, et on le voit bien aujourd'hui,<br />

267


seul l'intérêt de la petite bourgeoisie francophone des boutiquiers en<br />

tirait profit.<br />

*<br />

Ainsi un fossé de plus en plus profond se creuse entre la réalité<br />

socio-économique et le discours des clercs, entre la culture des élites<br />

tournée vers un nationalisme francophile et une culture populaire d'ori-<br />

gine rurale influencée par le mode de vie américain 2 • Le discours de la<br />

fraction la plus instruite de la petite bourgeoisie locale (clergé,<br />

journalistes, professions libérales), s'accrochait <strong>à</strong> un système de<br />

représentations axé sur la permanence immuable d'une structure sociale<br />

qui privilégiait le discours c1érico-nationa1iste (relent de l'u1tramon-<br />

tanisme de Monseigneur Laf1èche) et un agricu1turisme sécurisant. Il y a<br />

bien le discours libéral économique soutenu par un progrès économique<br />

sans précédent; mais il n'exclut pas les positions définies précédemment.<br />

De fait "progressistes" comme "nationalistes", en · somme la plupart des<br />

intellectuels trif1uviens, cultivent la nostalgie de la mère-patrie, non<br />

pas celle <strong>du</strong> xx e siècle, mais la France de l'Ancien Régime, une France<br />

mythique, royale et catholique, où l'harmonie aurait régné entre les<br />

classes de la société, unies dans un corporatisme illusoire. Beaucoup<br />

d'idéal et de générosité transpiraient dans cette vision passéiste, mais<br />

2. Cette conclusion rejoint celle de Gérard Bouchard dans "Une<br />

ambiguïté québécoise: les bonnes élites et le méchant peuple"<br />

(discours de réception <strong>à</strong> l'Académie des Lettres et des Sciences<br />

humaines de la Société Royale <strong>du</strong> Canada, mars 1986).<br />

268


cette dernière ne correspondait en aucune façon <strong>à</strong> la réalité sociale<br />

contemporaine.<br />

Ce contexte de tension, fondé sur l'appréhension des mutations<br />

sociales, sera particulièrement exacerbé par la Grande Dépression. Ainsi<br />

émergea une appétence idéologique ou, pour être plus explicite, la<br />

recherche anxieuse d'une vérité amenant les réponses toute faites aux<br />

problèmes <strong>du</strong> temps présent 3 • Mais <strong>à</strong> partir de quelle rationalisation<br />

discursive allait-on élaborer un système tant soit peu cohérent? Les<br />

intellectuels trif1uviens disposaient d'un choix relativement limité dans<br />

la prolifération idéologique de 1 'entre-deux-guerres. D'abord il n'y<br />

avait pas assez de Juifs, de communistes ou de franc-maçons en Mauricie<br />

pour lancer une chasse aux sorcières. D'autre part, les "mystiques" <strong>du</strong><br />

corporatisme et <strong>du</strong> fascisme <strong>à</strong> la Mussolini étaient inapplicables sans un<br />

bouleversement de la structure sociale, ce que personne n'osait entre-<br />

voir. Quant au coopératisme, seule riposte accessible aux Canadiens<br />

français de l'époque contre la spoliation <strong>du</strong> capital par des étrangers,<br />

il ne s'est jamais développé au point de soutenir ou nourrir un discours<br />

social régionaliste, sauf peut-être le mouvement des Caisses populaires<br />

dont les assises urbaines étaient plus solides. Restaient la doctrine<br />

séparatiste de même que les prédications ascétiques <strong>du</strong> Père Lacouture et<br />

3. Citant Lucien Goldmann, Fernand Braudel explique que toute<br />

civilisation tire ses éclairages essentiels de la "vision <strong>du</strong> monde"<br />

qu'elle adopte. Braudel ajoute que "cette vision <strong>du</strong> monde n'est que<br />

la transcription, la conséquence de tensions sociales dominantes.<br />

La civilisation, tel un miroir, serait la machine <strong>à</strong> enregistrer ces<br />

tensions et ces efforts" (Fernand Braudel, Grammaire des<br />

civilisations, p. 47).<br />

269


<strong>du</strong> Père Saey·, mais elles n'ont éveillé aucun écho <strong>du</strong>rable en Mauricie.<br />

Finalement, l'intelligentsia trifluvienne devait fixer son discours<br />

idéologique de façon quasi inévitable sur les représentations culturelles<br />

développées dans la région depuis le siècle dernier <strong>à</strong> partir <strong>du</strong> discours<br />

de Monseigneur Laflèche, soit la primauté <strong>du</strong> spirituel sur le temporel<br />

(plus concrètement de l'Eglise sur l'Etat), reçue alors comme une éviden-<br />

ce, et qui servit de prémisse aux énoncés <strong>du</strong> régionalisme mauriciens.<br />

L'impuissance <strong>à</strong> gérer les biens matériels alimente le besoin de la<br />

gestion <strong>du</strong> symbolique. Le régionalisme mauricien promeut des valeurs,<br />

telles la fierté, l'idéal agissant et la reconnaissance, qui n'ont pas de<br />

prise directe sur l'ordre matériel. L'intention de fonder une littéra-<br />

ture régionale et la création <strong>du</strong> terme "Mauricie" constituent deux<br />

exemples frappants de cette stratégie visant une quête d'identité co11ec-<br />

tive. Après avoir bâti le pays, il fallait le nommer et le fonder<br />

symboliquement par une littérature originale, actes créateurs situés dans<br />

le prolongement humanisé de la conquête sur la Nature. Mais simultané-<br />

ment la création lexicale <strong>du</strong> régionyme Mauricie et le recours au discours<br />

4. Le Père Onésime Lacouture (s.j.) et l'abbé Henry Saeyont mené une<br />

prédication fondée sur un ascétisme intransigeant dans tous les<br />

coins <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> avant d'être désavoués par leurs supérieurs <strong>à</strong> cause<br />

de leurs excès (Voir Jean Hamelin et Nicole Gagnon, op. cit.,<br />

p. 384-390; aussi le Nouvelliste, 23 janvier 1940 et le Souvenir,<br />

nO 4, septembre 1978, p. 14).<br />

5. Tessier se montra plus réservé que Gélinas dans l'adhésion <strong>à</strong> ce<br />

postulat mais jamais au point de tout remettre en question. Durand<br />

était muet sur ce sujet tout en valorisant la permanence des valeurs<br />

bourgeoises - ainsi ordre spirituel et ordre social se voyaient<br />

prônés en complémentarité. Ce fait explique, sans doute, pourquoi<br />

Tessier et Durand ont pu travailler de concert malgré leurs horizons<br />

différents.<br />

270


historico-littéraire opèrent une double coupure dans le temps et dans<br />

l'espace, en nourrissant l'imaginaire collectif par un tri <strong>du</strong> passé et le<br />

balisage territorial. Toute collectivité engagée dans un processus<br />

d'identification fait appel <strong>à</strong> des mythes fondateurs, équivalents co1lec-<br />

tifs <strong>du</strong> roman familial pour l'indivi<strong>du</strong>s, et il nous apparalt clairement<br />

que les Jean Nicolet, Pierre-Esprit Radisson et autres personnages de la<br />

petite histoire trifluvienne ont joué ce rôle par la désignation de<br />

Joseph-G. Gé1inas et d'Albert Tessier. De leur côté, les célébrations <strong>du</strong><br />

Tricentenaire ont favorisé une rupture avec le quotidien par une fusion<br />

collective réalisant l'esprit de la Fête, où le passé mythique se sub-<br />

stitue <strong>à</strong> une réalité oppressante par la magie d'un imaginaire réifié par<br />

les sens - la vue et l'oule. La glorification des héros trif1uviens<br />

participe ainsi de la récupération <strong>du</strong> passé, de cet aménagement ré-<br />

trospectif des données de l'Histoire que proposent les "pageants".<br />

Finalement, le projet littéraire de Tessier cherche lui aussi dans le<br />

passé des sécurités pour l'avenir. Mais aujourd'hui nous ne pouvons<br />

éviter de conclure que cette pro<strong>du</strong>ction de sous-préfecture n'entretient<br />

que de vagues rapports avec la création littéraire parvenue <strong>à</strong> maturité,<br />

malgré la noblesse de certains accents et une évidente sincérité. Les<br />

oeuvres régionales ayant résisté <strong>à</strong> l'épreuve <strong>du</strong> temps sont précisément<br />

celles qui prenaient des libertés avec le credo littéraire <strong>du</strong> régiona-<br />

lisme mauricien.<br />

6. Voir les travaux de Colette Beaune (Naissance de la Nation France)<br />

et d'Elise Marienstrass (Les mythes fondateurs de la nation<br />

américaine) .<br />

271


*<br />

Malgré ces faiblesses (et peut-être grâce <strong>à</strong> elles), le discours<br />

régionaliste a "réussi" <strong>à</strong> fonctionner dans le années trente, opérant bel<br />

et bien <strong>à</strong> la façon d'une idéologie. Le régionalisme dans l'optique<br />

d'Albert Tessier se présente comme un savoir cohérent, rigoureux, appuyé<br />

par le témoignage des faits et l'objectivité de l'observation. Les<br />

émetteurs <strong>du</strong> régionalisme mauricien font usage de syllogismes et rat-<br />

tachent leur discours <strong>à</strong> un savoir légitimé par excellence, la Somme<br />

théologique, érigée en doctrine officielle de l'Eglise catholique.<br />

Paradoxe caractéristique <strong>du</strong> langage idéologique, cette légitimation<br />

intellectuelle s'accompagne d'un appel <strong>à</strong> l'immanence: le discours régio-<br />

naliste est évident au point de rendre superflu toute justification, il<br />

n'a qu'<strong>à</strong> se rattacher au "gros bon sens". Cette attitude a-t-elle été<br />

déterminée principalement par la vision anti-intel1ectualiste de Tes-<br />

sier 7 ? Nous estimons plutôt qu'elle constitue l'ingrédient incontour-<br />

nable de toute entreprise de sé<strong>du</strong>ction idéologique. D'autre part, cette<br />

même entreprise impose <strong>à</strong> ceux qui l'emploient l'utilisation illusoire des<br />

faits soutenus par des procédés rhétoriques dont l'analyse de contenu a<br />

révélé les artifices. Pour "marcher", toute idéologie doit réaliser une<br />

inscription dans le corps: qui ne frissonnait devant l'éclat formidable<br />

d'une chorale de 700 voix, des défilés ou des "pageants" rassemblant des<br />

7. Tout docteur qu'il était, Tessier restait indifférent <strong>à</strong> la<br />

spéculation théologique, ou plutôt s'en amusait. Fils de paysan,<br />

bien inséré dans un milieu petit-bourgeois, il se méfiait des<br />

développements purement intellectuels qui ne pouvaient pas toucher<br />

le peuple.<br />

272


centaines de participants? Le chant, la déclamation, la gestique théâ­<br />

trale, l'éclat multicolore des costumes et des décors, voil<strong>à</strong> des supports<br />

idéologiques d'autant plus efficaces que bien peu en soupçonnent le rôle<br />

véritable. En tant qu'idéologie, la doctrine régionaliste s'est trouvée<br />

objectivement ajustée <strong>à</strong> la situation, malgré qu'elle ne fut pas, comme le<br />

rappelle Bourdieu pour toute idéologie, "le pro<strong>du</strong>it d'une visée cons-<br />

ciente de fins explicitement posées sur la base d'une connaissance<br />

adéquate des conditions objectives"s. Loin de nous l'idée qu'une quel-<br />

conque malveillance ait effleuré l'esprit des diffuseurs mauriciens <strong>du</strong><br />

régionalisme - leur évidente bonne foi ne saurait être mise en doute-<br />

- par contre on ne doit pas oublier que l'illusion alimente aussi bien<br />

l'imaginaire des définisseurs d'une idéologie que celle de ses récep-<br />

teurs. Par conséquent, le régionalisme mauricien, langage social et<br />

pseudo-savoir, a constitué une idéologie au sens de Colette Moreux 9 •<br />

Conséquemment, où se situe le régionalisme mauricien par rapport aux<br />

grands courants d'idées contemporains au Canada français? Précisons<br />

d'abord que le discours régionaliste ne se ré<strong>du</strong>it pas <strong>à</strong> l'agricu1turisme<br />

promu par certaines élites nationalistes ou cléricales qui voyaient le<br />

retour <strong>à</strong> la terre comme remède au chômage et conjuration contre les<br />

dangers moraux de la vie urbaine. Certes, Tessier a célébré avec é1o-<br />

quence les vertus <strong>du</strong> mode de vie rural, de même que l'environnement où<br />

8. Choses dites, p. 21. Bourdieu précise encore que "des con<strong>du</strong>ites<br />

peuvent être orientées par rapport <strong>à</strong> des fins sans être consciemment<br />

dirigées vers ces fins, dirigées par ces fins".<br />

9. Voir l'Intro<strong>du</strong>ction.<br />

273


il se déroule. Néanmoins, il s'est efforcé de vanter l'in<strong>du</strong>strie touris-<br />

tique 10 et a chanté le Saint-Maurice fournisseur d'énergie électrique,<br />

source <strong>du</strong> progrès. D'autre part, Durand n'a eu de cesse de promouvoir le<br />

commerce et l'in<strong>du</strong>strie et a fait deux campagnes électorales sur la<br />

promesse d'un tunnel sous le fleuve pour l'union économique des deux<br />

rives. Gélinas ne s'est jamais prononcé et Nérée Beauchemin, <strong>à</strong> l'instar<br />

de Frédéric Mistral, n'a posé qu'un regard nostalgique sur la vie an-<br />

cestra1e. Des nuances sont nécessaires si l'on ne veut pas enfenmer le<br />

courant régionaliste dans le mythe <strong>du</strong> retour <strong>à</strong> la terre. Par ailleurs,<br />

le discours libéral de Durand empêche le régionalisme mauricien d'être<br />

simplement étiqueté de discours clérico-nationa1iste. Même si le régio-<br />

na1isme doit l'essentiel de ses fondements logiques au discours des<br />

c1érico-nationalistes de Mgr Laf1èche, sans oublier les thèses de l'abbé<br />

Grou1x, il a pu se tourner quelque peu vers la vision économique.<br />

Est-il possible d'associer la doctrine développée en Mauricie avec<br />

les régionalismes développés en divers coins d'Europe? Ces derniers<br />

s'enracinent principalement dans les régions où une minorité linguistique<br />

(par rapport <strong>à</strong> une majorité contrôlant le pouvoir dans un état central)<br />

tente d'améliorer son statut économique et/ou politique tout en va10ri-<br />

sant la spécificité de sa culture - par exemple les régionalismes de<br />

10. Nous avons découvert dans le Fonds Albert-Tessier (ASTR FN-0019 A-<br />

2), un texte dactylographié de 121 pages avec ratures<br />

intitulé: Raooort sur le tourisme présenté par M. l'abbé Albert<br />

Tessier dans l'enquête con<strong>du</strong>ite par le Ministère <strong>du</strong> Commerce et de<br />

l'In<strong>du</strong>strie: Inventaire de nos ressources naturelles. Le manuscrit<br />

est daté de 1938. Tessier perçoit un potentiel exceptionnel pouvant<br />

mener <strong>à</strong> un développement considérable de l'in<strong>du</strong>strie touristique.<br />

274


diverses provinces françaises, telles la Bretagne, l'Occitanie, etc. La<br />

biographie et les écrits de Tessier nous apprennent la fascination<br />

exercée sur lui par l'oeuvre littéraire et la vision <strong>du</strong> monde de Frédéric<br />

Mistral. Tout comme le poète provençal, le prélat trif1uvien s'est<br />

rigoureusement tenu <strong>à</strong> l'écart de toute revendication politique ou même<br />

économique 11 • La Commission d'é<strong>du</strong>cation nationale proposée n'aurait<br />

constitué qu'un simple office de persuasion politique. De même Durand,<br />

lui-même engagé dans l'action politique, n'a jamais revendiqué un que1-<br />

conque pouvoir régional, comme la création d'entités administratives ou<br />

politiques spécifiques 12 • Egalement la mise en branle de mécanismes<br />

assurant un contrôle minimal des francophones sur l'économie régionale,<br />

comme la création de coopératives ou l'aide • aux petites et moyennes<br />

entreprises, est une idée totalement étrangère au projet sociétal <strong>du</strong><br />

régionalisme mauricien. Résignation devant une situation jugée défini-<br />

tive ou dédain des choses "matérielles"? Il Y a un peu des deux sans<br />

doute mais peut-être aussi le fait que les émetteurs <strong>du</strong> régionalisme<br />

jugeaient que ce n'était pas <strong>à</strong> eux <strong>à</strong> le dire mais <strong>à</strong> des économistes ou <strong>à</strong><br />

des hommes politiques. Soulignons finalement que le mouvement régiona-<br />

liste n'a jamais été structuré au niveau associatif, avec cartes de<br />

11. Ce sont les disciples de Mistral, tels Maurras et non Mistral 1uimême<br />

qui ont fait le saut dans la sphère politique. Mistral s'en<br />

est défen<strong>du</strong> dans ses Mémoires, expliquant qu'il avait choisi la<br />

création poétique. Le fait mérite d'être souligné quand on<br />

considère la récupération <strong>à</strong> laquelle son régionalisme a donné lieu<br />

jusqu'au Régime de Vichy.<br />

12. Aucune des idées régiona1isantes ayant donné naissance aux<br />

municipalités régionales de comté, aux conseils régionaux et aux<br />

régions administratives, n'est présente dans le discours<br />

régionaliste de l'époque, mis <strong>à</strong> part le sentiment d'appartenance.<br />

275


membre, exécutif élu et manifestations publiques comme c'était le cas en<br />

France 13 • Une dernière distinction doit être opérée: on serait tenté<br />

de confondre le régionalisme mauricien avec le régionalisme littéraire <strong>du</strong><br />

Canada français, mais l<strong>à</strong> aussi, malgré des points communs, l'identifica-<br />

tion est impossible. Tessier a énoncé un projet littéraire explicite,<br />

dans la foulée de ceux qui prônaient une littérature nationaliste, tels<br />

Mgr Camille Roy, l'équipe de rédaction <strong>du</strong> Terroir, Lionel Groulx et<br />

plusieurs autres 14 • Enfin, le régionalisme mauricien a dépassé le seul<br />

domaine de l'écrit: par le cinéma, la photographie, le théâtre (les<br />

"pageants <strong>du</strong> Tricentenaire"), la musique, et l'action culturelle au sens<br />

large (la Société le Flambeau), sans oublier l'école des sculpteurs,<br />

graveurs et artisans, ni passer sous silence le projet pédagogique que le<br />

13. Il est quand même possible de reconstituer une liste de personnes <strong>à</strong><br />

partir de deux textes d'Albert Tessier (1.41 et 1.43), <strong>à</strong> laquelle<br />

nous ajoutons quelques noms en appliquant les critères de Tessier.<br />

Les noms mentionnés par ce dernier sont: Joseph-G. Gélinas, Arthur<br />

Béliveau, le chanoine Télesphore Giroux, Raymond Dubé, Dollard Dubé,<br />

l'abbé Eddie Hamelin, le Dr Louis-Georges Godin (tous des<br />

historiens); le Dr Auguste Panneton, l'abbé Henri Vallée, Raymond<br />

Douville, le chanoine Georges Panneton, Messieurs Jean-Marie Bureau,<br />

Paul Dupuis, Onésime Héroux, Hector Héroux, Emile Jean, Jules<br />

Derome, Yvon Thériau1t. Nous leur ajoutons l'équipe <strong>du</strong> Flambeau<br />

avec louis-Philippe Poisson en tête, Clément Marchand, Hervé Biron,<br />

Armour Landry, le Dr Conrad Godin, Eudore Be11emare, Marguerite<br />

Bourgeois, Moïsette Olier et Jeanne l'Archevêque-Duguay.<br />

14. Voir Gaston Pilotte, "Victor Barbeau et la querelle <strong>du</strong><br />

régionalisme", Etudes françaises, vol. VIII, nO 1, février 1971,<br />

p. 24-47. Pi10tte explique que c'est Emile Chartier dans Pages de<br />

combat en 1911, qui rattache le régionalisme <strong>à</strong> l'idée nationaliste<br />

et cite Maurice Barrès. Les principaux ténors <strong>du</strong> régionalisme<br />

littéraire, Damase Potvin, Léo-Pau1 Desrosiers, Claude-Henri Grignon<br />

et Harry Bernard y sont opposés <strong>à</strong> Victor Barbeau qui fustigeait la<br />

médiocrité et l'étroitesse de vue des romans régionalistes<br />

canadiens-français, tout en proposant Ramuz comme exemple<br />

d'universalisme.<br />

276


égionalisme de Tessier inspirait. C'est ailleurs qu'il faut situer<br />

exactement la doctrine régionaliste des années trente.<br />

***<br />

Utilisant les canaux médiatiques les plus modernes pour l'époque,<br />

Albert Tessier et louis-O. Durand ont transmis leur passion envers un<br />

paysage mauricien humanisé par l'action des missionnaires, des co1onisa-<br />

teurs et des forestiers. Ils bâtissaient le cadre spatio-temporel d'un<br />

imaginaire collectif en voie de constitution, dans un esprit de con-<br />

tinuité et de tradition et non dans un changement structurel (politique<br />

ou économique). Sociologiquement, leur discours s'inscrit dans la<br />

stratégie de repro<strong>du</strong>ction sociale d'une élite traditionnelle: former de<br />

futurs chefs de file en leur inculquant des schèmes de pensée et des<br />

systèmes de valeurs qui assureraient la pérennité de leur hégémonie sur<br />

la société régionale.<br />

D'autre part, c'est une véritable vision pédagogique que Tessier a<br />

inlassablement prêchée devant tous les auditoires 15 • C'est ce qu'avait<br />

bien compris Albert Pelletier, pour qui la doctrine mauricienne n'était<br />

utile qu'aux écoliers ... Pelletier avait vu juste, l<strong>à</strong> où Jean-Charles<br />

15. Un Mauricien proche de Tessier, Clément Marchand, a résumé la<br />

doctrine de celui qu'il considérait avant tout comme un é<strong>du</strong>cateur en<br />

une formule brève: "Ouvrez les yeux et regardez autour de vous"<br />

(entrevue avec l'auteur, 19 septembre 1988).<br />

277


Harvey ne percevait que le "terroirisme" et Olivar Asselin, un sujet de<br />

raillerie. On constate aisément qu'Albert Tessier a atteint son objectif<br />

pédagogique si l'on considère attentivement les buts de la Société Le<br />

Flambeau. Mais cette génération nouvelle, celle <strong>du</strong> Flambeau, aux prises<br />

avec une situation d'emploi difficile, développa la Société sans le<br />

secours de Tessier ni de l'évêché. Signe des temps: l'oeuvre é<strong>du</strong>catrice<br />

<strong>du</strong> régionalisme mauricien fait na1tre une volonté d'émancipation vis-<strong>à</strong>­<br />

vis ses propres objectifs. Il n'en sera pas autrement <strong>à</strong> l'échelon<br />

provincial lorsque les émules de Grou1x chercheront <strong>à</strong> s'émanciper. En<br />

résumé, cette dimension pédagogique ou didactique doit être prise en<br />

considération lorsqu'il s'agit de placer le régionalisme dans le décor de<br />

la scène socio-culturelle de l'époque.<br />

Ni exactement courant littéraire ou revendication politique, égale­<br />

ment tributaire (mais distinct) <strong>du</strong> clér1co-nationalisme, influencé par<br />

l'agriculturisme, par le régionalisme littéraire et, dans une moindre<br />

mesure, par le libéralisme économique, la doctrine <strong>du</strong> régionalisme<br />

mauricien n'est innovatrice que par sa présentation pédagogique appuyée<br />

sur les médias. Comme un éclair qui, <strong>du</strong>rant quelques années <strong>à</strong> peine, a<br />

zébré le ciel de la Mauricie, l'élan d'enthousiasme régionaliste s'est<br />

évanoui avec le départ de Tessier pour les écoles ménagères, le retrait<br />

de Durand de la sphère politique et le début <strong>du</strong> second conflit mondial.<br />

D'autres enjeux sociaux, <strong>à</strong> l'échelle planétaire cette fois-ci, ont<br />

radicalement transformé la dynamique des tensions sociales. Ce qui a<br />

constitué peut-être la singularité <strong>du</strong> mouvement, c'est la symbiose<br />

Histoire-Nature, présenté dans un cadre nationaliste et catholique, qui<br />

278


apportait une compensation apparemment illusoire mais victorieuse <strong>à</strong> la<br />

Crise. A défaut de contrôler l'instance économique, des hommes ont voulu<br />

défendre la souveraineté de leur imaginaire.<br />

Par ailleurs, le régionalisme mauricien des années trente se situe<br />

dans le paysage idéologique <strong>du</strong> Canada français <strong>à</strong> l'intérieur <strong>du</strong> grand<br />

courant nationaliste né au début <strong>du</strong> siècle dernier et dont il constitue<br />

un avatar <strong>à</strong> l'échelon régiona1 18 • Notre étude a spécifié le caractère<br />

strictement régional de cette école de pensée. Régional par sa glorifi-<br />

cation de l'espace mauricien et régional aussi par l'extension de l'ac-<br />

cuei1 qu'il a reçu. l'analyse des articles de journaux et extraits<br />

d'ouvrages traitant de l'action régionaliste a révélé que la réception<br />

n'a été favorable (ou la compréhension exacte) que pour les auteurs<br />

mauriciens ou natifs de la Mauricie qui avaient conservé une sympathie<br />

d'appartenance. les autres n'ont vu que <strong>du</strong> folklore ou un repli négatif.<br />

Il en est de même <strong>du</strong> rôle joué par les éléments associatifs. leur<br />

examen jette un éclairage sur la fonction sociologique exercée par les<br />

manifestations <strong>du</strong> régionalisme. Ce sont pour la plupart les associations<br />

contrôlées par la fraction "instruite" de la petite bourgeoisie - clergé,<br />

16. Dans les sociétés dépendantes: essais sur l'Amérique latine, Alain<br />

Touraine a constaté que dans les sociétés dépendantes, c'est-<strong>à</strong>-dire<br />

les sociétés dont le développement économique est dirigé par une<br />

bourgeoisie étrangère (comme c'était le cas <strong>à</strong> l'époque pour le<br />

<strong>Québec</strong>), per<strong>du</strong>rait sous différentes formes renouvelées d'époque en<br />

époque "un nationalisme politique et culturel étrangement oublieux<br />

de la dépendance économique et de ses conséquences" (p. 89). Cette<br />

affirmation s'applique fort bien <strong>à</strong> notre cas. Un autre point de<br />

convergence est celui <strong>du</strong> rôle des institutions d'enseignement dans<br />

l'énonciation et la diffusion <strong>du</strong> discours idéologique: en Amérique<br />

latine, les université's, en Mauricie, le Séminaire Saint-Joseph.<br />

279


enseignants, journalistes - qui s'impliquent, alors que celles où les<br />

hommes d'affaires prédominent n'appuient que dans la mesure où leurs<br />

intérêts économiques sont favorisés. Ce fait démontre coro11airement que<br />

le discours régionaliste penchait plus <strong>du</strong> côté c1érico-nationa1iste que<br />

<strong>du</strong> côté libéral progressiste. D'autre part, la classe dirigeante anglo­<br />

phone respirait d'aise devant le caractère symbolique des gestes posés.<br />

Ainsi, sans s'en rendre compte, le régionalisme a servi les fins de la<br />

classe dominante soulagée de voir les Mauriciens s'affairer dans des<br />

débats intellectuels ou se promener en costumes <strong>du</strong> XVII- siècle <strong>à</strong> la<br />

recherche d'un mythe fondateur, plutôt que reconquérir un espace spolié<br />

économiquement. Il ne s'agit nullement d'en dé<strong>du</strong>ire qu'il ait existé<br />

effectivement une collusion entre les propriétaires des moyens de pro<strong>du</strong>c­<br />

tions (et leurs subalternes) d'une part, et les régionalistes mauriciens<br />

d'autre part, mais la fatalité de ce résultat était inévitable compte<br />

tenu de la structure sociale de l'époque.<br />

***<br />

Quelle a été, alors, la réussite <strong>du</strong> régionalisme mauricien? En<br />

définitive, a-t-il constitué un frein ou un élément moteur <strong>du</strong> développe­<br />

ment de la région? La réponse <strong>à</strong> ces deux questions doit, avant toutes<br />

choses, prendre en considération le programme que les régionalistes eux­<br />

mêmes s'étaient tracé. Albert Tessier, par la voix de Lucien Desbiens,<br />

280


avait proposé un programme englobant cinq champs d'action: 1- Régiona­<br />

lismes religieux: congrès eucharistiques, pèlerinages, journées diocésai­<br />

nes, 2- Régionalisme social: semaines agricoles ou semaines in<strong>du</strong>striel­<br />

les, 3- Régionalisme intellectuel: causeries sur la région, fêtes<br />

historiques, réunions d'écrivains, publications d'ouvrages régionaux,<br />

4- Régionalisme artistique: cercles dramatiques (troupes de théâtre),<br />

sociétés musicales, musées régionaux, 5- Régionalisme paroissial<br />

[sic]: "garder <strong>à</strong> chaque paroisse ses paysages, ses vieilles demeures,<br />

ses souvenirs, ses traditions qui lui donnent sa personnalité".<br />

Les deux premières catégories récupèrent des activités déj<strong>à</strong> existan­<br />

tes, la troisième renvoie aux réalisations d'Albert Tessier, la quatrième<br />

aux "pageants", <strong>à</strong> la chorale de l'abbé Turcotte et au projet (jamais<br />

réalisé) de musée de Louis-O. Durand, et la cinquième <strong>à</strong> la sauvegarde <strong>du</strong><br />

patrimoine bâti ou culturel, action inscrite dans la doctrine régiona­<br />

liste. Notons que, sauf en ce qui a trait au musée régional, les élé­<br />

ments énumérés pour le régionalisme artistique se sont réalisés plus tard<br />

et ont connu un vif succès.<br />

Maintenant, qu'en a-t-il été <strong>du</strong> discours social lié <strong>à</strong> ces actions<br />

collectives? Si l'on se place dans la perspective <strong>du</strong> matérialisme<br />

historique, l'échec est évident: en aucune façon la doctrine régiona­<br />

liste n'a réussi directement <strong>à</strong> améliorer le sort économique d'une collec­<br />

tivité contrôlée par le capital étranger. Le développement <strong>du</strong> mouvement<br />

coopératif, le syndicalisme et l'entrepreneurship régional ne doivent<br />

rien de façon explicite au discours des Beauchemin, Gélinas et Tessier.<br />

281


Seul pouvons-nous mettre au compte de l'action régionaliste le regain<br />

d'activité <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières consécutif aux Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire,<br />

résultat économique que Durand avait prédit.<br />

Toutefois, l'analyse employée dans la présente étude envisageait une<br />

perspective plus globale. En effet, comme nous l'avons mentionné dans<br />

l'Intro<strong>du</strong>ction, nous nous sommes refusé comme présupposé philosophique<br />

cette forme de manichéisme ré<strong>du</strong>cteur où tout consiste <strong>à</strong> démontrer que les<br />

"bons" sont exploités par les "méchants". Nous estimons plutôt que tout<br />

groupe social est simultanément exploiteur et exploité dans la poursuite<br />

de ses intérêts, et cela dans des proportions variables que révèle une<br />

analyse certes plus difficile mais plus féconde.<br />

Cette analyse nous fait plutôt appara1tre le régionalisme mauricien<br />

comme une étape antérieure dans la <strong>du</strong>rée de la société régionale, amal­<br />

game de parcelles d'idéologies irré<strong>du</strong>ctibles <strong>à</strong> aucune d'entre elles. Sa<br />

spécificité repose non seulement sur le continuum Nature-Histoire, mais<br />

également sur une configuration originale des discours sociaux dominants.<br />

Toutefois, les considérations socio-économiques ne doivent pas faire<br />

oublier que le régionalisme mauricien a constitué, malgré sa fonction<br />

occultrice, un dynamisme capable de mobiliser dans un enthousiasme<br />

effectif les agents <strong>du</strong> développement régional. L'action régionaliste a<br />

constitué une force structurante en ce sens que les développeurs ont<br />

disposé d'un cadre de référence spatial pour l'énonciation de discours<br />

sociaux. Des réalisations postérieures aux années trente, telles l'amé­<br />

lioration <strong>du</strong> réseau routier, la construction <strong>du</strong> pont Laviolette, le<br />

282


développement <strong>du</strong> parc in<strong>du</strong>striel de Bécancour, ont trouvé une part non<br />

négligeable de leur justification dans la nécessité de développer une<br />

région identifiée, la Mauricie. Ainsi la région-identité s'était greffée<br />

<strong>à</strong> l'imaginaire collectif régional, parachevant un mouvement amorcé depuis<br />

la naissance de la région-statut avec la création <strong>du</strong> Gouvernement des<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières au XVIIe siècle. De plus, cette saisie de l'espace<br />

régional dans sa réalité collective humaine, de même que dans sa <strong>du</strong>rée, a<br />

délivré de l'angoisse engendrée par les mutations sociales rapides et la<br />

cassure opérée par la crise économique.<br />

Par conséquent, il nous est maintenant possible d'affirmer que ce<br />

courant d'idées a constitué le discours social dominant en Mauricie<br />

<strong>du</strong>rant les années 1930-1940, discours certes énoncé par une petite<br />

bourgeoisie soucieuse d'assurer sa repro<strong>du</strong>ction sociale, mais également<br />

discours fécond pour la pro<strong>du</strong>ction sociale 17 • Pro<strong>du</strong>ction avant tout<br />

symbolique, mais susceptible de dynamiser l'action collective au niveau<br />

régional. En définitive, le régionalisme mauricien a constitué un<br />

réservoir <strong>à</strong> fantasmes dans lequel puisa une génération confrontée <strong>à</strong> une<br />

réalité sociale difficile. Le besoin de renforcer un imaginaire en quête<br />

de symboles par des représentations s'appuyant sur la différence régio-<br />

na1e s'est étayé d'une perception renouvelée de l'espace régional et des<br />

personnages historiques qui l'ont délimité <strong>à</strong> partir <strong>du</strong> XVIIe siècle.<br />

17. Au sens où Pierre Bourdieu l'entend par opposition <strong>à</strong> la<br />

repro<strong>du</strong>ction, c'est-<strong>à</strong>-dire l'auto-perpétuation figée.<br />

283


Au terme de cette exploration, comment le régionalisme s'offre-t-il<br />

<strong>à</strong> notre regard? Le régionalisme en Mauricie peut être envisagé comme<br />

étant une entreprise de restauration établie par une stratégie sociale et<br />

culturelle puisant dans l'imaginaire collectif les fondements sémanti-<br />

ques d'une utopie 18 régionale. Cette restauration s'est développée <strong>à</strong><br />

partir de l'appropriation symbolique d'un espace régional par une lecture<br />

mythifiante de l'Histoire et de la Nature. et par un acte de nomination<br />

régional. celui de la Mauricie. Tout <strong>à</strong> la fois discours occultant une<br />

aliénation économique, expression <strong>du</strong> clivage culturel entre les élites et<br />

la masse, idéologie de repli et élément structurant de la dynamique<br />

régionale, le régionalisme mauricien des années trente reflète les<br />

tiraillements d'une collectivité régionale en gestation. En dernière<br />

analyse, on se prend <strong>à</strong> songer que ce courant d'idées, tout comme le<br />

nationalisme canadien-français, et malgré ses facettes négatives, a tout<br />

de même permis d'éviter les désespoirs collectifs qui ont mené aux<br />

totalitarismes idéologiques en Europe <strong>du</strong>rant cette tumultueuse décennie-<br />

- la raison en est peut-être que le régionalisme, comme le nationalisme,<br />

faisait appel <strong>à</strong> des fidélités dans le temps et dans l'espace. Ainsi,<br />

comme l'affirme Malraux dans L'Espoir:<br />

Un homme actif et pessimiste <strong>à</strong> la fois c'est, ou sera, un<br />

fasciste, sauf s'il a une fidélité derrière lui.<br />

18. Utopie au sens philosophique, c'est-<strong>à</strong>-dire "plan d'un gouvernement<br />

imaginaire <strong>à</strong> l'exemple de La République de Platon" et non au sens<br />

courant "qui ne tient pas compte de la réalité" (Voir le Dictionnaire<br />

philosophique de Lalande).<br />

284


LES SOURCES<br />

1 - Les sources manuscrites<br />

11- Les sources imprimées<br />

A) Le corpus de référence<br />

BIBLIOGRAPHIE<br />

B) Les journaux et les périodiques<br />

LES OUVRAGES DE REFERENCE<br />

LES ETUDES<br />

1 - Les bibliographies et les inventaires<br />

11- Les ouvrages généraux<br />

1 - Concepts, méthodes et cadre d'analyse<br />

II - Les études sur le <strong>Québec</strong><br />

III- Les études sur la Mauricie<br />

IV - Les études sur le régionalisme


I - LES SOURCES MANUSCRITES<br />

LES SOURCES<br />

a) Archives <strong>du</strong> Séainaire Saint-Joseph de <strong>Trois</strong>-Rivières (ASTR)<br />

Fonds Alfred-Odilon-Comtois (FN-0258)<br />

• Correspondance, allocutions, photographies.<br />

Fonds Louis-Delavoie-Durand (FN-OII0)<br />

· Correspondance, manuscrits de conférences.<br />

286<br />

Fonds Société Le Flambeau (226-11)<br />

· Correspondance avec Charles Bourgeois, procès-verbaux des<br />

réunions de l'exécutif, requête au premier ainistre <strong>du</strong><br />

Canada.<br />

Fonds Joseph-Gérin-Gélinas (FN-0404)<br />

• Plan de cours, photographies.<br />

Fonds Albert-Tessier (FN-0014)<br />

• P-1: correspondance avec Asselin, Barbeau, Barrette, Bernard,<br />

Blanchard, Brouillette, Charasson, Dantin, Daviault, Desbiens,<br />

Desrochers, Dubé, Duplessis, Gouin et Groulx.<br />

• P-2: correspondance avec Harvey, Omer Héroux, André Laurendeau,<br />

Pourrat, Rumilly, Saint-Denys Garneau, Tanghe et Victor<br />

Tremblay.<br />

• P-3: témoignages et accrochages. Asselin, Groulx, Albert<br />

Lévesque, Duplessis, Robichon, Vallée.<br />

• Ql-65: Sainte Thérèse de l'Enfant-Jésus. Coupures de revues,<br />

volume annoté sur la spiritualité.<br />

• Q2-51 et Q2-52: Frédéric Mistral. Carnets de voyage, étude<br />

sur Mistral, correspondance avec la veuve <strong>du</strong> poète, notes<br />

pour une conférence, coupures de journaux.<br />

• Q2-71 et Q2-72: régionalisme. Correspondance avec L'Heureux,<br />

coupures de presse, texte dactylographié de trois conférences<br />

prononcées au Congrès international d'Ath.


) Archives <strong>du</strong> CEDEQ (<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières)<br />

287<br />

Fonds Hervé-Biron (502)<br />

• Allocutions et conférences, documentation pour Nuages sur les<br />

brûlés.<br />

Fonds Conseil central des syndicats nationaux de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

• 150/1/3/2:Procès-verbaux 1921-1929;<br />

• 150/1/6: Liste des officiers, 1934, 1937, 1938;<br />

• 150/1/18: Articles de journaux.<br />

c) Archives <strong>du</strong> Centre de recherche en études québécoises de<br />

l'<strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

· Répertoires de sources journalistiques, documentation sur<br />

l'histoire de <strong>Trois</strong>-Rivières.<br />

II - LES SOURCES IMPRIMEES<br />

A) Le corpus de référence: textes sur le régionalisme .auricien<br />

Le corpus de référence rassemble 174 textes répartis en cinq thèmes<br />

et présentés dans l'ordre chronologique <strong>à</strong> l'intérieur de chaque thème:<br />

47 textes d'Albert Tessier rédigés entre 1913 et 1974, 47 textes d'autres<br />

auteurs parus de 1932 <strong>à</strong> 1977, 37 textes et ouvrages en rapport avec<br />

le régionalisme littéraire de 1929 <strong>à</strong> 1974, 32 documents sur le régionyme<br />

"Mauricie" datés entre 1933 et 1976 et, finalement, 11 documents en<br />

rapport avec la mystique <strong>du</strong> Flambeau parus de 1934 <strong>à</strong> 1937.<br />

A l'adresse bibliographique habituelle, nous avons ajouté l'indice<br />

de chaque document cité dans le corps <strong>du</strong> texte, la date précise de<br />

l'événement lorsqu'il s'agit d'une conférence ou d'une causerie radiophonique,<br />

la nature exacte <strong>du</strong> texte publié (résumé, extrait intégral) et un<br />

commentaire explicatif quand il apparaît nécessaire pour la compréhension<br />

<strong>du</strong> document. La signification des signes et abréviations est présentée<br />

au début <strong>du</strong> mémoire. Il manque l'indication de la page pour les articles<br />

tirés <strong>du</strong> fonds Albert-Tessier car l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme omettait<br />

presque toujours cette précision.


1 - Les textes d'Albert Tessier<br />

Octobre 1913 (1.1 )<br />

1927 (1. 2)<br />

25 octobre 1928 (1. 3)<br />

23 mars 1930 (1.4)<br />

(1.4.1)<br />

12 mai 1930 (1.5)<br />

1 er février 1931 (1.6)<br />

22 septembre 1932 (1.7)<br />

288<br />

"Ma paroisse", BP, octobre 1913; repris avec<br />

les commentaires de AT dans Le S.T.R., janvier<br />

1944, p. 9, numéro spécial consacré <strong>à</strong> A.T.<br />

"Conservation régionaliste", Voix régionales,<br />

1927, p. 355-358.<br />

"Réveil régionaliste", BP, 25 octobre 1928,<br />

p. 3.<br />

Conférence sur Mistral présentée devant les<br />

élèves <strong>du</strong> Collège séraphique de <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

et résumée dans N, 24 mars 1930, p.3<br />

Notes manuscrites pour la conférence ci-haut<br />

mentionnée.<br />

Conférence sur Mistral donnée devant le Cercle<br />

d'études <strong>du</strong> Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières et<br />

résumée dans BP, 13 mai 1930, p. 8.<br />

Conférence sur Mistral donnée devant le Cercle<br />

des instituteurs laïcs de <strong>Trois</strong>-Rivières et<br />

résumée dans N, 2 février 1931, p. 3.<br />

"Notre troisième centenaire/Toute la région",<br />

BP, 22 septembre 1932, p. 1.<br />

7 novembre 1932 (1.8) Conférence sur le rôle des é<strong>du</strong>cateurs dans<br />

l'éveil et le maintien d'un sain régionalisme<br />

présentée devant le Cercle des instituteurs<br />

catholiques de <strong>Trois</strong>-Rivières; compte ren<strong>du</strong><br />

dans N, 8 novembre 1932, p. 3, 8.<br />

Février 1933 (1.8.1) Conférence sur la formation de la personnalité<br />

donnée au Collège séraphique de <strong>Trois</strong>-Rivières;<br />

compte ren<strong>du</strong> dans BP, 2 mars 1933, p. 3, 8.<br />

2 avril 1933 (1.9) Lettre <strong>à</strong> Olivar Asselin.<br />

2 avril 1933 (1.10) Conférence sur la création d'un esprit trifluvien<br />

donnée devant les membres de l'Association<br />

catholique des voyageurs de commerce<br />

(A.C.V.), section <strong>Trois</strong>-Rivières; compte ren<strong>du</strong><br />

dans N, 3 avril 1933, p. 3.<br />

3 avril 1933 (1.10.1) Lettre <strong>à</strong> Jean-Charles Harvey.


15 juin 1933 (1.11)<br />

29 juin 1933 (1. 12)<br />

289<br />

Conférence sur le réveil de l'esprit trifluvien,<br />

avec projections de films devant les<br />

membres de l'Association des Chevaliers de<br />

Colomb de <strong>Trois</strong>-Rivières; compte ren<strong>du</strong> dans N,<br />

16 juin 1933, p. 3.<br />

"Coup d'oeil sur le mouvement régionaliste<br />

préparatoire <strong>à</strong> nos fêtes", dans N, 29 juin<br />

1933, p. 3, 7: Historique de la Société<br />

d'histoire, extraits de textes de Albert<br />

Tessier parus dans la Page historique <strong>du</strong> BP <strong>à</strong><br />

partir <strong>du</strong> 22 octobre 1925.<br />

14 septembre 1933 (1.13) "Un rêve ••• ", BP, 14 septembre 1933, p. 9<br />

(citations de Rostand).<br />

19 octobre 1933<br />

26 octobre 1933<br />

19 avril 1934<br />

3 octobre 1934<br />

(1.14) "Réveil trifluvien", !œ, 19 octobre 1933.<br />

(1.15) "Féconde émulation" , BP, 26 octobre 1933<br />

(citations de Mistral).<br />

(1.16) Conférence sur la Mauricie présentée <strong>à</strong> la Salle<br />

des promotions de l'université Laval (<strong>Québec</strong>)j<br />

compte ren<strong>du</strong> dans N, 20 avril 1934, p. 1.<br />

(1.17) Conférence sur le régionalisme avec projections<br />

et films devant les membres de l'Association<br />

des assureurs-vie, voyageurs de commerce,<br />

marchands-détaillants et de nombreux professionnels;<br />

compte ren<strong>du</strong> dans N, 4 octobre 1934,<br />

p. 3.<br />

18 octobre 1934 (1.17.1) "Un effort d'é<strong>du</strong>cation régionale" , BP, 18<br />

octobre 1934, p. 1j repro<strong>du</strong>it dans L'Action<br />

catholique, 7 novembre 1934, p. 4 et commenté,<br />

même page, par Eugène L'Heureux sous le titre:<br />

"Au patriotisme par le régionalisme".<br />

1935<br />

1935<br />

27 mars 1935<br />

(1.18 )<br />

Deux extraits de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, Le<br />

et p. 186-190.<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières 1535-1935,<br />

Nouvelliste, 1935, p. 11-16<br />

(1.19) "Les fêtes trifluviennes", Almanach de l'Action<br />

sociale catholique, vol. XIX, p. 44-46, 1935.<br />

(1. 20) "Le régionalisme est un preCIeux stimulant" , Le<br />

Flambeau, vol. 1, nO 1, janvier-février-mars<br />

1935, p. 13; réplique <strong>à</strong> l'article de Ronald<br />

Murray.


17 mai 1935<br />

1936<br />

20 mars 1936<br />

23 juin 1936<br />

5 novembre 1936<br />

290<br />

(1. 21) Conférence <strong>à</strong> L' Heure provinciale: "<strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, la ville nationale par excellence"<br />

(CKAC); texte intégral dans N, 18 mai 1935, p.<br />

3, 10.<br />

(1.22) Deux extraits de Ceux gui firent notre pays,<br />

Montréal, Ed. <strong>du</strong> Zodiaque, p. 14-19 (ce que la<br />

vie actuelle met <strong>à</strong> notre disposition) et 1936,<br />

p. 200-205 (le retour au sol).<br />

(1.23) Conférence au Réveil rural sur le régionalisme<br />

adapté <strong>à</strong> la vie campagnarde (Radio-Canada);<br />

extraits principaux dans BP, 26 mars 1936, p.<br />

6; texte intégral dans N, 21 .ars 1936, p. 3,<br />

9.<br />

(1. 24) "Pas de St-Jean Baptiste aux <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

cette année ••• !", dans N, 23 juin 1936, p. 3.<br />

(1. 25) Conférence devant<br />

cadette de Sherbrooke<br />

régionalisme; résumé<br />

bre 1936, p. 8.<br />

la Chambre de comaerce<br />

sur la Mauricie et le<br />

dans La Tribune, 6 novea-<br />

16 décembre 1936 (1.26) Conférence au congrès de l'ACFAS (<strong>Université</strong><br />

Laval, <strong>Québec</strong>) sur le régionalisme: "Régionalisme?<br />

Non: réalisme"; "Qu'est-ce que le<br />

régionalisme?", Le Terroir, décembre 1935,<br />

vol. 18, nO 7, p. 20;<br />

Janvier 1937<br />

Mai 1937<br />

Juin 1937<br />

Février 1938<br />

(1. 27) "L'abbé A. Tessier définit le régionalisme<br />

trifluvien", dans N, 18 décembre 1936, (extraits),<br />

p. 7.<br />

(1.28) "Le régionalisme", Le Mauricien, vol. 1, nO 3,<br />

janvier 1937, p. 5.<br />

(1. 30) "Pour une politique nationale", L'Action<br />

nationale, vol. 9, nO 5, lIIai 1937, p. 258-268,<br />

texte très important.<br />

( 1. 31) "Plaidoyer pour le bon sens", Images de la<br />

Mauricie, numéro spécial <strong>du</strong> Bien Public, s.d.<br />

[juin 1937].<br />

(1. 32) "La signification des simples choses", Le<br />

Mauricien, février 1938, p. 3.


9 mars 1938<br />

Février 1939<br />

(1.33) Conférence sur l'amour de la patrie donnée <strong>à</strong> la<br />

Salle Saint-Dominique (<strong>Québec</strong>); résumée dans H,<br />

o mars 1938, p. 3, et dans L'Action catholique,<br />

8 mars 1938.<br />

(1.34) "Régionalisme fastueux", Le Mauricien, février<br />

1939, p. 11, 32.<br />

Mars 1939 (1.35) "Saguenay/La petite histoire d'un grand royaume",<br />

Le Mauricien, mars 1939, p. 17, 32.<br />

23 novembre 1940 (1.36) "Vers une Mauricie plus homogène/Un régionalisme<br />

générateur d'action", dans Cahier spécial<br />

<strong>du</strong> H, 23 novembre 1940, p. 26.<br />

3 janvier 1941 (1. 37) [Anonyme] , "Une formule de réalisme/ Regarder<br />

autour de soi pour comprendre son milieu", dans<br />

H, 3 janvier 1941, p. 3, 7, extraits de discours<br />

d'Albert Tessier.<br />

1942 (1.38) Extrait de Pèlerinages dans le passé, Montréal,<br />

Fides, 1942, p. 16-18 (philosophie de l'histoire)<br />

•<br />

12 janvier 1946 (1.39) Entrevue de Lucienne Le<strong>du</strong>c avec Albert Tessier,<br />

publiée dans Le Devoir, 12 octobre 1946 et<br />

repro<strong>du</strong>ite dans le H, 15 octobre 1946, p. 3.<br />

20 juin 1958 (1. 40) Rosario Blanchet, "Le curé Corbeil a insufflé<br />

l'esprit régionaliste, déclare Mgr A. Tessier",<br />

dans H, 20 juin 1958, p. -12.<br />

Octobre 1970<br />

6 février 1971<br />

29 mars 1974<br />

Avril 1974<br />

(1.41) "Dix belles années de ferveur", Le Ralliement,<br />

octobre 1970.<br />

(1.42) Annotations dans un ouvrage sur la spiritualité<br />

de sainte-Thérèse de l'Enfant-Jésus.<br />

(1. 43) "Déj <strong>à</strong> quarante ans ••• ", dans BP, 29 mars 1974,<br />

p. 1.<br />

(1.44) Souvenirs en vrac, Montréal, Editions <strong>du</strong> Boréal<br />

Express, 1975; extraits, p. 9, 135-138, 142-<br />

143, 164-165.<br />

291


2 - Textes d'autres auteurs<br />

12 avril 1932 (2.1)<br />

22 novembre 1932 (2.2)<br />

1 er avril 1933 (2.3)<br />

12 août 1933 (2.4)<br />

11 janvier 1934 (2.5)<br />

14 mars 1934 (2.6)<br />

26 avril 1934 (2.7)<br />

Juin 1934 (2.8)<br />

Conférence de Louis-Delavoie<br />

fêtes <strong>du</strong> tricentenaire devant<br />

Rotary Club; texte intégral<br />

1932, p. 3, 7.<br />

Conférence de Louis-Delavoie Durand<br />

provinciale (CKAC) qui "définit ce<br />

régionalisme trifluvien";<br />

dans N, 23 novembre, p. 3.<br />

texte<br />

292<br />

Durand sur les<br />

les membres <strong>du</strong><br />

dans N, 13 avril<br />

<strong>à</strong> l'Heure<br />

qu'est le<br />

intégral<br />

Mémoire présenté au Conseil des ministres <strong>à</strong><br />

<strong>Québec</strong> par Louis-Delavoie Durand au nom <strong>du</strong><br />

Comité d'initiative <strong>du</strong> <strong>Trois</strong>ième centenaire;<br />

texte intégral dans N, 4 avril 1933, p. 3.<br />

Article de Lucien Desbiens, "Régionalisme", Le<br />

Devoir, 12 août 1933, p. 1, repro<strong>du</strong>it dans La<br />

Chronique, 19 août 1933.<br />

Article d'Omer Héroux, "Un <strong>du</strong>rable monument/Ce<br />

qui se fait aux <strong>Trois</strong>-Rivières pourrait se<br />

faire partout", Le Devoir, 11 janvier 1934, p.<br />

1, repro<strong>du</strong>it dans BP, 18 janvier 1934, p. 7,<br />

avec un commentaire anonyme, sous le titre<br />

"Après tout l'exemple n'est pas <strong>à</strong> dédaigner".<br />

Conférence d'Hervé Biron au Club Rotary de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières intitulée: "Vers un monde<br />

nouveau"; texte intégral dans N, 14 mars 1934,<br />

p. 1, 7 sous le titre "Les mouvements de<br />

jeunesse qui s'emparent de l'univers".<br />

Conférence de Mgr Alfred-Odilon Comtois <strong>à</strong><br />

l'occasion d'une soirée donnée au Séminaire<br />

Saint-Joseph au profit <strong>du</strong> Flambeau et résumée<br />

dans N, 27 avril 1934 sous le titre "Le <strong>Trois</strong>ième<br />

centenaire doit être un chant <strong>à</strong> notre<br />

patrie". Evocation de la mystique <strong>du</strong> Flambeau.<br />

Article de Victor Barrette, "M. l'abbé Albert<br />

Tessier, animateur régionaliste", Le Droit,<br />

JUIn 1934, repro<strong>du</strong>it dans N, 12 juin 1934, p. 2<br />

sous le titre "Un hommage <strong>à</strong> son oeuvre".


4 juin 1934 (2.8.1) "Lettre pastorale <strong>à</strong> l'occasion <strong>du</strong> troisième<br />

centenaire des <strong>Trois</strong>-Rivières", Mande.ents.<br />

lettres pastorales et circulaires de Mgr<br />

François-Xavier Cloutier, vol. V, 1923-1934, p.<br />

677-683.<br />

14 juillet 1934 (2.9) Article de Lucien Desbiens, "Figure maUrICIenne/L'abbé<br />

Albert Tessier", Le Devoir, 14<br />

juillet 1934, p. 1.<br />

4 octobre 1934 (2.10) Confér·ence de Louis Delavoie-Durand <strong>à</strong> l'Heure<br />

provinciale (CKAC) et intitulée "La renaissance<br />

mauricienne"; texte intégral dans L'Almanach<br />

trifluvien, vol. IV, 1935, p. 86-88.<br />

Novembre 1934 (2.11) Article d'Albert Pelletier, "Un pays de cocagne<br />

<strong>du</strong> régionalisme", L'Ordre, novembre 1934, texte<br />

repro<strong>du</strong>it dans N, 21 novembre 1934, p. 2.<br />

12 mars 1935 (2.12) Article d'Hervé Biron, "Le régionalisme,<br />

initiation au patriotisme", BP, 12 mars 1935.<br />

25 mars 1935 (2.13) Article de Ronald Murray, "Le régionalisme est<br />

condamnable" , Le Flambeau, vol. 1, nO 1,<br />

janvier-février-mars, 1935, p. 12.<br />

22 avril 1935<br />

19 mai 1935<br />

4 octobre 1935<br />

Octobre 1935<br />

Octobre 1935<br />

293<br />

(2.14) Article d'E[ugène] L' [Heureux], "Le régionalisme<br />

en marche", L'Action catholique, 22 avril<br />

1935, p. 7, repris dans Le Devoir, 25 avril<br />

1935, p. 7.<br />

(2.15) Article de Robert Rumilly, "Que vaut le régionalisme?",<br />

Le Petit journal, 19 mai 1935.<br />

(2.16) Conférence de Louis-Delavoie Durand <strong>à</strong> l'Heure<br />

provinciale (CKAC) sur le mouvement régionaliste<br />

des jeunes Mauriciens; texte intégral<br />

dans N, 5 octobre 1935, p. 3, 6 sous le titre<br />

"Les artistes trifluviens de la chorale Notre­<br />

Dame et de la Philharmonie D.L.S. obtiennent un<br />

vif succès <strong>à</strong> la radio".<br />

(2.17) Article de François Hertel, "Régionalisme et<br />

patriotisme; L'Action nationale, vol. 3, nO 6,<br />

octobre 1935, p. 105-116.<br />

(2.18) Article de Lionel Groulx, "'<strong>Trois</strong>-Rivières' par<br />

l'abbé Albert Tessier", L'Action nationale,<br />

vol. 3, nO 6, octobre 1935, p. 129-133.


Décembre 1935<br />

27 janvier 1936<br />

28 janvier 1936<br />

16 mars 1936<br />

Novembre 1936<br />

294<br />

(2.19) Article <strong>du</strong> Père P.-E. Farley, "Le régionalisme<br />

pour une saine é<strong>du</strong>cation nationale", L'Enseignement<br />

secondaire, décembre 1935, repro<strong>du</strong>it<br />

dans BP, 12 décembre 1935.<br />

(2.20) Conférence de Louis-Delavoie Durand sur la<br />

Mauricie présentée devant les membres de<br />

l'Association des Chevaliers de Colomb <strong>à</strong><br />

Drummondville; texte intégral dans N, 28<br />

janvier 1936, p. 2, 4 sous le titre "Me Durand<br />

chante les gloires mauriciennes <strong>à</strong> Drummondville".<br />

Texte très important.<br />

(2.22) Conférence de Raymond Douville sur la défense<br />

<strong>du</strong> mouvement de réveil mauricien intitulée<br />

"Sommes-nous des Don Quichotte?" Elle fut<br />

présentée <strong>à</strong> l'occasion de l'inauguration des<br />

soirées littéraires <strong>du</strong> Flambeau; texte intégral<br />

dans N, 29 janvier 1936, p. 3, 4.<br />

(2.21) Article de Philippe Poisson, Le Flambeau,<br />

vol. 2, nO 5, janvier-février-mars 1936, p. 5-<br />

6, 8.<br />

(2.23) Article<br />

quoi?",<br />

p. 2.<br />

de Charles-Auguste St-Arnaud, "Pour­<br />

Le Mauricien, 1(1), novembre 1936,<br />

Novembre 1936 (2.24) [Anonyme], trois entrefilets: "La formule<br />

régionaliste", "Bon sens et réalisme", "Photos<br />

tonifiantes", loco cit., p. 8.<br />

23 décembre 1936 (2.25) Article d'Eugène L'Heureux, "Le régionalisme/Une<br />

excellente forme de patriotisme",<br />

dans L'Action catholique, 23 décembre 1936.<br />

7 janvier 1937 (2.25.1) Article de O[mer]<br />

dans BP, 7 janvier<br />

Devoir.<br />

H[éroux], "Pour savoir",<br />

1937, p. 7, repro<strong>du</strong>it <strong>du</strong><br />

14 février 1937 (2.25.2) [Anonyme], article dans La Patrie, repris dans<br />

Le Terroir, vol.18, nO 9, février 1937, p. 5<br />

sous le titre "Le régionalisme/Quelques pensées<br />

éparses".<br />

Mars 1937 (2.26) [Anonyme], article dans Le Petit journal,<br />

repris dans Le Mauricien vol. 1, nO 5 mars<br />

1937, p. 8, sous le titre: "L'amour de la<br />

peti te patrie".


10 avril 1937 (2.27) Article de Jean-Louis Gagnon, "La renaissance<br />

de la Mauricie", Le Journal, 10 avril 1937.<br />

22 mai 1937 (2.27.1) Article d'Omer Héroux, "De beaucoup de choses<br />

qui n'ont rien <strong>à</strong> faire avec la politique", Le<br />

Devoir, 22 mai 1937, p. 1.<br />

Juin 1937 (2.28) Article de Léopold Richer, "La nuance <strong>du</strong><br />

régionalisme trifluvien", Images de la Mauricie,<br />

numéro spécial <strong>du</strong> Bien Public, [juin<br />

1937], p. 43-44.<br />

14 aôut 1937 (2.29) Article de Rex Desllarchais, "Billet <strong>à</strong> Angèle",<br />

La Province, 14 août 1937.<br />

27 octobre 1937 (2.30) Article d'Omer Héroux, "On n'a tout de même pas<br />

le droit de se plaindre", Le Devoir, 27 octobre<br />

1937.<br />

1950 (2.31)<br />

[1952] (2.32)<br />

Février 1977 (2.33)<br />

Recension de Ceux<br />

Dauphin-Meunier,<br />

Paris, 1950.<br />

qui<br />

dans<br />

295<br />

firent notre pays par<br />

Les études américaines,<br />

Article de Harry Bernard (sous le pseudonyae<br />

L'Illettré) , "L'animateur de la Mauricie<br />

(Qué.) : Mgr Albert Tessier", Le Travailleur,<br />

[1952].<br />

Article de Jean Panneton, "Le régionalisme",<br />

Société des écrivains canadiens, vol. 8, nO 1,<br />

février 1977, p. 3.<br />

3 - Textes exprimant la pensée de Joseph-G. Gélinas<br />

1919<br />

Octobre 1919<br />

(2.34) Extraits de l'ouvrage de Joseph-G. Gélinas<br />

intitulé: Au Foyer/Causeries historiques pour<br />

les petites de chez nous, Montréal, Maison-mêre<br />

Providence, 2 8 édition 1919, 177 p.: "Avantpropos",<br />

daté <strong>du</strong> 29 mai 1919 et "Lettre <strong>à</strong> ma<br />

nièce E.G.", p. 168-176, repro<strong>du</strong>ite <strong>du</strong> BP, 23<br />

décembre 1916, p. 5.<br />

(2.35) Article de Joseph-G. Gélinas, "Le surveillant<br />

en récréation", L'Enseignement secondaire au<br />

Canada, vol. III, octobre 1919 -juin 1921,<br />

p. 6-16.


DOUVILLE, Raymond, Aaron Hart/Récit historique, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les<br />

Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1938, 194 p.<br />

L'ARCHEVEQUE-DUGUAY, Jeanne, Ecrin, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Bien<br />

Public, 1934, 86 p.<br />

LARKIN, Sarah, Radisson, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Bien Public,<br />

1938, 147 p.<br />

LE FRANC, Marie, La randonnée passionnée, Paris, Ferenczi, 1936, 248 p.<br />

MARCHAND, Clément, Courriers des villages, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions<br />

<strong>du</strong> Bien Public, 1942, 240 p.<br />

Les Soirs rouges, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1947,<br />

224 p.<br />

OLIER, Molsette, Cha8inigane, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Bien<br />

Public, 1934, coll. "Pages trifluviennes", Série C, nO 6, 68 p.<br />

- Etincelles, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Nouvelliste, 1936, 222 p.<br />

L'Homme <strong>à</strong> la physionomie macabre, Montréal, Edouard Garand, 1927,<br />

154 p.<br />

- Mademoiselle Sérénité, <strong>Trois</strong>-Rivières, Les Editions <strong>du</strong> Bien Public,<br />

1936, 213 p.<br />

OLIER, Moisette et Raymond TANGHE, Au Pays de l'énergie, <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

Les Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1932, coll. "Pages trifluviennes", Série B,<br />

nO 5, 46 p.<br />

PICHE, Alphonse, Ballades de la petite extrace, Montréal, Les Editions<br />

Fernand Pilon, 1946, 99 p.<br />

RINGUET, Trente arpents, Paris, Flammarion, 1938, 292 p.<br />

SYLVAIN, En flânant dans les portages, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Bien<br />

Public, 1934, 69 p.<br />

297


5 - Textes relatifs au régionalisae littéraire en Mauricie<br />

1 er juillet 1933 (3.1) Conférence d'Albert Tessier intitulée "Vie<br />

intellectuelle trifluvienne" présentée devant<br />

le congrès de l'Association des auteurs canadiens<br />

<strong>à</strong> <strong>Québec</strong>; résumée dans N, 7 juillet<br />

1933, p. 3; texte intégral dans l'Almanach<br />

trifluvien, 1933, p. 129-136.<br />

21 septembre 1933 (3.2) Article de Clément Marchand, "Un défi <strong>à</strong> relever",<br />

dans BP, 21 septembre 1933.<br />

1934 (3.3) Article <strong>du</strong> Père Gonzalve Poulin, "Régionalisae<br />

littéraire", dans l'Almanach trifluvien, vol.<br />

III, 1934, p. 162-163.<br />

20 septembre 1934 (3.4) Article de Clément Marchand, "Pour un reglonalisme<br />

ouvert", dans BP, 20 septembre 1934.<br />

17 septembre 1936 (3.5) Article de Raymond Douville, "Réalisations et<br />

projets de littérature mauricienne", dans BP,<br />

17 septembre 1934.<br />

Novembre 1936<br />

Novembre 1936<br />

Novembre 1936<br />

Novembre 1936<br />

Novembre 1936<br />

Décembre 1936<br />

(3.6) Article d'Albert Tessier, "L'eau<br />

richesse", dans M, nov. 1936, vol.<br />

p. 7.<br />

298<br />

souveraine<br />

1, nO 1,<br />

(3.7) Article <strong>du</strong> Père Gonzal vePoulin, "Les écrivains<br />

régionaux", dans M, novembre 1936, vol. l,<br />

nO 1, p. 8.<br />

(3.8) Article de Paul Bouchard, "Régionalisme littéraire",<br />

La Nation, repro<strong>du</strong>it dans M, novembre<br />

1936, vol. l, nO 1, p. 15.<br />

(3.9) Article de Dollard Dubé, "Le reportage historique",<br />

dans M, novembre 1936, vol. 1 , no 1,<br />

p. 16.<br />

(3.10) Article de Maurice Hébert, "Critique et régional<br />

isme" , Le Canada français, vol. 24, nO 3,<br />

novembre 1936, p. 253-265.<br />

(3.11) [Anonyme], "La petite histoire", dans M,<br />

décembre 1936, vol. 1 et 2, p. 7.


7 août 1934 Causerie radiophonique de Lucien Desbiens<br />

intitulée: "L'expression 'La Mauricie' vivra-t­<br />

25 avril 1935<br />

Décembre 1936<br />

20 janvier 1937<br />

9 février 1937<br />

11 février 1937<br />

15 février 1937<br />

18 février 1937<br />

20 février 1937<br />

Avril 1974<br />

elle?"<br />

302<br />

(4.21) Compte ren<strong>du</strong> partiel dans BP, 16 août 1934,<br />

p. 7;<br />

(4.22) texte intégral dans La Chronique de la Vallée<br />

<strong>du</strong> Saint-Maurice, 18 août 1934, p. 1.<br />

(4.29) [Anonyme], "La Mauricie", L'Action catholique,<br />

25 avril 1935.<br />

(4.23) Article d'Elzéar Dallaire, "Expression heureuse<br />

qui vivra toujours", L'Echo <strong>du</strong> Saint-Maurice,<br />

repris dans M, vol.l, nO 3, janvier 1937, p. 6.<br />

(4.24) Conférence d'Henri Bourassa <strong>à</strong> Sherbrooke<br />

résumée dans La Tribune, 23 janvier 1937.<br />

(4.28) Discours d'Henri Bourassa devant l'Alliance<br />

canadienne pour le vote des femmes <strong>du</strong> <strong>Québec</strong><br />

intitulé "Contre qui s'arme-t-on?", résuaé dans<br />

La Tribune, 9 février 1937.<br />

(4.25)<br />

(4.26)<br />

Article de<br />

Tessier) ,<br />

1937.<br />

Article<br />

native'<br />

1937.<br />

Le Tisserand (pseudonyme d'Albert<br />

"Visions séniles", BP, 11 février<br />

de L'Hochelagacien, "La 'rectitude<br />

en Mauricie", Le Canada, 15 février<br />

(4.30) Article de l'Araignée, ttLa ligne courbe", BP,<br />

18 février 1937.<br />

(4.27) [Anonyme], entrefilet dans La Chronique de la<br />

Vallée <strong>du</strong> Saint-Maurice, 20 février 1937.<br />

7 - Textes relatifs <strong>à</strong> la mystique <strong>du</strong> Flaabeau<br />

Extrait de l'ouvrage d'Albert Tessier, Souvenirs<br />

en vrac, p. 165-167.<br />

8 mars 1934 (5.1) [Anonyme], "Le Flambeau a obtenu son incorporation/La<br />

jeunesse trifluvienne attend le mot<br />

d'ordre des aînés", dans H, 8 mars 1934, p. 3.


12 mars 1934<br />

1 er juin 1934<br />

Janvier 1935<br />

Janvier 1935<br />

Janvier 1935<br />

Avril 1935<br />

Avril 1935<br />

Juin 1935<br />

. Octobre 1935<br />

Février 1937<br />

1) Journaux<br />

(5.2)<br />

(5.3)<br />

(5.4)<br />

(5.5)<br />

(5.6)<br />

(5.7)<br />

(5.8)<br />

(5.9)<br />

(5.10)<br />

303<br />

[Anonyme], "Pour le Tricentenaire/Autour <strong>du</strong><br />

Flaabeau", dans N, 12 mars 1934, p. 3.<br />

Requête de la Société Le Fla.beau adressée au<br />

Premier ministre <strong>du</strong> Canada.<br />

Poisson, Philippe, "Pourquoi?", dans E, vol. l,<br />

nO l, janvier-février-mars 1935, p. 3.<br />

Landry, Armour, "Agir ••• ", Id., p. 4.<br />

Biron, Hervé, "Jeunesse 1935", Id., p. 14.<br />

Provencher, Raoul, "Lendemain d'un soir d'apothéose",<br />

dans E, vol. 1, nO 2, avril-mai-juin<br />

1935, p. 26.<br />

Poisson, Philippe, "Orientation", Id., p. 27-<br />

28.<br />

Landry, Armour, "Le Flambeau", Le Terroir, juin<br />

1935, p. 20.<br />

Poisson, Philippe, "Le Flambeau", dans.E,<br />

vol. 1, nO 4, octobre-novembre-décembre 1935,<br />

p. 75-77.<br />

(5.11) [Viator], "Un hommage au Flambeau", dans M,<br />

vol. 1, nO 4, février 1937, p. 5.B) Les journaux<br />

et les périodiques dépouillés<br />

Le Bien Public, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1909-1978.<br />

Du 1 er janvier 1915 au 1 er janvier 1919 et <strong>du</strong> 1 er septembre 1933 au<br />

1 er janvier 1935; supplément de juin 1937 (Images de la Mauricie).<br />

Dépouillement systématique.<br />

La Chronique de la Vallée <strong>du</strong> St-Maurice, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1929-1959, Du<br />

1 er septembre 1933 au 1 er février 1934.<br />

Le Devoir, Montréal, 1910-aujourd'hui.<br />

1932-1936. Vérification d'un dépouillement sur le régionalisme.


Le Drapeau, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1931.<br />

De février <strong>à</strong> juillet 1931.<br />

Le Nouvelliste, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1920-aujourd'hui.<br />

Du 1er janvier 1926 au 1er janvier 1941. Dépouillement systématique<br />

<strong>du</strong> 1er septembre 1933 au 14 septeabre 1934 et <strong>du</strong> 1er février 1936.<br />

janvier au 14<br />

The St. Maurice Valley Chronicle, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1918-1970.<br />

Du 1 er septembre 1933 au 1 er janvier 1935 et supplément de 1944.<br />

2) Périodiques<br />

Action Nationale, Montréal, 1933-aujourd'hui.<br />

1933-1937.<br />

Almanach trifluvien, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1932-1935.<br />

1932-1935.<br />

Le Canada français, <strong>Université</strong> Laval, <strong>Québec</strong>, 1918-1940.<br />

Septembre 1933 - septembre 1937.<br />

Le Flambeau, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1935-1936.<br />

1935-1936.<br />

Horizons, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1939.<br />

1939.<br />

La Mauricie, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1933.<br />

1933.<br />

Le Mauricien, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1936-1939.<br />

1936-1939.<br />

Le Ralliement, Séminaire St-Joseph, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1928-1937, 1956aujourd'hui.<br />

1928-1937.<br />

Le Terroir, <strong>Québec</strong>, 1918-1940.<br />

Juin 1935 - juin 1937.<br />

Three Rivers Year Book, <strong>Trois</strong>-Rivières, 1932-1935.<br />

1932-1935.<br />

304


[LESSARD, Claude et Robert DESILETS]" Ms. inédit, dépouillement <strong>du</strong> Bien<br />

Public (1923-1970) se rapportant <strong>à</strong> Albert Tessier, 13 f., [<strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

<strong>UQTR</strong>, Service de la bibliothèque], s. édit.<br />

- Conseil central de la Confédération des syndicats nationaux de <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, document déposé aux archives <strong>du</strong> CEDEQ, <strong>UQTR</strong>, 1982, n.p.<br />

MALTAIS, Denise, Louise FRECHET TE et Louis-René DESSUREAULT, Etat général<br />

des fonds et des collections conservés aux archives <strong>du</strong> Séminaire de<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, <strong>Trois</strong>-Rivières, s. édit., 1985, 297 p.<br />

MONIERE, Denis et André VACHET, Les idéologies au <strong>Québec</strong>: Bibliographie,<br />

Ministère des affaires culturelles <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, Bibliothèque nationale <strong>du</strong><br />

<strong>Québec</strong>, 3 e édition, 1980, 175 p.<br />

[ROUSSEAU, Guildo], Ms. inédit, dépouillement <strong>du</strong> Devoir (1929-1936)<br />

concernant Albert Tessier, 6 f, [s.l., s. édit., s.d.]<br />

- Contes et récits littéraires de la Mauricie (1950-1980/Essai de bibliographie<br />

régionale, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions CEDOLEQ, 1982, 178 p.<br />

TOURANGEAU, Rémi, <strong>Trois</strong>-Rivières en liesse/Aperçu historique des fêtes <strong>du</strong><br />

tricentenaire, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions CEDOLEQ, 1984, 208 p., (Bibliographie<br />

thématique, p. 175-208).<br />

LES OUVRAGES GENERAUX<br />

[ANONYME], Une rose effeuillée: Soeur Thérèse de l'Enfant-Jésus, Paris,<br />

Librairie Saint-Paul, [1914], n.p.<br />

BAILLARGEON, Samuel, Littérature canadienne-française, Montréal, Fides,<br />

1957, 3 e édition, 1972, 525 p.<br />

BEAUNE, Colette, Naissance de la nation France, Paris, Gallimard, 1986,<br />

431 p.<br />

CHEVALIER, Jean (sous la direction de), Dictionnaire des symboles, Paris,<br />

Laffont, 1982, xxxii + 1060 p.<br />

D'AQUIN, saint Thomas, Somme théologique, Paris, Louis Vivès, 5 e édition,<br />

n.d., 15 vol., trad. de F. Lechat.<br />

306


BACHELARD, Gaston, La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin,<br />

réédition 1975, 256 p.<br />

BAECHLER, Jean, Qu'est-ce que l'idéologie?, Paris, Gallimard, 1976,<br />

405 p., coll. "Idées".<br />

BARDIN, Laurence, L'analyse de contenu, Paris, P.U.F., 1977, 3e édition<br />

1983, 233 p.<br />

BELLEFLEUR, Michel, Le langage <strong>du</strong> loisir: éléments d'analyse, <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, <strong>Université</strong> <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, Département des sciences<br />

<strong>du</strong> loisir, 1986, 171 p.<br />

BOURDIEU, Pierre, Questions de sociologie, Paris, Editions de Minuit,<br />

1980, 269 p.<br />

- Le sens commun: choses dites, Paris, Editions de Minuit, 1987, 231 p.<br />

BRAUDEL, Fernand, Grammaire des civilisations, Paris, Arthaud-Flammarion,<br />

1987, 607 p.<br />

DUBY, Georges (sous la direction de), Histoire de la France, Paris,<br />

Librairie Larousse, 1987, tome 1: Naissance d'une nation, des origines <strong>à</strong><br />

1348, 483 p.<br />

DUMONT, Fernand, "L'idéologie de développement culturel: esquisse pour<br />

une psychanalyse", Sociologie et sociétés, avril 1979.<br />

"Notes sur l'analyse des idéologies", R§., vol. IV, nO 2, 1963, p. 155-<br />

165.<br />

LEGOFF, Jacques, "L'histoire et l'imaginaire" (entretien), Questions de<br />

mythes et histoire, nO 59 (1 et 2), p. 55-58.<br />

MARIENSTRAS, Elise, Les mythes fondateurs de la nation américaine, Paris,<br />

Maspéro, 1976, 377 p.<br />

MARROU, Henri-I renée , dans SAMARAN, C.M., L'histoire et ses méthodes,<br />

Paris, Gallimard, 1961, 177 p.<br />

MOREUX, Colette, La conviction idéologique, Montréal, P.U.Q., 1978,<br />

126 p.<br />

- Douceville en <strong>Québec</strong>: la modernisation d'une tradition, Montréal,<br />

P.U.M., 1982, 454 p.<br />

- Fin d'une religion? Monographie d'une paroisse canadienne-francaise,<br />

Montréal, P.U.M., 1969, xlvi + 485 p.<br />

308


MOUNIN, Georges, La linguistique, Paris, Seghers, 1971, 166 p.<br />

MUCCHIELLI, Roger, L'analyse de contenu des documents et des communications,<br />

Paris, Editions ESF, 5 e édition, 1984, 189 p.<br />

PATLAGEAN, Evelyne, "L'histoire de l'imaginaire", dans LEGOFF, Jacques<br />

(sous la direction de), La nouvelle histoire, Paris, Editions Retz, 1978,<br />

p. 249-269.<br />

POPPER, Karl, La société ouverte et ses ennemis, Tome 2: Hegel et Marx,<br />

Paris, Seuil, 1979, 254 p.<br />

ROBIN, Régine, Histoire et linguistique, Paris, Armand Colin, 1973,<br />

308 p.<br />

ROCHER, Guy, Intro<strong>du</strong>ction <strong>à</strong> la sociologie générale, Montréal, Editions<br />

HMH, 1969, 3 tomes.<br />

TOURAINE, Alain, Pour la sociologie, Paris, Seuil, 1974, 243 p., coll.<br />

"Points".<br />

- Pro<strong>du</strong>ction de la société, Paris, Seuil, 1973, 542 p.<br />

- Les sociétés dépendantes, Paris, Duculot, 1976, 266 p.<br />

- "Théorie et pratique d'une sociologie de l'action", Sociologie et<br />

sociétés, vol. 10, nO 2, octobre 1978, p. 149-188.<br />

VEYNE, Paul, Comment on écrit l'histoire, Paris, Seuil, 2 e édition, 1985,<br />

242 p.<br />

II - LES ETUDES SUR LE QUEBEC<br />

BELANGER, André-J., L'apolitisme des idéologies québécoises 1934-1936,<br />

<strong>Québec</strong>, P.U.L., 1974, 392 p.<br />

BLAIS, Jacques, De l'ordre et de l'aventure: la poésie au <strong>Québec</strong> de 1934<br />

<strong>à</strong> 1944, <strong>Québec</strong>, P.U.L., 1975, 410 p.<br />

BOUCHARD, Gérard, Une ambiguïté québécoise: les bonnes élites et le<br />

méchant peuple, discours de réception <strong>à</strong> la Société royale <strong>du</strong> Canada, mars<br />

1986, texte dactylographié, 20 p.<br />

- "Intro<strong>du</strong>ction <strong>à</strong> l'étude de la société saguenayenne aux XIxe et xxe<br />

siècles", RHAF, vol. 31, nO 1, juin 1977, p. 3-27.<br />

309


LAURENDEAU, André, "Manifeste des Jeune-Canada", L'Action nationale,<br />

vol. 1, nO 2, février 1933, p. 117-128.<br />

LENORMAND, Michelle, Autour de la maison, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong><br />

Bien Public, 1939, 190 p.<br />

LINTEAU, Paul-André, René DUROCHER et Jean-Claude ROBERT, Histoire <strong>du</strong><br />

<strong>Québec</strong> contemporain: de la Confédération <strong>à</strong> la Crise, Montréal, Boréal<br />

Express, 1979, 658 p.<br />

LINTEAU, Paul-André, René DUROCHER, Jean-Claude ROBERT et François<br />

RICARD, Histoire <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> contemporain: le <strong>Québec</strong> depuis 1930, Montréal,<br />

Boréal Express, 1986, 739 p.<br />

MARIE-VICTORIN, Frère, Croquis laurentiens, Montréal, Les Frères des<br />

Ecoles chrétiennes, 1946, 164 p.<br />

MARCHAND, Clément, Nérée Beauchemin, Montréal, Fides, 1957, 96 p., coll.<br />

"Classiques canadiens", nO 5.<br />

MONIERE, Denis, Le développement des idéologies au <strong>Québec</strong> des origines <strong>à</strong><br />

nos jours, Montréal, Editions <strong>Québec</strong>/Amérique, 1977, 381 p.<br />

NEATBY, H. Blair, La grande dépression des années '30, Montréal, La<br />

Presse, 1975, 202 p., trad. Lucien Parizeau.<br />

O'LEARY, Dostaler, Séparatisme doctrine constructive, Montréal, Editions<br />

des Jeunesses patriotes, 1937, 218 p.<br />

PANNETON, Jean, Ringuet, Montréal, Fides, 1970, coll. "Ecrivains canadiens<br />

d'aujourd'hui", 190 p.<br />

ROBY, Yves, Les Québécois et les investissements américains (1918-1929),<br />

<strong>Québec</strong>, P.U.L., 1976, 250 p.<br />

ROUSSEAU, Guildo, L'image des Etats-Unis dans la littérature québécoise<br />

(1775-1930), Sherbrooke, Editions Naaman, 1981, 356 p.<br />

- Jean-Charles Harvey et son oeuvre romanesque, Montréal, Centre é<strong>du</strong>catif<br />

et culturel, 1969, 198 p.<br />

ROY, Mgr Camille, Manuel d'histoire de la littérature canadienne de<br />

langue française, 16 e édition, Montréal, Beauchemin, 1952, 201 p.<br />

- "La nationalisation de la littérature canadienne" dans Essais sur la<br />

littérature canadienne, Montréal, Beauchemin, 1909, p. 215-232.<br />

RUMILLY, Robert, Henri Bourassa, Montréal, Editions Chanteclerc, 1953,<br />

792 p.<br />

311


- Histoire de la province de <strong>Québec</strong>, Montréal, Fides, 1959, vol. 31<br />

(1929-1930).<br />

TESSIER, Albert, Ceux gui firent notre pays, Montréal, Editions <strong>du</strong><br />

Zodiaque, 1936, 207 p.<br />

- Pèlerinages dans le passé, Montréal, Fides, [1942], 212 p.<br />

TRUDEL, Marcel, Champlain, Montréal, Fides, 2 e édition, 1968, coll.<br />

"Classiques canadiens", nO 5, 96 p.<br />

VALDOMBRE (Claude-Henri Grignon), "Notre culture sera paysanne ou ne sera<br />

pas", L'Action Nationale, vol. XVII, juin 1941, p. 583-593.<br />

VINCENTHIER, Georges, Histoire des idées au <strong>Québec</strong> de 1837 <strong>à</strong> 1980,<br />

Montréal, VLB Editeur, 1983, 468 p.<br />

WEINMANN, Heinz, Du Canada au <strong>Québec</strong>: généalogie d'une histoire, Montréal,<br />

L'Hexagone, 1987, 477 p.<br />

III - LES ETUDES SUR LA MAURICIE<br />

BLANCHARD, Raoul, La Mauricie, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Bien Public,<br />

1950, 159 p.<br />

BORDEAUX, Henry, Nouvelle et vieille France, Paris, Plon, 1934, 246 p.<br />

BOUCHARD, René, Filmographie d'Albert Tessier, Montréal, Boréal Express,<br />

1973, 179 p.<br />

Cahiers de géographie <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, Numéro spécial sur la région Mauricie­<br />

Bois-Francs, vol. 26, nO 67, avril 1982, 175 p.<br />

CLOUTIER, Mgr<br />

culaires, vol.<br />

1935, 700 p.<br />

312<br />

François-Xavier, Mandements. Lettres pastorales et Cir­<br />

V, 1923-1934, <strong>Trois</strong>-Rivières, Imprimerie Saint-Joseph,<br />

DESBIENS, Lucien, Au coeur de la Mauricie (La Tugue), <strong>Trois</strong>-Rivières, Ed.<br />

<strong>du</strong> Bien Public, 1933, 61 p., coll. "Pages trifluviennes", Série A, nO 8.<br />

DURAND, Louis-Delavoie,<br />

Rivières, Editions <strong>du</strong><br />

régionale".<br />

Laborieux. diligents. débrouillards, <strong>Trois</strong>­<br />

Bien Public, 1959, 355 p., coll. "L' histoire


- Paresseux. ignorants. arriérés, <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

Public, 1955, 272 p., coll. "L'histoire régionale".<br />

313<br />

Editions <strong>du</strong> Bien<br />

FOLEY, Dr A.R., Etude sur la situation sanitaire de la cité des <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières, Département <strong>du</strong> secrétariat de la province de <strong>Québec</strong>, mai 1936.<br />

GAMELIN, Alain, René HARDY, Jean ROY, Normand SEGUIN et Guy TOUPIN,<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières illustrée, <strong>Trois</strong>-Rivières, Corporation des fêtes <strong>du</strong> trois<br />

cent cinquantième anniversaire de <strong>Trois</strong>-Rivières, 1984, 227 p.<br />

HAMELIN, abbé Eddie, In Memoriam: l'abbé Joseph-G. Gélinas, <strong>Québec</strong>,<br />

L'Action sociale, 1927, 16 p.<br />

HARDY, René et Normand SEGUIN, Forêt et société en Mauricie, Montréal,<br />

Boréal Express et Musée national de l'homme, 1984, 222 p.<br />

LAFRENIERE, Suzanne, MoÏsette Olier femme de lettres de la Mauricie,<br />

Hull, Editions Asticou, 1980, 223 p.<br />

LANDRY, Armour, Bribes d'histoire, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Bien<br />

Public, 1932, 72 p., coll. "Pages trifluviennes", Série A, nO 1.<br />

LANTHIER, Pierre, "Stratégie in<strong>du</strong>strielle et développement régional: le<br />

cas de la Mauricie <strong>du</strong> xx e siècle", RHAF vol. 37, nO l, juin 1983, p. 3-<br />

19.<br />

LEVESQUE, Eugénie, Rétrospective Albert Tessier, EOQ, 1977, 63 p.<br />

PANNETON, chanoine Georges et abbé Antonio MAGNAN, Le diocèse de <strong>Trois</strong>­<br />

Rivières 1852-1952, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1953, 381 p.<br />

ROUSSEAU, Guildo, "La Mauricie et ses romanciers", Revue d'histoire<br />

littéraire <strong>du</strong> <strong>Québec</strong> et <strong>du</strong> Canada français, 3 (1981-1982), p. 47-62.<br />

RUMILLY, Robert, Maurice Duplessis et son temps, Montréal, Fides, 1976, 2<br />

tomes.<br />

TANGHE, Raymond, Itinéraire canadien, Montréal, B.D. Simpson, 1945,<br />

252 p.<br />

TESSIER, Albert, Souvenirs en vrac, Montréal, Boréal Express, 1975 ,<br />

269 p.<br />

- <strong>Trois</strong>-Rivières 1535-1935, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions Le Nouvelliste,<br />

1935, 199 p.<br />

THERIAULT, Yvon, Cheminement, <strong>Trois</strong>-Rivières, Editions de la Fleur de<br />

Mai, 1965, 49 p.


- Notes historiques sur le sYndicalisme catholique <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

Texte dactylographié, 50 p., étude présentée <strong>à</strong> l'occasion des Semaines<br />

sociales <strong>du</strong> Canada tenues <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1960.<br />

TOURANGEAU, Rémi, 125 ans de théâtre au Séminaire de <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, CEDOLEQ, 1985, 180 p.<br />

- <strong>Trois</strong>-Rivières en liesse: Aperçu historique des fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire,<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières, CEDOLEQ, 1984, 208 p.<br />

TRUDEL, Marcel, Mémoires d'un autre siècle, Montréal, Boréal Express,<br />

1987, 313 p.<br />

VALLEE, Henri, Les journaux trifluviens de 1817 <strong>à</strong> 1933, <strong>Trois</strong>-Rivières,<br />

Editions <strong>du</strong> Bien Public, 1933, 89 p., coll. "Les pages trifluviennes",<br />

Série A, nO 6.<br />

IV - LES ETUDES SUR LE REGIONALISME<br />

BkILLARGEON, Pierre, Les médisances de Claude Perrin, Montréal, Editions<br />

Lucien Parizeau, 1945, 197 p.<br />

BERNARD, Harry, Le roman régionaliste aux Etats-Unis 1913-1940, Montréal,<br />

Fides, 1949, xiii + 387 p.<br />

BOISMENU, Gérard, Espace régional et nation, Montréal, Boréal Express,<br />

1983, 217 p.<br />

BOUCHARD, Gérard, "Anciens et nouveaux Québécois?lt, Questions de culture,<br />

nO 5, IQRC, p. 19-34.<br />

CHEVALLIER, Denis et Alain MOREL, ItIdentité culturelle et appartenance<br />

régionale", Terrain, 5, octobre 1985, p. 3-5.<br />

DAVAL, Roger, Histoire des idées en France, Paris, P.U.F., 6 e édition,<br />

1969, coll. ItQue sais-je?lt, nO 593, 128 p.<br />

DUGAS, Clermont, Un pays de distance et de dispersion, Sillery, P.U.Q.,<br />

1981, 221 p.<br />

- Les régions périphériques: Défi au développement <strong>du</strong> <strong>Québec</strong>, Sillery,<br />

P.U.Q., 253 p.<br />

- ItRégion et régionalisation au <strong>Québec</strong> depuis Raoul Blanchard lt , CGQ,<br />

vol. 30, nO 80, septembre 1986, p. 189-202.<br />

314


ANNEXE 1


45000<br />

40000<br />

35000<br />

30000<br />

25000<br />

20000<br />

15000<br />

10000<br />

5000<br />

45000<br />

40000<br />

35000<br />

30000<br />

25000<br />

20000<br />

15000<br />

10000<br />

5000<br />

0<br />

0<br />

1900<br />

1901<br />

1905<br />

Figure 4.1<br />

LA POPULATION DE TROIS-RIVIERES<br />

ENTRE 1900 ET 1939<br />

SELON LE RECENSEMENT MUNICIPAL<br />

1910 1915 1920 1925 1930<br />

Figure 4.2<br />

LA POPULATION DE TROIS-RIVIERES<br />

ENTRE 1901 ET 1941<br />

SELON LES RECENSEMENTS DU CANADA<br />

1911 1921 1931<br />

1935 1939<br />

1941


FIGURE 7: Le discours régionaliste de Tessier<br />

Résultats de l'analyse fréquentielle des mots-pivots et des<br />

mots-annexes<br />

Thème 1 - Le nationalisme<br />

Occurrences<br />

Mot-pivot /Nationalisme/ 1 1<br />

Mot-annexe 2<br />

/puissance nationa1e/ 1<br />

/devoir national/ 1<br />

/é<strong>du</strong>cat i on nat i ona 1 e/ 2<br />

/vie nationale/ 1<br />

/réveil nat iona 1/ 1<br />

Thème 2 - Le patriotisme<br />

Mot-pivot /patriotisme/<br />

Mot-annexe<br />

faction patriotique/<br />

/amour de la patrie/<br />

Mot-pivot /la patrie/<br />

Mot-annexe /la terre de nos pères/<br />

Mot-dérivé /simi1i-patriotisme/<br />

1. Y compris la substitution pronominale /i1/.<br />

2. Equivalent périphrasique.<br />

Total: (7) occurrences<br />

6<br />

1<br />

4<br />

6<br />

1<br />

1<br />

Tota 1 : 19 occurrences


Thème 3 - Le régionalisme proprement dit<br />

Mot-pivot /régionalisme/ 403<br />

Mot-annexe<br />

/amour de la petite patrie/ 12<br />

/culte de la petite patrie/ 2<br />

/réveil régional/ 1<br />

/réveil régional iste/ 1<br />

/réveil d'âme collectif/ 1<br />

/fierté régiona le/ 2<br />

/fierté locale/ 1<br />

/fierté provença lei 1<br />

/esprit régional/ 2<br />

/menta 1 i té rég i ona 1 e/ 1<br />

/menta 1 i té rég i ona 1 i ste/ 1<br />

/ferveur régional i ste/ 2<br />

/oeuvre régionaliste/ 1<br />

/effort régional isant/ 1<br />

/développement régional/ 1<br />

/mouvement régionaliste/ 2<br />

/formule régionaliste/ 1<br />

/é<strong>du</strong>cation régionale/ 1<br />

/é<strong>du</strong>cation régionaliste/ 1<br />

/propagande régionaliste/ 1<br />

/unité régionale/ 1<br />

Mot-pivot /régionalisme trifluvien/ 1<br />

Mot-annexe<br />

/esprit trifluvien/ 2<br />

/réveil trifluvien/ 1<br />

Mot-pivot /régionalisme mauricien/ 3<br />

318<br />

Total: 84 occurrences<br />

3. 26 affirmations positives (le régionalisme est ... ), 13 affirmations<br />

négatives (le régionalisme n'est pas ... ) et une négation directe (ce<br />

n'est pas <strong>du</strong> régionalisme).


Thème 4: Le spirituel<br />

Sous-thème: La primauté <strong>du</strong> spirituel sur le matériel<br />

Sous-thème: L'âme<br />

Mot-pivot /spiritue1/ 5<br />

Mot-pivot /âme/ 23<br />

Mot-annexe<br />

/richesse intérieure/ 1<br />

/vie intérieure/ 1<br />

/sentiment/ 3<br />

Sous-thème: Dieu, l'amour et la joie<br />

Sous-thème: La morale<br />

Mot-pivot /Dieu/ 6<br />

Mot-annexe /Providence/ 2<br />

Mot-pivot /amour/ 6<br />

Mot-annexe /aimer/ 6<br />

Mot-annexe /joie/ 2<br />

Mot-annexe /beauté/ 2<br />

Mot-annexe /vie/ 5<br />

Mot-pivot /devoir/<br />

Mot-annexe<br />

/ob1igation stricte/<br />

/exigence/<br />

/défense/<br />

Enoncés prescriptifs tels:<br />

"il faut que", "nous devons" 18<br />

319<br />

Total: 28 occurrences<br />

Total: 29 occurrences<br />

4<br />

3<br />

1<br />

1<br />

Total: 27 occurrences


Thème 5: Le matériel<br />

Mot-pivot /observer/ 7<br />

Mot-annexe<br />

/voir/ 6<br />

/regarder/ 5<br />

/découvrir le visage/ 2<br />

/percevoir la beauté/ 2<br />

/saisir par les sens/ 1<br />

320<br />

Total: 23 occurrences


Chronologie des événements<br />

Naissance de Joseph-Gérin<br />

Gé1inas<br />

Naissance de Louis-Delavoie<br />

Durand<br />

Naissance d'Albert Tessier<br />

Décès de Mgr Laflèche<br />

Gé1inas est nommé titulaire<br />

de la chaire de rhétorique<br />

au Séminaire<br />

Naissance de Raymond Douville<br />

Début de la grande<br />

in<strong>du</strong>strialisation <strong>à</strong><br />

<strong>Trois</strong>-Rivières<br />

Fondation <strong>du</strong> Bien Public<br />

Naissance d'Hervé Biron<br />

Naissance de Clément Marchand<br />

Tessier est dans la classe<br />

de Gélinas. Naissance de sa<br />

vocation de régionaliste<br />

ANNEXE II<br />

LE REGIONALISME EN MAURICIE<br />

Février 1874<br />

Décembre 1888<br />

Mai 1891<br />

Mars 1895<br />

Juillet 1898<br />

1903<br />

1904<br />

Décembre 1905<br />

1906<br />

1907<br />

1909<br />

Mai 1910<br />

Septembre 1912<br />

1912-1913<br />

Encyclique Rerum<br />

Novarum<br />

Conférence de Camille<br />

Roy sur la nationalisation<br />

de la<br />

littérature canadienne<br />

Agé de 76 ans, Frédéric<br />

Mistral publie ses<br />

Mémoires


Premier article de Tessier<br />

dans le Bien Public<br />

Gé1inas nommé préfet des<br />

études au Séminaire<br />

Octobre 1913<br />

1916<br />

1917<br />

Durand fonde L'Eveil et 1918<br />

diffuse des textes de Maurras<br />

Fondation <strong>du</strong> Nouvelliste<br />

Tessier <strong>à</strong> Rome<br />

Théodore Botrel accueilli<br />

<strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

Tessier <strong>à</strong> Paris, brève<br />

entrevue avec Maurras<br />

Tessier <strong>à</strong> Maillane chez la<br />

veuve de Mistral<br />

Tessier succède <strong>à</strong> Gélinas<br />

comme titulaire de rhétorique<br />

Début de la chronique<br />

d'histoire dans le<br />

Bien Public<br />

Fondation de la Société<br />

d'histoire régionale<br />

1920<br />

Octobre 1921juin<br />

1923<br />

Janvier 1922<br />

Octobre 1922<br />

1922-1931<br />

Octobre 1923aoOt<br />

1924<br />

AoOt 1924<br />

Septembre 1924<br />

Octobre 1925<br />

Mai 1926<br />

Novembre 1926<br />

322<br />

Crise de la<br />

conscription La motion<br />

Francoeur<br />

Lionel Grou1x prend la<br />

direction de L'Action<br />

francaise (Montréal)<br />

La marche sur Rome des<br />

chemises noires de<br />

Mussolini<br />

Henri Pourrat publie<br />

les quatre volumes de<br />

Gaspard des Montagnes<br />

Henri Bourassa est<br />

reçu en audience<br />

privée par Pie XI


Décès de Gélinas. Tessier<br />

lui succède comme préfet<br />

des études, il conserve la<br />

chaire de rhétorique<br />

Pèlerinage historique aux<br />

Forges de Saint-Maurice.<br />

Discours de Lionel Groulx<br />

Parution <strong>du</strong> premier Cahier<br />

historique<br />

Tessier prononce une<br />

conférence sur Mussolini<br />

Marchand est dans la<br />

classe de Tessier<br />

Décembre 1926<br />

Janvier 1927<br />

Juin 1927<br />

Juin 1928<br />

1929<br />

Licenciements et fermetures 1930<br />

d'usines <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

Marchand débute la rédaction<br />

des Soirs rouges<br />

Tessier prononce des<br />

conférences sur Mistral<br />

1931<br />

Tessier prononce des 1932<br />

conférences sur le<br />

régionalisme jusqu'en 1937<br />

Fondation <strong>du</strong> Comité Avril 1932<br />

provisoire des Fêtes <strong>du</strong><br />

tricentenaire<br />

Premier numéro de la Juillet 1932<br />

collection<br />

Pages trif1uviennes<br />

Campagne de Tessier contre Eté 1932<br />

l'emploi <strong>du</strong> nom "Three Rivers"<br />

323<br />

Condamnation de<br />

L'Action française<br />

(Paris) de Maurras par<br />

Pie XI<br />

Accords <strong>du</strong><br />

Latran entre Pie XI<br />

et Mussolini<br />

Krach de la Bourse de<br />

New York en octobre<br />

Encyclique<br />

Quadragesimo anno en<br />

mai


Mémoire de Durand présenté au<br />

Gouvernement provincial en<br />

avril<br />

Parution d'Au coeur de la<br />

Mauricie en juin<br />

Lettre de Tessier <strong>à</strong> Duplessis le<br />

le 23 juin <strong>à</strong> propos <strong>du</strong><br />

Tricentenaire<br />

Le Bien Public passe aux mains<br />

de Marchand et Douville en<br />

septembre<br />

Séance publique de l'Académie<br />

Saint Thomas-d'Aquin au Séminaire<br />

Saint-Joseph en décembre<br />

Polémique dans les journaux<br />

<strong>à</strong> propos <strong>du</strong> terme "La<br />

Mauricie"<br />

Fondation de la Société Le<br />

Flambeau au printemps<br />

Les Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire<br />

de juin <strong>à</strong> aoOt<br />

Inauguration <strong>du</strong> monument<br />

Le Flambeau en aoOt<br />

(J.-C. Harvey)<br />

Visite de la délégation<br />

française en aoOt<br />

1933<br />

Décembre<br />

1933<br />

février<br />

1934<br />

1934<br />

324<br />

Manifeste des<br />

Jeune-Canada<br />

d'André Laurendeau en<br />

février<br />

Duplessis est<br />

élu chef <strong>du</strong> Parti<br />

conservateur en<br />

novembre<br />

Le Programme de<br />

Restauration sociale<br />

La Relève<br />

(Montréal) et Vivre<br />

(<strong>Québec</strong>)<br />

Condamnation<br />

des Demi-civilisés<br />

par le cardinal Villeneuve<br />

Fondation de<br />

l'Action Libérale<br />

Nationale par Paul<br />

Gouin


Premier numéro <strong>du</strong> Flambeau<br />

en janvier<br />

Tessier fait paraltre<br />

<strong>Trois</strong>-Rivières 1535-1935<br />

Durand est défait aux<br />

élections fédérales<br />

Dernier numéro <strong>du</strong> Flambeau<br />

Premier numéro <strong>du</strong> Mauricien<br />

en mars<br />

Polémique dans les journaux<br />

consécutive aux positions<br />

de Bourassa<br />

Durand perd les élections<br />

municipales<br />

1935<br />

1936<br />

1937<br />

325<br />

<strong>Trois</strong> discours<br />

d'Henri Bourassa<br />

contre le nationalisme<br />

canadien-français en<br />

avril et mai<br />

01 i var Asse 1 in<br />

est contraint de<br />

cesser la parution de<br />

L'Ordre en mai<br />

Fondation de<br />

l'Union nationale en<br />

novembre. Les libéraux<br />

de Taschereau<br />

sont réélus de justesse.<br />

Duplessis est élu en<br />

janvier premier ministre<br />

de la Province en<br />

aoOt<br />

Campagne contre<br />

l'utilisation de<br />

"Three Rivers" par le<br />

"Bell Telephone"<br />

Discours d'Henri<br />

Bourassa contre la<br />

Laurentie et la<br />

Mauricie<br />

Duplessis applique la<br />

"Loi <strong>du</strong> Cadenas" en<br />

avri 1


Tessier laisse le préfectorat<br />

et la chaire de rhétorique<br />

pour le poste de visiteur<br />

des Ecoles ménagères<br />

Raymond Douville publie<br />

Aaron Hart<br />

Le Mauricien devient<br />

Horizons en mars<br />

Horizons fusionne avec<br />

Paysana en novembre<br />

Alphonse Piché rédige Les<br />

Ballades de la petite extrace<br />

Tessier se consacre aux<br />

Ecoles ménagères, fait de<br />

la photo et <strong>du</strong> film (TAVI),<br />

prononce des conférences<br />

sur l'Histoire <strong>à</strong> la radio<br />

1938<br />

1939<br />

1937-1965<br />

Mussolini<br />

s'aligne avec<br />

le Japon (pacte<br />

antikomitern) en<br />

novembre<br />

326<br />

Garneau fait para1tre<br />

Regards et jeux dans<br />

l'espace (1937)<br />

Le Canada<br />

déclare la guerre <strong>à</strong><br />

l'Allemagne en septembre<br />

Mort de Duplessis<br />

en septembre 1959<br />

La Révolution tranquille<br />

de 1960 <strong>à</strong> 1964


Raymond Douville quitte le<br />

Bien Public en 1959; Clément<br />

Marchand assume seul la<br />

direction<br />

Décès d'Hervé Biron en mai<br />

Décès de Tessier en septembre<br />

En décembre, dernier numéro<br />

<strong>du</strong> Bien Public<br />

1976<br />

1978<br />

327<br />

Le rapport Parent<br />

et 1 a réforme de<br />

l'enseignement.<br />

Fermeture des Ecoles<br />

ménagères et Instituts<br />

familiaux en 1965<br />

Création <strong>du</strong> Parc<br />

National de la Mauricie


[ ... ]<br />

ANNEXE III<br />

"Les taudis trif1uviens / Sous les toits percés"<br />

(Reportage)<br />

Dans <strong>Trois</strong>-Rivières, petite ville paresseuse au bonheur<br />

' nonchalant, qui, <strong>à</strong> première vue, paralt réf1éter une<br />

aisance généralisée, il y a des taudis, des mansardes<br />

insalubres et toutes espèces de galetas qui sont nids de<br />

la tuberculose, de la phtisie et de tous les maux moraux.<br />

[ ... ]<br />

le hasard m'a permis de pénétrer sous les toits percés,<br />

dans les taudis qui ont soif de soleil et faim d'aliments<br />

sains. Les tableaux qu'on y voit font mal. Car la vie<br />

des êtres miséreux est sans bruit. A force d'être<br />

sordide, - infiniment discrète, - elle rampe, se dissimule<br />

aux regards, car il reste dans les poitrines de<br />

ceux qui en sont les victimes des fiertés tenaces qui<br />

empêchent qu'on étale ce qui ne doit pas être vu par les<br />

riches. Il est bien vrai qu'il ne faut pas montrer la<br />

misère aux riches. Leur égoïsme naturel ne la soulagerait<br />

pas. Et le bonhjeur de quelques-uns pâlirait un<br />

peu pour avoir été mis en présence <strong>du</strong> malheur des autres.<br />

[. .. ]<br />

Plafond bas en crépi jauni, cloisons couvertes de<br />

calendriers salis, plancher vermoulu. Quelques meubles<br />

dévernis groupés autour d'une fournaise sur laquelle<br />

repose une soupière enfumée. Sur la table un quart de<br />

pain entamé et un plat de mauvaise sauce. Quatre mioches<br />

demi-nus dans les jupes d'une petite femme pâlotte qui<br />

est leur mère. Et, les pieds nus, affalé sur un canapé<br />

dévêtu qui geint aux moindres mouvements, le père, les<br />

yeux bridés d'ennui, la pipe aux lèvres, en débraillé.<br />

Une ampoule électrique projette un éclairage brutal sur<br />

ce tableau empreint d'une misère résignée.<br />

Pas très rassurée, l'oeil inquiet, la petite mère nous<br />

indique une chaise qu'elle vient d'époussetter. Tandis<br />

que nous lui expliquons le motif de notre visite, son<br />

regard vif enveloppe ce décor familial dont les moindres<br />

détails décèlent une pauvreté intégrale. Indifférent <strong>à</strong><br />

notre venue, le mari n'a pas bougé. Ses gros yeux rouges<br />

suivent les cercles de fumée.


- M'sieu, excusez le désordre de l'appartement. Je n'ai<br />

pas beaucoup de santé et les petits, il faudrait être<br />

toujours en arrière d'eux pour les nettoyer.<br />

- Je comprends, madame ..•<br />

- Et avec un ameublement comme le nôtre, c'est impossible<br />

de donner <strong>du</strong> ton <strong>à</strong> un appartement. Quand mon mari a<br />

arrêté de travailler, il y a deux ans, nous avons da<br />

vendre les meubles pour payer notre loyer.<br />

- Savez-vous comment on paie ici pour quatre petites<br />

pièces grandes comme la main interrompt le mari qui s'est<br />

mis sur son séant? Dix piastres par mois. C'est honteux.<br />

C'est tout au plus bon pour héberger les chiens.<br />

Dans le jour, le soleil ne pénètre jamais. Il mouille<br />

dans la maison. Le vent est chez eux. Tenez, l'hiver<br />

dernier, on a brOlé, ici, une corde de bois franc par<br />

semaine. Batêche, j'étais bien mieux que ça dans mon<br />

fournil. C'est un nid <strong>à</strong> malade, <strong>à</strong> part ça. Y a pas de<br />

santé pour résister. Les petits ont toussé toute l'année.<br />

Ca va nous faire des petits tuberculeux.<br />

[. .. ]<br />

Clément Marchand, Le Bien Public, 25 octobre 1934, p. 1.<br />

329


ANNEXE IV<br />

GENEALOGIE DES ANCETRES LITTERAIRES ET<br />

THEOLOGIQUES DU REGIONALISME<br />

D'ALBERT TESSIER


La forêt<br />

L'eau<br />

Mistral<br />

Marie-Victorin<br />

Le Nonnand<br />

(1) Saint Thomas d'Aquin<br />

Saint François d'Assise<br />

Sainte Thérèse de Lisieux<br />

Généalogie des ancêtres littéraires et théologiques<br />

<strong>du</strong> régionalisme d'Albert Tessier<br />

Auteurs<br />

chrétiens (1)<br />

"<br />

"<br />

"<br />

" " \<br />

" \<br />

"<br />

"<br />

\<br />

" \<br />

"<br />

"<br />

Dieu<br />

L'Église<br />

Joseph<br />

Gélinas<br />

Albert<br />

Tessier<br />

/<br />

/<br />

/<br />

/<br />

Mgr Laflèche<br />

La patrie<br />

La région<br />

Mistral<br />

Lionel<br />

Groulx


ANNEXE V<br />

AUTRES THEMES DU DISCOURS SOCIAL DE TESSIER<br />

1. Le progrès matériel<br />

Arrivé <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières en 1910, Albert Tessier a connu le dévelop­<br />

pement soudain engendré par l'in<strong>du</strong>strialisation; il voit se dérouler<br />

devant lui la croissance rapide <strong>du</strong> quartier ouvrier juste derrière le<br />

Séminaire Saint-Joseph.<br />

Dès 1927, en pleine euphorie de prospérité, il s'inquiète de ce<br />

qu'il appelle "l'in<strong>du</strong>strialisme <strong>à</strong> outrance" <strong>à</strong> cause de la mentalité<br />

américaine amenée par les "omnipotents capitalistes et in<strong>du</strong>striels qui<br />

viennent avec leurs assistants et sous-assistants [sic] vivre chez nous<br />

et y imposer leurs façons de vivre et de penser" (1.2). Dans un texte de<br />

1928, il rappelle aux "Trifluviens affairés et prospères d'aujourd'hui"<br />

que le progrès actuel a été ren<strong>du</strong> possible par le labeur des ancêtres"<br />

(1.3). Après avoir énuméré les statistiques sur l'expansion in<strong>du</strong>strielle<br />

et démographique de la région, Tessier se demande s'il faut "se réjouir<br />

de cette brusque poussée en avant". Il ajoute: "Ce progrès matériel<br />

trop subit résistera-t-il aux coups <strong>du</strong> temps?" [ ... ] "il est bien<br />

difficile de ne pas entretenir d'appréhensions sur la solidité d'entre­<br />

prises développées avec une telle frénésie (1.18.1)".


2. La crise économique<br />

Commentant les effets désastreux de la crise économique, Albert<br />

Tessier pointe <strong>du</strong> doigt l'in<strong>du</strong>strialisation. Il affirme que "les lois de<br />

la vie normale s'accommodent mal de tels soubresauts (1.18.1). Alors,<br />

quelle est la cause profonde <strong>du</strong> désastre? Selon Tessier, la réponse <strong>à</strong><br />

cette question angoissante posée par les témoins (et souvent les vic-<br />

times) d'un bouleversement économique subit se trouve ailleurs que dans<br />

les considérations d'ordre matériel. "Un développement trop rapide a<br />

empêché de suivre le processus normal de la nature" (1.10) affirme-t-il<br />

en 1933. <strong>Trois</strong> ans plus tard, l'animateur précise: "La crise présente<br />

est beaucoup plus une crise d'âme et de caractère qu'une simple crise<br />

économique" (1.22) "la crise actuelle est née, pour une bonne part, [<strong>du</strong>]<br />

déséquilibre moral" causé par la difficulté <strong>à</strong> plier [ ..• l l'esprit au<br />

rythme tout de mesure et de sagesse de la nature" (1.23). Tessier écrit<br />

dans l'Action Nationale:<br />

Nous avons per<strong>du</strong> l'esprit d'audace, l'esprit d'aventure<br />

[ ... l Regrouper nos forces, les tendre vers un effort<br />

pénible, mais tonifiant et fécond, voil<strong>à</strong> le programme qui<br />

presse, qui presse beaucoup plus que toutes les entreprises<br />

de la reconquête matérielle. (1.30)<br />

Enfin, Tessier conclut que la reconstitution réaliste <strong>du</strong> passé<br />

permet "d'oublier nos conditions présentes et [ ... l notre état d'esprit<br />

d'homme <strong>du</strong> vingtième siècle". (1.38)<br />

3. L'urbanisation<br />

333


Albert Tessier est sensible <strong>à</strong> l'urbanisation accélérée et chaotique<br />

de l'agglomération trif1uvienne. Il s'indigne de la laideur des quar­<br />

tiers in<strong>du</strong>striels et de leurs habitations "au style banal [ ... ] les<br />

milliers de bo1tes carrées, sans personnalité, sans goQt, sans relief, si<br />

ce n'est une série d'escaliers en tire-bouchon, horriblement laids<br />

(1.8)", "des cubes de briques que les escaliers extérieurs font res­<br />

sembler <strong>à</strong> des cages <strong>à</strong> poules (1.8.1)", "bo'tes carrées construites en<br />

série" (1.10). Tessier préfère le charme des vieilles demeures tri­<br />

f1uviennes "maisons normandes, en bois pas très vieilles, mais qui<br />

rappellent un passé déj<strong>à</strong> bien différent de notre vie actuelle. De<br />

plaisantes images flottent autour de ces petites maisons vieillottes<br />

[ ..• ] Elles constituent un charme pour le promeneur" (1.8.1).<br />

4. Le tourisme<br />

Malgré la lutte qu'il mène contre les affiches unilingues anglaises<br />

qui se multipliaient le long des routes, Tessier n'est pas opposé aux<br />

activités touristiques. Après avoir souligné que "si nous étions capa­<br />

bles de regarder assez notre patrie pour la trouver belle, nous commen­<br />

cerions déj<strong>à</strong> <strong>à</strong> l'aimer"; il exhorte les Mauriciens <strong>à</strong> se mettre <strong>à</strong> l'oeuvre<br />

sans tarder "pour développer le tourisme: non pas seulement le tourisme<br />

étranger, mais aussi le tourisme intérieur."<br />

5. Les problèmes sociaux<br />

En 1928 Tessier écrit dans Le Bien Public que "<strong>Trois</strong>-Rivières<br />

conna't une activité fébrile qui n'est pas sans étonner et même troubler<br />

334


un peu une population habituée <strong>à</strong> une vie plus calme et plus mesurée<br />

(1.3)". Visant spécifiquement les problèmes rencontrés par la société<br />

trif1uvienne depuis 1910, il admet Qu'''i1 était difficile <strong>à</strong> tant de<br />

nouveaux venus, arrivant par milliers d'un peu partout, de s'adapter<br />

rapidement <strong>à</strong> l'atmosphère spéciale de leur petite patrie d'adoption et de<br />

constituer un bloc humain homogène, inspiré <strong>du</strong> même esprit, préoccupé des<br />

mêmes problèmes".<br />

6. La personnalité<br />

Le propagandiste <strong>du</strong> régionalisme mauricien a insisté <strong>à</strong> plusieurs<br />

reprises sur l'importance de la formation de la personnalité chez l'in-<br />

divi<strong>du</strong>. Devant un groupe d'enseignants, Tessier cite Mistral:<br />

Si vous me faites sentir Que je suis une personnalité et<br />

Qu'en cette personnalité est résumée toute la vie collective<br />

d'un groupe, je m'attacherai <strong>à</strong> ma cité et, m'y<br />

attachant, je comprendrai Que les autres aiment la leur<br />

comme j'aime la mienne. (1.8)<br />

S'adressant aux élèves <strong>du</strong> Collège séraphique <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières, il<br />

ajoute Que le "régionalisme vivant [ •.. ] est basé sur le perfectionnement<br />

de soi-même (1.8.1)". Il conclut son exposé par ces phrases: "La<br />

meilleure forme d'action nationale, pour vous jeunes de vingt ans, est<br />

d'enrichir votre personnalité, de travailler <strong>à</strong> l'exploitation méthodique<br />

des richesses Qui dorment en vous". "Cet épanouissement de la person-<br />

na1ité atteindra son entier déploiement s'il se pro<strong>du</strong>it en harmonie avec<br />

le milieu dont chaque indivi<strong>du</strong> dépend" écrit Tessier dans Le Bien Public<br />

(1.14). Rattachant cette idée <strong>à</strong> son thème favori, l'apôtre de la Maur;-<br />

335


cie précise que "le régionalisme envisagé sous cet angle [ ... ] appara1t<br />

en plus comme une saine formule de développement et de culture person-<br />

ne 11 e" (1. 31) .<br />

7. La jeunesse<br />

L'enseignement et le préfectorat avaient contribué <strong>à</strong> mettre Tessier<br />

en contact avec les jeunes et aussi avec leurs professeurs. Le régiona­<br />

lisme lui apparalt une formule propre <strong>à</strong> inspirer les maltres comme les<br />

élèves. S'adressant <strong>à</strong> des instituteurs, il déclare que "notre enseigne­<br />

ment doit s'inspirer de cette préoccupation primordiale: attacher les<br />

enfants <strong>à</strong> leur ville, <strong>à</strong> leur région" par "l'éveil, la formation et le<br />

maintien d'un sain régionalisme (1.8)". Tessier exprime son enthousiasme<br />

envers le Manifeste des Jeune-Canada aux étudiants <strong>du</strong> Collège séraphique<br />

(1.8.1). Tessier souligne <strong>à</strong> plusieurs occasions le fait que, selon le<br />

recensement de 1931, 46% de la population trifluvienne avait moins de 20<br />

ans. Selon nous, ce pourcentage exceptionnel peut s'expliquer par l'ar­<br />

rivée massive, <strong>à</strong> partir de 1910, de jeunes a<strong>du</strong>ltes qui vinrent travailler<br />

aux nouvelles usines et fondèrent des familles, et non par un taux<br />

familial de natalité exceptionnel. Dans <strong>Trois</strong>-Rivières 1535-1935, il<br />

écrit "il y a l<strong>à</strong> des ressources formidables, pour le bien comme pour le<br />

mal, selon le soin ou la négligence qu'on apportera <strong>à</strong> former cette<br />

jeunesse" (p. 187). A l'Heure provinciale, citant les mêmes chiffres,<br />

l'apôtre <strong>du</strong> régionalisme parle <strong>du</strong> "capital-jeunesse" et des divers<br />

groupements de jeunes qui ont pris naissance <strong>à</strong> <strong>Trois</strong>-Rivières dans les<br />

336


années trente tels la J.E.C., le scoutisme, la J.O.C., le Jeune-Commerce<br />

et Le F1 ambeau. (1. 21)<br />

8. La race<br />

Le terme "race" était très répan<strong>du</strong> dans les années trente pour<br />

désigner des collectivités tels les Canadiens français. On le retrouve<br />

fréquemment chez les nationalistes comme chez Lionel Groulx. Tessier en<br />

fait rarement usage même s'il évoque fréquemment la spécificité des<br />

Canadiens français.<br />

Selon lui, "l'attachement indéracinable <strong>à</strong> la civilisation catholique<br />

et française [ ... ] seul pourra [nous] maintenir au rang auquel [notre]<br />

race a droit en terre canadienne" (1.2). Il déplore le goOt que "nos<br />

caractéristiques ethniques et les particularités de notre civilisation,<br />

déj<strong>à</strong> fort émoussées par l'influence et le voisinage de nos compatriotes<br />

saxons, sont mises aujourd'hui en extrême péril par l'invasion insidieuse<br />

et multiforme de l'américanisme". Tessier insiste sur "la conservation<br />

<strong>du</strong> type français traditionnel, avec ses caractéristiques attachantes de<br />

foi vécue simplement et pleinement, de jovialité cordiale, de serviabili­<br />

té, de droiture, de franchise, d'honnêteté et de générosité". Finale­<br />

ment, dans une lettre <strong>à</strong> 01ivar Asselin, il vante la "ténacité nordique"<br />

des Trif1uviens, fils de Percherons et de Normands (1.9).<br />

9. L'Etat<br />

Plusieurs milieux canadiens-français entretenaient une méfiance vis­<br />

<strong>à</strong>-vis le système parlementaire, d'origine britannique, et cultivaient un<br />

337


certain mépris envers les "politiciens". Par exemple, cette tendance est<br />

perceptible aussi bien dans les écrits de la génération de Lionel Grou1x<br />

que dans celle de La Relève. La seule allusion <strong>à</strong> de semblables propos<br />

relevée chez Tessier, est celle où ce dernier remarque que "les remous<br />

pré-électoraux nous révèlent que le vieil homme n'est pas mort partout"<br />

(1.21).<br />

D'autre part, Tessier s'épanche longuement sur la mission de l'Etat<br />

idéal, ébauchant une véritable utopie dans l'article qu'il livre aux<br />

lecteurs de l'Action Nationale en 1937. Il écrit: "la mission de l'Etat<br />

est d'aider les indivi<strong>du</strong>s vivant en collectivité <strong>à</strong> remplir facilement et<br />

pleinement leur rôle d'homme dans un pays donné" (1.30). Tout ce que<br />

l'Etat entreprend doit aider l'épanouissement de la personnalité et,<br />

d'ajouter Tessier, "l'oeuvre colossale réalisée par le Duce [Mussolini]<br />

en Italie l'importance <strong>du</strong> facteur humain garde partout sa prépondérance"<br />

[ ... ] Son grand oeuvre est la rénovation même <strong>du</strong> peuple italien" (p.<br />

130). Les gouvernants <strong>du</strong> Canada français doivent se rappeler que "le<br />

rôle de l'Etat est de direction spirituelle". Plus concrètement, il<br />

propose la création d'une Commission d'é<strong>du</strong>cation nationale sur le modèle<br />

de la Commission des eaux courantes. L'apôtre <strong>du</strong> régionalisme explique<br />

que<br />

cette commission recevrait de l'Etat tout l'appui financier<br />

requis pour mener largement une vaste campagne d'é<strong>du</strong>cation<br />

nationale par la presse, la radio, le cinéma, les musées,<br />

les monuments historiques etc ... Une campagne méthodique,<br />

attirante, tenace, qui atteindrait la masse et lui façonnerait<br />

petit <strong>à</strong> petit une mentalité plus ouverte, plus<br />

éveillée, plus consciente.<br />

338


Tessier voit dans cet organisme politique chargé de "revigorer et [ ... ]<br />

retremper l'âme canadienne-française, le moyen le plus direct d'éveiller<br />

l'amour de la Patrie".<br />

339


ANNEXE VI<br />

SECTION 3 - SYNTHESE DU DISCOURS REGIONALISTE<br />

La synthèse comprend le résumé schématique des propos de chacun des<br />

émetteurs <strong>du</strong> discours régionaliste ainsi que leur comparaison afin de<br />

dégager l'essentiel de la doctrine <strong>du</strong> régionalisme mauricien et de la<br />

situer dans les discours sociaux contemporains.<br />

3.1 SYNTHESE DU DISCOURS SOCIAL ET DES REALISATIONS DES DEFINISSEURS DU<br />

REGIONALISME MAURICIEN<br />

JOSEPH-G. GELINAS<br />

1- Associe l'amour de la Patrie <strong>à</strong> l'amour de l'Eglise.<br />

2- Valorise:<br />

- le culte de la petite patrie et des héros de l'histoire locale,<br />

- un idéal ascétique,<br />

- une morale puritaine et rigoriste,<br />

- l'é<strong>du</strong>cation comme moyen de transmettre les valeurs,<br />

- la vie rurale.<br />

3- Appuie intégralement le discours de Mgr Laf1èche.<br />

4- Ne parle jamais:<br />

- de la Nature et de l'environnement,<br />

de la réalité sociale,<br />

de la sphère économique.<br />

Gé1inas a tra<strong>du</strong>it dans les faits cette conception <strong>du</strong> monde par:<br />

- ses écrits historiques,<br />

- sa pédagogie de l'enseignement de l'histoire,<br />

- son implication dans des manifestations patriotiques.


ALBERT TESSIER<br />

1- Associe le régionalisme au patriotisme défini selon la Somme théologique<br />

de saint Thomas d'Aquin.<br />

2- Valorise:<br />

- l'amour de la petite patrie,<br />

l'étude de l'histoire locale,<br />

l'observation de l'environnement<br />

l'attachement <strong>à</strong> la tradition française,<br />

la vie rurale,<br />

la fierté régionale,<br />

les moyens modernes de diffusion - radio, cinéma, photographie,<br />

une pédagogie axée sur la réalité concrète,<br />

l'épanouissement de la personnalité chrétienne.<br />

3- Appuie:<br />

- le relèvement moral <strong>à</strong> la façon de Mussolini,<br />

le développement <strong>du</strong> tourisme,<br />

les efforts de la jeune génération vers un idéal,<br />

l'action de l'Etat dans une campagne d'é<strong>du</strong>cation nationale.<br />

4- Se méfie:<br />

- de l'in<strong>du</strong>strialisation,<br />

- de l'urbanisation,<br />

- <strong>du</strong> progrès "matérialiste",<br />

5- Dénonce:<br />

- l'américanisation,<br />

la laideur des habitations ouvrières,<br />

la crise économique, conséquence de bouleversements trop rapides<br />

et non naturels.<br />

6- Evite:<br />

- d'employer le terme nationalisme,<br />

- de parler <strong>du</strong> socialisme, <strong>du</strong> communisme, de l'influence des<br />

Juifs,<br />

- de s'impliquer dans les débats sur le corporatisme, le séparatisme<br />

et le personnalisme.<br />

Tessier s'engage dans une action sociale multiforme:<br />

- Fondation de la Société d'histoire régionale,<br />

- Direction de la collection des Pages trif1uviennes,<br />

- Sauvetage <strong>du</strong> Bien Public,<br />

- Discours, causeries radiophoniques, films ethnographiques,<br />

341


albums de photos et ouvrages de vulgarisation historique diffusant<br />

l'idéal régionaliste,<br />

- Luttes pour la refrancisation (contre les affiches rédigées en<br />

anglais et l'utilisation <strong>du</strong> terme "Three Rivers"),<br />

- Adoption <strong>du</strong> terme "Mauricie",<br />

- Diffusion de la littérature régionale,<br />

- Organisation des Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire.<br />

LOUIS-O. DURAND<br />

1- Associe le régionalisme au nationalisme d'inspiration française<br />

(Charles Maurras et Maurice Barrès).<br />

2- Valorise:<br />

- l'amour de la petite patrie,<br />

la fierté collective et indivi<strong>du</strong>elle,<br />

le développement économique,<br />

la bourgeoisie,<br />

les relations intrarégionales (entre la rive nord et la rive<br />

sud) ,<br />

l'importance des voies de communication pour le tourisme,<br />

les manifestations historiques.<br />

3- Dénonce:<br />

l'in<strong>du</strong>strialisation <strong>à</strong> outrance,<br />

- l'américanisation.<br />

4- Ne parle presque pas:<br />

- de la littérature régionale,<br />

- de la primauté <strong>du</strong> spirituel,<br />

- <strong>du</strong> sentiment religieux.<br />

Durand s'implique socialement par:<br />

- l'organisation des Fêtes <strong>du</strong> tricentenaire,<br />

- trois campagnes électorales,<br />

- la direction de deux journaux,<br />

- des allocutions <strong>à</strong> la radio ou devant des auditoires divers.<br />

342


ANNEXE VII<br />

TEMOIGNAGES SUR LE REGIONALISME MAURICIEN DES ANNEES TRENTE<br />

1- Les Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire<br />

Les témoignages présentés ici sont tirés des entrevues accordées<br />

pour la rédaction de <strong>Trois</strong>-Rivières en liesse. Nous avons transcrit les<br />

passages les plus significatifs des réponses <strong>à</strong> la question: "Qu'est-ce<br />

que le Tricentenaire a apporté <strong>à</strong> la ville de <strong>Trois</strong>-Rivières?"<br />

Cela a créé sans doute chez la population un esprit de<br />

travail [ ... ] Ces Fêtes vécues intensément ont donné un<br />

élan, un esprit d'initiative chez les jeunes et les moins<br />

jeunes. De plus nous étions constamment stimulés par des<br />

éveilleurs de conscience tels l'abbé Tessier ou l'avocat<br />

Durand. tout cela devait avoir une suite.<br />

Sans doute un amour de la petite Patrie.<br />

Georges Beaumier, 31 mai 1982<br />

Eudore Bellemare, 10 novembre 1982<br />

Les Fêtes ont apporté un esprit d'entraide merveilleux.<br />

( ..• ] A cette époque j'avais déj<strong>à</strong> l'impression que nous<br />

étions très fiers d'être Trifluviens. <strong>Trois</strong>-Rivières se<br />

prenait pour un second Paris!<br />

Henri Beaulac, 21 mai 1982


Un éveil dans l'esprit des gens sur la signification <strong>du</strong><br />

passé de <strong>Trois</strong>-Rivières [ ..• ] Il est resté aussi un<br />

esprit d'appartenance, de cohésion et d'entraide caractéristique<br />

de la région.<br />

Armour Landry, 11 juin 1982<br />

Elles ont contribué <strong>à</strong> un réveil d'action sociale qui a eu<br />

ses prolongements plusieurs années après.<br />

Arthur Rousseau, 4 juin 1983<br />

Par les initiatives de cet historien (Albert Tessier),<br />

les Trif1uviens ont appris l'histoire de leur ville. Les<br />

Fêtes ont aussi jeté un éclairage particulier sur la vie<br />

artistique de la région.<br />

Raymond Douville, 15 juin 1982<br />

Toutes les Fêtes se sont déroulées comme si nous avions<br />

vécu dans un monde nouveau.<br />

Germaine Lafrance, 31 mai 1982<br />

N'oubliez pas qu'en 1934, nous étions en pleine crise<br />

économique [ ... ] Imaginez la ville de <strong>Trois</strong>-Rivières, en<br />

plein milieu d'une crise, qui se réjouit de son passé;<br />

elle oublie son présent et se préoccupe peu de son avenir<br />

incertain pour se lancer corps et âme dans des Fêtes<br />

comme celles-l<strong>à</strong>.<br />

2- Le climat des années trente<br />

Général Jean-V. A11ard, 28 avril 1982<br />

Il y avait de la joie dans l'air, une joie irradiante,<br />

faite de fierté et d'amitié. Ceux qui ont vécu ces<br />

heures-l<strong>à</strong> ne les ont pas oubliées.<br />

Albert Tessier dans<br />

Souvenirs en vrac, p. 167<br />

344


A l'occasion <strong>du</strong> décès de l'apôtre de la Mauricie en 1976, Clément Mar-<br />

chand écrit:<br />

Chez nous, dans notre ville ancienne toute pétrie d'histoire,<br />

nous avons vécu pendant deux siècles une existence<br />

paisible, presque léthargique, et soudain l'activité<br />

urbaine <strong>du</strong> gros bourg a connu le choc des techniques et<br />

la rumeur des machines [ ... ] le culte des pionniers<br />

allait céder <strong>à</strong> l'emprise d'un esprit de conquête matérielle<br />

[ ... ] <strong>Trois</strong>-Rivières, ville de l'ancienneté et de<br />

la tradition, se transformait en un fief de la grande<br />

in<strong>du</strong>strie, présentant par le fait même les symptômes<br />

d'une perte d'identité et d'un glissement vers un pragmatisme<br />

prolétarien. Il fallait lui redonner une âme.<br />

"La vie laborieuse de Mgr Tessier",<br />

Les cahiers des Dix, nO 41, 1976.<br />

Une chose m'impressionna fort et j'en conserve un souvenir<br />

précis. La chorale de l'abbé Turcotte, avec ses 700<br />

voix, se faisait entendre jusqu'aux extrémités de la<br />

ville; la masse sonore s'enflait ou s'amenuisait au gré<br />

<strong>du</strong> vent. Quelle force!<br />

Clément Marchand, 12 avril 1988,<br />

entrevue avec René Verrette.<br />

Du coup l'âme trifluvienne est transformée, allégée,<br />

enhardie [ ... ] La poésie a fait son oeuvre [ ... ] les<br />

choses elles-mêmes ont subi une métamorphose [ ..• ] c'est<br />

un ébranlement spirituel qui se généralise et gagne<br />

toutes les classes sociales en débordant les limites de<br />

la région [ ... ] Erection d'un Flambeau symbolisant la<br />

pensée française [ ... ]<br />

Louis-O. Durand, 23 novembre 1940, article dans Le<br />

Nouvelliste intitulé: "<strong>Trois</strong>-Rivières se penche sur son<br />

passé: Evocation des inoubliables Fêtes <strong>du</strong> Tricentenaire",<br />

p. 74.<br />

345


SERIE A:<br />

ANNEXE VIII<br />

CATALOGUE DE LA COLLECTION DES "PAGES TRIFLUVIENNES"<br />

Travaux documentaires - études économiques, monographies<br />

paroissiales et biographies.<br />

1 - LANDRY, Armour, Bribes d'histoire, 72 p. (1933).<br />

2 - BROUILLETTE, Benolt, Le développement in<strong>du</strong>striel de la vallée <strong>du</strong><br />

Saint-Maurice, 54 p. (1933).<br />

3 - BOUCHER DE LA BRUERE, Montarville, Chapelles et églises trifluviennes,<br />

48 p., (1933).<br />

4 - DUBE, Dollard, Les Vieilles Forges, 63 p. (1933).<br />

5 - BELLEMARE, P.-A.-A. et Hervé TRUDEL, Batiscan, 56 p. (1933).<br />

6 - VALLEE, Henri, Les journaux trifluviens de 1817 <strong>à</strong> 1933, 92 p.<br />

(1933).<br />

7 - HAMELIN, Eddie, Champlain, 82 p. (1933).<br />

8 - DESBIENS, Lucien, Au coeur de la Mauricie (La Tuque), 62 p. (1933).<br />

9 - FABRE-SURVEYOR et Francis-J. AUDET, Les députés des <strong>Trois</strong>-Rivières<br />

(1792-1808), 82 p. (1933).<br />

9a - - Les députés de Saint-Maurice et de Buckinghamshire (1792-1808),<br />

96 p. (1933).<br />

10 - DESILETS, Auguste, La Grand'Mère, 66 p. (1933).<br />

11 - AUDET, Francis J., Les députés des <strong>Trois</strong>-Rivières (1808-1838), 80 p.<br />

(1934).<br />

12 - - Les députés de Saint-Maurice (1808-1838) et de Champlain (1830-<br />

18381, 78 p. (1934).<br />

13 - - Les députés de la région des <strong>Trois</strong>-Rivières (1841-1867), 90 p.<br />

(1934).<br />

14 - GODBOUT, Archange, Les pionniers de la région trifluv;enne (1634-<br />

1647), 82 p. (1934).<br />

15 - DUGRE, Alexandre, La Pointe-<strong>du</strong>-Lac, 90 p. (1934).


16 - AUDET, Francis-J., Le comté de Maskinongé (1853-1867), 51 p. (1934).<br />

17 - TESSIER, Albert, Les <strong>Trois</strong>-Rivières. Quatre siècles d'Histoire,<br />

199 p. (1934).<br />

18 - MASSICOTTE, Edouard-Zotique, Ste-Geneviève-de-Batiscan, 131 p.<br />

(1936).<br />

19 - PLANTE, Hermann, Saint-Justin: Foyer de sérénité rurale, 162 p.<br />

(1938).<br />

20 - BRETON, P.-E., Cap-de-la-Madeliene. Cité mystique de Marie, 211 p.,<br />

(1938).<br />

21 - BIRON, Georges et Hervé BIRON, Deux siècles de vie paroissiale <strong>à</strong> la<br />

Pointe-<strong>du</strong>-Lac, 134 p. (1939).<br />

SERIE B: Histoire romancée, mémoires, récits de voyage, souvenirs et<br />

descriptions.<br />

1 - GODIN, Louis-Georges, Mémorial trifluvien (deux fascicules) (1932).<br />

2 - DURAND, Louis-O., Armour LANDRY et Albert TESSIER, <strong>Trois</strong>ième centenaire<br />

trifluvien, 37 p. (1932).<br />

3 - OLiER, Moisette et Raymond TANGHE, Au pays de l'énergie, 46 p.<br />

(1932).<br />

4 - DESAULNIERS, Joseph, Reliques, 46 p. (1933).<br />

5 - POULIN, Gonzalve, Nérée Beauchemin, 80 p. (1934).<br />

6 - TESSIER, Albert, Jacques Buteux, 94 p. (1934).<br />

7 - DUPIN, Pierre, Anciens chantiers <strong>du</strong> Saint-Maurice, 132 p. (1935).<br />

347


SERIE C: Oeuvres d'imagination sur des thèmes trifluviens - poèmes,<br />

récits, légendes.<br />

1 - GILLES, R. Père, Rodolphe DUBE et Clément MARCHAND, Bas-reliefs,<br />

44 p. (1932).<br />

2 - SYLVAIN, (Dr Auguste PANNETON), Mon petit pays, 48 p. (1933).<br />

3 - DUBE, Dollard" Légendes indiennes <strong>du</strong> Saint-Maurice, 80 p. (1934).<br />

4 - SYLVAIN (Dr Auguste PANNETON), En flânant dans les portages, 72 p.<br />

(1934).<br />

5 - L'ARCHEVEQUE-DUGUAY, Jeanne, Ecrin, 88 p., (1934).<br />

6 - OLIER, Moisette, Cha8nigane, 70 p. (1934).<br />

7 - BOURGEOIS, Marguerite, La Belle au bois dormant, 80 p. (1934).<br />

8 - BARRETTE, Victor, Tableaux d'histoire, 52 p. (1935).<br />

348


ANNEXE IX<br />

DOCUMENTS


DOCUMENT 1<br />

Questionnaire donné par Tessier <strong>à</strong> ses<br />

élèves en décembre 1936


1- Langue: affiches, enseignes, panneaux-réclames, bureaux publics,<br />

autobus, tramway, etc.<br />

Pourcentage dans chaque langue.<br />

2- Etiquettes commerciales, pro<strong>du</strong>its alimentaires, conserves, fruits,<br />

remèdes (sic), cigarettes, tabac, etc.<br />

Dénominations françaises ou anglaises?<br />

3- Cadeaux reçus ou offerts:<br />

Fabrication canadienne, canadienne-française ou étrangère?<br />

4- Tableaux [sic]:<br />

a) images, portraits, bibelots:<br />

combien et de quelle fabrication?<br />

b) portraits de famille, étoiles de cinéma, sujets religieux,<br />

sportifs:<br />

nombre et origine?<br />

c) personnages canadiens ou étrangers dans tout cela?<br />

5- Divertissements:<br />

a) disques:<br />

langue et sujet canadien ou étranger?<br />

b) morceaux de musique:<br />

catégorie?<br />

6- Traditions françaises 1 conservées ou non:<br />

la bénédiction paternelle,<br />

la prière en famille,<br />

le Benedicite,<br />

le signe de croix avant de commencer un travail,<br />

la prière <strong>à</strong> la croix <strong>du</strong> chemin,<br />

la banque <strong>du</strong> bon Dieu [sic].<br />

Source: O(mer) H(éroux), "Pour savoir", Le Devoir, 7 janvier 1937, p. 7.<br />

1. Il eOt fallu lire "catholiques"<br />

351


DOCUMENT 2<br />

Extrait de la conférence présentée par Albert Tessier<br />

devant les membres de la société Le Flambeau<br />

le 25 novembre 1938. Fac-similé de la première page<br />

<strong>du</strong> manuscrit dactylographié avec ratures.


DOCUMENT 3<br />

Extrait de la conférence de louis-O. Durand présentée<br />

<strong>à</strong> Drummondvi11e le 27 janvier 1936.<br />

Fac-similé d'une partie <strong>du</strong> manuscrit rédigé <strong>à</strong> l'encre<br />

sur des feuilles volantes.


DOCUMENT 4<br />

L'UTOPIE REGIONALE DU PERE ALEXANDRE DUGRE, S.J.<br />

IMAGES DE LA MAURICIE, [1937]

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