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forme et fonction de l'expression du haut degre dans deux œuvres d ...

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Remerciements<br />

Ce travail qui est l'aboutissement <strong>de</strong> plusieurs années <strong>de</strong> douloureuses<br />

privations mais aussi d'agréables défis, n'aurait sans doute pu être concluant sans<br />

/inestlmable sollicitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> nombreuses personnes. Au premier rang, M. le<br />

Professeur Jacques Philippe Saint-Gérand, notre Directeur <strong>de</strong> recherche que<br />

nous prions <strong>de</strong> trouver ,ci <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> nos sincères remerciements. Nous<br />

remercions ensuite M Ahmadou Kourouma <strong>de</strong> l'intèrêt qu'il a porté à ce travail en<br />

nous accordant un entr<strong>et</strong>ien fort enrichissant. Nous n'oublions pas l'Institut <strong>de</strong><br />

IlnformatlOn SCientifique <strong>et</strong> Technique ( 1. N . 1. S. T) <strong>et</strong> les agents <strong>de</strong> la<br />

bibliothèque municipale <strong>et</strong> interuniversitaire <strong>de</strong> Clermont-Ferrand. Enfin, nous<br />

remercIOns les amis résidant en France <strong>et</strong> en Côte d'Ivoire <strong>de</strong> leur soutien. En<br />

particulier, nous remercions Mlles Isabelle Gendraud, Isabelle Collange <strong>et</strong> M. Fily<br />

Kouadio pour leur disponibilité. A tous <strong>et</strong> à toutes, nous exprimons notre infinie<br />

reconnaissance.


A mes parents


INTRODUCTION<br />

Tout travail <strong>de</strong> recherche, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa circonscription thématique est toujours<br />

sommé avant sa démonstration, <strong>de</strong> se définir clairement. d'exposer ses ambitions<br />

ainsI que ses pnncipes méthodologiques <strong>de</strong>vant perm<strong>et</strong>tre d'y aboutir. Mais par­<br />

<strong>de</strong>ssus tout. il doit répondre à la question préalable <strong>de</strong> son eXistence même, c'est­<br />

à-dire énoncer les raisons qUI l'ont ITIOtivé Dans c<strong>et</strong>te logique, on peut se<br />

<strong>de</strong>man<strong>de</strong>r ce qui a pu justifier <strong>de</strong> notre part, le choix <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré<br />

chez Kourouma comme suj<strong>et</strong> d'étu<strong>de</strong>. Et pour commencer, qu'est-ce qUI a milité<br />

en faveur <strong>du</strong> choix <strong>de</strong> l'écrivain <strong>dans</strong> l'ensemble <strong>du</strong> paysage romanesque africain<br />

<strong>de</strong> langue française? A ces interrogations, nous pourrions répondre par<br />

l'argument sans doute par trop commo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la liberté <strong>de</strong> choix <strong>dans</strong> le domaine<br />

<strong>de</strong> la recherche. liberté qui dénote la part <strong>de</strong> subjectivité quasi omniprésente <strong>dans</strong><br />

tout choix. En l'occurrence, les raIsons subjectives se Justifient par le plaisir qUI fut<br />

le nôtre à lire un style truculent <strong>et</strong> novateur <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> ses nombreuses<br />

Interférences lingUistiques <strong>et</strong> notamment, <strong>de</strong> son goût immodéré pour l'inflation<br />

sémantique. La fascination <strong>de</strong> ce style à laquelle nous avons littéralement<br />

succombé à travers Les Soleils <strong>de</strong>s Indépendances <strong>et</strong> qui guida nos premiers<br />

pas <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong> la recherche, constitue la première motivation <strong>de</strong> nature<br />

subjective <strong>de</strong> notre choix. A c<strong>et</strong>te première motivation saJoute une secon<strong>de</strong>.<br />

fondée elle, sur <strong>de</strong>s raisons objectives tenant pour l'essentiel à l'idée principale<br />

subséquente à c<strong>et</strong>te première lecture, que l'hyperbole est la matrice scripturale <strong>de</strong><br />

l'esttlétique romanesque kouroumienne AUSSI, l'étu<strong>de</strong> syntaxique <strong>et</strong> énonciative<br />

<strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>dans</strong> les <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong> Kourouma n'est-elle que<br />

l'aboutissement prévisible <strong>de</strong> nos travaux antérieurs 1 qui étaient alors circonScrits<br />

au premier roman <strong>de</strong> l'écrivain. En eff<strong>et</strong>, au moment où nous acheVions la<br />

rédaction <strong>de</strong> notre mémOire <strong>de</strong> o. EA sur <strong>l'expression</strong> hyperbolique <strong>dans</strong> Les<br />

Soleils <strong>de</strong>s Indépendances 2, le grand public faisait connaisance avec Monné,<br />

Outrages <strong>et</strong> DéfiS le <strong>de</strong>uxIème roman <strong>de</strong> l'auteur qUI venait d'être publié Le


5<br />

surtout. la diversification thématique <strong>et</strong> l'hypertrophie <strong>de</strong> la <strong>fonction</strong> sociale <strong>de</strong> la<br />

pro<strong>du</strong>ction romanesque s'accompagnent souvent d'une recherche stylistique.<br />

L'un <strong>de</strong>s traits caractéristiques <strong>de</strong> celle-cI est l'intégration au roman <strong>de</strong> la<br />

littérature orale par nombre d'auteurs. Parmi ceux-ci, figure Ahmadou Kourouma.<br />

Mais. SI pour la plupart <strong>de</strong> ces écrivains, c<strong>et</strong>te Intégration n'est en général que le<br />

prisme Idéal <strong>de</strong> promotion <strong>du</strong> patrimoine culturel africain, avec Kourouma. elle<br />

accè<strong>de</strong> à une dimension supérieure qui se situe <strong>dans</strong> le prolongement <strong>de</strong> la<br />

défense d'une certaine i<strong>de</strong>ntité culturelle par le langage. C'est qu'avec luI. le<br />

traitement <strong>de</strong> la tradition orale comme thème romanesque est autant un acte <strong>de</strong><br />

révolte quune réconciliation avec SOi au niveau <strong>de</strong> l'élaboration <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

transmission <strong>de</strong> la pensée Chez Kourouma davantage encore que chez ses pairs<br />

en eff<strong>et</strong>. l'écriture assume une <strong>fonction</strong> idéologique importante. Celle-CI consiste<br />

en 1expurgation <strong>du</strong> sentiment <strong>de</strong> malaise profond consécutif à l'usage d'une<br />

langue allogène pour exprimer <strong>de</strong>s manières <strong>de</strong> faire, d'être <strong>et</strong> <strong>de</strong> penser<br />

autochtones. africaines. C'est ce langage-tampon entre le français <strong>et</strong> le malinké,<br />

langue maternelle <strong>du</strong> romancier, ce « parler franco-africain » dénotant une<br />

volonté aHichée <strong>de</strong> faire dire le personnage <strong>de</strong> l'intérieur, dont nous proposons ici<br />

une <strong>de</strong>SCription sous l'angle particulier <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. De façon<br />

succincte. notre étu<strong>de</strong> a pour but <strong>de</strong> montrer que l'hyperbole est. sinon la<br />

dominante scripturale <strong>de</strong> l'écrivain, <strong>du</strong> mOinS, l'une <strong>de</strong>s caractéristiques<br />

principales <strong>de</strong> son style <strong>et</strong> que <strong>l'expression</strong> intenSive y tient une <strong>fonction</strong><br />

cardinale Or, le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré est un mo<strong>de</strong> d'énonciation spécifique <strong>forme</strong>llement<br />

I<strong>de</strong>ntifiable. Plus généralement par conséquent. c'est une étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> sémantique<br />

lingUistique ayant pour tâche, la recherche, l'I<strong>de</strong>ntification <strong>et</strong> la <strong>de</strong>SCription <strong>de</strong><br />

lexpiossivile SOUS-Idcente dU style <strong>de</strong> l'auteur à travers les procédés<br />

dlntenslficaUon <strong>et</strong> leurs valeurs. Comment le proj<strong>et</strong> stylistique <strong>et</strong> la volonté<br />

culturellement partisane <strong>de</strong> faire dire le personnage <strong>de</strong> l'intérieur se structurent <strong>et</strong><br />

se développent-ils <strong>dans</strong> les <strong>œuvres</strong> <strong>du</strong> romancier au niveau <strong>de</strong>s modalités <strong>du</strong>


7<br />

j'écriture romanesque conventionnelle, celle respectueuse <strong>de</strong> la langue<br />

normative. sa mise en rapport avec celle-ci était indispensable. C'est la dimension<br />

grammaticale <strong>de</strong> notre métho<strong>de</strong> d'analyse dont le principe fondateur est<br />

sémantique HypoHlético-dé<strong>du</strong>ctlve, notre démarche <strong>de</strong>scriptive privilégie les<br />

similitu<strong>de</strong>s sémantiques entre les énoncés réalisés. A ce niveau d'exposition<br />

m<strong>et</strong>hodologique, Il est utile <strong>de</strong> faire <strong>de</strong>ux précisions sémantiques importantes sur<br />

ce que nous qualifions <strong>de</strong> « dimension grammaticale » d'une part. <strong>et</strong> sur ce qu'il<br />

faut entendre par « sémantique linguistique » d'autre part. Toute grammaire <strong>de</strong><br />

langue procè<strong>de</strong> toujours <strong>de</strong> manière différentielle en édictant <strong>de</strong>s règles<br />

d'expression dont l'ambition est <strong>de</strong> définir un Modèle <strong>de</strong> langue. De ce point <strong>de</strong> 1<br />

vue par conséquent, la grammaire est l'ensemble <strong>de</strong>s phrases énoncées<br />

conformément aux règles <strong>de</strong> « bon usage », règles censées être admises <strong>et</strong><br />

sUivies par tous les locuteurs <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te langue. En français, les constituants <strong>de</strong><br />

base <strong>de</strong> la phrase canonique ( sUj<strong>et</strong> + verbe + complément) font nécessairement<br />

apparaître une grammaire au moins bipartite avec la syntaxe <strong>et</strong> la sémantique <strong>et</strong><br />

leurs eXigences spécifiques. Tout énoncé qui transgresse l'une <strong>de</strong> ces exigences<br />

..-------_.- ._---.<br />

<strong>et</strong>. a fortiori. l'ensemble <strong>de</strong>s différents types <strong>de</strong> règle étant en théone une infraction<br />

'-------_..-..<br />

au co<strong>de</strong> <strong>du</strong> bon usage, est <strong>de</strong> ce fait même, agrammatical. Or Kourouma affecte<br />

les anomalies linguistiques. Nous appelons ainSI toutes les constructions<br />

Inhabituelles qui sont autant <strong>de</strong> <strong>forme</strong>s d'agrammatlcalité par rapport à la norme<br />

Pourtant. nous valorisons ces <strong>forme</strong>s tout au long <strong>de</strong> notre travail, ce qui est a<br />

prion absolument paradoxal Mais nos démonstrations ont préCisément pour but<br />

<strong>de</strong> lever ce paradoxe en situant le contexte <strong>et</strong> les conditions <strong>de</strong> valorisation <strong>de</strong> ces<br />

anomalies lingUistiques. Récapitulons sur ce point. La dimenSion grammaticale<br />

dont Il est question Inclut par conséquent l'ensemble <strong>du</strong> dispositif réglementaire<br />

perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> Juger <strong>de</strong> la grammaticalité ou <strong>de</strong> l'agrammaticalité d'un énoncé,<br />

qu'elle SOit <strong>de</strong> nature syntaxique ou sémantique. Il est à noter <strong>du</strong> reste que, SI d'un<br />

pOint <strong>de</strong> vue théorique, la distinction entre la sémantique <strong>et</strong> la syntaxe est


10<br />

apprécier les innovations <strong>de</strong> Kourouma en la matière. Les procédés lexicaux à<br />

travers les adverbes motivés <strong>et</strong> les structures décommensuratives, qu'il s'agisse<br />

d'une "hypo-décommensuration" ou d'une "panégy-décommensuration';, son<br />

antonyme d'une part, les procédés logiques bi<strong>fonction</strong>nels d'autre part, sont entre<br />

autres centres d'intérêt, l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième partie consacrée à la<br />

caractérisation intensive. C<strong>et</strong>te partie définit également, non seulement les<br />

concepts fondamentaux <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> - <strong>forme</strong>, <strong>fonction</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong>gré notamment - mais<br />

encore, elle précise les principes <strong>de</strong>scriptifs <strong>de</strong> notre métho<strong>de</strong> analytique. Quant à<br />

la troisième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnière partie, elle se consacre à l'exclamation intensive <strong>et</strong> montre<br />

'-...<br />

le rôle èombien capital <strong>de</strong> l'intonation <strong>dans</strong> le procès <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. L'esthétique<br />

<strong>de</strong> l'anomalie syntaxique est la <strong>de</strong>uxième idée-force <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te partie. C'est la<br />

démonstration <strong>du</strong> mécanisme d'expressivité intensive <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s anomales. En<br />

termes différents, il s'agit <strong>de</strong> voir comment les nombreuses Impropriétés<br />

linguistiques sinsèrent <strong>dans</strong> l'ensemble <strong>de</strong> l'esthétique romanesque<br />

kouroumienne. Pour terminer, il est utile <strong>de</strong> préciser que la méthodologie choisie<br />

n'est point hiérarchlsante. En eff<strong>et</strong>, hormis la constante sémantique, aucune<br />

métho<strong>de</strong> n'a <strong>de</strong> prééminence absolue sur les autres <strong>et</strong> leur application presque<br />

simultanée est strictement <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> l'efficacité analytique recherchée selon les<br />

énoncés. Notons à ce suj<strong>et</strong> l'importance <strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> validation sémantique<br />

<strong>dans</strong> l'ensemble <strong>de</strong> notre procé<strong>du</strong>re <strong>de</strong> <strong>de</strong>scription Elle définit l'opération<br />

probatoire consistant à démontrer l'efficacité <strong>de</strong> la théorie <strong>de</strong> l'inclusion<br />

sémantique qui est elle-même, la base <strong>de</strong> la procé<strong>du</strong>re d'explicitation <strong>du</strong> sens <strong>de</strong>s<br />

énoncés.


1 1<br />

1- Ce sont nos mémoires <strong>de</strong> Maîtrise <strong>et</strong> <strong>de</strong> Diplôme d'Etu<strong>de</strong> Approfondie (D.E.A)<br />

présentés en 1989 <strong>et</strong> 1990, respectivement sur la préposition <strong>et</strong> <strong>l'expression</strong><br />

hyperbolique <strong>dans</strong> Les Soleils <strong>de</strong>s Indépendances.<br />

2 - Toutes autres références aux <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong> l'auteur seront restrictives. Ainsi, au<br />

cours <strong>de</strong>s développements à venir, citerons-nous Les Soleils <strong>et</strong> Monnè pour Les<br />

Soleils <strong>de</strong>s Indépendances <strong>et</strong> Monnè, Outrages <strong>et</strong> Défis. Précisons que le<br />

caractère typographique a pour <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en relief les termes <strong>et</strong><br />

séquences <strong>de</strong>s énoncés importants <strong>et</strong> qui sont en général l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

<strong>de</strong>scription.


14<br />

psychologique qUI la caractérise, notamment la métempsychose <strong>et</strong> le merveilleux<br />

SI présents <strong>dans</strong> la littérature orale traditionnelle, l'écrivain en tant que membre <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te communauté. en a été nécessairement conditionné. La résurgence <strong>de</strong>s traits<br />

caractéristiques <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te littérature <strong>dans</strong> ses <strong>œuvres</strong>, tant au niveau <strong>de</strong> la <strong>forme</strong><br />

(la narration surtout) qu'à celui <strong>du</strong> fond (les événements <strong>de</strong> la trame romanesque),<br />

témoigne <strong>de</strong> l'emprise réelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'expérience pratique <strong>de</strong> son environnement<br />

sur lui. Il n'est guère étonnant par conséquent, que ses romans s'Inscrivent <strong>dans</strong><br />

une perspective réaliste surtout en ce qui concerne le discours <strong>de</strong>s personnages<br />

<strong>du</strong> milieu rural. Mais par-<strong>de</strong>ssus tout, <strong>et</strong> c'est la <strong>de</strong>uXième Justification à l'utilité <strong>de</strong><br />

l'étu<strong>de</strong> biographique, c<strong>et</strong>te tendance réaliste est sous-ten<strong>du</strong>e par une quête<br />

I<strong>de</strong>ntitaire qui se tra<strong>du</strong>it par une écriture romanesque délibérément hétérodoxe.<br />

Elle a une ambition principale, celle <strong>de</strong> tenter d'exprimer au mieux la pensée<br />

africaine par le biais <strong>de</strong> tournures spécifiques qUI déstructurent le modèle <strong>de</strong><br />

langue prescrit par la grammaire normative. A ce propos, le prochain chapitre<br />

pose la question fondamentale <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité culturelle africaine <strong>et</strong> ses corrélatifs<br />

théoriques <strong>de</strong> la nécessité ou non d'une littérature spécifiquement africaine <strong>et</strong> <strong>de</strong>s<br />

critères <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te africanité en rapport avec la recherche stylistique <strong>de</strong> Kourouma<br />

Pour l'heure. cest l'évocation <strong>du</strong> curriculum vitéE <strong>de</strong> l'homme qui mérite intérêt.<br />

Létu<strong>de</strong> bibliographique quant à elle, présentera succinctement l'écrivain <strong>et</strong> ses<br />

<strong>œuvres</strong>, leur fortune au plan quantitatif <strong>et</strong> qualitatif, la symbolique <strong>de</strong>s<br />

protagonistes


15<br />

Section 1-1 -1-1 Etu<strong>de</strong> biographique <strong>de</strong> l'auteur<br />

C'est à Boundiali, au nord-ouest <strong>de</strong> la Côte d'Ivoire que naît A Kourouma<br />

en 1927 d'une famille musulmane malinké. Son père exerce diverses activités<br />

dont la culture vIvrière, la chasse <strong>et</strong> surtout le commerce qu'il partage avec sa<br />

femme. A l'âge <strong>de</strong> sept ans, l'é<strong>du</strong>cation <strong>du</strong> Jeune Kourouma est confiée à son<br />

oncle Infirmier <strong>de</strong> son état. Grâce à c<strong>et</strong> oncle, il fréquente l'école occi<strong>de</strong>ntale dès<br />

1935. En 1947, Il prépare avec succès le concours d'entrée à l'école technique <strong>de</strong><br />

Bamako (Mali). Mais la pério<strong>de</strong> 1943-1947 est une pério<strong>de</strong> décisive chargée<br />

<strong>de</strong>nselgnements pour le continent africain, surtout au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième<br />

Guère Moncllale. 1':::11 elf<strong>et</strong>, avec la création <strong>du</strong> Rassemblement Démocratique<br />

Africain (R 0 A), les premiers mouvements antl-colonlalistes <strong>et</strong> les velléités<br />

d'émancipation ne se dissimulent plus La fIèvre <strong>de</strong> la lutte émanCipatrice est<br />

contagieuse. Les milieux Intellectuels <strong>et</strong> les gran<strong>de</strong>s écoles en sont atteints. Ils<br />

sont en proie à <strong>de</strong>s vagues successives d'agitations <strong>et</strong> <strong>de</strong> grèves tous azimuts.<br />

Considéré comme le meneur <strong>de</strong> la grève estudiantine, Kourouma est arrêté par<br />

les autorités coloniales, expulsé <strong>de</strong> son école vers la Côte d'Ivoire avec en sus, la<br />

levée <strong>de</strong> son sursis. Descolansé, il n'est pourtant pas oIsif Au contraire. pour lui<br />

apprendre à modérer son tempérament nationaliste, il est contraint <strong>de</strong> faire<br />

connaissance avec l'art militaire en entrant comme tirailleur au bataillon autonome<br />

<strong>de</strong> Côte d'Ivoire pour troIS ans En 1949, les mouvements <strong>de</strong> révolte <strong>du</strong> R. D.A<br />

prennent <strong>de</strong> l'ampleur en Côte d'Ivoire <strong>et</strong> le bataillon <strong>de</strong> Kourouma est requis <strong>et</strong><br />

commis à la répreSSion <strong>de</strong> la révolte. Mais la fibre nationaliste <strong>de</strong> l'homme<br />

supplante "ooélssance servile à l'autonté hiérarchique <strong>du</strong> soldat. Kourouma<br />

refuse alors <strong>de</strong> participer à la répression <strong>de</strong>s siens en lutte pour leur libération. La<br />

sanction ne se fait pas attendre: le soldat est immédiatement dégradé <strong>et</strong> renvoyé<br />

doffice au corps expéditionnaire français d'Indochine en bute à une autre guerre<br />

<strong>de</strong> libération Il y reste Jusqu'en 1953 avant d'être affecté à l'état major <strong>de</strong> Saigon<br />

En 1954, démobilisé, Il rentre en Côte d'Ivoire avec le qra<strong>de</strong> <strong>de</strong> sergent. L'année


16<br />

daprès. il va poursuivre ses étu<strong>de</strong>s à ses propres frais en France <strong>et</strong> prépare<br />

différents concours <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s écoles dont celui <strong>de</strong> l'école <strong>de</strong> construction<br />

aéronautique <strong>et</strong> navale <strong>de</strong> Lyon. Reçu à ce <strong>de</strong>rnier, Kourouma ne suivra pas la<br />

formation, faute d'avoir pu obtenIr une bourse d'étu<strong>de</strong>. Tout en militant au sein <strong>de</strong><br />

la Fédération <strong>de</strong>s Etudiants d'Afrique Noire en France, il présente avec succès le<br />

concours d'entrée à l'institut <strong>de</strong>s actuaires <strong>de</strong> Lyon. En 1959, il est titulaire <strong>du</strong><br />

diplôme d'actuaire <strong>et</strong> obtient également un certificat d'administration <strong>de</strong>s<br />

entreprises Un an plus tard, il convole en justes noces avec une française <strong>et</strong><br />

travaille <strong>dans</strong> une gran<strong>de</strong> compagnie d'assurance à Paris.<br />

1961: il rentre <strong>dans</strong> son pays <strong>de</strong>venu Indépendant <strong>et</strong> exerce comme<br />

directeur-adjoint d'une banque à AbidJan. Mais <strong>de</strong>ux années plus tard. un vent<br />

inquIsitorial souffle sur la Côte d'Ivoire suite à <strong>de</strong> préten<strong>du</strong>s complots <strong>et</strong><br />

manœuvre <strong>de</strong> <strong>de</strong>stabilisatlon 2 Soupçonné <strong>de</strong> collusion avec les meneurs <strong>du</strong><br />

complot présumé, Kourouma est d'abord arrêté pUIS relâché, faute <strong>de</strong> preuves.<br />

MaiS 1/ paie <strong>de</strong> son poste Après sept mois d'inactivité, il quitte la Côte d'Ivoire<br />

pour la France d'abord, l'Algérie ensuite où il travaillera <strong>dans</strong> une compagnie<br />

d'assurance <strong>de</strong> 1965 à 1969. De 1969 à 1971, il exerce <strong>de</strong> nouveau en France<br />

<strong>dans</strong> une banque parisienne qUI lui confie en 1971 la sous-direction <strong>de</strong> son<br />

agence à Abidjan En Décembre 1972, la représentation jugée subverSive <strong>de</strong><br />

Tougnat/gui ou Je Diseur <strong>de</strong> vérité, une pièce <strong>de</strong> théâtre dont il est l'auteur lui vaut<br />

d'être affecté à Yaoundé (Cameroun) comme directeur <strong>de</strong> l'institut international<br />

<strong>de</strong>s assurances, un organisme panafricain. Kourouma occupera ce poste jusqu'en<br />

1983 avant <strong>de</strong> se voir confier à Lomé (Togo), la compagnie <strong>de</strong> réassurance <strong>de</strong>s<br />

Etats membres <strong>de</strong> la C ICA. Il en sera le directeur général Jusqu·en 1992 3 Il est<br />

père <strong>de</strong> quatre enfants.<br />

Si la vie <strong>de</strong> l'homme est à ce pOint riche en viCIssitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> toute nature,<br />

cest qu'elle est symptomatique <strong>de</strong> la situation historique <strong>et</strong> soclo-politique <strong>de</strong><br />

1 époque. En cela, Kourouma nest guère une exception Toutefois. l'auteur lui,


18<br />

(scéniques) que politiques, avant d'être définitivement frappée d'ostracisme <strong>et</strong><br />

censuree. Mais c'est surtout <strong>dans</strong> la pro<strong>du</strong>ction romanesque que la notoriété <strong>de</strong><br />

l'auteur reste incontestable, une pro<strong>du</strong>ction assez spéciale. D'abord au niveau<br />

chronologique <strong>de</strong> la parution <strong>de</strong>s romans. Monnè. le second ouvrage <strong>de</strong> l'auteur<br />

paraît en 1990. SOit plus <strong>de</strong> 20 ans après Les soleils. La première publication par<br />

les Presses <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Montréal (au Canada) <strong>de</strong> ce roman remonte en eff<strong>et</strong><br />

en 1968. Mais si Les soleils est chronologiquement antérieur à Monnè , celui-ci<br />

- <strong>et</strong> c'est la <strong>de</strong>uxième raison - est l'antécé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> celui-là au niveau <strong>du</strong> thème.<br />

Particularité d'un mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> création qui, il faut le reconnaître, est souvent<br />

diversement interprété. Certains y voient en eff<strong>et</strong> l'indice révélateur d'une<br />

inspiration laborieuse, euphémisme d'un soupçon d'indigence intellectuelle pour<br />

dautres. Un tel procès est-il justifié? Nous en doutons. L'écart <strong>de</strong> parution nous<br />

semble même pouvoir être doublement méritOire pour l'auteur.<br />

En eff<strong>et</strong>. l'espace temporel séparant les <strong>de</strong>ux romans, s'il est considérable.<br />

atteste précisément la difficulté <strong>du</strong> proj<strong>et</strong> stylisque <strong>de</strong> Kourouma. Ce faisant, ne<br />

souligne-t-il pas par ricoch<strong>et</strong> le mérite <strong>du</strong> romancier? En eff<strong>et</strong>, l'appartenance à la<br />

même ère géographique <strong>et</strong> linguistique n'est pas une garantie <strong>de</strong> succès pour<br />

tous. La preuve en est que peu d'écrivains africains francophones <strong>de</strong> culture<br />

malinké ou non ont réUSSI avec autant <strong>de</strong> bonheur, ce qui peut être appelé<br />

l'esthétique romanesque kouroumienne. Et c'est bien ce qui crée l'Originalité. Ne<br />

fût-ce que pour c<strong>et</strong>te raison, le procès ci-<strong>de</strong>ssus, S'II n'est pas totalement injustifié.<br />

nous paraît quelque peu abusif. Mais surtout, l'activité créatrice, <strong>et</strong> notamment<br />

<strong>dans</strong> le domaine <strong>de</strong>s <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong> l'esprit, ne nous semble pas pouvoir être<br />

diligentée ni circonscriptible <strong>dans</strong> un terme temporel butoire sans porter<br />

préjudice au créateur <strong>et</strong> à son œuvre. Quelles sont les caractéristiques <strong>de</strong><br />

l'esthétique kouroumlenne? La suite <strong>du</strong> travail a pour tâche d'y répondre. Pour<br />

1 heure. notons que <strong>de</strong> façon générale, la spécificité <strong>de</strong> la démarche <strong>forme</strong>lle <strong>du</strong><br />

romancier procè<strong>de</strong> en partie <strong>de</strong> la rupture qu'il opère d'avec le langage<br />

académique <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong> majorité <strong>de</strong> ses pairs, <strong>et</strong> davantage encore, d'avec le


19<br />

langage châtié <strong>de</strong>s écrivains négritudiens. En eff<strong>et</strong>, le caractère insolite d'une<br />

écriture anticonformiste qui enfreint irrévérencieusement le pacte <strong>du</strong> bon usage <strong>du</strong><br />

discours romanesque ne pouvait que susciter l'indignation <strong>de</strong>s puristes <strong>de</strong> la<br />

langue française, bien que celle-ci n'ait jamais préten<strong>du</strong> à aucune homogénéité<br />

absolue. Les raisons ne manquent pas. En eff<strong>et</strong>, la taxinomie consacrée <strong>dans</strong><br />

l'existence <strong>de</strong> niveaux <strong>de</strong> langue à l'intérieur même <strong>du</strong> « français français»,<br />

selon <strong>l'expression</strong> bien heureuse <strong>de</strong> Léon G. Damas, en est une brillante<br />

illustration. En outre. la variété <strong>du</strong> français extra-hexagonal que sont le belgicisme,<br />

le québécisme <strong>et</strong> l'ivoirisme5, constitue le corrélatif étranger <strong>du</strong> « français <strong>de</strong><br />

France » <strong>et</strong> rend inopérant le raisonnement différentiel lorsqu'il est sollicité<br />

Inopportunément. Mais c'est connu, tout acte novateur, s'il subvertit <strong>de</strong>s habitu<strong>de</strong>s<br />

établies <strong>de</strong> longue date, doit payer le tribut <strong>de</strong> son onginalité à l'agacement<br />

courtois, à l'ostracisme grégaire ou à la réprobation conservatrice avant d'être<br />

toléré, puis admis, pour s'imposer plus tard grâce à la multiplication <strong>de</strong> cas<br />

similaires. On ne s'étonne donc pas <strong>de</strong>s caractérisations suspiCieuses <strong>de</strong><br />

«défoulement linguistique », ou franchement acrimonieuses <strong>de</strong> « négrification<br />

folkloriste » <strong>de</strong> la langue française qui, naguère, furent parfois appliquées à<br />

l'écriture kouroumlenne. Celle-cI est en eff<strong>et</strong>, à bien <strong>de</strong>s égards. un véritable<br />

autodafé <strong>du</strong> langage romanesque conventionnel. En outre. <strong>dans</strong> la mesure où les<br />

critiques sont Immanentes à toute création humaine, elles sont non seulement<br />

inéluctables, mais encore, indispensables à l'acte créatif <strong>et</strong> au créateur. Mais<br />

quelles qu'elles pUissent être, acariâtres ou apologétiques, les appréciations <strong>et</strong><br />

critiques peuvent difficilement empêcher une œuvre d'entrer <strong>dans</strong> la postérité.<br />

Bien enten<strong>du</strong>. "Idéal est d'y entrer avec gloire <strong>et</strong> honneur ce qui suppose que<br />

l'œuvre pro<strong>du</strong>ite répon<strong>de</strong> à certaines conditions. Ce n'est qu'à ce prix qu'elle<br />

emporte l'adhéSion <strong>de</strong>s IIlstltutlons <strong>de</strong> consécration IIlternatlonale grâce<br />

auxquelles l'artiste acquiert une certaine notoriété Nous touchons là, à la<br />

question <strong>de</strong> la fortune <strong>de</strong> l' œuvre, fortune définie par la somme <strong>de</strong>s réactions<br />

qu'elle suscite <strong>et</strong> qui sont autant <strong>de</strong> preuves <strong>de</strong> la reconnaissance <strong>de</strong> sa qualité


20<br />

par les exégètes <strong>de</strong>sdites institutions <strong>et</strong> <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> littéraire en général Dans ces<br />

conditions, on peut se <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r quelle est la fortune actuelle <strong>de</strong>s romans <strong>de</strong><br />

Kourouma.<br />

En 1967, avant même la publication officielle <strong>de</strong> son premier roman,<br />

Kourouma est désigné lauréat <strong>du</strong> Prix <strong>de</strong> la francité qui venait d'être créé par la<br />

revue «Etu<strong>de</strong>s françaises » <strong>de</strong> l'Université <strong>de</strong> Montréal. Son objectif: « Attirer<br />

1 attention <strong>du</strong> public sur le renouvellement <strong>de</strong> la langue <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s littéraires qui<br />

se pro<strong>du</strong>it actuellement <strong>dans</strong> les communautés francophones d'Amérique.<br />

d'Afrique <strong>et</strong> d'Asie »6 L'auteur est également lauréat <strong>de</strong>puis 1970 <strong>du</strong> Prix <strong>de</strong> la<br />

fondation Maille-Latour-Landry <strong>de</strong> l'Académie française. D'autres prix viennent<br />

egalement rehausser le prestige <strong>de</strong> l'écrivain après la publication <strong>de</strong> son second<br />

ouvrage. Ce sont entre autres, le prix <strong>de</strong>s Droits <strong>de</strong> l'Homme. celui. d.es<br />

Kssoclatlons <strong>de</strong>s journalistes <strong>et</strong> enfin, le grand Prix <strong>du</strong> roman d'Afrique noire.<br />

En outre, au plan pédagogique <strong>et</strong> didactique, Kourouma est inscrit <strong>de</strong>puis<br />

longtemps au programme <strong>de</strong>s lycées <strong>et</strong> universités d'Afrique <strong>et</strong> fait l'obl<strong>et</strong> d'étu<strong>de</strong>s<br />

universitaires en Afrique comme à l'étranger. Et, selon J.L.Nicolas, il est<br />

également tra<strong>du</strong>it en d'autres langues européennes: anglais, allemand, portugais,<br />

polonais Le fait qu'il soit publié, toujours selon J. L. Nicolas, en Gran<strong>de</strong> Br<strong>et</strong>agne,<br />

en Allemagne, aux Etats Unis d'Amérique <strong>et</strong> bien sûr, en Afrique <strong>et</strong> en France. en<br />

ajoute à l'heureuse fortune <strong>de</strong> sa démarche stylistique.<br />

D'un point <strong>de</strong> vue classificatoire, l'apparent anachronisme que nous<br />

avons précé<strong>de</strong>mment noté en ce qui concerne la parution <strong>de</strong> ses romans fait<br />

pratiquement éclater les cadres habituels <strong>de</strong> la taxinomie traditionnelle. En eff<strong>et</strong>, à<br />

partir <strong>de</strong> critère thématique, les essais <strong>de</strong> typologie proposent en général cinq<br />

gran<strong>de</strong>s rubriques sans doute discutables, mais qui reflètent bien la réalité.<br />

Discutables. ces Critères le sont <strong>dans</strong> la mesure où le risque <strong>de</strong> recoupement<br />

entre les micro-thèmes gravitant autour <strong>de</strong>s macro-thèmes d'un type <strong>de</strong> mman à<br />

un autre est réel. J. Chevrier, critique <strong>de</strong> notoriété <strong>du</strong> roman africain francophone,


21<br />

note parfaitement c<strong>et</strong>te possibilité <strong>de</strong> recoupement 7 au niveau <strong>de</strong>s rubriques quil<br />

distingue lui-même. C<strong>et</strong>te réserve prend toute son importance avec la question <strong>de</strong><br />

la lisibilité, phénomène subjectif s'il en est <strong>dans</strong> la perspective <strong>du</strong> lecteur. En eff<strong>et</strong>,<br />

la compréhension étant presque toujours <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> l'angle <strong>de</strong> lecture, elle est<br />

nécessairement variable: ce qui constitue pour soi le thème principal d'un roman<br />

peut nêtre pour autrui qu'un épithème <strong>et</strong> vice versa. Rien ne pouvant par<br />

conséquent être défini <strong>dans</strong> l'absolu ou presque, les rubriques proposées n'ont<br />

pour nous que valeur <strong>de</strong> regroupement synthétique <strong>et</strong> non <strong>de</strong> classification. En<br />

eff<strong>et</strong> la souplesse <strong>de</strong> la typologie est la condition nécessaire <strong>et</strong> suffisante à sa<br />

propre ouverture à d'autres types <strong>de</strong> romans non encore connus, mais<br />

parfaitement possibles. On distingue respectivement:<br />

a- Les romans <strong>de</strong> contestation<br />

b- Les romans rlistoriques<br />

c- Les romans <strong>de</strong> formation<br />

d- Les romans <strong>de</strong> l'angoisse<br />

e- Les romans <strong>du</strong> désenchantement<br />

De manière succincte, on peut dire que les romans <strong>de</strong> contestation posent la<br />

lancinante question <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité culturelle Ils tra<strong>du</strong>isent <strong>de</strong> façon générale. au<br />

mOinS Jrnplicitement. le malaise profond <strong>du</strong> personnage consécutif à la<br />

juxtaposition <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux cultures au contact corrosif: l'une européenne, l'autre<br />

africaine. avec chacune ses propres valeurs. Les romans historiques quant à eux,<br />

élèvent un hymne à la gloire <strong>de</strong>s héros mythiques ou légendaires <strong>et</strong> exaltent les<br />

valeurs antiques per<strong>du</strong>es. Les romans <strong>de</strong> formation, presque toujours<br />

autobiographiques. racontent le parcours <strong>du</strong> personnage <strong>de</strong>puis sa prime enfance<br />

Jusquà l'âge a<strong>du</strong>lte, sans om<strong>et</strong>tre la pério<strong>de</strong> adolescente <strong>et</strong> les péripéties<br />

é<strong>du</strong>cationnelles ou formationnelles relatives à chaque étape. En somme. un<br />

parcours initIatique qui s'organise toujours, sauf <strong>de</strong> rares exceptions. à la fOIS en<br />

Europe <strong>et</strong> en Afrique. L'expression d'une vision sinon pessimiste, <strong>du</strong> moins très<br />

« pathétique <strong>de</strong> la condition humaine », est la dominante thématique <strong>du</strong> roman


22<br />

.<strong>de</strong> l'angoisse. Enfin, le roman <strong>du</strong> désenchantement a pour thème principal une<br />

gran<strong>de</strong> désillusion qUI résulte d'une espérance restée désespérément inassouvie,<br />

inexorablement vaine. Outre l'extensibilité souhaitable <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te typologie, il faut<br />

bien noter qu'elle ne vaut que pour les romans <strong>et</strong> non pour les romanciers eux­<br />

mêmes. Le contraire serait absolument impensable. Tout écrivain peut en eff<strong>et</strong>,<br />

au gré <strong>de</strong> son inspiration <strong>et</strong> selon les contingences <strong>du</strong> moment, passer d'un type<br />

<strong>de</strong> roman à un autre, ou même pro<strong>du</strong>ire plusieurs types <strong>de</strong> roman à la fois. Dans<br />

ces conditions, on s'en doute bien, toute tentative classificatoire serait on ne peut<br />

malaisée, voire impossible. Or tel est à peu près la difficulté que pose Kourouma.<br />

En eff<strong>et</strong>, si la dominante thématique <strong>de</strong> Les Soleils est incontestablement<br />

<strong>l'expression</strong> d'une désillusion innommable, <strong>de</strong>s épithèmes aussI importants les<br />

uns que les autres se greffent sur elle, qui touchent à la contestation, à l'histoire <strong>et</strong><br />

même à l'angoisse. Il en va <strong>de</strong> même pour Monnè où, en dépit <strong>de</strong> la<br />

prédominance <strong>du</strong> thème <strong>de</strong> l'humiliation, les thèmes <strong>de</strong> la contestation, <strong>de</strong> la<br />

désillUSion <strong>et</strong> même <strong>de</strong> l'histoire sont si enchevêtrés que l'hésitation <strong>et</strong> le doute<br />

sont permis quant à son étiqu<strong>et</strong>age D'ailleurs, la grille taxinomique que nous<br />

venons <strong>de</strong> proposer ne prévoit guère <strong>de</strong> rubrique sur le thème <strong>de</strong> l'humiliation. ce<br />

qUI légitime à la fois les réserves que nous ém<strong>et</strong>tions précé<strong>de</strong>mment <strong>et</strong> notre<br />

suggestion sur l'extension <strong>de</strong> la typologie classique. Quoi qu'il en soit. c<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong><br />

typologique sommaire intro<strong>du</strong>it <strong>dans</strong> l'étu<strong>de</strong> thématique. Cela nous amène à j<strong>et</strong>er<br />

un regard sur les romans <strong>de</strong> Kourouma.<br />

Section 3 -1-1-3 Regard sur les <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong> l'auteur<br />

1-1-3-1- Contexte situationn<strong>et</strong><br />

Les circonstances historico-littéraires qui présidèrent à l'émergence <strong>de</strong>s<br />

romans <strong>de</strong> Kourouma ont déjà été largement développées. Par conséquent, nous<br />

n'y reviendrons pas. On r<strong>et</strong>iendra surtout que la métamorphose la plus<br />

significative (<strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> notre propos) qui accompagne la rupture


23<br />

thématique est l'effort d'innovation stylistique dont le chapitre à venir se propose<br />

<strong>de</strong>xammer quelques traits caractéristiques. Dans l'immédiat, intéressons-nous<br />

aux <strong>œuvres</strong> A ce propos, il faut tout <strong>de</strong> suite noter la différence d'époques qui<br />

separe les romans En eff<strong>et</strong>, SI Les Soleils est centré sur la pério<strong>de</strong> post-coloniale,<br />

Monnè lui, se situe <strong>dans</strong> une pério<strong>de</strong> extensible qUi part <strong>du</strong> pré-colonial au<br />

colonial jusqu'à l'aube <strong>de</strong>s Indépendances. Mais, hormis c<strong>et</strong>te différence, nous<br />

sommes en présence <strong>de</strong> personnages dont la naissance <strong>et</strong> le rôle font <strong>de</strong>s<br />

archétypes <strong>de</strong> situations somme toute semblables Douloureuse désillusion <strong>et</strong><br />

pessimisme inqualifiable chez le prince Fama <strong>dans</strong> le premier roman, mépris <strong>et</strong><br />

humiliations sans nom avec le roi Kéita <strong>dans</strong> le second. Celui-ci, avec ses 290<br />

pages, est structuré en six parties <strong>de</strong> volume variable. Alors que la première<br />

partie compte quatre chapItres, les <strong>de</strong>uxième, troisième <strong>et</strong> quatrième parties en<br />

comportent respectivement trOIS (3 ), tandis que les <strong>de</strong>ux <strong>de</strong>rnières se repartissent<br />

chacune en <strong>de</strong>ux (2 ) chapitres <strong>de</strong> longueur inégale Quant à Les soleils qUI<br />

compte 208 pages, il se subdivise en trois parties avec quatre (4 ) chapitres pour<br />

la première, cinq (5 ) pour la secon<strong>de</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong>ux (2 ) enfin pour la trOisième <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong>rnière partie<br />

1-1-3-2 Résumés<br />

1-1-3-2-1 Les soleils<br />

Fama Doumbouya, authentique prince <strong>de</strong> la dynastie <strong>du</strong> méme nom, est<br />

un riche commerçant que l'infortune politique <strong>et</strong> commerciale a ré<strong>du</strong>it à la<br />

conditIon d'un misérable gueux vivant d'expédiants funéraires. Davantage par<br />

ùpportullisme que par réelle convlcllon, Il m<strong>et</strong>tra toute son energle au service <strong>de</strong><br />

la lutte anti-coloniale. Mais à l'heure OLJ « comme une nuée <strong>de</strong> sauterelles les<br />

Jrldépendances tombèrent sur l'Afrique » ( Les Soleils: 22 ), Fama attendra en<br />

vain une hypothétique gratification ni la direction (j'une coopérative, ni le<br />

secrétariat général d'une sous-section <strong>du</strong> parti, « les <strong>de</strong>ux plus viandés <strong>et</strong> gras


24<br />

morceaux <strong>de</strong>s indépendances » ( Les Soleils : 23 ) ne lui échoiront. Seules, la<br />

carte nationale d'i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> celle <strong>du</strong> parti unique seront sa récompense A la mort<br />

<strong>du</strong> cousin Lacina qui lui a usurpé le pouvoir avec la complicité coloniale, Fama se<br />

rend à Togobala, son village natal après vingt ans d'exil. L'idée le tentera un<br />

moment <strong>de</strong> pérenniser le pouvoir <strong>de</strong>s Doumbouya <strong>et</strong> <strong>de</strong> prendre ainsi sa<br />

revanche sur l'histoire en restaurant la chefferie laissée vacante à la suite <strong>de</strong> ce<br />

décès. Mais il y renoncera en définitive en raison <strong>de</strong> l'insignifiance <strong>de</strong> l'héritage <strong>et</strong><br />

autres accessoires nécessaires à l'exercice d'un pouvoir <strong>de</strong> confort. R<strong>et</strong>ourné à la<br />

capItale l'horizon s'opacifiera pour lui <strong>et</strong> Il se fera rattrapé par l'arbitraire politique.<br />

En eff<strong>et</strong>. convaincu <strong>de</strong> collusion ( pour n'avoir pas rapporté un rêve au sécrétaire<br />

général <strong>du</strong> parti unique) avec les meneurs d'activités subversives, Il est arrêté,<br />

écroué. Jugé puis condamné à vingt ans <strong>de</strong> réclusion criminelle. Mais avant<br />

d'avoir purgé sa peine, il est gracié <strong>et</strong> recouvre la liberté avec à l'horizon, une<br />

promesse <strong>de</strong> fortune considérable. Mais physiquement affaibli <strong>et</strong> Vieilli. <strong>et</strong> surtout<br />

moralement affecté par les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>et</strong> déconvenues <strong>de</strong> toute nature,<br />

psychologiquement blasé <strong>de</strong> tout, il tournera le dos à c<strong>et</strong>te fortune tardive à ses<br />

yeux, à la capitale. Toutefois, son village natal <strong>de</strong>venu subitement à la fois, lieu<br />

d'exutoire <strong>et</strong> espace édénique n'accueillera que son corps, la mort ayant entre<br />

temps, impitoyablement frappé.<br />

La situation <strong>du</strong> centenaire Djigui, « personnage panoramique» selon<br />

<strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> J. Chevrier, n'est pas très différente <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> Fama. Faite<br />

d'affllgeantes compromissions avec le colonisateur, <strong>de</strong> scènes d'humiliation en<br />

série, la pathétique mort qui l'emporte, l'existence <strong>de</strong> ce patriarche fut un tissu <strong>de</strong><br />

désillusions autant que d'outrages inqualifiables.<br />

1-1-3-2-2 Monnè<br />

Après une enfance heureuse <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> l'illustre Soundlata Keita,<br />

Djigui accè<strong>de</strong> au trône à Soba. Dans une société où « chacun avait. <strong>de</strong> la


25<br />

naissance à la mort, son rang, sa place, son occupation <strong>et</strong> ( où ) tout le mon<strong>de</strong><br />

était content <strong>de</strong> son sort» ( Monnè : 20 ), Djigui règnera en paix savourant avec<br />

délectation les plaisirs attachés à son rang. Mais les troupes conquérantes, en<br />

prenant possession <strong>du</strong> royaume sans coup férir, m<strong>et</strong>tront un terme à son règne.<br />

L'établissement <strong>de</strong>s militaires étrangers enclenchera le processus <strong>de</strong> la<br />

colonisation. Même leur remplacement par les civils n'améliorera en rien la<br />

condition <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> Soba. C'est que pour eux, « le régime militaire <strong>et</strong> le régime<br />

CIvil étalent l'anus <strong>et</strong> la gueule <strong>de</strong> l'hyène mangeuse <strong>de</strong> charognes: Ils se<br />

ressemblaient, exhalant tous les <strong>de</strong>ux la même puanteur nauséabon<strong>de</strong>»<br />

(Monnè :70) En dépit <strong>de</strong> l'affaiblissement <strong>de</strong> son pouvoir dont il ne conserve plus<br />

que <strong>de</strong> spécieux simulacres, Djigui refusera d'abord <strong>de</strong> faire allégeance aux<br />

nouveaux maîtres. Mais grisé par la gloriole <strong>de</strong>s griots, le centenaire finira par se<br />

soum<strong>et</strong>tre C'est le début <strong>de</strong> quarante années <strong>de</strong> collaboration <strong>et</strong> <strong>de</strong> mirages <strong>de</strong><br />

compensations dont la promesse maintes fois réitérée mais indéfiniment différée.<br />

<strong>de</strong> lamvée « Imminente » à Soba <strong>du</strong> « train qui siffle <strong>et</strong> fume» Jugé trop<br />

âgé pour avoir la lucidité <strong>et</strong> le ren<strong>de</strong>ment politique requis, il est remplacé <strong>de</strong> façon<br />

Irrévérencieuse <strong>et</strong> <strong>de</strong> son vivant par son fils Béma, véritable marionn<strong>et</strong>te-suppôt<br />

<strong>de</strong> la politique coloniale ToutefOIS, exerçant toujours une autorité morale, sa<br />

<strong>de</strong>stitution eût pu n'être qu'un pis-aller SI Béma ne lui avait infligé un cinglant <strong>et</strong><br />

« odieux monnè » en l'impliquant <strong>dans</strong> une supercherie politicienne à son inSU<br />

Pour manifester sa profon<strong>de</strong> indignation. le centenaire déci<strong>de</strong> la sanction<br />

supréme: l'exil volontaire. Alors qU'II allait franchir la frontière <strong>du</strong> royaume, il se<br />

VOit « désobéi, trahi, désavoué <strong>et</strong> honni » (Monnè : 278 ) par sa monture qUi<br />

refuse d'avancer en présence <strong>de</strong> tous les suj<strong>et</strong>s réunis. Il n'est pas Jusqu'à sa<br />

tentative <strong>de</strong> SUICi<strong>de</strong> à l'arme blanche qui ne soit un insuccès. C'est finalement par<br />

arrêt cardiaque que la mort frappera « Il se pencha, arracha la sagaie d'un<br />

proche courtisant <strong>et</strong>, afin que tout le mon<strong>de</strong> vît la lame flamboyante s'enfoncer<br />

<strong>dans</strong> sa gorge, voulut se redresser. A peine s'appuya-hi sur les étriers que le<br />

cœur lâcha <strong>et</strong> qu'il s'effondra » ( Monnè : 278 ) Comme Fama. Djigui quitte ainsi


26<br />

un mon<strong>de</strong> hostile dont les valeurs leur sont étrangères. I<strong>de</strong>ntité <strong>dans</strong> la naissance<br />

pour ces personnages, mais également communauté <strong>de</strong> désagréments <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

souffrance morale à l'âge a<strong>du</strong>lte: Fama <strong>et</strong> Djigui sont unis par un <strong>de</strong>stin somme<br />

toute semblable.<br />

Section 4-1-1- 4 Symbolique <strong>de</strong>s protagonistes<br />

Notons d'entrée les limites <strong>de</strong> la présente étu<strong>de</strong> sur la symbolique <strong>de</strong>s<br />

personnages <strong>et</strong> celle, ultérieure, sur les valeurs <strong>de</strong>s romans qu'il nous a paru utile<br />

<strong>de</strong> souligner afin <strong>de</strong> prévenir d'éventuelles objections. Le travail que nous<br />

proposons n'a en eff<strong>et</strong> aucune prétention d'exhaustivité. A cela, une seule raison:<br />

l'inlntérêt d'une telle étu<strong>de</strong>. En eff<strong>et</strong>, pour l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s personnages par exemple,<br />

la typologie classique (personnage principal, héros ou protagoniste, personnages<br />

secondaires, comparses ), l'examen <strong>du</strong> réseau <strong>de</strong>s relations inter-personnages,<br />

non seulement excé<strong>de</strong>raient le cadre <strong>de</strong> notre propos, mais encore, ils n'y<br />

présenteraient aucun intérêt véritable. A une telle étu<strong>de</strong>, nous avons préféré un<br />

travail plus circonscrit dont les extraits cités constituent les éléments<br />

fondamentaux. Nous nous intéresserons par conséquent exclusivement aux<br />

protagonistes. Mais, même là encore, nous avons dû opérer un chOIX <strong>et</strong> nous<br />

limiter à quelques points <strong>de</strong> similitu<strong>de</strong> parmi les plus saillants entre Fama <strong>et</strong><br />

Djlgui. à savoir leur <strong>fonction</strong> symbolique <strong>et</strong> l'âge <strong>du</strong> pouvoir.<br />

1-1-4-1 Similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> situation à l'âge <strong>du</strong> pouvoir<br />

" n'est pas exagéré <strong>de</strong> faire remonter la source <strong>de</strong>s malheurs <strong>de</strong> Fama<br />

Jusqu'à son intronisation manquée, ainsi qu'en témoigne <strong>du</strong> reste l'extrait ci­<br />

après<br />

Son pere mort,le légitime Fama aurait dû


27<br />

succé<strong>de</strong>r comme chef <strong>de</strong> tout le Horodougou.Mais<br />

il buta sur intrigues, déshonneurs,maraboutages<br />

<strong>et</strong> mensonges. Parce que d'abord un garçonn<strong>et</strong>,un<br />

p<strong>et</strong>it garnement européen<br />

d' administrateur, tou jours en courte culotte<br />

sale,remuant <strong>et</strong> impoli comme la barbiche d'un<br />

bouc, commandait le Horodougou. Evi<strong>de</strong>mment fama<br />

ne pouvait pas le respecterises oreilles en ont<br />

rougi <strong>et</strong> le commandant préféra,vous savez qui?<br />

Le cousin Lacina, un cousin lointain qui pour<br />

réussir marabouta,tua sacrifices sur sacrifices,<br />

intrigua, mentit <strong>et</strong> se rabaissa à un tel point<br />

que( ... ). Les Soleils: 21-22<br />

D'après l'extrait. la rupture <strong>du</strong> processus successoral tel que codifié par la tradition<br />

patriarcale malinké, est liée à la conjugaison <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux facteurs. En premier lieu, on<br />

peut cIter les pratiques occultes (intrigues, déshonneurs, maraboutages,<br />

mensonges) <strong>du</strong> perfi<strong>de</strong> Laclna. Ensuite, vient le commandant européen qui a<br />

trouvé un allié <strong>de</strong> circonstance en la personne <strong>de</strong> Lacina. Mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

collusion usurpatrice perceptible en première lecture, le texte ne fustlge-t-i1 pas<br />

aussI <strong>de</strong>s pratiques socio-politiques peu recommandables. surtout <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />

l\frique mo<strong>de</strong>rne? En eff<strong>et</strong>. l'indignité <strong>dans</strong> laquelle sinstalle Lacina, la délation <strong>et</strong><br />

ies offran<strong>de</strong>s sacrifIcielles <strong>de</strong> toute nature, sont autant <strong>de</strong> procédés éthiquement<br />

répréhensibles qUI illustrent un certain nombrilisme égomanlaque propre aux<br />

parvenus <strong>de</strong> tout acabit. Pour ces <strong>de</strong>rniers, obnubilés par un désir quasi<br />

pathologique <strong>de</strong> promotion sociale, l'assertion selon laquelle la fin justifie les<br />

moyens est leur leitmotiv. Et c'est là où s'onginent à notre avis, au mOins en partie,<br />

1Incurie. la prime à la médiocrité <strong>et</strong> à l'Incompétence, <strong>de</strong>s fléaux d'autant<br />

pernicieux que leur omniprésence <strong>dans</strong> les secteurs <strong>de</strong> la vie sociale, politique <strong>et</strong><br />

econofllique contribue à m<strong>et</strong>tre en pénl la viabilité déjà SI précaire <strong>de</strong>s micro-états<br />

africains. C'est que Lacina n'étaIt pas le dauphin putatif. Mieux, il était loin d'être<br />

l'héritier présumé En se faisant IntronIser au moyen <strong>de</strong> pratiques Infâmes, non<br />

seulement Il viCie la procé<strong>du</strong>re successorale, mais par là-même, il occupe sans


28<br />

Illerite une place qUI ne lUI revenait pas <strong>de</strong> drOit Dès lors, le doute est permis<br />

quant à ses réelles capacités politiques <strong>et</strong> ses compétences, puisque, n'ayant pas<br />

été encadré ni entraîné au préalable <strong>dans</strong> une perspective administrative <strong>et</strong><br />

politique il n'a pas le profil requis à l'exercice <strong>de</strong> la dite <strong>fonction</strong> Mais <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />

infractIon à l'ordre établi, le prince Fama, « le légitime » peut, <strong>dans</strong> une certaine<br />

mesure, être comparé à Lacina. l\Jous touchons là au <strong>de</strong>uxième facteur <strong>de</strong><br />

l'intronisation manquée <strong>de</strong> Fama. En eff<strong>et</strong>, grâce à la faculté d'omniscience <strong>du</strong><br />

narrateur, les pensées intimes <strong>du</strong> prince nous sont livrées ainsi que son sentiment<br />

sur son éviction <strong>du</strong> pouvoir avant exercice Ainsi apprend-on que l'insoumission<br />

<strong>de</strong> Fama se fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s griefs personnels contre l'autorité coloniale: « Parce<br />

que d'abord un garçonn<strong>et</strong>, un p<strong>et</strong>it garnement européen d'administrateur toujours<br />

en courte culotte sale, remuant <strong>et</strong> impoli comme la barbiche d'un bouc<br />

commandait le Horodougou. Evi<strong>de</strong>mment Fama ne pouvait pas le respecter ».<br />

Dans la perspective <strong>de</strong> Fama en eff<strong>et</strong>, l'adverbe argumentatif évi<strong>de</strong>mment<br />

apparaît comme étant la majeure d'une logique démonstrative à valeur <strong>de</strong><br />

syllogisme dont l'avalanche <strong>de</strong> caractérisants péjoratifs en initiale. ne sont pour<br />

ainSI dire que la prémisse. Fama n'entend pas se soum<strong>et</strong>tre à un administrateur<br />

qui est <strong>de</strong> très loin son cad<strong>et</strong> <strong>et</strong> qui, à l'impertinence <strong>de</strong> l'âge, ajoute une certaine<br />

SimpliCité vestimentaire témoignant à ses yeux d'une négligence fort coupable<br />

pour un homme <strong>de</strong> son rang. En outre, la constante mobilité <strong>du</strong> commandant<br />

apparaît au prince comme une sorte <strong>de</strong> désacralisation <strong>du</strong> pouvOir <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'homme<br />

politique qui. semble-t-il, <strong>de</strong>vrait s'entourer d'un certain mystère par le respect <strong>de</strong><br />

protocoles <strong>de</strong> visite C'est que Fama se situe <strong>dans</strong> une logique culturelle différente<br />

<strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l'administrateur En eff<strong>et</strong>, le respect <strong>de</strong> l'âge, la culture <strong>de</strong> certains<br />

protocoles <strong>de</strong> communication entre le roi <strong>et</strong> ses suj<strong>et</strong>s <strong>et</strong> l'importance <strong>de</strong> la<br />

prestance phYSIque, sont autant d'éléments qui lèvent un cOin <strong>de</strong> valle sur certains<br />

traits ae culturemalinké.Mais <strong>dans</strong> un sens, la <strong>fonction</strong> symbolique <strong>de</strong> Fama en<br />

tant que repiésentant d'une élite Civile, même déca<strong>de</strong>nte, n'est-elle pas la<br />

révélation d'une attitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> passe-drOit héritée <strong>de</strong> l'ascendance? En eff<strong>et</strong>. le


29<br />

commandant est avant tout le représentant local <strong>de</strong> l'autorité politique. En fait. la<br />

révolte <strong>de</strong> Fama apparaît davantage comme le résultat d'un choc <strong>de</strong> cultures<br />

souvent irréconciliables <strong>et</strong> la difficulté pour lui d'adm<strong>et</strong>tre l'obsolescence <strong>de</strong>s<br />

valeurs qui furent celles d'un mon<strong>de</strong> naguère prospère, mais aujourd'hui en<br />

agonie. le sien propre C'est c<strong>et</strong>te déliquescence <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te agonie qui constituent<br />

les raisons lointaines <strong>et</strong> profon<strong>de</strong>s qui invali<strong>de</strong>nt par la même occasion, la<br />

prinCipauté <strong>de</strong> Fama. Ainsi s'enclenche-t-il pour le prince au titre désormais<br />

honorifique, une série d'humiliations innommables. Un prince sans pouvoir ni<br />

revenus, obligé <strong>de</strong> « travaIller <strong>dans</strong> les obsèques <strong>et</strong> les funérailles » pour<br />

gagner sa vie, ne pouvait évi<strong>de</strong>mment avoir la moindre autorité sur personne, pas<br />

même sur les griots. Ainsi aux funérailles <strong>de</strong> Koné Ibrahima, Fama est-II accueilli<br />

par un Cinglant affront <strong>du</strong> griot <strong>de</strong> la cérémonie En eff<strong>et</strong>, <strong>dans</strong> une SOCiété castée<br />

où le mélange <strong>de</strong>s noms totémiques <strong>et</strong> <strong>de</strong>s classes SOCiales est un sacrilège<br />

intolérable, le griot a osé associer avec une impertinence outrageante. les<br />

Doumbouya avec les Kéita. D'où j'indignation <strong>de</strong> Fama car « en la circonstance<br />

c'était un affront, un affront à faire éclater les pupilles » (Les soleils • 12) Il n'est<br />

pas Jusqu'aux <strong>de</strong>scendants d'esclaves <strong>et</strong> autres « bâtards <strong>de</strong> fils <strong>de</strong> chien»<br />

Simples coreligionnaires. gar<strong>de</strong>-frontières qUI ne se complaisent à le défier sans<br />

vergogne. donnant ainSI la preuve <strong>de</strong> sa profon<strong>de</strong> déchéance<br />

Gran<strong>de</strong> désolation aussi pour c<strong>et</strong> homme, <strong>de</strong>rnier représentant d'une lignée<br />

royale hanté par la quête inaccessible <strong>du</strong>ne paternité hypothétique à cause <strong>de</strong> la<br />

stérilité présumée <strong>de</strong> sa femme. Stérilité présumée car nulle part <strong>dans</strong> le roman,<br />

le mystère <strong>de</strong> la stérilité ne sera percé <strong>et</strong> la présomption <strong>de</strong> l'infécondité<br />

continuera <strong>de</strong> peser à la fois sur Fama <strong>et</strong> Salimata. A preuve, lorsque le prince<br />

déci<strong>de</strong> d'élargir son ménage à troIs avec l'arrivée <strong>de</strong> Mariam jouissant. elle, d'une<br />

lJfJilllUIl largelllenl lavolé:lble <strong>de</strong> lemme parllcullèrement fècon<strong>de</strong>, on pouvait<br />

logiquement sattendre à ce que la dynastie Doumbouya se survécût grâce à la<br />

naissance d'une progeniture Mais là encore, Il n'en sera absolument rien Jusqu'à<br />

la fin dU roman I<strong>de</strong>ntité <strong>de</strong> situation également quand, Fama écroué. Salimata


30<br />

abandonne le foyer conjugal à la recherche <strong>du</strong> bonheur <strong>de</strong> la maternité en allant<br />

vivre avec le marabout Abdoulaye. Qui <strong>de</strong> j'homme <strong>et</strong> <strong>de</strong> la femme est vraiment<br />

stérile? Insondable mystère qui restera effectivement impénétré jusqu'à la fin <strong>de</strong><br />

l'œuvre Oésellcllanternent total enfin lorsqu'apres la lutte contre l'occupation<br />

étrangère à laquelle Fama s'est voué corps <strong>et</strong> âme, il n'a <strong>de</strong> gratification que la<br />

carte nationale d'i<strong>de</strong>ntité <strong>et</strong> celle <strong>du</strong> parti unique.<br />

Au contraire <strong>de</strong> Fama, Djigui, lui, a connu les délices <strong>du</strong> pouvoir jusqu'à<br />

la pénétration coloniale <strong>dans</strong> son royaume Là, soucieux <strong>de</strong> sauvegar<strong>de</strong>r un<br />

simulacre <strong>de</strong> pouvoir dont il n'est plus le détenteur exclusif, il passe <strong>de</strong> suspects<br />

compromis à <strong>de</strong> graves compromissions. S'ouvre alors pour lui <strong>et</strong> les siens, la<br />

porte <strong>de</strong> tous les malheurs, <strong>de</strong> toutes les humiliations Il serait fastidieux d'aligner<br />

les exemples d'humiliation, thème central <strong>de</strong> Monnè R<strong>et</strong>enons cependant c<strong>et</strong><br />

affront subi le jour même où les forces coloniales font leur entrée <strong>dans</strong> Soba:<br />

C'eSt quand Djigui arrlva en tête <strong>de</strong> l'escorte<br />

<strong>du</strong> coté <strong>de</strong> Kouroufi, au bout <strong>du</strong> chantier, qu'il<br />

trouva, arrêtée, une colonne française... Oui!<br />

Djigui était nez à nez avec une vraie colonne<br />

francaise. Les nazaréens étaient entrés à Soba<br />

par la colline Kouroufi, par Kouroufi truffée <strong>de</strong><br />

sor t i l è 9 es! Ils l'avaient escaladée comme<br />

s' enj ambent le seuil <strong>de</strong> la case <strong>et</strong> les cuisses<br />

d'une femme déhontée; s'étaient emparés <strong>de</strong><br />

l'arsenal. Sans tirer un coup <strong>de</strong> fusil! Sans<br />

faire hurler un chien! Sans tuer un poussin!<br />

Sans effarer une seule poule couvant ses œufs!<br />

Monnè :34<br />

Si le roi Djigui, au pouvoir mystique notoirement connu navait organisé<br />

<strong>et</strong> dirigé en personne tous les rites sacrificiels censés rendre inexpugnable le<br />

royaume la prise <strong>de</strong> Soba eût pu passer pour un événement <strong>de</strong> moindre gravité<br />

au double plan psychologique <strong>et</strong> moral Mais c<strong>et</strong>te pénétration étrangère qui est<br />

comparable à une véritable promena<strong>de</strong> <strong>de</strong> santé, est apparue à tous <strong>et</strong>, en


31<br />

particulier au centenaire, comme une inqualifiable humiliation. C'est que, pour<br />

être la démystification totale <strong>de</strong> la magie noire censée préserver le royaume <strong>de</strong><br />

toute agression étrangère. l'avènement sans impunité <strong>de</strong>s Européens n'en est pas<br />

moins le signe précurseur <strong>de</strong> la désagrégation d'une société naguère fière <strong>et</strong> sûre<br />

<strong>de</strong> I·excellence <strong>de</strong> ses valeurs. Triple humiliation donc pour Djigui: d'abord<br />

comme un homme au pouvoir surnaturel exceptionnel défait; ensuite comme<br />

patriarche dépositaire <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong> civilisation autochtones, <strong>de</strong> leur pérennité;<br />

enfin. en tant qu'homme politique naguère omnipotent, bientôt vassal <strong>de</strong> maîtres<br />

étrangers. L'âge <strong>du</strong> pouvoir, comme nous espérons l'avoir montré, constitue, <strong>du</strong><br />

fait <strong>de</strong> la similitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s désagréments <strong>et</strong> <strong>de</strong>s afflictions n)Qrales subis, l'un <strong>de</strong>s<br />

pOints où la symbolique <strong>de</strong>s protagonistes se rejoint Le second point est tout<br />

naturellement leur signification.<br />

1-1- 4-2 Signification <strong>de</strong>s protagonistes<br />

Fama Doumbouya, prince non couronné <strong>de</strong> la dynastie <strong>du</strong> même nom <strong>et</strong><br />

Djigui Kéita, roi <strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> la lignée Soundiata Kéita sont d'abord, par leur<br />

ascendance, les légitimes représentants <strong>de</strong> l'anCienne aristocratie malinké. Ainsi<br />

leur histoire tra<strong>du</strong>it-elle en priorité, l'histoire <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te classe sociale qu'ils<br />

assument <strong>et</strong> leurs malheurs, déchéances <strong>et</strong> décès signifient avant tout, les<br />

déconvenues <strong>et</strong> la déchéance <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te aristocratie pré-coloniale. Mais toute<br />

symbolique <strong>fonction</strong>nant <strong>de</strong> façon dynamique, c'est-à-dire évolutive <strong>et</strong> extensive,<br />

on peut légitimement penser que c<strong>et</strong>te aristocratie pré-coloniale elle-même est le<br />

représentant synecdochique <strong>de</strong> l'ensemble <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> traditionnel africain pré <strong>et</strong><br />

post-colonial. Ainsi, l'attachement indéfectible <strong>et</strong> Inconditionnel <strong>de</strong>s protagonistes<br />

aux valeurs ancestrales en font-ils également <strong>de</strong>s dépositaires <strong>de</strong> celles-ci Dans<br />

c<strong>et</strong>te méme logique, leur disparition tradUit aussi la fin d'une époque <strong>et</strong> d'un<br />

mon<strong>de</strong> dont le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> <strong>fonction</strong>nement, trop brusquement prOj<strong>et</strong>é au <strong>de</strong>vant<br />

dautres valeurs d'Importation n'a pu ou su s'accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong> celles-ci Ainsi, les


32<br />

supplications <strong>de</strong> Bakary à l'adresse <strong>de</strong> Fama lorsque celui-ci recouvre à nouveau<br />

la liberté, valent-elles pour un douloureux constat. L'ex-détenu a en eff<strong>et</strong> pris la<br />

décision irrévocable <strong>de</strong> rentrer définitivement <strong>dans</strong> son village natal <strong>et</strong> ce, en dépit<br />

<strong>de</strong> la promesse d'une immense fortune faite par le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République lui­<br />

même, en vue <strong>de</strong> redorer son image politique ternie. Apprécions ci-<strong>de</strong>ssous<br />

l'entreprise <strong>de</strong> charme parfaitement réaliste <strong>de</strong> Bakary:<br />

_Ecoute, Fama! On ne part pas quand on a la<br />

possibilité d'avoir <strong>de</strong> l'argent, d'avoir une<br />

situation,d'être quelqu'un, d'être utile aux<br />

amis <strong>et</strong> aux parents. Que feras-tu à Togobala? La<br />

chefferie est morte. Togobala est fini, c'est un<br />

village en ruine.Tu n'es pas une feuille d'arbre<br />

qui jaunit <strong>et</strong> tombe quand la saison change.Les<br />

soleils ont tourné avec la colonisation <strong>et</strong><br />

l'indépendance;chauffe-toi avec ces nouveaux<br />

soleils( ... ). Adapte-toi! Accepte le mon<strong>de</strong>! Ou<br />

bien est-ce pour les funérailles <strong>de</strong> Balla que tu<br />

veux partir'? Mais les funérailles, ça peut<br />

toujours attendre. Reste, Fama! Le prési<strong>de</strong>nt est<br />

prêt à payer pour se faire pardonner les morts<br />

qu'il a sur la conscience, les tortures qu'il<br />

vous a fait subir; il est prêt à payer pour que<br />

vous ne parliez pas <strong>de</strong> ce vous avez vu. Profice<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong>te aubaine! Buvons ensemble le lait <strong>de</strong> la<br />

vache <strong>de</strong> tes peines. L'argent que tu as en poche<br />

n'est qu'un grain <strong>de</strong> foin en comparaison <strong>du</strong><br />

panier que tu recevras. Les Soleils: 189-190.<br />

L'intervention <strong>de</strong> Bakary pour tenter <strong>de</strong> dissua<strong>de</strong>r son ami <strong>dans</strong> l'application <strong>de</strong> sa<br />

résolution <strong>de</strong> vivre désormais à Togobala, est loin d'être désintéressée, Il ne s'en<br />

cache d'ailleurs guère pUisqu'il affirme une première fois: « On ne part pas<br />

quand on a la possibilité ( ) d'être utile aux amis <strong>et</strong> aux parents », ce qui sous-<br />

entend, « ne pars pas Fama, car mOI Bakary, Je compte aussI sur tOI » Il<br />

réaffirmera <strong>et</strong> <strong>de</strong> façon on ne peut plus éloquente, ce soutien qu'il attend <strong>de</strong> son


33<br />

ami Fama: « Buvons ensemble le lait <strong>de</strong> la vache <strong>de</strong> tes peines » Par la valeur<br />

aSSOCiative <strong>du</strong> pronom personnel nous Intégré elliptiquement à l'Impératif<br />

buvons <strong>et</strong> qui inclut à la fois l'énonciateur <strong>et</strong> l' énonciataire, on se rend compte à<br />

quel pOint Bakary entend bien jouir avec son ami <strong>du</strong> fruit <strong>de</strong> ses peines Ladverbe<br />

ensemble atteste <strong>et</strong> corrobore pariaitement c<strong>et</strong>te volonté manifeste d'association,<br />

cest-a-dlre en définitive, l'opportunisme égocentrique <strong>de</strong> Bakary. AUSSI, sa<br />

jéceprlon est-elle gran<strong>de</strong> <strong>de</strong>vant l'insuccès <strong>de</strong> sa tentative <strong>de</strong> sé<strong>du</strong>ction. Le<br />

passage qui suit marque bien à ce propos, l'IIlconsolable déception <strong>de</strong> Bakary<br />

Fama, en mourant tu te rappeleras d'avoir été<br />

un mallvais ami. Je comptais sur toi pour vivre<br />

le reste <strong>de</strong> mes jours <strong>et</strong> gagner <strong>de</strong> l'argent. Tu<br />

me laisses <strong>dans</strong> le désespoir, tu es un mauvais<br />

ami. Les Soleils :191.<br />

Comme Fama, le centenaire Ojigui n'a pas compris que les valeurs ont<br />

change. que la pénétration étrangére a provoqué une crise <strong>de</strong>s valeurs <strong>et</strong> que<br />

celles ae son époque mises à mal, ne peuvent plus régenter le nouveau mon<strong>de</strong><br />

en gestation. AUSSI, pour ne l'aVOir pas compris (a-t-Il seulement voulu<br />

comprendre? Et même le pouvait-il vraiment?), il se couvma <strong>de</strong> ridicule lorsqu'il<br />

réalise 1abjection politiCienne <strong>de</strong> son propre fils Béma Imposé par les nouveaux<br />

maîtres <strong>de</strong> Soba, il brandit la menace <strong>de</strong> la sanction suprême. C'est l'exil<br />

volontaire qUI est le procédé par excellence d'invalidation <strong>de</strong> tout pouvoir usurpé<br />

En eff<strong>et</strong>. n'ayant pas réussi à convalllcre son père <strong>de</strong> se présenter à son me<strong>et</strong>ing<br />

politique pour réfuter les allégations mensongères <strong>de</strong> son frère <strong>et</strong> adversaire<br />

politique Kélétigui d'une part, <strong>et</strong> soucieux <strong>de</strong> consoli<strong>de</strong>r son estime auprès <strong>de</strong> ses<br />

alliés européens d'autre part, Béma a Signé <strong>de</strong> sa propre main, un document fort<br />

Important mais comprom<strong>et</strong>tant pour OJigUi en prétendant que cest ce <strong>de</strong>rnier qUI<br />

la signe Ignorant c<strong>et</strong>te machinatIon cle génie, le commandant Lefort est allé en<br />

exprimer toute sa gratitu<strong>de</strong> au centenaire


34<br />

Je v lens, moi le commandant Lefort, comme<br />

commissaire <strong>du</strong> gouverneur <strong>de</strong> la colonie vous<br />

féliciter <strong>et</strong> vous remercier au nom <strong>de</strong> la France.<br />

La signature <strong>de</strong> la déclaration, votre démission<br />

<strong>du</strong> parti antifrançais sont <strong>de</strong>s actes <strong>haut</strong>ement<br />

sages <strong>et</strong> courageux. Monnè : 274.<br />

Le patriarche. <strong>dans</strong> un accès <strong>de</strong> colère indignée s'écrie<br />

-Quelle déclaration? Quel papier? Qui l'a vu?<br />

l'a dit? Ce sont <strong>de</strong>s menteurs! <strong>de</strong>s menteurs!<br />

Monnè! Monnè! Intolérable monnè! Odieux monnè!<br />

Etouffé <strong>de</strong> colère <strong>et</strong> d'indignation, le centenaire tombe d'abord en syncope<br />

Revenu à lui, Il prend ensuite la très grave décision d'appliquer la sanction <strong>de</strong><br />

l'exil. à condition que Béma se montre honnête en faisant aveu <strong>de</strong> sa machination<br />

Djigui allait vivant entrer à Toukoro! Toukoro,<br />

le village.Immédiatement,un envoyé alla préciser<br />

à Béma que si, pour son malheur <strong>et</strong> celui <strong>de</strong> la<br />

dynastie, il n'arrivait pas sur-le-champ au<br />

Bolloda, Djigui aurait atteint Toukoro.L'entrée<br />

<strong>du</strong> patriarche <strong>de</strong>s Kéita à Toukoro signifierait<br />

qu'il aurait en abdiquant renoncé pour toute la<br />

dynastie <strong>de</strong>s Kéita à toute prétention au pouvoir<br />

à Soba: Béma perdrait toute légitimité, ce qUI<br />

aurai t pour lui <strong>et</strong> le pays <strong>de</strong>s conséquences<br />

catastrophiques. Monnè :275.<br />

Réaction dériSOire autant que pathétique d'un homme absolument dépassé par<br />

les événements d'un mon<strong>de</strong> qui lui est hostile <strong>et</strong> auquel il ne survivra pas<br />

Fama <strong>et</strong> Djigui. les <strong>de</strong>ux personnages principaux <strong>de</strong>s romans <strong>de</strong> Kourouma se<br />

ressemblent encore en bien d'autres points que l'étu<strong>de</strong> succincte qui précè<strong>de</strong> est<br />

loin d'avoir épuisés. Toutefois, comme figures symboliques, Fama <strong>et</strong> Djigui


35<br />

confèrent aux romans <strong>de</strong> l'auteur d'autres valeurs. Ce sont notamment les valeurs<br />

<strong>de</strong> documents historique <strong>et</strong> sociologique.<br />

Section 5-1-1-5 Valeurs <strong>de</strong>s <strong>œuvres</strong><br />

Est-II encore beSOin après le postulat intro<strong>du</strong>ctif <strong>et</strong> la brève étu<strong>de</strong> sur la<br />

<strong>fonction</strong> symbolique <strong>de</strong>s personnages, <strong>de</strong> préciser notre approche<br />

méthodologique? L'Investigation sur la « socialité » <strong>du</strong> discours romanesque<br />

selon le terme <strong>de</strong> C. Duch<strong>et</strong>, n'a en eff<strong>et</strong> que trop trahi l'orientation sociocritique<br />

<strong>de</strong> notre démarche interprétative. La question essentielle qu'il eût été utile <strong>de</strong><br />

poser, SI sa résolution ne nous faisait courir le risque d'une diversion, est celle <strong>de</strong><br />

la "vérité" romanesque, à savoir si le roman peut être l'exacte réplique <strong>de</strong> la<br />

réalité. Or, on ne peut poser une telle question <strong>et</strong> en élu<strong>de</strong>r ses corollaires<br />

philosophiques <strong>et</strong> épistémologiques pourtant trop théOriques <strong>et</strong> généraux: débat<br />

sur "antériorité ontologique entre réalité <strong>et</strong> imaginaire <strong>dans</strong> le fait romanesque, le<br />

problème <strong>de</strong> la mimésis. l'élucidation <strong>et</strong> la connaissance <strong>du</strong> réel, la question<br />

même <strong>du</strong> réalisme... On le voit, c'est une question éminemment complexe qui<br />

soulève un ensemble <strong>de</strong> problèmes dont le développement excé<strong>de</strong>rait à n'en pas<br />

douter, notre propos actuel. Aussi, soucieux <strong>de</strong> serrer <strong>de</strong> plus près notre centre<br />

d'intérêt. nous nous limiterons à l'explicitation <strong>du</strong> postulat initial. Celui-cI stipule<br />

que toute création humaine est toujours une projection <strong>de</strong> soi <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong><br />

vice-versa. un prolongement <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> l'œuvre ainsi créée. En eff<strong>et</strong>.<br />

l'HistOire interVient toujours <strong>dans</strong> le fait romanesque, inspire toujours la capacité<br />

Inventive <strong>de</strong> l'écrivain, que ce soit par médiation ou par Immédiation. C<strong>et</strong>te<br />

postulation <strong>de</strong> l'inter-influence entre l'art en général, <strong>et</strong> spécialement la littérature<br />

<strong>et</strong> la société, Daniel Madélénat la pose clairement en affirmant:<br />

L'art est une activité sociale, l'œuvre<br />

esthétique ne s'isole pas d'un environnement<br />

religieux, politique, culturel, économique,


36<br />

VOlre technique, bref d'un ensemble<br />

d'institutions, <strong>de</strong> mentalités, d'idéologies, <strong>de</strong><br />

savoirs, d'attitu<strong>de</strong>s proprement sociaux. 8<br />

Cela ne signifie pas que le rôle <strong>de</strong> l'imaginaire est nié, ni que les contraintes<br />

sociales <strong>du</strong> fait romanesque ne laissent aucune liberté au romancier <strong>dans</strong> la<br />

mo<strong>du</strong>lation <strong>et</strong> l'exploitation qu'il fait <strong>de</strong>s éléments que le répertoire référentiel (la<br />

société) lui propose. Il en dispose au contraire bien à sa guise selon ses proj<strong>et</strong>s<br />

esthétiques. ses fantasmes, ses convictions personnelles, son génie créateur. On<br />

peut même dire <strong>dans</strong> ce sens que la fiction romanesque développe un<br />

microcosme autotélique. Mais ce qu'il est difficile <strong>de</strong> concevoir. <strong>et</strong> a fortiori<br />

d'adm<strong>et</strong>tre, c'est l'affirmation d'une sui-référence absolue <strong>du</strong> roman d'une part, <strong>et</strong><br />

1inexistence <strong>du</strong> mOindre interstice médian entre lui <strong>et</strong> la réalité objective d'autre<br />

part Mais, peut-être sommes-nous là victime <strong>de</strong> l'incurie sociocritique sous­<br />

ten<strong>du</strong>e par la croyance en un pré-requis inéluctable l'anthropocentrisme<br />

congénalre <strong>de</strong> l'homme qui déteint <strong>dans</strong> tous ses rapports au mon<strong>de</strong>, <strong>et</strong> par<br />

conséquent <strong>dans</strong> sa création aussi Qu'on y prenne bien gar<strong>de</strong>. Nous ne nions<br />

pas à la fiction sa logique intra-textuelle qui, elle aussi s'impose au romancier qui<br />

ne peut la travestir ou l'ignorer sans évi<strong>de</strong>r l'esthétique romanesque <strong>de</strong> sa<br />

substance. En réalité, il n'est pOSSible à aucun écrivain d'y échapper <strong>et</strong> <strong>de</strong> toute<br />

façon, cela est absolument Inconcevable à la base. Ce que nous affirmons sans<br />

pousser à l'hypertrophie la valeur sociale <strong>de</strong> l'œuvre romanesque. c'est que, <strong>de</strong><br />

façon directe ou Indirecte, la société constitue l'invariant <strong>de</strong> tout procès créatif En<br />

eff<strong>et</strong> la littérature Ile sera Jamais la copie exacte <strong>de</strong> la société - encore qu'entre<br />

l'original <strong>et</strong> sa copie. il existe déjà une distance - mais seulement une tentative<br />

IllUSionniste <strong>de</strong> ses apparences C'est ainsi en partie que l'écrivain assure à son<br />

œuvre. un ancrage social par l'évocation d'événements à historicité établie <strong>et</strong><br />

1allusion à <strong>de</strong>s éléments architecturaux ou à <strong>de</strong>s lieux géographiques connus.


37<br />

1-1-5-1 Valeur <strong>de</strong> document historique<br />

Chez Kourouma, la valeur <strong>de</strong> document rlistorique se définit<br />

precisement par l'évocation <strong>de</strong> faits historiquement authentiques. AinsI <strong>dans</strong> Les<br />

sol<strong>et</strong>/s. le souvenir <strong>du</strong> bonheur <strong>de</strong> l'époque pré-coloniale (<strong>dans</strong> la mesure où la<br />

société vivait en autarcie, renfermée sur ses propres valeurs), l'époque coloniale<br />

elle-méme. ses corollaires, les luttes émancipatrices sont rappelés par Fama aux<br />

pages 21-22. On y r<strong>et</strong>rouve également à la page 162, la peste <strong>de</strong> 1919 qUI séVit<br />

atrocement <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te partie <strong>de</strong> l'Afrique, l'expulsion <strong>de</strong> la Côte d'Ivoire <strong>de</strong>s<br />

ressortissants <strong>du</strong> Dahomey (actuel Bénin) à la page 89. Par-<strong>de</strong>ssus tout, on ne<br />

peut s empêcher <strong>de</strong> penser au complot présumé <strong>de</strong> 1963: agitations politiques<br />

(Les Soleils: 160) sUivies d'arrestations arbitraires <strong>et</strong> d'incarcération d'hommes<br />

politiques <strong>et</strong> d'intellectuels redoutés, la mort <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s conditions mystérieuses <strong>du</strong><br />

ministre Nakou aux pages 163 <strong>et</strong> 173 respectivement, <strong>et</strong> qui rappelle étrangement<br />

celle <strong>du</strong> prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la cour suprême d'alors. Monnè aussi évoque <strong>de</strong>s faits bien<br />

établis tels que l'envahissement <strong>de</strong> Soba par les troupes <strong>du</strong> colonel Archinard à la<br />

fin <strong>du</strong> XIXe siècle à la page 34 <strong>et</strong> la défaite <strong>du</strong> grand résistant Samory Touré à la<br />

page 45 Sont également explicitement nommées <strong>dans</strong> ce roman. les <strong>de</strong>ux<br />

granaes Guerres aux pages 85, 109 <strong>et</strong> 111, les joutes électorales pour<br />

l'assemblée contituante suite à la loi-cadre <strong>de</strong> 1957 à la page 234, <strong>et</strong> la VictOire<br />

<strong>du</strong> R DA à la page 238 <strong>de</strong> Félix Houphou<strong>et</strong>-Boigny, nommément cité Les<br />

guerres d'Algérie <strong>et</strong> d'Indochine, l'épidémie <strong>de</strong> méningite qui décima<br />

Impitoyablement c<strong>et</strong>te Afrique-là sont aussI rappelées aux pages 263 <strong>et</strong> 204-205<br />

Toutes ces évocations d'événements historiquement authentiques confèrent aux<br />

romans <strong>de</strong> I


38<br />

1-1-5-2 Valeur <strong>de</strong> document sociologique<br />

L'enracinement <strong>de</strong>s <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong> Kourouma <strong>dans</strong> le terroir malinké se<br />

tra<strong>du</strong>it aussI par une <strong>de</strong>scription réaliste <strong>de</strong> la société traditionnelle, <strong>de</strong> la<br />

mentalité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la cosmogonie <strong>de</strong>s hommes, leur rapport à la nature. Ce tableau<br />

serait inachevé si les us <strong>et</strong> coutumes, l'art <strong>et</strong> surtout les croyances n'y figuraient.<br />

C'esT en eff<strong>et</strong> la somme <strong>de</strong> ces éléments culturels qUi font la spécificité <strong>de</strong> chaque<br />

peuple. qui conférent aux romans <strong>de</strong> Kourouma, leur valeur <strong>de</strong> document<br />

sociologique. Lune <strong>de</strong>s caractéristiques fondamentales <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te société, c'est<br />

d'abord sa hiérarchisation en cloisons étanches. Il existe d'un côté, la classe <strong>de</strong>s<br />

nobles <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'autre côté, celle <strong>de</strong>s non nobles <strong>et</strong> <strong>de</strong>s esclaves. Ce qUI explique la<br />

colère Indignée <strong>de</strong> Fama lorsque pour un léger r<strong>et</strong>ard <strong>du</strong> prince à la cérémonie<br />

funéraire <strong>de</strong> Koné Ibrahima, le gnot préposé à l'animation ose faire un amalgame<br />

outrageant en associant les Doumbouya avec les Kéita. AVilissement, déshonneur<br />

<strong>et</strong> humiliation ineffables tout à la fois pour Fama. On notera particulièrement <strong>dans</strong><br />

ce sens la caracténsation <strong>de</strong> l'affront qui explicite le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> gravité <strong>de</strong> l'infamie:<br />

- Un r<strong>et</strong>ard sans inconvénient; les coutumes <strong>et</strong><br />

les droits <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s familles avaient été<br />

respectés; les Ooumbouya n'avaient pas été<br />

oubliés. Les Princes <strong>du</strong> Horodougou avaient été<br />

associés avec les Kéita.<br />

Fama <strong>de</strong>manda au griot <strong>de</strong> se répétér.<br />

Celui-ci hésita. Qui n'est pas malinké peut<br />

l'ignorer: en la circonstance c'était un<br />

a f f r 0 nt, un affront à faire éclater les<br />

pupilles. Qui donc avait associé Doumbouya <strong>et</strong><br />

Kéita? Ceux-ci sont rois <strong>du</strong> Ouassoulou <strong>et</strong> ont<br />

pour totem l'hippopotame <strong>et</strong> non la panthère.<br />

D' un ton ferme, coléreux <strong>et</strong> indigné,<br />

Fama re<strong>de</strong>manda au griot <strong>de</strong> se répéter. Les<br />

soleils : 11 12.


39<br />

Cest un sentiment <strong>de</strong> même nature que provoque chez Djigui, l'impertinente<br />

inSistance <strong>du</strong> messager <strong>de</strong> Samory En eff<strong>et</strong>, <strong>de</strong>vant l'irrésistible ascension <strong>de</strong><br />

l'armée conquérante, le grand Samory lui-même, véritable stratège militaire,<br />

conseillait à ses pairs une désertion pure <strong>et</strong> simple <strong>de</strong> leur royaume. Mais Djigui<br />

avait une foi Inébranlable en ses forteresses qu'il avait fait édifier autour <strong>de</strong> Soba<br />

<strong>et</strong> qUI <strong>de</strong>vaient rendre son royaume Inexpugnable. Oès lors, Il ny avait aucune<br />

raison <strong>de</strong> faire désertion, ce d'autant plus que les sacrifices expiatoires avaient été<br />

agréés par le <strong>de</strong>stinataire <strong>et</strong> qu'en outre, Soba était assuré <strong>de</strong> la protection divine<br />

en récompense à sa gran<strong>de</strong> piété. Mais le messager que l'expérience a instrUit<br />

est persuadé <strong>de</strong> l'inefficacité <strong>de</strong>s arguments militaires <strong>et</strong> mystlco-religieux dont se<br />

prevalent ceux <strong>de</strong> Soba. Il essaie donc d'en convaincre le roi Djigui après avoir<br />

visité les forteresses:<br />

Les marabouts <strong>et</strong> les sorciers <strong>de</strong> Soba allèrent<br />

immol.er sur Les pierres <strong>et</strong>:. les murs <strong>du</strong> tata <strong>de</strong>s<br />

mouLons, <strong>de</strong>s bœufs, <strong>de</strong>s poul<strong>et</strong>s <strong>et</strong> même un nain<br />

<strong>et</strong> un albinos. Dans les ultimes tressaillements<br />

<strong>de</strong>s victimes, les <strong>de</strong>vins lurent que les<br />

sacrifices étaient acceptés. Les heureux augures<br />

furent confirmés par les cris <strong>et</strong> les vols <strong>de</strong>s<br />

charognards ec par le brutal changement <strong>de</strong> sens<br />

<strong>de</strong>s souffles <strong>de</strong>s vents.Fièrement, Djigui annonça<br />

les bons présages au messager qUl,<br />

ostensiblement, manifesta un certain agacement;<br />

il ne comprenait pas l'entêtement <strong>du</strong> roi. Djigui<br />

se fâcha; le roi ne pouvait accepter <strong>de</strong> la part<br />

d'un griot, un honune <strong>de</strong> caste, une certaine<br />

attitu<strong>de</strong> à son endroit. Il le regarda fixement;<br />

le griot entendit, s'excusa <strong>et</strong> se prosterna.<br />

Nonnè : 32.<br />

La colère <strong>du</strong> roi est amplement Justifiée. Pour lui en eff<strong>et</strong>, chacun dOit s'employer a<br />

Jouef ,\li mieux son rôle el1 assumant son statut SOCial <strong>et</strong> les règles <strong>du</strong><br />

clOisonnement qUI <strong>de</strong>meurent irréversibles Les griots dOivent rester les


41<br />

rencontrés <strong>et</strong> vus par les voyageurs.Monnè 12<br />

Une autre réalité <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> malinké, <strong>et</strong> plus généralement <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> traditionnel<br />

africain est la fervente croyance aux génies <strong>et</strong> aux mânes <strong>de</strong>s ancêtres, capables<br />

<strong>de</strong> régenter l'existence <strong>de</strong>s vivants. Ils peuvent agir négativement ou positivement<br />

sur le sort <strong>de</strong> chacun. Dans ces conditions, l'importance <strong>de</strong> j'oracle, le poids <strong>et</strong> la<br />

crainte <strong>de</strong>s spécialistes <strong>de</strong>s sCiences occultes, médiateurs présumés entre les<br />

hommes <strong>et</strong> leurs protecteurs, est indéniable. Capables <strong>de</strong> lire l'avenir, ils sont<br />

solliCites quotidiennement pour prévenir ou conjurer un malheur avec les<br />

sacrifices appropriés. Tout proj<strong>et</strong> sérieux doit s'entourer <strong>de</strong> toutes les garanties <strong>de</strong><br />

succès en subIssant l'épreuve <strong>de</strong> l'oracle, en se soum<strong>et</strong>tant à son Jugement:<br />

Un voyage s'étudie: on consulte le sorCler, le<br />

marabout, on cherche le sort <strong>du</strong> voyage, qUl se<br />

dégage favorable ou maléfique. Favorable, on<br />

j<strong>et</strong>te le sacrifice <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux colas blancs aux<br />

mânes <strong>et</strong> aux génies pour les remercier( ... ). Les<br />

soleils: 151.<br />

Pour comprendre <strong>de</strong> telles pratiques, Il faut les intégrer à l'ensemble <strong>de</strong> la<br />

cosmogonie afncalne traditionnelle. Nous avons là en eff<strong>et</strong>, une autre dimenSion<br />

<strong>de</strong> la VISion profondément organique <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, un mon<strong>de</strong> où cohabitent <strong>dans</strong><br />

une parfaite symbiose, les dieux <strong>et</strong> les hommes, les vivants <strong>et</strong> les mânes <strong>de</strong>s<br />

ancêtres. les animés <strong>et</strong> les choses. Le rapport <strong>de</strong> l'homme à la nature est d'une<br />

communion SI totale que toute IncondUite, toute démesure humaine provoque<br />

systématiquement un bouleversement, signe <strong>de</strong> rupture <strong>de</strong> l'harmonie pnmltive<br />

entre les forces naturelles <strong>et</strong> les Indivi<strong>du</strong>s. A preuve, les pleurs <strong>de</strong>s femmes à la<br />

vue <strong>de</strong> Fama venu aux funérailles <strong>de</strong> Laclna déchaînent la fureur <strong>de</strong> la tempête.<br />

Cest que ces pleurs étalent absolument Incongrus car le défunt avait été enterré<br />

<strong>de</strong>pUIS <strong>de</strong> très longues années:


42<br />

La cour étai t toute jonchée <strong>de</strong> pleureuses,<br />

asslegee par une légion <strong>de</strong> curieux <strong>et</strong> une meute<br />

<strong>de</strong> cabots, survolée par un nuage <strong>de</strong> charognards.<br />

C'en était trop <strong>et</strong> irrémédiablement cela<br />

provoqua le sirocco qui a surgi sous <strong>forme</strong> d'un<br />

<strong>de</strong> ces prompts, rapi<strong>de</strong>s <strong>et</strong> violents tourbillons<br />

<strong>de</strong> poussière <strong>et</strong> <strong>de</strong> kapok( ... ).Le vent renversa,<br />

arracha, aveugla <strong>et</strong> le vacarme s'arrêta. Les<br />

soleils :107.<br />

Une réaction d'hostilité i<strong>de</strong>ntique à celle-là est également provoquée <strong>dans</strong> Monné<br />

à cause <strong>de</strong> l'obstination <strong>du</strong> roi Djigui à comman<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s au-<strong>de</strong>là <strong>du</strong><br />

raisonnable Là encore, la rupture <strong>de</strong> l'harmonie se manifeste par <strong>de</strong>s scènes<br />

pittoresques avec l'attaque <strong>de</strong>s humains par les animaux. L'offenSive <strong>de</strong> ceux-ci<br />

oblige les victimaires à chercher refuge <strong>dans</strong> les habitations pour échapper à la<br />

mort. Mais il ne sagit là que d'une solution bien trop précaire pour apaiser la furie<br />

<strong>de</strong> la nature, car « c<strong>et</strong>te fois l'univers révolté ètait définitivement troublé Même<br />

les fauves <strong>de</strong> la nuit étaient sortis en plein soleil » ( Monné. 14). Si Kourouma<br />

propose <strong>de</strong>s tableaux si colorés <strong>de</strong> la psychologie <strong>du</strong> Malinké traditionnel où <strong>de</strong>s<br />

événements historiquement avérés apparaissent comme <strong>de</strong>s épiphénomènes, si<br />

les us <strong>et</strong> coutumes sont présentés avec une telle réussite, cela procè<strong>de</strong> avant tout<br />

<strong>de</strong> la connaissance effective <strong>de</strong> ce mon<strong>de</strong> par l'écrivain. Et les mdices<br />

autobiographiques i<strong>de</strong>ntifiables <strong>dans</strong> les <strong>œuvres</strong>, viennent attester la part réelle<br />

prise par l'auteur <strong>et</strong> les siens <strong>dans</strong> l' histoire anecdotique <strong>de</strong>s romans.<br />

Section 6-1-1-6 Des indices autobiographiques<br />

Les notes biographiques <strong>et</strong> l'étu<strong>de</strong> sur la valeur <strong>de</strong>s <strong>œuvres</strong> ont donné un<br />

aperçu <strong>de</strong> l'implication effective <strong>de</strong> l'auteur <strong>dans</strong> l'histoire vécue <strong>et</strong> que rapportent<br />

les romans CecI est davantage vrai pour les allUSions à la guerre d'Indochine<br />

le complot présumé <strong>de</strong> 1963 <strong>et</strong> ses corollaires... Mais le rapport au réel <strong>de</strong>s<br />

<strong>œuvres</strong> prend aussi appui sur 1 ascendance familiale même <strong>de</strong> l'écrivain dont les


43<br />

parents ou proches servent parfois à la création <strong>de</strong> certains personnages.<br />

De ce pOint <strong>de</strong> vue, les origines nobles <strong>de</strong>s personnages principaux ont l'allure<br />

d'une projection <strong>de</strong> l'ascendance personnelle <strong>de</strong> Kourouma <strong>et</strong> peut constituer <strong>de</strong><br />

ce fait même. le premier Indice autobiographique Mais l'hommage aux siens va<br />

bien plus loin, car l'auteur confie volontiers que le personnage <strong>de</strong> Fama est l'alter<br />

ego <strong>de</strong> son grand-père. CelUI-ci se nommait Abdoulaye, <strong>et</strong> SI Fama n'en est pas<br />

le sosie, <strong>du</strong> mOins lui ressemble-t-il beaucoup physiquement. " en est <strong>de</strong> même<br />

pour Balla chargé d'incarner jusqu'au nom signifiant « porc-épic », une<br />

personne qui fut effectivement très proche <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> l'auteur. " n'est pas<br />

même Jusqu'à la génèse <strong>de</strong> la dynastie Ooumbouya qui ne soit d'origine familiale.<br />

f


Les Soleils Thèmes/ Situations Monnè<br />

44<br />

7 Errance <strong>de</strong> 122<br />

fantôme<br />

99 -100 Prophéties <strong>du</strong> 17 - 18<br />

messager<br />

99 - 102 Histoire <strong>de</strong>s dynasties (la<br />

mémoire <strong>de</strong> l'origine <strong>de</strong> leur<br />

ascendance revient aux héros<br />

lorsqu'ils prennent conscience<br />

<strong>de</strong> leur fin proche)<br />

277<br />

109 -116 Le Malinké 14<br />

musulman <strong>et</strong><br />

fétichiste<br />

123 Rêve<br />

cauchemar<strong>de</strong>sque <strong>du</strong><br />

héros<br />

147 Réaction <strong>de</strong> la nature<br />

troublée (par l'abondance<br />

<strong>de</strong> sang <strong>de</strong> sacrifice)<br />

89<br />

13-14/ 97<br />

151 Obstination <strong>du</strong> héros 31-34/ 121-122


Conclusion<br />

45<br />

Avec l'accession à l'indépendance <strong>de</strong>s pays africains, le rôle historique <strong>de</strong><br />

la Négritu<strong>de</strong>, mère lOintaine <strong>du</strong> roman africain d'expression française échOit <strong>dans</strong><br />

son militantisme social, à une nouvelle génération d'écrivains. Toutefois, avec<br />

ceUX-Ci le sens <strong>du</strong> combat s'introvertit, les écrivains s'attachant désormais en<br />

priorité à c<strong>et</strong>te Afrique en gestation. Presque simultanément à ce renouvellement<br />

thématique, <strong>de</strong>s démarches <strong>forme</strong>lles sont entreprises qui ouvrent le roman à la<br />

littérature orale. Parmi ces auteurs, figure A Kourouma dont nous voudrions<br />

espérer que l'étu<strong>de</strong> qui précè<strong>de</strong> aura permis <strong>de</strong> le faire connaître davantage En<br />

eff<strong>et</strong>. ce travail préliminaire était indispensable, non seulement parce qU'II vise à<br />

une bonne Intelligence <strong>de</strong>s démonstrations à venir, mais encore, parce qu'en<br />

dépit <strong>de</strong> la bonne fortune <strong>de</strong> ses <strong>œuvres</strong>, Kourouma n'a pas la notoriété mondiale<br />

<strong>de</strong> L S Senghor ni d'Aimé Césaire. Notons par-<strong>de</strong>ssus tout que la désobéissance<br />

<strong>de</strong> 1homme à l'autorité hiérarchique, sa révolte contre toutes les <strong>forme</strong>s<br />

d'oppression inique témoignent d'un désir <strong>de</strong> liberté que tradUit son esthétique<br />

littéraire Le chapitre sUivant perm<strong>et</strong>tra d'apprécier ce désir indomptable <strong>de</strong> liberté<br />

au niveau <strong>de</strong> la pro<strong>du</strong>ction romanesque <strong>de</strong> l'éCrivain. Le but est <strong>de</strong> montrer que la<br />

<strong>forme</strong> lirtéraire <strong>de</strong> Kourouma qui emprunte beaucoup à la tradition orale est sous­<br />

ten<strong>du</strong>e par une quête <strong>de</strong> crédibilité discurSive qui trahit une crise plus profon<strong>de</strong>,<br />

celle <strong>du</strong>ne certaine i<strong>de</strong>ntité culturelle africaine Ambition légitime si elle en est, la<br />

recherche <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te I<strong>de</strong>ntité n'est pas moins suj<strong>et</strong>te à controverse. En eff<strong>et</strong>, comme<br />

nous le montrerons bientôt, le proj<strong>et</strong> d'une certaine i<strong>de</strong>ntité culturelle africaine<br />

soulève <strong>de</strong>s questions essentielles qui, <strong>de</strong> l'avis même <strong>de</strong>s africanistes les plus<br />

optimistes. <strong>et</strong> eu égard à l'impossibilité actuelle <strong>de</strong> satisfaire aux conditions tant<br />

andogènes qu'exogènes, resteront pour longtemps encore en suspens En fait la<br />

réalisation d'une telle ambition aussi légitime Salt-elle, paraît assez utopique.


46<br />

1 - D Madélénat. « Littérature <strong>et</strong> société » in Précis <strong>de</strong> littérature<br />

comparée Presses Universitaires <strong>de</strong> France, 1989, p 120.<br />

2 - Le complot présumé sera officiellement démenti en 1970 par feu Félix H.<br />

Boigny lui-même. alors prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République Lire à ce sUj<strong>et</strong> J Baulin. La<br />

Politique intérieure d'Houphou<strong>et</strong> Boigny. Eurafor Press, 1982.<br />

3 - Au cours <strong>de</strong> l'entr<strong>et</strong>ien qu'il a bien voulu nous accor<strong>de</strong>r à son domicile <strong>de</strong> Lyon<br />

le 25 août 1992, l'auteur nous a fait la confi<strong>de</strong>nce <strong>de</strong> l'imminence <strong>de</strong> la r<strong>et</strong>raite <strong>de</strong><br />

l'administrateur au mois <strong>de</strong> novembre <strong>de</strong> la même année. Il regagnerait ensuite la<br />

Côte d'Ivoire.<br />

4 - J Mazaleyrat & G. Molinié. Vocabulaire <strong>de</strong> la stylistique Presses<br />

Universitaires <strong>de</strong> France, 1989, P 118.<br />

5 - L'ivoirisme est une sorte <strong>de</strong> français populaire parlé en Côte d'Ivoire. " se<br />

caractérise entre autres, par sa tendance à la postposition <strong>de</strong> l'article défini,<br />

comme <strong>de</strong> dire par exemple, «La femme-la est jolie». Peuvent également y être<br />

Incluses. les hypostases impropres comme la transformation en verbe <strong>du</strong><br />

substantif moyen, ayant valeur <strong>du</strong> semi-auxiliaire pouvoir: «Je moyen te<br />

frapper» Des Interférences linguistiques traitées ici même en font aussi partie<br />

6 - Cité par J C Nicolas in Comprendre Les Soleils <strong>de</strong>s Indépendances<br />

d'Ahmadou Kourouma. Editions Saint-Paul, 1985, p 5.<br />

7 - J. Chevrier. Littérature nègre. A Colin, 1989, p 99.<br />

8 - O. Madélénat op. cit, p 105.


48<br />

<strong>dans</strong> un groupe>>. Un problème se pose alors à ce niveau qUI est relatif à la<br />

nature <strong>de</strong> la transmission <strong>de</strong> ces valeurs. C'est celui <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> crédibilité <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

fidélité par rapport au texte <strong>du</strong> message original Comment conserver <strong>et</strong><br />

transm<strong>et</strong>tre à travers le temps <strong>et</strong> sans risque <strong>de</strong> déperdition, l'expérience humaine<br />

sur la foi exclusive <strong>de</strong> la mémoire d'une personne? En eff<strong>et</strong>, le griot ou le conteur<br />

est le dépositaire essentiel <strong>de</strong> l'Histoire <strong>dans</strong> les sociétés <strong>de</strong> tradition orale, <strong>et</strong><br />

seule sa mémoire sert <strong>de</strong> critère d'authenticité <strong>de</strong> l'expérience humaine. Du fait <strong>de</strong><br />

['oubli, les risques d'une sélection Involontaire sont par conséquent réels. Un<br />

constat <strong>de</strong> terminologie s'Impose cependant, lié au caractere <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

communication. On comprend en eff<strong>et</strong> pourquoi, en raison <strong>de</strong> la modalité orale<br />

<strong>de</strong> la pérennisation <strong>du</strong> patrimoine, on a pu arriver au concept <strong>de</strong> tradition orale.<br />

Cela répondait sans doute à une certaine exigence <strong>de</strong> précision sémantique,<br />

méme SI. Il est vrai, le concept semble être assez pléonastique En fait. le concept<br />

est révélateur <strong>de</strong> l'opposition classique scnpturalité-oralité. opposition qui, elle­<br />

même pourrait susciter quelques critiques normatives, surtout par rapport au<br />

concept <strong>de</strong> «littérature orale traditionnelle ». L'oralité <strong>et</strong> la scripturalité<br />

in<strong>forme</strong>nt en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>s moyens <strong>de</strong> communication différents. Alors que l'une définit<br />

!a propriété exclusivement auditive <strong>de</strong> la perception <strong>du</strong> message émiS. l'autre se<br />

caractérise par la propriété exclusivement visuelle <strong>de</strong> la perception <strong>du</strong> message<br />

ecrit. Chaque type <strong>de</strong> communicantlon ayant ainsi ses corrélatifs spéCifiques où ce<br />

qUi est éCrit (littérature) s'oppose à ce qui est proféré (oral), il paraît a pnon<br />

absolument contradictoire <strong>et</strong> aberrant <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> littérature orale. Que répondre?<br />

SI la réaction qui pourraIt s'opposer à la Justesse <strong>du</strong> concept <strong>de</strong> littérature orale<br />

nest pas absolument injustifiée, elle est cependant irrecevable en raison <strong>de</strong> son<br />

étymologlsme, car c'est bien d'étymologlsme qu'il s'agit <strong>dans</strong> le raisonnement. Or<br />

<strong>de</strong> nos jours. l'extension <strong>du</strong> terme « littérature » à tout ce qUI est usage<br />

esthétique <strong>du</strong> langage, quil soit <strong>de</strong> nature scripturale ou orale fait que le concept<br />

sest logiquement imposé <strong>dans</strong> la terminologie <strong>de</strong> la critique littéraire. Nous ne<br />

ien sortirons pas. A preuve, nous en usons comme variante <strong>du</strong> premier. " en va


51<br />

romanesque qui s'en inspire est l'hypertexte. On pourrait objecter que<br />

l'intertextualité ne s'applique qu'à <strong>de</strong>s textes écrits <strong>et</strong> qui ont <strong>de</strong>s auteurs<br />

pariaitement I<strong>de</strong>ntifiables, mieux, pariaitement connus. Or, tel n'est pas le cas <strong>de</strong><br />

la littérature orale traditionnelle qUI, en tant que patrimoine public, n'est en général<br />

la création ou la propriété privée d'aucun membre <strong>de</strong> sa société d'origine. Dans<br />

ces conditions, ne sommes-nous pas en porte-à-faux avec les principes<br />

fondamentaux <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s d'intertextualité? N'est-ce pas impropre, en d'autres<br />

termes. <strong>de</strong> parler d'influence entre la littérature orale traditionnelle <strong>et</strong> <strong>de</strong>s <strong>œuvres</strong><br />

romanesques? Pour éviter tout enlisement <strong>dans</strong> un débat sans doute intéressant<br />

mais dont le développement, <strong>dans</strong> le cadre <strong>de</strong> notre propos actuel serait on ne<br />

peut plus Inopportun. tranchons la question tout <strong>de</strong> sUite<br />

La justification à l'emploi que nous faisons <strong>du</strong> concept <strong>de</strong> littérature, à<br />

savoir son extension à tout ce qUI est usage esthétique <strong>de</strong> la parole, est encore<br />

recevable pour notre brève étu<strong>de</strong> d'intertextualité. Et, si le recueil, la tra<strong>du</strong>ction <strong>et</strong><br />

la publication <strong>de</strong>s recits oraux traditionnels narrlvent pas toujours à résoudre<br />

complètement la question <strong>de</strong> la propriété <strong>de</strong> ceux-ci, ni par consèquent à les sortir<br />

<strong>de</strong> l'anonymat, on ne saurait récuser leur littérarité dès lors qu'ils sont publiés. Il<br />

s'ensuit qu'il n'y a aucune impropriété à parler <strong>de</strong>s influences intertextuelles entre<br />

littérature orale <strong>et</strong> roman Poursuivons par conséquent. Dans son intervention au<br />

colloque 3 sur la survivance <strong>du</strong> mythe <strong>dans</strong> la littérature africaille mo<strong>de</strong>rne. Jean<br />

Derive montre bien que l'histoire <strong>de</strong> Balla est inspirée <strong>de</strong>s « récits mythiques tels<br />

quon les trouve <strong>dans</strong> les chants <strong>de</strong> chasseur malinké ("ngoni donkili" ) ». Dans<br />

ces conditions, qui, mieux que Derive lUI-même saurait proposer un résumé<br />

commenté <strong>de</strong> l'hypotexte où le chasseur Ba Mari affronte un éléphant fabuleux <strong>du</strong><br />

nom <strong>de</strong> kowulen (le « dos rouge » )? Citons-le donc:<br />

Après avoir décoché en vain un coup <strong>de</strong> fusil,<br />

pourtant particulièrement soigné,à kowulen, le<br />

chasseur est poursuivi:Ba Mori se Lrans<strong>forme</strong> en<br />

fossé, kowulen se trans<strong>forme</strong> en eau,Ba Mari se


54<br />

n avoir aucun pouvoir maléfique en eux-mêmes, il est toujours à redouter une<br />

réaction mystique violente <strong>de</strong>s dépositaires <strong>de</strong> ces pratiques qui eux, détiennent<br />

effectivement la réalité <strong>de</strong>s forces occultes <strong>et</strong> qui pourraient s'en servir pour faire<br />

respecter leur autorité mise à mal. Mais, que l'on y accor<strong>de</strong> fOI ou non, ces<br />

pratiques continuent aujourd'hui encore <strong>de</strong> régenter sous diverses <strong>forme</strong>s,<br />

l,exIstence <strong>de</strong> nombreuses personnes, toutes couches socio-professlonnelles<br />

confon<strong>du</strong>es. C'est que <strong>dans</strong> l'inconscient collectif, elles peuvent contribuer au<br />

bonheur Indivi<strong>du</strong>el <strong>et</strong> social, <strong>de</strong> sorte que leur survivance tra<strong>du</strong>it une sorte <strong>de</strong> pari<br />

pascalien.<br />

Un autre interdit transm is par les contes étiologiques se situe <strong>dans</strong> le<br />

prolongement <strong>de</strong>s raisons qUI viennent d'être évoquées à propos <strong>du</strong> pacte <strong>de</strong> non<br />

agression, pacte dont l'obligation <strong>de</strong> respect, il va <strong>de</strong> soi, pèse exclusivement sur<br />

les humains C'est l'existence <strong>de</strong> lien <strong>de</strong> « parenté » entre telle famille <strong>et</strong> tel ou<br />

tel animal <strong>et</strong> qUI remonte en général à l'aïeul <strong>de</strong> la famille En eff<strong>et</strong> les contes<br />

génésiaques précisent presque toujours sans ambages, le tribut <strong>de</strong> l' aleul <strong>et</strong>, par<br />

extension, <strong>de</strong> sa <strong>de</strong>scendance à tel ou tel animal compatissant <strong>et</strong> secourable qui<br />

le sauva d'un grave péril ou d'une situation fort délicate Aussi en guise <strong>de</strong><br />

reconnaissance, l'aieul défendra-t-il <strong>forme</strong>llement aux siens, la consommation <strong>de</strong><br />

a Vian<strong>de</strong> <strong>de</strong> la bête <strong>de</strong>venue désormaiS un « allié » <strong>de</strong> la famille Et, comme<br />

<strong>dans</strong> le cas <strong>de</strong>s rapports idolâtriques, la menace réelle ou supposée <strong>du</strong>n malheur<br />

pouvant aller Jusqu'à la mort <strong>du</strong> contrevenant pèsera, telle l'épée <strong>de</strong> Damoclès,<br />

sur toute personne qui serait tentée <strong>de</strong> rompre par malice c<strong>et</strong>te alliance Toute<br />

société étant naturellement tentée <strong>de</strong> se survivre, l'indivi<strong>du</strong> marginal qui, par<br />

hardiesse affichée, risque <strong>de</strong> saper le soubassement culturel <strong>de</strong> l'édifice social,<br />

sera en toute logique conservatiste, ex-communié Et, afin que !'lnexemplarlté <strong>de</strong><br />

la déviation ne fasse d'éventuels émules <strong>et</strong> que toute velléité imitative soit inhibée,<br />

le contrevenant paiera au prix fort sa témérité: il sera en général mortellement<br />

sanctionné <strong>dans</strong> le conte Ainsi s'explique en partie, la défaite <strong>du</strong> chasseur-expert<br />

qUI aurait à <strong>de</strong>ssein, contrevenu au co<strong>de</strong> déontologique <strong>de</strong> la chasse ou au pacte


55<br />

sacré entre humains <strong>et</strong> bêtes. Mais, faut-il le répéter, ceci est un cas a-tYPique<br />

extrêmement rare Ouoi qu'il en soit, le combat <strong>de</strong> Balla avec le buffle-génie ne<br />

subvertit pas la structure <strong>du</strong> modèle traditionnel. Nous repro<strong>du</strong>isons in extenso le<br />

texte <strong>de</strong> c<strong>et</strong> affrontement.<br />

A propos <strong>de</strong> buffles, le combat <strong>de</strong> Balla contre<br />

un buffle-génie fut épique.Dans les lointaines<br />

plaines <strong>du</strong> fleuve Bafing, Balla déchargea entre<br />

les cornes d'un buffle les quatre doigts <strong>de</strong><br />

poudre.Quel fut l'ébahissement <strong>du</strong> chasseur<br />

lorsqu'il vit la bête foncer sur lui comme si<br />

le coup n' avait été que le p<strong>et</strong> d'une grand­<br />

maman. L' homme expérimenté <strong>et</strong> savant qu'étai t<br />

Balla comprit tout <strong>de</strong> suite qu'il avait affaire<br />

à un buffle-génie,<strong>et</strong> il sortit le profond <strong>de</strong> son<br />

savoir. Combat singulier entre l'homme savant <strong>et</strong><br />

l'animal-génie! L'homme prononça une incantation<br />

grâce au pouvoir <strong>de</strong> laquelle il balança son arme<br />

qUl se maintint à <strong>haut</strong>eur d'arbre entre ciel <strong>et</strong><br />

terre; une autre incantation, <strong>et</strong> Balla fut<br />

transporté <strong>et</strong> assis sur son fusil aussi<br />

confortablement que <strong>dans</strong> un hamac <strong>et</strong> trop <strong>haut</strong><br />

pour être inquiété par le buffle.Mais le buffle<br />

était aussi savant que l'homme <strong>et</strong> l'animal se<br />

métamorphosa en aigle <strong>et</strong> piqua ses serres en<br />

croch<strong>et</strong>s sur Balla qui ne <strong>du</strong>t son salut qu'à une<br />

incantation,grâce à laquelle il se transforma en<br />

aiguille, le chasseur n'échappant toujours pas<br />

aux poursuites <strong>du</strong> buffle qui se fit fil, <strong>et</strong> le<br />

fil rampa promptement pour pénétrer <strong>et</strong> soulever<br />

l'aiguille.Rapi<strong>de</strong>ment, d'aiguille Balla se<br />

métamorphosa en brindille pour se soustraire au<br />

fil rampant,<strong>et</strong> la brindille disparut entre les<br />

herbes.Le buffle pourchassa toujours <strong>et</strong> se fit<br />

flamme <strong>et</strong> la flamme se mit à consumer la<br />

ln-ousse, La fumée cie J'incendie s'éleva, le<br />

crepitement <strong>de</strong> La llamme se mit a assourdir <strong>et</strong><br />

le remue-ménage gagna toute la brousse.<br />

Profitant <strong>de</strong> ce remue-ménage, Balla, grâce à une


57<br />

censé tra<strong>du</strong>ire une expérience réellement vécue par un personnage <strong>du</strong> roman<br />

fI,,1als. si <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue <strong>du</strong> contenu, certaines anecdotes sont étroitement liées à<br />

la littérature orale, la <strong>forme</strong> (le discours ou l'énonciation) doit également beaucoup<br />

à c<strong>et</strong>te littérature. En particulier, nous avons affaire à une narration qui rappelle la<br />

pratique <strong>du</strong> conte traditionnel.<br />

1-2-1-2 Emprunt relatif à la <strong>forme</strong><br />

\-2-1-2-1 Une narration vivante<br />

1-2-1-2-1-1 Le modèle <strong>du</strong> conte<br />

Pour mieux saisir l'exploitation <strong>du</strong> conte, une démarche didactique s'impose.<br />

Elle consiste en la <strong>de</strong>scription succcincte <strong>du</strong> « contage » Nous nommons ainsi<br />

la préltiClue ciu conte. incluant l'atmosptlère générale <strong>de</strong> confraternité entre récitant<br />

<strong>et</strong> auditeurs, avec la conscience collective plus ou moins réelle <strong>et</strong> la complicité<br />

solidaire d'être <strong>de</strong>s co-pro<strong>du</strong>cteurs <strong>du</strong> conte. Une veillée <strong>de</strong> conte est en eff<strong>et</strong> un<br />

spectacle total, une véritable activité "trans-artistique" où <strong>dans</strong>es, chants,<br />

proverbes, <strong>de</strong>vin<strong>et</strong>tes.. interviennent. Comme au théâtre, le succès <strong>du</strong> spectacle<br />

se mesure à la complicité agissante entre le récitant <strong>et</strong> son auditoire. Des qualités<br />

oratoires <strong>et</strong> artistiques <strong>du</strong> conteur 6 (il doit être à la fois excellent orateur, bon<br />

comique <strong>et</strong> parfois excellent chanteur, musicien <strong>et</strong> <strong>dans</strong>eur) dépend en gran<strong>de</strong><br />

partie la réussite ou l'échec <strong>du</strong> contage. En eff<strong>et</strong>, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> l'institutionnalisation<br />

<strong>de</strong>s thèmes <strong>et</strong> leur orientation morale7, Il pèse sur chaque auditeur, une<br />

présomption <strong>de</strong> bon conteur La récitation requiert par conséquent d'énormes<br />

qualités pour répondre favorablement à l'horizon d'attente <strong>du</strong> public qui assure en<br />

définitive un rôle <strong>de</strong> censeur <strong>et</strong> <strong>de</strong> critique collectif. En eff<strong>et</strong>, si le récitant dispose<br />

d'une certaine marge <strong>de</strong> liberté d'exposition (pOSSibilité d'actualisation<br />

thématique. <strong>du</strong> moins pour certains détails <strong>du</strong> récit, variabilité <strong>du</strong> ton <strong>de</strong><br />

présentation) Il doit veiller à ne Jamais excé<strong>de</strong>r <strong>et</strong> asservir les recommandations


58<br />

edictées par la tradition. Ce n'est qu'à c<strong>et</strong>te condition que le public co-pro<strong>du</strong>cteur<br />

occasionnel s'y r<strong>et</strong>rouve avec satisfaction. C<strong>et</strong>te connivence, c<strong>et</strong>te dynamique <strong>du</strong><br />

contage est une réalité <strong>de</strong> l'héritage littéraire oral judicieusement mis à profit par<br />

Kourouma. Le jeu <strong>de</strong>s questions-réponses entre le conteur <strong>et</strong> son public en<br />

constitue l'une <strong>de</strong>s manifestations les plus importantes. Comme précé<strong>de</strong>mment<br />

annoncé, nous allons proposer un extrait <strong>de</strong> dialogue au cours d'une séance <strong>de</strong><br />

conte<br />

Le texte 8 porte sur le thème <strong>de</strong> la jeune fille nubile qui ne veut épouser<br />

que l'homme <strong>de</strong> son choix contre l'avis <strong>de</strong> ses parents. Dans une société où<br />

naguère la sUjétion <strong>de</strong> l'indivi<strong>du</strong> au groupe était inexorable pour <strong>de</strong>s raisons déjà<br />

évoquées, le désir d'indépendance ne pouvait être que mal perçu AinsI, les<br />

contes <strong>de</strong> la jeune fille difficile suivent-ils toujours, à quelques variantes <strong>de</strong><br />

présentation près, une orientation morale <strong>et</strong> idéologique commune A force <strong>de</strong><br />

caprice <strong>et</strong> d'obstination, la jeune fille finit par épouser un étranger, homme d'une<br />

rare beauté mais dont la nature humaine n'est qu'une Imposture résultant d'une<br />

métamorphose précaire. C'est le cas <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te jeune fille qui, subissant les<br />

eXigences Infernales <strong>de</strong> son mari (un fantôme), appelle à sa rescousse<br />

I·autochtone qu'elle avait écon<strong>du</strong>it avec si peu d'égards.<br />

La Jeune fille <strong>dans</strong> une élégie<br />

Quand il fait jour: «remue <strong>de</strong><strong>dans</strong> »<br />

Quand il fait nuit: «remue <strong>de</strong><strong>dans</strong> »<br />

Il Y a [)lein cie bêtes ici, viens ( refraill<br />

Mon mari Aka Ano<br />

Aka Ana<br />

J'appelle mon marl Aka Ano<br />

Le conteur à l'auditoire <strong>et</strong> réplique <strong>de</strong> celui-ci<br />

- Vous connaissez Aka Ana?


- Non!<br />

59<br />

- C'est le chasseur qu'elle avait refusé en<br />

mariage qui s'appelait ainsi.<br />

- Ah! bon!<br />

-Aujourd'hui lorsqu'elle l'appelle, elle ne<br />

dit plus Mo 9<br />

- Non!<br />

Aka Ana.<br />

Dans les romans <strong>de</strong> Kourouma, l'insertion <strong>de</strong> ce dialogue se fait par la sollicitation<br />

constante d'un narrataire imaginaire assumant symboliquement la <strong>fonction</strong><br />

dévolue aux auditeurs. Le paragraphe qui va suivre ( p 61) l'atteste.<br />

1-2-1-2-1-2 L'exploitation <strong>du</strong> modèle ou la technique<br />

<strong>de</strong> l'illusion allocutaire<br />

La modalisation est un concept important <strong>dans</strong> le procès d'énonciation. Il<br />

pose la problématique <strong>de</strong> la distance <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'énonciation à son propre<br />

énoncé Deux attitu<strong>de</strong>s, exclusives l'une <strong>de</strong> l'autre sont à considérer SOit<br />

l'énonclateur se détache affectivement <strong>de</strong> son énoncé - on parle alors <strong>de</strong><br />

distance maximale - soit au contraIre, il l'assume totalement, sy impliquant<br />

personnellement C'est la distance minimale. Dans c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième hypothèse.<br />

l'adhésion <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> à son propre discours est i<strong>de</strong>ntifiable grâce à <strong>de</strong>s Indices<br />

pertinents <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te présence que R. Jakobson a désignés sous le nom<br />

d'embrayeurs (shifters) Ce sont tous les éléments <strong>de</strong> la déixis, quels qU'Ils soient,<br />

spatiaux (ICI, là-bas <strong>et</strong> d'autres) ou temporels (hier, maintenant, <strong>de</strong>main). On y<br />

compte également les personnels (je, moi ), les adverbes d'opinion (peut-être,<br />

assurelllent .. ) <strong>et</strong> ce qu'il est convenu d'appeler verbes performatifs à la sUite <strong>de</strong><br />

BeilVenlste Ce sont tous les verbes dont le sémantisme se réalise au cours <strong>du</strong><br />

procès dénonCiation même qui les ém<strong>et</strong> Imaginez un tribunal <strong>et</strong> un témoin invité


60<br />

à donner sa version d'un fait qui constitue l'obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> procès. Le témOin qui, en<br />

prètant serment énonce« Je jure <strong>de</strong> dire la vénté», accomplit, <strong>dans</strong> le temps<br />

mème où il affirme vouloir dire la vérité, l'acte même <strong>de</strong> jurement. En jurant <strong>de</strong> ne<br />

dire que la vénté, le témoin ne fait pas autre chose que jurer à l'instant même où il<br />

dit jurer Ainsi peut-on dire que l'une <strong>de</strong>s caractéristiques <strong>du</strong> discours performatif<br />

est sa sLlHéférence Celle-cI ctésigne le fait que le discours soit auto-réfléchi ou<br />

bien le fait que, selon <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> Ducrot, « l'énonciation traite d'elle-même<br />

» Outre c<strong>et</strong>te caractéristique, la periormativité d'un discours se définit surtout par<br />

l'Instantanéité <strong>et</strong> la Simultanéité d'accomplissement <strong>de</strong> l'action à travers l'acte <strong>de</strong><br />

parole <strong>et</strong> à travers lui seul. Ceci est une condition importante car elle perm<strong>et</strong><br />

d'anticiper sur <strong>de</strong>s oblections prévisibles (<strong>et</strong> bien analysées <strong>du</strong> reste par<br />

Benveniste) sur la théorie <strong>de</strong> la performativité. L'interrogation suivante tra<strong>du</strong>it l'une<br />

<strong>de</strong> ces objections Un sUj<strong>et</strong> écrivant une l<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> énonçant lors <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te actiVité<br />

« J'écris une l<strong>et</strong>tre » tient-il un discours periormatif? La réponse est négative,<br />

bien sûr La raison en est que la periormativlté est non seulement sUI-référentielle<br />

<strong>et</strong> instantanée, mais encore, elle est restrictive <strong>et</strong> sélective C<strong>et</strong>te condition<br />

supplémentaire exclut <strong>de</strong> la performativité tout énoncé qui n'est pas<br />

sémantlquement invariable, quelle que soit la Situation <strong>de</strong> l'énonciation Dire<br />

«J'écris une l<strong>et</strong>tre» <strong>dans</strong> le temps où c<strong>et</strong>te actiVité est accomplie ne peut être<br />

performatif car la conformité <strong>de</strong> l'activité à l'énonciation est d'une validité<br />

temporellement circonscrite. En termes différents, dès lors que l'association<br />

actiVité - enonclatlon sera rompue, la préten<strong>du</strong>e performatlvité <strong>du</strong> discours sera<br />

contrariée par ce fait même, ce qui n'est pas le cas <strong>de</strong> jurer <strong>et</strong> prom<strong>et</strong>tre La<br />

val idité d'un discours performatif est par conséquent exclusive <strong>de</strong> toute<br />

solliCitation extra-linguistique, <strong>de</strong> sorte que, pour le comprendre comme tel, Il n'est<br />

nul besoin <strong>de</strong> faire appel à l'activité <strong>du</strong> suj<strong>et</strong> en procès énonciatif Ce qui COIT1pte<br />

par conséquent. c'est l'énoncé <strong>et</strong> lui seul. Pour revenir à la modalisation <strong>et</strong><br />

conformément à ce qui précè<strong>de</strong>, on peut dire qu'elle marque la prise en charge <strong>de</strong><br />

l'énoncé par son énonclateur au moyen <strong>de</strong>s déictiques <strong>et</strong> assimilés Dans les


62<br />

moins <strong>de</strong>ux <strong>fonction</strong>s essentielles. D'une part, la <strong>fonction</strong> conative par laquelle le<br />

narrateur interpelle le narrataire-Iecteur par le vous. D'autre part, on note \a<br />

<strong>fonction</strong> expressive qui marque la présence <strong>du</strong> narrateur <strong>dans</strong> son discours par<br />

',es termes performatifs « Eh bien, mOI, je vous le jure, <strong>et</strong> j'ajoute.. », mais aussI<br />

au moyen <strong>de</strong>s artifices d'auto-correction « c'est possible, d'ailleurs sûr que... »<br />

grâce auxquels Il passe d'un doute simulé à une assurance infaillible. Tous ces<br />

procédés langagiers excè<strong>de</strong>nt la modalisation tout en instituant celle-ci pour créer<br />

au second <strong>de</strong>gré, l'illusion d'un dialogue impossible entre narrateur <strong>et</strong> lecteur. En<br />

eff<strong>et</strong>, les « vous paraissez sceptiques », « je vous le jure » IIlstltuent une<br />

situation <strong>de</strong> communication fictive entre allocutaires non moins imaginaires. C'est<br />

:::<strong>et</strong>te situation <strong>de</strong> communicatIon fictive qui fon<strong>de</strong> l'illusion allocutolre. En eff<strong>et</strong>,<br />

ces formules à valeur argumentative laissent supposer que le suj<strong>et</strong> <strong>du</strong> discours<br />

juge <strong>de</strong> l'incré<strong>du</strong>lité d'un interlocuteur par une certaine gestuelle <strong>du</strong>bitative mêlée<br />

parfois d'innocente nalv<strong>et</strong>é Cela oblige le premier à affiner ses arguments afin<br />

dêtre davantage persuasif <strong>et</strong> emporter ainSI l'adhésion <strong>du</strong> second. AinSI se justifie<br />

la formule conclusive «Donc c'est possible, d'ailleurs sûr .» Elle semble<br />

cependant marquer un succès mitigé <strong>de</strong> la tentative <strong>de</strong> persuasion <strong>du</strong> locuteur<br />

face aux pratiques <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> malinké. Démarche IIltiatique par conséquent qui<br />

procè<strong>de</strong> d'un didactisme général dont le ton est si présent <strong>dans</strong> les <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong><br />

Kourouma. Mais la volonté d'adapter à l'œuvre romanesque le contage se<br />

manifeste d'avantage à travers le jeu <strong>de</strong>s questions-réponses que la rhétorique<br />

traditionnelle, soucieuse <strong>de</strong> taxinomie, nomme dialogisme. C'est le procédé <strong>de</strong><br />

simulation <strong>de</strong> dialogue par excellence, <strong>et</strong> on comprend qu'il convienne au<br />

narrateur-conteur kouroumien. On imaginerait bien en eff<strong>et</strong>, un auditoire<br />

repondallt au récitant au cours d'une veillée <strong>de</strong> conte <strong>dans</strong> les extraits proposés<br />

CI-<strong>de</strong>ssous. Après l'éclatant succès <strong>de</strong>s funérailles <strong>du</strong> cousin Lacina d'une part,<br />

<strong>et</strong> eu égard aux arguments magique <strong>et</strong> politico-financier que représentent Balla<br />

(expert féticheur) <strong>et</strong> Diamourou (gendre <strong>du</strong> commandant Tomassini) d'autre part,<br />

toutes les condItions semblaient réunies pour que le prince acceptât <strong>de</strong> s'établir


64<br />

communication que nous appelons illusion allocutoire se justifie par le fait que,<br />

sous ces captieux échanges verbaux entre narrateur <strong>et</strong> narrataire, nous assistons<br />

en réalité à un diktat locutoire unilatéral <strong>du</strong> premier. La réciprocité discursive étant<br />

Impossible entre les interlocuteurs imaginaires, l'énonciation interrogatoire n'est<br />

en définitive qu'un soliloque extériorisé sous <strong>forme</strong> <strong>de</strong> questions rhétoriques. La<br />

dialectique <strong>de</strong> la subjectivité est par conséquent viciée <strong>et</strong> la subjectivité elle-même<br />

suspen<strong>du</strong>e. La subjectivité discursive suppose en eff<strong>et</strong> une alternance réciproque<br />

<strong>de</strong> la position <strong>de</strong> locuteur entre les allocutaires le je locuteur s'énonçant comme<br />

tel <strong>et</strong> disant tu/vous au partenaire <strong>de</strong> communication, <strong>de</strong>vient à son tour, tu<br />

/ vou s <strong>dans</strong> la réplique <strong>de</strong> celui-ci. Mais, faut-il le rappeler, ce procès<br />

d'intersubjectivité n'est pas seulement illusoire en ce qUI concerne la sollicitation<br />

<strong>du</strong> narrataire-Iecteur, elle est en plus suspen<strong>du</strong>e <strong>et</strong> inachevée Qu'importe L'eff<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> l'illUSion dialogique est peu contestable. Le vou s sem ble directement<br />

Iflterpeller un narratalre <strong>et</strong> par-<strong>de</strong>là lui, le lecteur qui a ainsi le sentiment d'être<br />

invité à prendre une part active aux événements qUI lui sont rapportés en donnant<br />

son aVIs. Le second exemple illustre bien ce sentiment Le narrateur veut faire<br />

partager au lecteur, l'incongruité <strong>du</strong> désir <strong>de</strong> Balla <strong>de</strong> faire partie <strong>de</strong> la délégation<br />

<strong>de</strong>vant accompagner Fama. Celui-ci souhaite en eff<strong>et</strong> honorer la mémoire <strong>de</strong> ses<br />

parents en allant s'inclmer sur leurs tombes:<br />

Balla voulait ètre <strong>de</strong> la compagnie. Un aveugle,<br />

que pouvait-il y voir? Rien. Un vieillard aux<br />

jambes gon fIées <strong>de</strong> douleurs, quand pouva i t-on<br />

arriver avec Jui? Peut-être au soleil<br />

couchant.Un cafre dont le front ne frôle jamais<br />

le sol, qu'allait-il y faire? Rien <strong>de</strong> rien.<br />

Les Soleils : 118.<br />

A sa sortie <strong>de</strong> prison, blasé <strong>et</strong> éprouvé par les vicissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la vie, Fama a priS la<br />

ferme déciSion <strong>de</strong> regagner à jamais son Village natal Il ne saurait tolérer la<br />

momdre contrariété <strong>dans</strong> la réalisation <strong>de</strong> ce proj<strong>et</strong>. AussI est-ce tout


66<br />

plusieurs instances narratives. Ce sont Djigui lui-même <strong>et</strong> le narrateur<br />

omniprésent. Marquons une pause pour expliquer quelques concepts utiles Au<br />

<strong>de</strong>meurant, le lecteur les a déjà rencontrés <strong>dans</strong> nos développements antérieurs.<br />

Ce sont entre autres, narration, énonciation, instance narrative narrateur <strong>et</strong><br />

narratalre. Leur définition invoque le procès romanesque qui les fon<strong>de</strong>nt.<br />

En eff<strong>et</strong>, l'élaboration <strong>de</strong> tout Lin ensemble <strong>de</strong> signes pro<strong>du</strong>cteurs <strong>de</strong> sens<br />

qUI sous-ten<strong>de</strong>nt la rhétorique romanesque, se fon<strong>de</strong>nt sur <strong>de</strong>s présupposés<br />

anthropocentristes pris pour garants d'authenticité. C'est ainsI que le personnage<br />

<strong>dans</strong> le roman se veut le sosie <strong>de</strong> l'être humain ayant comme lui, un état civil, une<br />

famille, une dimension psychologique <strong>et</strong> que les lieux géograplliques, les<br />

éléments architecturaux, la fiction romanesque elle-même participent à l'illusion<br />

représentative Dans ces conditions, les concepts cités plus <strong>haut</strong> prennent <strong>de</strong><br />

i'lnlportance car c'est l'illusion représentative elle-même qui les instituent. En eff<strong>et</strong>,<br />

pour donner matérialité à l'histoire anecdotique, pour l'animer. Il faut <strong>de</strong>s<br />

personnages, un lieu <strong>de</strong> théâtre, « quelqu'un » pour en rapporter les<br />

différentes péripéties Ce qui dénote l'importance <strong>de</strong> l'instance narrative <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

narration. De façon succincte, celle-ci peut être définie comme le fait, pour un<br />

narrateur, d'assurer la relation <strong>de</strong> l'histoire anecdotique, <strong>de</strong> la raconter, le<br />

narrateur étant lui, la personne fictive qui raconte c<strong>et</strong>te histoire <strong>dans</strong> le roman"<br />

est aussI appelé instance narrative ou instance <strong>du</strong> discours au sens <strong>de</strong><br />

Benveniste. Comme le message <strong>de</strong> l'instance narrative est censé s'adresser à<br />

quelqu'un au sein <strong>de</strong> l'œuvre romanesque même, il est convenu <strong>de</strong> désigner <strong>du</strong><br />

nom <strong>de</strong> narrataire, ce <strong>de</strong>stinataire intra-romanesque. Reste le concept<br />

d'énonciation, important aussi bien en linguistique qu'en stylistique Dans les<br />

<strong>de</strong>ux cas, c'est la perspective <strong>du</strong> locuteur qui est intéressante L'énonCiation peut<br />

ainsi se définir comme l'acte indivi<strong>du</strong>el <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction linguistique ou mise en<br />

œuvre <strong>et</strong> actualisation <strong>de</strong> la langue. Les déictiques spatio-temporels déjà définiS<br />

cJans la Illodalisation y sont généralement inclus Une autre notion très étroitement<br />

liée à l'énonciation est l'énoncé CelUI-ci désigne le résultat ou le prodUit <strong>de</strong> l'acte


67<br />

d'énonciation. Pour ce qui est <strong>de</strong> la narration, elle est également englobée <strong>dans</strong><br />

l'énonCIation, macro-concept qui excè<strong>de</strong> bien souvent les limites <strong>de</strong> la<br />

linguistique. Pour en finir avec la théorie, rappelons que l'instance narrative peut<br />

être variable Elle peut en eff<strong>et</strong> relater un événement <strong>dans</strong> lequel elle se trouve<br />

personnellement impliquée c'est alors le règne <strong>du</strong> je narrateur. Mais le narrateur,<br />

soucieux d'objectivité peut également se situer à la troisième personne <strong>et</strong><br />

rapporter un événement qu'il a lui-même vécu. C'est que 'l'anonymat <strong>de</strong> la<br />

troIsième personne, parce qu'il intro<strong>du</strong>it une certaine distance entre le fait exposé<br />

<strong>et</strong> celui qui en assure l'exposition, passe pour être le garant <strong>de</strong> l'objectivité C'est<br />

le cas <strong>du</strong> récit <strong>de</strong> voyage <strong>de</strong> Djigui, récit pris en charge à la fois par l'intéressé lui­<br />

même <strong>et</strong> ce qu'il faut considérer comme le narrateur omniprésent. Mieux encore,<br />

on assiste à L1ne confusion délibérée <strong>de</strong>s genres <strong>du</strong> discours. L'indice <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

confUSion est l'absence <strong>de</strong>s signes métalinguistiques conventionnels (les tir<strong>et</strong>s<br />

principalement) marquant d'ordinaire un changement <strong>de</strong> l'instance narrative<br />

L'extrait qUi suit est l'exemple d'un discours réfléchi à la fois à son propre<br />

énonclateur (DJigUl), <strong>et</strong> d'un discours en quelque sorte, extraverti (narrateur<br />

omniscient) Sans entrer <strong>dans</strong> les détails d'une analyse narratologique, nous<br />

pouvons appeler Djigui, narrateur auto-diégétique, tandis que l'instance co­<br />

narrative est dite narrateur 11étérodiégétique. En voiCI un exemple<br />

J'allais enfin connaître le pays <strong>de</strong>s Blancs que<br />

les anciens combattants m'avaient tant vanté. Je<br />

<strong>de</strong>scendis au port. La nacelle <strong>dans</strong><br />

nous assîmes fut arrachée ( ... ).<br />

mal <strong>de</strong> mer <strong>et</strong> voulut <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r à<br />

laquelle nous<br />

Djigui eut le<br />

r<strong>et</strong>ourner à<br />

Soba, la sirène r<strong>et</strong>entit <strong>et</strong> le naVlre<br />

appareilla. Ce ne fut ensuite que la mer; le<br />

soleil <strong>et</strong> la lune sortirent <strong>de</strong> la mer <strong>et</strong> s'y<br />

renoyèrent( ... ) .Je voulus tout voir,tout<br />

connaître, tout toucher, tout admirer; mais<br />

partout je ne trouvai que <strong>de</strong>s trains.Monnè :103.


69<br />

Joue <strong>de</strong> Salimata Vient d'être égorgé par le marabout Abdoulaye La volaille se<br />

déb?t vigoureusement avant <strong>de</strong> mourir, <strong>et</strong> le narrateur assure à ce propos:<br />

Ex 1: Alors il siffla la douleur <strong>et</strong> la mort,<br />

battit un tam-tam d'ailes <strong>et</strong> disparut <strong>dans</strong> un<br />

tourbillon <strong>de</strong> poussière, <strong>de</strong> plumes <strong>et</strong> <strong>de</strong> sang.<br />

Les soleils :75.<br />

'La métaphore hyperbolique est n<strong>et</strong>te. Les alles <strong>de</strong> la volaille luttant entre la vie <strong>et</strong><br />

la mort sont comparées aux mains d'un indivi<strong>du</strong> jouant d'un tam-tam que<br />

représente ici, le sol sur lequel a lieu le battement <strong>de</strong>s ailes. De plus, l'eff<strong>et</strong> sonore<br />

pro<strong>du</strong>it par le mouvement <strong>du</strong> coq est comparé à celui, incontestablement plus<br />

porteur d'un tam-tam, d'où toute l'exagération <strong>de</strong> la métaphore. Dans l'extrait qui<br />

SUIt. l'expressivité <strong>du</strong> procédé est encore mise à contribution. Il s'agit c<strong>et</strong>te fois <strong>de</strong><br />

montrer à quel point les souvenirs abon<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> absorbent littéralement celui à qui<br />

Ils reviennent en série<br />

Ex 2 Des journées d'harmattan qUl vous<br />

pénètrent jusque <strong>dans</strong> le bout <strong>du</strong> coeur <strong>et</strong> vous<br />

j<strong>et</strong>tent <strong>dans</strong> les tarn-tams <strong>de</strong>s souvenirs <strong>de</strong><br />

l'enfance, <strong>de</strong>s grands jours. Les Soleils: 122.<br />

Mais l'hyperbole lexicale n'est pas seulement nominale, elle est aussi verbale.<br />

Une pluie qui se préparait <strong>de</strong>puis longtemps commence à tomber. C'est une pluie<br />

diluvienne qui tombe <strong>dans</strong> une atmosphère toute apocalyptique. Jugez-en<br />

EX 3: Les premleres gouttes mitraillèrent <strong>et</strong> se<br />

cassèrent sur le minar<strong>et</strong>( ... ).Le tonnerre cassa<br />

le ciel, enflamma l'univers <strong>et</strong> ébranla la terre<br />

<strong>et</strong> la Inosquée. Les Soleils : 25.<br />

iLa métaphore guerrière employée <strong>dans</strong> ce passage sert à décrire un violent<br />

orage Dans l'extrait qUI sUit, nous r<strong>et</strong>rouvons la même figure, mais avec <strong>de</strong>s


73<br />

purement linguistique «malinkismes » (expressions idiomatiques) <strong>et</strong> ivoirismes<br />

créent <strong>de</strong>s interférences linguistiques qui tiennent une place importante <strong>dans</strong> le<br />

pl'oj<strong>et</strong> stylistique <strong>du</strong> rOfTiancier. Mais par·<strong>de</strong>ssus tOLlt, slles procè<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la<br />

recherche d'une expression "vraie", c'est-à-dire une certaine crédibilité <strong>dans</strong> le<br />

discours qui institue une écriture <strong>de</strong> rupture.<br />

Section 2-1-2-2 L'écriture kouroumienne: une écriture <strong>de</strong> rupture<br />

« Autour d'une crise », tel était initialement le titre <strong>du</strong> paragraphe qui<br />

incluait alors le titre actuel. Nous aurions aimé en eff<strong>et</strong>, ouvrir le débat sur l'une<br />

<strong>de</strong>s questions à controverse <strong>de</strong> la pro<strong>du</strong>ction romanesque africaine d'expression<br />

française. Il s'agit prinicipalement <strong>de</strong> l'inadéquation entre les personnages <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> rural (paysannerie analphabète surtout) <strong>et</strong> leur discours <strong>et</strong> davantage<br />

encore, <strong>de</strong> la question <strong>de</strong> la nécessité ou non d'une littérature spécifiquement<br />

africaine dont les Critères sont encore à définIr Mais pour l'essentiel, la crise s'est<br />

ouverte autour <strong>du</strong> support linguistique <strong>du</strong> discours romanesque à savoir, les<br />

langues européennes. Deux raisons au moins peuvent être avancées pour<br />

expliquer <strong>et</strong> comprendre l'origine <strong>de</strong> la crise qui. au <strong>de</strong>meurant, n'est pas<br />

nouvelle La première raison, <strong>de</strong> laquelle découle la secon<strong>de</strong>, est d'orJre<br />

historico-Ilittéraire <strong>et</strong> remonte à la Négritu<strong>de</strong> Son lyrisme combattant dont les<br />

on<strong>de</strong>s irradiaient le mon<strong>de</strong> avait pour support linguistique, le français. Mais,<br />

certes. l'Ilistoricité même <strong>du</strong> paradoxe le faisait s'auto-légitimer. C'est qu'à<br />

l'époque davantage encore qu'auJourd'hui, le français était presque l'unique<br />

mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> médiation au but négritudien. Ainsi, lorsque la Négritu<strong>de</strong> vient à perdre<br />

<strong>de</strong> sa superbe <strong>et</strong> que le roman dont elle a en partie suscité l'émergence se<br />

développe, celui-ci hérlte-t-il logiquement le paradoxe historique <strong>de</strong> la Négritu<strong>de</strong>.<br />

Et SI LIlle certaine ITla]Orlté élcqulse au fil <strong>de</strong>s ans par le roman africain est souvent<br />

cause <strong>de</strong> quelque dissension thématique - encore que limitée à l'aspect<br />

panégYrique - avec la Négritu<strong>de</strong>, elle s'accompagne d'une aggravation <strong>de</strong> la


74<br />

auestion <strong>du</strong> moyen d'expression qui, elle, <strong>de</strong>meure lancinante à Jamais. Le<br />

malaise profond (diversement vécu, il est vrai) auquel se trouvent confrontés la<br />

presque totalité <strong>de</strong>s écrivains, critiques littéraires <strong>et</strong> autres littérateurs africains<br />

peut être formulé <strong>de</strong> \a manière sUivante. Peut-on continuer <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ire <strong>de</strong>s<br />

<strong>œuvres</strong> <strong>dans</strong> les langues européennes sans faillir au <strong>de</strong>voir, sans trahir la cause<br />

<strong>de</strong> li<strong>de</strong>ntité culturelle africaine? Oans une élégie intitulée précisément<br />

«Trahison», le poète Hatïen Léon Laleau tra<strong>du</strong>it parfaitement ce malaise <strong>de</strong>s<br />

écrivains négra-africains d'expression française d'utiliser une langue d'emprunt<br />

pour exprimer leur propre culture <strong>et</strong> leur sensibilité C'est que l'importance d'une<br />

langue comme moyen d'apprentissage <strong>et</strong> <strong>de</strong> transmission <strong>de</strong> mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> pensée <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong>s valeurs culturelles, est universellement reconnue. Apprendre <strong>et</strong> utiliser une<br />

langue étrangère. c'est par conséquent adopter une autre manière <strong>de</strong> faire, d'être<br />

el <strong>de</strong> penser <strong>dans</strong> la mesure où la langue contribue étroitement à l'élaboration <strong>de</strong><br />

!a pensée. C<strong>et</strong>te valeur éminemment idéologique <strong>de</strong> la langue, C Abastado la<br />

souligne pariaitement lorsqU'II éCrit à propos <strong>de</strong> la langue<br />

() elle est le creus<strong>et</strong> d' une culture <strong>et</strong> le<br />

(:iment d' llne organisation sociale; elle rro<strong>du</strong>Lt<br />

<strong>et</strong> repro<strong>du</strong>it un système <strong>de</strong> pensée: les<br />

catégories grammaticales renvoient à une<br />

structure logique, découpe <strong>dans</strong> l'expérience les<br />

éléments d'un univers mental; une langue impose<br />

a ceux qUl l'utilisent la VlSlon <strong>du</strong> rnon<strong>de</strong><br />

qu'elle in<strong>forme</strong>. ll<br />

Etant donné l'importance culturelle <strong>de</strong> la langue, peut-on raisonnablement parler<br />

<strong>du</strong>ne littérature africaine lorsque celle-ci a un support linguistique d'importation?<br />

On le voit, ce qui est suj<strong>et</strong> à caution, c'est l'existence même d'une littérature<br />

africaine Mais c<strong>et</strong>te question <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité culturelle dont l'eXistence d'une<br />

littérature spécifiquement africaine serait l'un <strong>de</strong>s éléments fondamentaux,<br />

n emporte pas l'adhésion <strong>de</strong> l'intelligentsia. Celle-ci connaît une bi-partition


75<br />

oppositionnelle entre défenseurs <strong>et</strong> détracteurs <strong>de</strong> la nécessité d'une telle<br />

littérature dont l'avènement reste éminemment problématique. Ouels dOivent être<br />

par exemple, les critères <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te africanité? L'engagement idéologique <strong>de</strong><br />

l'écrivain comme le préconisent L. Kesteloot <strong>et</strong> ses exégètes? Ne risque-t-on pas<br />

<strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te hypothèse, <strong>de</strong> choir <strong>dans</strong> la monotonie <strong>de</strong> tout stéréotype à force <strong>de</strong><br />

standardisation thématique? Faut-il au contraire invoquer l'argument <strong>de</strong><br />

l'appartenance géographique ou celle <strong>de</strong> la communauté linguistique? Là encore,<br />

on pourrait objecter, spécieux argument évidé à force <strong>de</strong> citation, que la variété<br />

<strong>de</strong>s langues nationales à l'intérieur <strong>de</strong> nombre <strong>de</strong> pays africains constitue un<br />

obstacle <strong>de</strong> taille à c<strong>et</strong> idéal littéraire <strong>et</strong> culturel. Pour les opposants à l'avènement<br />

d'une littérature spécifique assurant la promotion <strong>de</strong>s langues africaines qUI en<br />

seraient le support, on aboutirait au mieux à <strong>de</strong>s littératures africaines, vu la<br />

rn ultlpllclté <strong>de</strong> ces langues. En outre, se servant <strong>du</strong> précé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> certall1s<br />

écrivall1s bien connus tels que Samuel Beck<strong>et</strong>t, Joseph Conrad, Eugène \onesco,<br />

utilisant <strong>de</strong>s supports linguistiques autres que leurs langues d'origlne. 12 ils<br />

estiment que, plus que son support linguistique, c'est l'efficacité <strong>de</strong> l'œuvre<br />

littéraire qui est avant tout fondamentale. On se r<strong>et</strong>rouve ainsi au pOll1t initial sans<br />

que la question <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité culturelle n'ait été résolue le mOins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>, car en<br />

quels termes l'efficacité envisagée doit-elle être appréciée? Peut-on se fon<strong>de</strong>r sur<br />

la <strong>fonction</strong> sociale <strong>de</strong> l'œuvre <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'engagement <strong>de</strong> l'écrivain? Mais quel<br />

engagement <strong>et</strong> sur quelle base? Et c<strong>et</strong>te question elle-même, doit-elle ou peut­<br />

elle être 1 exclusive <strong>de</strong>s seuls intellectuels? Et le rôle <strong>du</strong> politique? Ouelle portée<br />

réelle peut avoir une telle tentative sur le développement <strong>du</strong> continent? Et pour<br />

coller davantage à la réalité, terminons c<strong>et</strong>te série d'interrogations par une<br />

question tonclarnentale qUI ne saurait être éludée A l'heure ou <strong>de</strong> grands<br />

ensembles économiques se m<strong>et</strong>tent en place en Amérique (alliance Canada ­<br />

Etats-UniS - MeXique) comme en Europe avec le Traité <strong>de</strong> Maastricht. le salut<br />

<strong>de</strong> l'Afrique ne passe-t-elle pas par une solidarité inter-africall1e plus responsable<br />

<strong>et</strong> audaCieuse? L'intégration économique <strong>de</strong>s micro-états actuels ne <strong>de</strong>vrait-elle


76<br />

pas constituer une priorité? Mais celle-ci pourra-t-elle raisonnablement Ignorer la<br />

dimension littéraire <strong>et</strong> culturelle? Ne <strong>de</strong>vra-t-elle pas au contraire la susciter à<br />

terme? On le VOIt. le débat reste ouvert sur une question aussi complexe <strong>et</strong> lour<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> responsabilités <strong>de</strong> tous ordres. Partisans <strong>et</strong> adversaires se servent à l'envi <strong>de</strong>s<br />

difficultés réelles ou supposées que soulève l'épineuse question <strong>de</strong> la nécessité<br />

ou non d'une littérature spécifiquement africaine, prolégomène à la vaine<br />

réclamation d'une hypothétique I<strong>de</strong>ntité culturelle Face à c<strong>et</strong>te controverse pleine<br />

d'inconnues, nous avons préféré, non pas renoncer au débat par crainte <strong>de</strong>s<br />

difficultés réelles à affronter, mais le circonscrire par réalisme En eff<strong>et</strong>, la quête <strong>de</strong><br />

réponses satisfaisantes aux questions laissées en suspens non seulement nous<br />

aurait J<strong>et</strong>é <strong>dans</strong> un dédale inextricable, mais encore, le développement <strong>de</strong>s<br />

arguments qu'impose une analyse même à peine approfondie <strong>de</strong> la situation,<br />

aurait été une digreSSion inopportune pour notre propos actuel. Oui plus est, nous<br />

n'aurions pas eu la prétention <strong>de</strong> trouver une solution définitive à la crise, Au<br />

surplus par conséquent, nous ne pouvons que faire quelques observations.<br />

Si la multiplicité <strong>de</strong>s langues africaines est une réalité, c<strong>et</strong>te multiplicité ne<br />

constitue cependant pas une difficulté insoluble en sorte que c'est un pessimisme<br />

aboulique d'évoquer c<strong>et</strong> argument qui nous paraît captieux <strong>et</strong> historiquement<br />

1rrecevable En eff<strong>et</strong>. <strong>de</strong> nombreuses rencontres <strong>de</strong> <strong>haut</strong> niveau réunissant<br />

l'intelligentsia africaine autour <strong>de</strong> la question ont déjà eu lieu, <strong>et</strong> <strong>de</strong>s résolutions<br />

théoriquement susceptibles <strong>de</strong> réalisation ont été faites, Nous citerons entre<br />

autres, le premier congrès <strong>de</strong>s artistes <strong>et</strong> écrivains noirs <strong>de</strong> 1956 qui, après avoir<br />

posé le diagnostic <strong>de</strong> l'acculturation <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> la trahison <strong>et</strong> <strong>de</strong> la transformation<br />

<strong>du</strong> message délivré <strong>dans</strong> une langue d'emprunt, affirmait la nécessité d'une<br />

libération culturelle AinsI Jacques-Stephen AlexIs proposait-il à ses pairs<br />

l'élaboration d'une esthétique particulière sous le nom <strong>de</strong> «réalisme<br />

merveilleux» <strong>et</strong> qUI serait fondée sur la symbiose entre l'écriture <strong>et</strong> la tradition<br />

orale C<strong>et</strong>te préoccupation était encore à l'ordre <strong>du</strong> jour quelques années plus<br />

tard. lors <strong>du</strong> colloque <strong>de</strong> Yaoundé (Cameroun) d'avril 1973 sur le thème «Le


77<br />

critique africain <strong>et</strong> son peuple comme pro<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong> civilisation » Il existe par<br />

conséquent, sinon <strong>de</strong>s acquis théoriques, <strong>du</strong> moins une réelle volonté d'une<br />

frange <strong>de</strong> l'intelligentsia <strong>de</strong> trouver une solution à c<strong>et</strong>te crise I<strong>de</strong>ntltaire. En outre,<br />

d'un strict point <strong>de</strong> vue linguistique, il existe également <strong>de</strong> réels espoirs en ce qui<br />

concerne les langues africaines susceptibles <strong>de</strong> servir <strong>de</strong> support à la littérature<br />

atten<strong>du</strong>e, si le critère fondamental doit en être l'éten<strong>du</strong>e démographique qui en<br />

fait usage. Nous pensons à <strong>de</strong>s langues interafrlcalnes comme le swahili (Zalre,<br />

f


78<br />

il est en partait accord avec l'esttiétique dont rêvait J. S. Alexis <strong>et</strong> que nous avons<br />

précé<strong>de</strong>mment évoquée. Pour ces romanciers en eff<strong>et</strong>, la véritable question <strong>de</strong> la<br />

. vérité" littéraire ne semble plus être dorénavant celle <strong>de</strong> l'africanlté <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

littérature en tant que telle, mais bien, si on peut dire, celle <strong>du</strong> « comment écrire<br />

vrai?» En termes différents, la nouvelle question paraît être celle-cI. Comment<br />

;,1sseOlr une structure qUI restitue au rnleux la pensée afncalne <strong>dans</strong> le roman tout<br />

en faisant œuvre universelle? Mimésis <strong>et</strong> spécularité <strong>du</strong> fait romanesque<br />

ressurgissent ainsi à nouveau, mais c<strong>et</strong>te fois au niveau <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong>, puisqu'II<br />

s'agit <strong>de</strong> trouver un langage qUI soit plus crédible parce que plus proche <strong>de</strong> la<br />

réalité. Oans son essai intitulé Interrogation sur la littérature nègre <strong>de</strong> langue<br />

française 13 Makhily Gassama se penche sur les registres d'expression chez les<br />

romanciers <strong>et</strong> relève la contradiction que nous notions plus <strong>haut</strong>. AinsI remarque-t­<br />

il en substance que, conscients <strong>du</strong> malaise que suscite l'exemplarité d'un discours<br />

par <strong>de</strong>s personnages analphabètes, certains écrivains adoptent le «p<strong>et</strong>it­<br />

nègre» supposé plus réaliste pour garantir une certaine crédibilité à leur<br />

discours. A ce propos, les <strong>de</strong>ux extraits <strong>de</strong> dialogue <strong>de</strong> Une vie <strong>de</strong> Boy 14 <strong>du</strong><br />

Camerounais F. Oyono sont assez significatifs. Le commissaire <strong>de</strong> police Gosier­<br />

d'oiseau <strong>et</strong> ses hommes opèrent une perquisition nocturne crlez le beau-frère <strong>de</strong><br />

Toundi où habite celui-ci La famille est comme tétanisée par c<strong>et</strong>te soldatesque <strong>et</strong><br />

en <strong>de</strong>Vient presqu'aphone <strong>de</strong> peur. Certifiant à son supérieur une réponse <strong>de</strong><br />

loundl, le gradé noir déclare «Yen a vérité, sep» L'énoncé souligné par<br />

nous peut être tradUit par «C'est exact chef ». Oans celui à venir. le gar<strong>de</strong> <strong>du</strong><br />

commandant raconte une mésaventure personnelle avec son employeur pour<br />

Incon<strong>du</strong>ite. A Toundi Il confie: «Movié!... , Zeuil- <strong>de</strong>-Panthère cogner<br />

comme Gosier- d'oiseau! Lui donner moi coup <strong>de</strong> pied qui en a fait<br />

soufat'soud... Zeuil y en a pas rire...»<br />

Ces <strong>de</strong>ux passages priS respectivement aux pages 39 <strong>et</strong> 40 <strong>du</strong> roman<br />

Illustrent bien la volonté <strong>de</strong> ces auteurs d'explorer toutes les voies susceptibles <strong>de</strong>


79<br />

résoudre la question <strong>du</strong> comment écrire vrai, faute <strong>de</strong> pouvoir trouver une solution<br />

adéquate à la crise i<strong>de</strong>ntitaire. Dans c<strong>et</strong>te optique, la démarche sCripturale <strong>de</strong><br />

Kourouma apparaît comme une réponse possible à la question <strong>du</strong> comment<br />

écrire vrai, tout en faisant œuvre universelle. En cela aussi, <strong>et</strong> sans doute en cela<br />

surtout. l'effort d'innovation <strong>forme</strong>lle <strong>de</strong> l'écrivain est méritoire En eff<strong>et</strong>. la<br />

problématique <strong>de</strong> la pro<strong>du</strong>ction romanesque africaine <strong>et</strong> <strong>de</strong> son corollaire<br />

!Irlgulstlque ne sera formulée <strong>de</strong> façon adéquate <strong>et</strong> opportune, que lorsque sa<br />

résolution sera fondamentalement orientée vers sa propre efficacité opératoire en<br />

termes <strong>de</strong> lisibilité universelle. Cela signifie que le support linguistique qui sera<br />

proposé ne sera viable que <strong>dans</strong> la mesure où il sera accessible à un lectorat<br />

elargl <strong>et</strong> non pas intelligible seulement à quelques initiés Or un roman qUI serait<br />

entièrement écrit en p<strong>et</strong>it-nègre tel qu'illustré précé<strong>de</strong>mment ne nous semble pas<br />

répondre à ce SOUCI majeur <strong>de</strong> lisibilité universelle, à moins que celuI-ci (le p<strong>et</strong>it­<br />

nègre en question) n'ait atteint un niveau <strong>de</strong> popularité <strong>et</strong> <strong>de</strong> promotion tel. qu'il<br />

soit <strong>de</strong>venu accessible à tous les lecteurs potentiels <strong>de</strong> l'espace francophone<br />

QUOI quil en soit, la tf.:ntative <strong>forme</strong>lle <strong>de</strong> Kourouma est, elle. parfaitement<br />

<strong>de</strong>scriptible ProdUit (j'un amalgame <strong>du</strong> français <strong>et</strong> <strong>du</strong> malinké, elle est un tissu<br />

d'intelférences en marge <strong>de</strong>s lois <strong>de</strong> la <strong>fonction</strong> combinatoire <strong>et</strong> un autodafé <strong>de</strong> la<br />

iangue classique. Ecriture <strong>de</strong> rupture, elle est aussI une écriture émanCipée. Afin<br />

<strong>de</strong> mieux apprécier les transgressions qu'elle opère, il est utile <strong>de</strong> préciser la<br />

notion d'interférence linSJuistique.<br />

A l'origine, l'interférence qualifie un phénomène en physique. C'?\'Ji-ci<br />

tra<strong>du</strong>it la Juxtaposition ou la superposition <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ou plusieurs mouvements<br />

vibratOires <strong>de</strong> même fréquence. Dans la terminologie linguistique, elle définit la<br />

manifestation ou la présence <strong>dans</strong> le discours d'un suj<strong>et</strong> <strong>de</strong>s éléments <strong>de</strong><br />

vocabulaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> gréli i ii 1ié.tire d'une langue <strong>dans</strong> une autre langue servant <strong>de</strong><br />

support au cliscours. L'Interférence est en général un phénomène Involontaire<br />

résultant d'une situation <strong>de</strong> bilinguisme, celui-ci pouvant succinctement être défini<br />

par lusage courant par une communauté, d'une langue étrangère à statut orficiel


80<br />

<strong>et</strong> d'une ou <strong>de</strong> plusieurs langues maternelles. Le Dictionnaire <strong>de</strong> linguistique note<br />

à ce propos.<br />

On dit qu'il y a interférence quand un suj<strong>et</strong><br />

bilingue utilise <strong>dans</strong> une langue-cible A un<br />

trai t phonétique, morphologique, lexical ou<br />

syntaxique caractéristique <strong>de</strong> la langue B.IS<br />

Si l'interférence linguistique est en général involontaire, il est important <strong>de</strong> noter<br />

quelle est absolument délibérée chez Kourouma <strong>dans</strong> la mesure où elle répond à<br />

une intention esthétique <strong>de</strong> crédibilité discursive. Nous le montrerons <strong>dans</strong> les<br />

développements à venir Ce qui importe pour l'heure, c'est que nous nous<br />

intéressions à une <strong>forme</strong> d'interférence au niveau <strong>du</strong> registre sémantico­<br />

syntaxique.<br />

1-2-2-1 Le registre sémantico-syntaxique<br />

L'exemple patent <strong>de</strong> la déstructuration résultant <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te interférence<br />

linguistique est donné dès la page initiale <strong>de</strong> Les Soleils avec l'annonce <strong>de</strong> la<br />

mort <strong>de</strong> Koné Ibrahirna • « Il y avait une semaine qu'avait fini <strong>dans</strong> la capitale<br />

Koné Ibrarlima, <strong>de</strong> race malinké, ou disons-le en Malinké. il n'avait pas<br />

soutenu un p<strong>et</strong>it rhume.. »(Les Soleils' 7) L'emploi intransitif <strong>de</strong> finir<br />

(ayant pour obj<strong>et</strong> un nom <strong>de</strong> personne) avec l'auxiliaire avoir, pour exprimer<br />

l'Idée <strong>de</strong> mort. nest pas seulement Impropre <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la langue<br />

normative. Mais surtout, l'inhabituel <strong>de</strong> la syntaxe résulte d'une interférence<br />

lingUistique que le ndrrateur lui-même signale à l'attention <strong>du</strong> lecteur en lui<br />

precisant bien, grâce à la valeur métalinguistique <strong>de</strong> l'énoncé en incise « ulsons­<br />

le en Malinké », l'origine <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> sUivante <strong>et</strong> par extension, celle <strong>du</strong><br />

contexte I_e narrateur aurait voulu <strong>de</strong>man<strong>de</strong>r au lecteur avisé <strong>de</strong> prendre quelque<br />

distance avec ie langage consensuel afin <strong>de</strong> mieux Intégrer l'esprit <strong>de</strong> son propre


82<br />

Le terme consacré à <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> mort a une portée sémantique<br />

Circonscrite précisément à c<strong>et</strong>te unique signification, <strong>de</strong> sorte quelle semble<br />

n'avoir qu'une valeur purement Informative. Le terme impropre avait fini, par la<br />

transgression qu'elle opère sur les principes <strong>de</strong> la cornbinatolre sémantique,<br />

transcen<strong>de</strong> lui, ce premier niveau informatif. Il semble situer le fait "mort" à un<br />

niveau supérieur en insistant pour ainsi dire, sur le caractère d'irréversibilité<br />

absolue que suggère "ban". En outre, à la connotation humanitaire <strong>de</strong> compassion<br />

paraît s'adjoindre un autre sentiment qui jure avec les exigences d'éthique <strong>de</strong> la<br />

situation à savoir, une fine note d'ironie, si on se réfère à l'usurpation au passif <strong>du</strong><br />

défunt. La construction acquiert ainsi une force expressive telle que <strong>l'expression</strong><br />

consacrée n'aurait pu en pro<strong>du</strong>ire. Quant à la <strong>de</strong>uxième construction « Il n'avait<br />

pas soutenu un p<strong>et</strong>it rhume », la métalangue en a déjà précisé l'origine. Pour en<br />

mesurer l'expresslvlte, énonçons quelques présupposés fondamentaux tirés <strong>de</strong> la<br />

construction elle-même. Koné Ibrahima est en eff<strong>et</strong> décédé sans aveir «soutenu<br />

le moindre rhume», ce qui peut être considéré cam me une Infraction à la bonne<br />

logique chez le Malinké. On <strong>de</strong>vine là un sous-enten<strong>du</strong> <strong>de</strong> causalité: la mort est<br />

le résultat d'une cause Or la <strong>forme</strong> négative <strong>de</strong> l'énoncé contrarie c<strong>et</strong>te causalité,<br />

ce qui laisse supposer la soudain<strong>et</strong>é <strong>de</strong> la mort survenue à la surprise générale<br />

,6, un autre niveau d'analyse, nous rencontrons un <strong>de</strong>uxième sous-enten<strong>du</strong><br />

logique <strong>dans</strong> le procès <strong>de</strong> mort <strong>et</strong> qui fon<strong>de</strong> la notion <strong>de</strong> conditionnalité. Que<br />

slgnlfie-t-elle? Elle se définit par l'eXistence <strong>dans</strong> toute situation, d'une condition<br />

ou d'un ensemble <strong>de</strong> conditions minimales à satisfaire préalablement avant que<br />

ne salt atteint un résultat escompté, ou avant que ne puisse se pro<strong>du</strong>ire un<br />

événement quelconque Soit lénoncé suivant que, pour une question opératoire,<br />

IlOUS conSidérerons comme vrai <strong>dans</strong> l'absolu «Pour présenter une Maîtrise, Il<br />

faut êtr'e titulaire d'une licence» La condition élémentaire à remplir pour<br />

prétendre à l'obtention d'une maîtrise, c'est d'être d'abord titulaire <strong>du</strong>ne licence,<br />

diplôme Imméeliatement inférieur à la maîtrise <strong>dans</strong> la hiérarchie <strong>de</strong>s diplômes<br />

universitaires. Conformément à c<strong>et</strong>te logique <strong>de</strong> conditionnallté. la mort <strong>de</strong> Koné


83<br />

Ibrahlma est un grand mystère. En eff<strong>et</strong>. le rhume passe pour être un simple<br />

malaise, une maladie absolument bénigne. Il ne peut par conséquent inquiéter<br />

celuI qUi l'a contractée ou son entourage <strong>et</strong> encore moins laisser présager sa<br />

mort. C<strong>et</strong>te condition minimale elle-même n'étant pas remplie, aucun indice<br />

pliyslque n'aurait permis qu'on se doutât le mOins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> que Koné Ibrahlma<br />

pût être mala<strong>de</strong> ou même simplement souffrant. Sa mort est par conséquent un<br />

mystère Inexpliqué. De ce point <strong>de</strong> vue, on peut dire que ce malinklsme se Justifie<br />

<strong>dans</strong> une perspective expressive. Remarquons que, pour autant qu'il signifie<br />

mourir. le verbe finir s'accommo<strong>de</strong> aussi <strong>de</strong> l'auxiliaire être. Avec luI. la <strong>forme</strong><br />

passive <strong>de</strong> la syntaxe renforce davantage l'idée <strong>de</strong> l'impuissance <strong>de</strong> l'tlomme<br />

<strong>de</strong>vant la mort On r<strong>et</strong>rouve même les <strong>de</strong>ux auxiliaires employés <strong>dans</strong> un même<br />

énoncé:<br />

Ex: Fama avait fini, était fini.On en avertit<br />

le chef <strong>du</strong> convoi sanitaire. Les Soleils : 205.<br />

L'interférence linguistique est influencée par l'ivoirisme, peu enclin lui aussi au<br />

respect <strong>de</strong> la bonne expression. Le cas <strong>de</strong> marier <strong>dans</strong> l'extrait qui suit en est un<br />

exemple. Il s'agit <strong>de</strong>s Jeunes filles autochtones:<br />

Ex: Les Dahoméens ( ... ) marièrent les plus<br />

belles.Les Soleils :89.<br />

I_e verbe se trouve là <strong>dans</strong> son emploi populaire où il est synonyme d'épouser <strong>et</strong><br />

non <strong>de</strong> « donner en mariage à » comme on pourrait le penser Outre ces<br />

énoncés interférés, d'autres constructions <strong>de</strong> conception malinké participent<br />

également <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te reclierche <strong>de</strong> crédibilité discursive. Le commandant <strong>de</strong> Saba<br />

vient dannoncer au roi Djigui l'arrivée imminente d'un chemin <strong>de</strong> fer. Heureux, le<br />

rOI se montre extrêmement exubérant <strong>dans</strong> sa gratitu<strong>de</strong>. Quelque peu


84<br />

embarrassé, le commandant se crut en <strong>de</strong>voir <strong>de</strong> modérer l'enthousiasme <strong>du</strong><br />

patrJarctle Il ne lui cache pas la difficulté <strong>de</strong> la tâche à accomplir ni par<br />

conséquent, la longue <strong>du</strong>rée qu'exigera la réalisation <strong>du</strong> proj<strong>et</strong>. Mais son<br />

Interlocuteur nen a cure, car Il trouve les réserves <strong>de</strong> l'administrateur absolument<br />

injustifiées:<br />

Ex 1: Le Commandant se salissait le coeur<br />

avec les inquiétu<strong>de</strong>s qui ne résistaient pas a un<br />

revers <strong>de</strong> la main( ... ). Monnè : 74.<br />

Ex 2 : Après sa triomphale élection à la tète <strong>de</strong><br />

son parti, Béma se vanta d'avoir tout le pays<br />

avec lui sauf son père. Ce qui n ' était pas<br />

une parole qui à Soba n' avai t pas 0 j igui<br />

n'avait personne. Monnè : 270.<br />

Le sentiment lingUistique d'une pan, <strong>et</strong> la pratique <strong>de</strong> la combinatoIre<br />

sémantique française d'autre part, signalent à l'attention comme inhabituelle, la<br />

complémentation entre se salissait <strong>et</strong> cœur. AussI peut-on dire qu'elle a atteint<br />

ce que nous appelons l'esthétique <strong>de</strong> l'anomalie sémantique à la base <strong>de</strong> toutes<br />

les expressions métaphOriques. Oans l'énoncé Cité plus <strong>haut</strong>, le cœur, en tant que<br />

siège supposé <strong>de</strong>s sentiments nobles (charité, générosité, sociabilité.. ) se salit<br />

parce que les angoisses, les SOUCIS, sentiments somme toute négatifs, lui sont<br />

Incompatibles. Quant au <strong>de</strong>uxième extrait, il illustre ce que 0 Ducrot appelle


participent <strong>de</strong> l'idéal <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> vraie.<br />

85<br />

1-2-2-2 Autres expressions idiomatiques<br />

La distance prise par l'écrivain par rapport au modèle romanesque dominant<br />

dlmportation européenne n'est pas, on l'a vu, fortuite mais Idéologiquement<br />

connotée, notamment au niveau culturel. Son esthétique romanesque n'est donc<br />

pas une génération spontanée, fruit inatten<strong>du</strong> d'une pro<strong>du</strong>ction ex-nihilo. Il est en<br />

eff<strong>et</strong> l'aboutissement prévisible d'une recherche <strong>forme</strong>lle qui affichait ses<br />

ambitions dès le départ, l'écho d'un cri <strong>de</strong> révolte contre une orthodoxie<br />

langagière libertici<strong>de</strong>. Ecoutons à ce propos Kourouma qUI parle <strong>de</strong> son premier<br />

roman.<br />

Je l'ai pensé en Malinké <strong>et</strong> écrit en français en<br />

prenant une liberté que j'estime naturelle avec<br />

le français classique ( ... ).Qu'avais-je donc<br />

fait? Simplement donner libre cours a mon<br />

tempérament en distordant une langue classique<br />

trop rigi<strong>de</strong> pour que ma pensée s'y meuve. J'ai<br />

donc Lra<strong>du</strong>iL 1e malinké en français en cassant.<br />

le français pour trouver <strong>et</strong> restituer le rythme<br />

africain. 17<br />

La rechèrche stylistique <strong>de</strong> Kourouma a par conséquent été suscitée par une<br />

insatisfaction linguistique dénotant un profond malaise réellement vécu par<br />

l'écrivain. Dès lors, le but recherché était clair: essayer <strong>de</strong> montrer la personne<br />

humaine dont le représentant conventionnel présumé est le personnage<br />

iOmanesque avec son langage <strong>de</strong> tous les jours. Dans ces conditions, l'écriture<br />

<strong>de</strong>venait une écriture <strong>de</strong> catharsIs car elle <strong>de</strong>vait assurer le saut qualitatif<br />

perm<strong>et</strong>tant au romancier d'évacuer ses frustrations. Une telle entreprise ne<br />

pouvait manquer <strong>de</strong> tirer à conséquence car <strong>dans</strong> sa <strong>forme</strong>, elle Juxtaposait <strong>de</strong>ux


87<br />

SI l'écriture <strong>de</strong> Kourouma laisse un goût d'inachevé à ces africanistes<br />

inconditionnels, viscéralement réfractaires aux innovations <strong>forme</strong>lles non<br />

exclUSivement endogènes, c'est qu'au premier dilemme <strong>de</strong> nature manichéiste,<br />

l'auteur a substitué une autre alternative littéraire dont témoigne son esthétique<br />

romanesque <strong>et</strong> qui est sous-ten<strong>du</strong>e par le souci d'un certain réalisme <strong>dans</strong> le<br />

discours, surtout pour les personnages <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> rural<br />

Le messager <strong>de</strong> Samory Touré est chez le roi Djigui. Après quelques<br />

formules énigmatiques, le roi souhaite la bienvenue à son hôte: « Soyez le<br />

bienvenu! A vous nos félicitations l A vous les longues marches' A vous les peines<br />

<strong>et</strong> les adversités en<strong>du</strong>rées i » ( Monnè: 30 ). Dans l'extrait qui SUIt, DjigUi reçoit le<br />

commandant Héraud qu'accompagne Kélétigui, le propre fils naguère banni <strong>du</strong><br />

patriarche<br />

-C'est moi le commandant<br />

-A vous la bienvenue, commandant Héraud.<br />

-Je viens <strong>de</strong> loin( ... ) <strong>et</strong> ai beaucoup souffert<br />

mOl aussi.<br />

-Alors nos compliments a vous qUl avez marché<br />

le lointain voyage( ... ).<br />

-Oui, je suis bien votre fils Kélétigui<br />

-A vous la bienvenue, Kélétigui.<br />

-Et j'ai marché les longues excursions <strong>et</strong><br />

vécu les gran<strong>de</strong>s souffrances.<br />

-Alors à vous nos compliments pour les<br />

lointaines expéditions<br />

marchées( . .. ).Monnè :211-212.<br />

On peut distinguer <strong>de</strong>ux sortes d'énoncé D'un côté, les énoncés dont la syntaxe<br />

est I<strong>de</strong>ntique à celle <strong>de</strong> dormir la nuit (<strong>et</strong> la nuit mal dormie qu'on verra plus<br />

lOin) Ce sont essentiellement marcher <strong>et</strong> ses compléments marcher le<br />

voyage; marcher les excursions <strong>et</strong> marcher les expéditions. De l'autre,<br />

on note les énoncés-formules <strong>de</strong> politesse qUI complètent le sens <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts:


88<br />

« .. nos compliments à vous qui avez marché le lointain voyage » Comment<br />

comprendre <strong>de</strong> telles tournures? D'un strict point <strong>de</strong> vue rhétorique, on s'aperçoit<br />

que par une sorte <strong>de</strong> désignation métonymique, le déplacement dont la marche<br />

constitue l'extériorisation physique, <strong>de</strong>vient c<strong>et</strong>te marche elle-même. Il <strong>de</strong>vient en<br />

quelque sorte la modalité <strong>de</strong> sa propre exécution: comme on effectue le voyage,<br />

les excursions <strong>et</strong> les expéditions en marchant, ce voyage, ces excursions <strong>et</strong><br />

expéditions ne sont presque plus considérés comme <strong>de</strong>s <strong>de</strong>stinations à atteindre<br />

par 1activité <strong>de</strong> la marche, mais ils sont <strong>dans</strong> l'activité elle-même. D'un point <strong>de</strong><br />

vue anthropologique, ces form ules s'inscrivent <strong>dans</strong> une vision globale <strong>de</strong>s<br />

rapports interhumains. En eff<strong>et</strong>, la sympathie <strong>de</strong> l'hôte à l'adresse <strong>de</strong>s arrivants<br />

procè<strong>de</strong> chez le Malinké, selon Kourouma lui-même, <strong>de</strong> la présomption <strong>de</strong>s<br />

désagréments <strong>de</strong> toute nature dont la menace réelle ou présumée pèse sur tout<br />

voyageur AinsI. alors qU'ailleurs l'hôte aurait <strong>de</strong>mandé à l'arrivant si le voyage a<br />

été agréable, ici, la présomption <strong>de</strong>s adversités explique c<strong>et</strong>te compassion<br />

spontanée <strong>et</strong> toute question relative aux conditions <strong>du</strong> voyage <strong>de</strong>vient alors<br />

inopportune, vOire inutile. Cela dénote toute une philosophie <strong>de</strong> l'existence


Conclusion<br />

89<br />

Pour rendre entièrement compte <strong>de</strong> l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s eff<strong>et</strong>s <strong>de</strong> l'oralité<br />

traditionnelle <strong>dans</strong> le style <strong>de</strong> Kourouma, c'est un essai sur l'esthétique<br />

romanesque <strong>du</strong> romanCier qu'il faudrait proposer Un tel travail excè<strong>de</strong> notre<br />

propos actuel. Les points qui viennent d'être développés ont toutefois permis<br />

d'évoquer quelques-unes <strong>de</strong>s directives possibles <strong>dans</strong> lesquelles pourrait<br />

s'orienter c<strong>et</strong>te recherche à entreprendre. Dans l'immédiat, notons que pour<br />

Kourouma, l'élaboration d'un style qui se veut <strong>de</strong> rupture semble avoir pour<br />

ambition <strong>de</strong> répondre à un certain souci <strong>de</strong> réalisme au niveau <strong>du</strong> discours<br />

romanesque qUI définit la problématique <strong>du</strong> « comment écnre vrai » Celle-cI<br />

est Informée par le souci <strong>de</strong> la présence <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'assomption <strong>de</strong> la pensée africaine<br />

que le français académique, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> son caractère assez coerCitif, paraît Inapte<br />

à tra<strong>du</strong>ire fidèlement. De ce point <strong>de</strong> vue, l'écriture kouroumienne est un véritable<br />

manifeste culturel <strong>et</strong> littéraire qui, comme tel, ne pouvait manquer <strong>de</strong> susciter<br />

hostilité <strong>et</strong> critiques acerbes <strong>de</strong> certains esthètes. Pour ces <strong>de</strong>rniers, la recherche<br />

<strong>forme</strong>lle <strong>de</strong> Kourouma, en dépit <strong>de</strong> son caractère révolutionnaire, laisse en<br />

suspens la question <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité culturelle africaine pour autant que celle-ci<br />

suppose l'avènement d'une littérature <strong>de</strong>vant assurer la promotion <strong>de</strong>s langues<br />

africaines. Or l'esthétique romanesque <strong>de</strong> l'auteur propose impliCitement, ainsi<br />

que nous venons <strong>de</strong> le montrer <strong>dans</strong> ce chapitre, une redéfinition plus réaliste <strong>de</strong>s<br />

termes <strong>de</strong> la quête i<strong>de</strong>ntitaire. Par conséquent, si elle reste en-<strong>de</strong>çà <strong>de</strong>s<br />

espérances littéraires africanistes, elle a cependant le mérite insigne d'être un<br />

moyen terme réussi entre la littérature africaine <strong>de</strong> malaise actuelle <strong>et</strong> le rêve<br />

d·ulle littérature spécifiquement africaine. Si celle-cI est encore utopique <strong>du</strong> fait <strong>de</strong><br />

l'absence d'une réelle volonté politique notamment, son avènement ne paraît<br />

guère impossible car <strong>de</strong>s conditions objectives <strong>de</strong> sa réalisation eXistent tant au<br />

niveau <strong>de</strong> l'intelligentsia africaine qu'à celui <strong>de</strong>s supports lingUIstiques potentiels<br />

En attendant ce moment, l'écriture romanesque kouroumienne qui réalise la


90<br />

synthèse entre l'écriture classique <strong>et</strong> la littérature orale traditionnelle, définit déjà<br />

les conditions <strong>de</strong> l'exercice littéraire à venir, à savoir précisément, la diversité<br />

esthétique. Les chapitres suivants, consacrés à l'étu<strong>de</strong> véritable <strong>de</strong>s procédés<br />

Intensifs Insistent sur les eXigences <strong>et</strong> résultats <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ambition stylistique.<br />

Lobjectlf principal sera <strong>de</strong> montrer comment l'hyperbole <strong>de</strong>vient un trait<br />

caractéristique <strong>de</strong> l'écriture kouroumienne à travers <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré.


91<br />

1 - Le P<strong>et</strong>it Robert (Dictionnaire <strong>de</strong> la langue française). Dictionnaires Le<br />

Robert 1991, P 1994.<br />

2 - Dictionnaire <strong>de</strong> la langue française. Editions Bordas, 1993, voL Il , P 2962.<br />

3 - J Derive. « L'utilisation <strong>de</strong> la parole orale traditionnelle <strong>dans</strong> "Les Soleils <strong>de</strong>s<br />

Indépendances d'Ahmadou Kourouma'» ln L'Afrique littéraire <strong>et</strong> artistique,<br />

n° 54-55, 4è trimestre 1979 (1 er trimestre 1980), p 106. Précisons que ce texte est<br />

la publication <strong>de</strong> l'intervention <strong>de</strong> l'auteur au colloque organisé à l'Université<br />

d'Abidjan (Côte d'Ivoire) en 1977 sur la survivance <strong>du</strong> mythe <strong>dans</strong> la littérature<br />

africaine mo<strong>de</strong>rne. Selon Derive, « ngoni » désigne en malinké, l'instrument à<br />

cor<strong>de</strong> avec lequel ces chants sont exécutés.<br />

4 - I<strong>de</strong>m. p 107.<br />

5 - De manière succincte, on peut dire que selon Propp, tout récit apparaît comme<br />

une dynamique évoluant d'un point initial <strong>de</strong> crise vers un autre point terminal <strong>de</strong><br />

résolution <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te crise.<br />

6 - Nous passons sous silence la distinction conteur professionnel/conteur<br />

amateur ou profane qu'on établit souvent.<br />

7 - Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> sa <strong>fonction</strong> ludique, le conte a plusieurs autres <strong>fonction</strong>s. Parmi<br />

elles. la <strong>fonction</strong> sociologique qui passe entre autres, par la recherche <strong>de</strong> la<br />

cohéSion <strong>de</strong> la communauté, l'inculcation <strong>de</strong>s valeurs cardinales aux Jeunes<br />

8 - Texte tiré d'« Un problème d'alliance à travers le conte baoulé. le cas <strong>de</strong> la<br />

fille difficile ». sUl<strong>et</strong> <strong>du</strong> mémoire <strong>de</strong> DE A <strong>de</strong> Mme Yao [\J'guessan épouse<br />

Akpagnl 1nstltut National <strong>de</strong>s Langues <strong>et</strong> Civilisations Orientales (1 N L C. 0).


Etu<strong>de</strong>s Africaines. 1989-90, p 34.<br />

92<br />

9 - Appliqué à un homme, ce terme serait péjoratif chez le Baoulé, peuple <strong>du</strong><br />

centre <strong>de</strong> la Côte d'Ivoire.<br />

10 - J Jahn Muntu, l'homme africain <strong>et</strong> la culture néo-africaine. Editions<br />

<strong>du</strong> Seuil, 1961. L'auteur traite entre autres, <strong>de</strong> la croyance <strong>dans</strong> le pouvoir<br />

magique <strong>du</strong> verbe en Afrique.<br />

11- C Abastado, « Liminaire: Représentations sociales, littérature africaine,<br />

sémiotique textuelle » in Ethnopsychologie. Revue <strong>de</strong> psychologie <strong>de</strong>s<br />

peuples. 35è année, n° 213, avril-septembre 1980, p 8.<br />

12- Samuel Beck<strong>et</strong>t <strong>et</strong> Eugène Ionesco respectivement d'origine irlandaise <strong>et</strong><br />

roumaine, publient en français tandis que le Polonais Joseph Conrad, lui, écnt en<br />

anglais.<br />

13 - M. Gassama. 1nterrogation sur 1a 1ittérature nègre <strong>de</strong> 1an gue<br />

française. Nouvelles Editions Africaines, 1978.<br />

14 - F Oyono Une vie <strong>de</strong> Boy. Editions Presses Pock<strong>et</strong>, 1991.<br />

15 - J. Dubois, M. Giacomo, L. Guespin <strong>et</strong> al Dictionnaire <strong>de</strong> linguistique.<br />

Larousse, 1989, p 265.<br />

16 - 1rnpropnété est le terme générique désignant ici, toute <strong>forme</strong> <strong>de</strong> langage ou<br />

<strong>de</strong> construction qUI s'écarte d'une certaine norme ou d'un emploi consacré par<br />

l'usage.


93<br />

17 - Cité par A Huannou in L'Afrique littéraire <strong>et</strong> artistique, n Ù<br />

38, 4è<br />

trimestre, 1976. Ajoutons que ce qu'affirme Kourouma <strong>de</strong> Les Soleils est<br />

également valable pour Monnè.<br />

18 - J C Nicolas. Comprendre Les Solei Is <strong>de</strong>s Indépendances<br />

d'Ahmadou Kourouma. Editions Saint-Paul, 1985, collection « Les classiques<br />

africains », n0858, p 177.<br />

19 - Axel K. Avoni. «La lune <strong>de</strong>s Dépendances »in Ivoire Dimanche, n° 995<br />

<strong>du</strong> 11 mars 1990, p 40.


95<br />

Section 1-11-1 Généralités sur <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré<br />

Une brève étu<strong>de</strong> historique est utile afin <strong>de</strong> préciser les contours<br />

sémantiques <strong>du</strong> suj<strong>et</strong>. C<strong>et</strong>te étu<strong>de</strong> perm<strong>et</strong>tra d'évoquer les modalités<br />

d'expression en latin <strong>de</strong> l'idée intensive, modalités auxquelles sont étroitement<br />

liés nombre <strong>de</strong> procédés lexicaux français d'intensification. Le latin exprimait en<br />

eff<strong>et</strong> le <strong>de</strong>gré <strong>dans</strong> l'adjectif au moyen <strong>de</strong>s désinences. La permanence <strong>de</strong> la<br />

constante doct- à laquelle s'applique la variation suffixale <strong>dans</strong> les exemples ci-<br />

<strong>de</strong>ssous empruntés au Gand Larousse <strong>de</strong> la langue française 1, montre que<br />

l'adjectif latin distinguait déjà les nuances <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré:<br />

a)- Paulus doctus est: «Paul est savant»<br />

b)- Paulus doctior est: « Paul est assez savant»<br />

c)- Paulus doctissimus est: « Paul est très savant »<br />

De c<strong>et</strong>te distinction flexionnelle, proviennent les notions <strong>de</strong> « positif» <strong>de</strong><br />

l'adjectif, <strong>de</strong> « superlatif » dont ces énoncés sont <strong>de</strong>s illustrations. Une première<br />

remarque s'impose. Elle concerne le <strong>fonction</strong>nement <strong>de</strong> chaque système<br />

linguistique. En latin en eff<strong>et</strong>, une nuance superlative est susceptible <strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire<br />

la distinction <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s <strong>de</strong> positif (doctus ), <strong>de</strong> comparatif (doctior ) <strong>et</strong> <strong>de</strong> superlatif<br />

(doctlssimus) sans que l'indication d'un « étalon » <strong>de</strong> mesure. ou d'un<br />

ensemble référentiel (voir plus loin) SOit absolument nécessaire. C'est <strong>du</strong> mOins ce<br />

qUI ressort <strong>de</strong> l'interprétation <strong>de</strong> l'encyclopédie qui précise que les suffixes en -ior<br />

<strong>et</strong> -ISSlmus peuvent également se tra<strong>du</strong>ire respectivement en « plus savant » <strong>et</strong><br />

« le plus savant » En français, les restrictions <strong>de</strong> la <strong>fonction</strong> combinatoire<br />

ren<strong>de</strong>nt impossibles <strong>de</strong>s énoncés 2 comme: « Il est assez savant que son<br />

frère»' <strong>et</strong> «II est très savant <strong>de</strong> tous »' AinSI, contrairement à doctior <strong>et</strong><br />

rloctlsSlmLJs. assez savant <strong>et</strong> très savant sont-ils exclusivement préposés à<br />

1 expression <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré absolu. Outre ces marques flexionnelles, le latin disposait<br />

également d'une variété d'adverbes qui, s'appliquant au positif <strong>de</strong> l'adjectif,


98<br />

Damour<strong>et</strong>te <strong>et</strong> Pichon l'appellent à juste titre « étalon » On verra tout au long<br />

<strong>de</strong> notre <strong>de</strong>scription, à quelle hypertrophie c<strong>et</strong>te <strong>fonction</strong> est soumise car <strong>dans</strong> les<br />

faits, elle excè<strong>de</strong> le cadre <strong>de</strong> l'accommensuration Dans la terminologie<br />

traditionnelle, celle-cI correspond à la comparaison <strong>de</strong> supériorité, d'infériorité <strong>et</strong><br />

d'égalité En eff<strong>et</strong> les locutions conjonctives exclusivement préposées au procès<br />

accommensuratif sont plus/ moins que, aussi que. La décommensuration,<br />

elle, étend le procès comparatif à un ensemble référentiel réel ou imaginaire.<br />

Rappelons-nous l'ensemble F <strong>et</strong> les énoncés proposés auparavant Dans<br />

l'énoncé 4, l'élément d faisait l'obj<strong>et</strong> d'une citation d'exemplarité comme<br />

possédant avec excellence, la qualité « serviabilité » parmi tous les membres<br />

<strong>de</strong> la famille. L'appel à l'ensemble référentiel <strong>dans</strong> le procès décommensuratif est<br />

assuré par la préposition <strong>de</strong> ou par une proposition relative amenée par que.<br />

Terminons avec la question <strong>de</strong> « <strong>forme</strong>» L'élément valorisé ou dévalorisé<br />

<strong>dans</strong> l'opération décommensurative, pour être pleinement distingué <strong>et</strong> élevé au<br />

rang suprême, doit être toujours parfaitement déterminé. Cela Justifie la présence<br />

indispensable <strong>de</strong> l'article défini <strong>dans</strong> l'énoncé 4, ou bien celle d'autres<br />

actuallsateurs tels que les possessifs, les démonstratifs. La décommensuratlon<br />

peut ainsi être définie comme une opération linguistique <strong>de</strong> prélèvement sur un<br />

ensemble référentiel quelconque qui m<strong>et</strong> en relief, par une sorte d'hyperbole<br />

grammaticalisée, l'exemplarité <strong>de</strong> l'élément prélevé PréCisons que l'exemplarité<br />

dont Il est question peut être positive ou négative. Nous parlons ainsi d'opération<br />

panegy-décommensuratlve ou panégy-décommensuratlon, lorsque nous avons<br />

affaire à une l1yperbole décommensurative méliorative. L'hypo­<br />

décommensuration ou opération hypo-décommensurative désignera l'hyperbole<br />

décommensurative péjorative Soit les énoncés ci-après<br />

(a) «Danse avec les loups » est le film le plus beau <strong>de</strong> toute l'histoire <strong>du</strong><br />

Cinéma<br />

(b)- C<strong>et</strong>te pièce <strong>de</strong> théâtre est le plus piètre spectacle qUI ait Jamais été joué à<br />

l'Opéra


100<br />

implicite Mais la réalité est toute autre, car en dépIt <strong>de</strong> son apparente étroitesse,<br />

c<strong>et</strong>te définition englobe bien l'opération décommensurative. La justification en est<br />

simple C'est que pour nous, la présence effective ou virtuelle <strong>de</strong> l'ensemble<br />

ieferelltlel. qU11 SOit <strong>de</strong> nature spatiale « La plus belle fille <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> » ou<br />

temporelle « Le plus piètre spectacle <strong>du</strong> siècle », n'a d'importance que par sa<br />

valeur Intensive, car la dimension comparative y apparaît presque toujours si<br />

9ffacée qu'elle est à négliger. Une autre interrogation pourrait éventuellement<br />

porter sur le terme expression ren<strong>du</strong> sans doute confus <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> son double<br />

emplOi D'abord parce qu'il intervient <strong>dans</strong> la définition <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré telle que<br />

proposée précé<strong>de</strong>mment, ensuite parce qu'il fait partie <strong>de</strong> l'intitulé général <strong>du</strong><br />

sUj<strong>et</strong> Cela eXige <strong>de</strong> notre part, une plus gran<strong>de</strong> rigueur en précIsion sémantique<br />

Au terme expression, le Vocabulaire <strong>de</strong> la stylistique signale troIs<br />

<strong>de</strong>flnltlons. Parmi celles-cI, une ressortit à la <strong>fonction</strong> linguistique fondamentale, à<br />

savoir. la communication interhumaine d'informations. <strong>de</strong> pensées <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

sentiments Elle presente en eff<strong>et</strong> <strong>l'expression</strong> comme étant un «Moyen <strong>de</strong><br />

véhiculer par le langage (= d' exprimer) un mes sage » 6 Oans la<br />

Illesure OL! Loute tOlîne est valeur, c'est-à-dire signification conformément à<br />

:essence même <strong>de</strong> la langue qui a pour <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> « vouloir dire quelque<br />

chose» c<strong>et</strong>te acception <strong>du</strong> terme expression emporte notre adhésion. Quant à<br />

<strong>forme</strong> <strong>et</strong> <strong>fonction</strong> justement ce sont <strong>de</strong>ux concepts particulièrement polysémiques<br />

tant en linguistique que <strong>dans</strong> le vocabulaire commun non didactique Un<br />

panorama sémantique sur leurs différentes acceptions serait non seulement<br />

fastidieux à établir, mais <strong>de</strong> surcroît, il n'aurait aucun Intérêt pour nous. AUSSI, en<br />

lieu <strong>et</strong> place. proposons-nous une approche plus pragmatique. Soit les énoncés<br />

sUivants<br />

( 1)- Laralgnée est aussI rusée que la tortue.<br />

(2)- Le renard est plus rusé que l'hyène<br />

\3)- Le lièvre est le plus rusé <strong>de</strong> tous.<br />

(4)- Il est bête à manger <strong>du</strong> fOin.


101<br />

(5)- C'est un athlète rapi<strong>de</strong> comme l'éclair.<br />

16)- Elle est une personne très avenante.<br />

Du point <strong>de</strong> vue sémantique, ces énoncés ont un dénominateur commun:<br />

ils expriment tous l'idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré La différence entre eux vient <strong>de</strong> leurs<br />

composantes grammaticales respectives. On sait à quels types d'énoncés sont<br />

affectés aussi que, plus que, le plus <strong>de</strong> <strong>et</strong> très. A l'idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré, sadjomt à<br />

la fois lidée <strong>de</strong> conséquence <strong>et</strong> <strong>de</strong> caractérisation <strong>dans</strong> l'énoncé 4 avec à<br />

manger <strong>du</strong> foin, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> caractérisation seulement <strong>dans</strong> l'énoncé 5 avec<br />

comme <strong>et</strong> son complément Nous verrons plus loin, grâce au principe d'inclusion<br />

semantique, que les constructions <strong>du</strong> genre, à manger <strong>du</strong> foin <strong>et</strong> comme<br />

l'éclair peuvent être tra<strong>du</strong>ites en très + adjectif / adverbe. Le but <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

<strong>de</strong>scription est le suivant. Si on adm<strong>et</strong>- en réalité, cela paraît difficilement<br />

contestable, sauf peut-être pour un étranger chez qui le sentiment linguistique<br />

eXiste à peine - que ces énoncés représentent chacun une variété spécifique <strong>de</strong><br />

l'Idée IntenSive, on adm<strong>et</strong>tra en toute logique notre acception <strong>de</strong>s concepts <strong>de</strong><br />

<strong>forme</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>fonction</strong> Nous désignerons ainsi sous le terme générique <strong>de</strong> <strong>forme</strong>,<br />

toutes les modalités d'expression <strong>de</strong> l'idée d'intensité, qu'elles soient <strong>de</strong> nature<br />

lexicale. syntaxique ou figurative Précisons toutefois que quand nous parlons<br />


102<br />

Dans cene acception où la signification immédiatement saisissable d'un énoncé<br />

saccompagne d'une plus-value sémantique, <strong>fonction</strong> est proche <strong>de</strong> connotation,<br />

pour autant que celle-ci soit ré<strong>du</strong>ctible à l'eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> sens d'un terme ou d'une<br />

construction quelconque selon le contexte. Nous pensons donc au sens<br />

contextuel ainsi qu'à la nuance affective qUI peut ou non s'y rapporter. Sont<br />

également Implicitement intéressés ici, les "pré-requis" <strong>de</strong> l'énonciation.<br />

Rappelons l'énoncé 5 proposé auparavant pour rendre Intelligible la notion <strong>de</strong><br />

pré-requIs «C'est un athlète rapi<strong>de</strong> comme l'éclair » Pour tout locuteur <strong>de</strong> la<br />

langue française instruit par le sentiment linguistique, la séquence « comme<br />

!éclalr » a valeur <strong>de</strong> modèle en ce qui concerne la qualité « rapidité » D'un<br />

pOint <strong>de</strong> vue culturel, c<strong>et</strong>te séquence est <strong>l'expression</strong> d'un jugement a posteriori,<br />

cest-à-dlre inspiré par l'expérience <strong>et</strong> attesté par elle. C'est ce qui confère sa<br />

dimenSion péjorative <strong>et</strong> ironique à un énoncé où c<strong>et</strong>te séquence serait remplacée<br />

par une autre qui jurerait avec l'expérience, comme <strong>de</strong> dire par exemple quun<br />

athlète est rapi<strong>de</strong> «comme une tortue» MaiS ce qui est important à souligner, ce<br />

n'est pas uniquement la valeur culturelle <strong>de</strong> modèle <strong>de</strong> la séquence introdUite par<br />

comme, cest également sa valeur purement linguistique. Cela signifie que c<strong>et</strong>te<br />

valeur pré-eXiste à la valeur culturelle <strong>dans</strong> \e système linguistique !ul-même<br />

Lexempiarlté <strong>et</strong> le rôle <strong>de</strong> modèle <strong>de</strong> rapidité que dénote le substantif éc 1air<br />

tiennent en eff<strong>et</strong>, à la linéarité <strong>de</strong>s éléments <strong>dans</strong> le système <strong>et</strong> par conséquent à<br />

leurs <strong>fonction</strong>s syntaxiques <strong>de</strong> substituabilité ou <strong>de</strong> non substituabilité Or, c<strong>et</strong>te<br />

linéarité. ces <strong>fonction</strong>s <strong>et</strong> ces rapports grâce auxquels s'organisent les jugements<br />

<strong>de</strong> l'expérience linguistique humaine (au mOins sur <strong>de</strong>s cas comme celUI <strong>de</strong><br />

l'énoncé qui précè<strong>de</strong>) dépen<strong>de</strong>nt strictement <strong>de</strong> la langue, <strong>de</strong> sa structure interne<br />

AinSI <strong>dans</strong> une première définition assez restreinte, le pré-requis déSignera pour<br />

nous un certain a-prlorlsme <strong>de</strong> la langue. la logique intrinsèque <strong>de</strong> son<br />

organisaTion qUi donne sens à toute énonCiation. Oans une <strong>de</strong>uxième approche<br />

plus extensive, nous qualltierons <strong>de</strong> pre-requIs d'une part, l'ensemble <strong>de</strong>s regies<br />

qUI régissent les Jugements <strong>de</strong> grammaticalité <strong>et</strong> d'agrammaticalité, <strong>et</strong> d'autre part


103<br />

le pouvoir qu'a un locuteur <strong>de</strong> décrire un énoncé, cest-à-dire <strong>de</strong> l'interpréter <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

lUI trouver une signification. C<strong>et</strong>te pensée sera le postulat fondateur <strong>de</strong> notre<br />

procé<strong>du</strong>re d'analyse dont les principes <strong>de</strong>scriptifs seront définis progressivement<br />

au cours <strong>de</strong>s développements ultérieurs


106<br />

être, à' un acte, ct' une notion quelconque»,8 Ainsi définie, la<br />

caractérisation doit être enten<strong>du</strong>e <strong>dans</strong> sa plus générale acception intensive<br />

incluant <strong>de</strong>s procédés oraux qui ne ressortissent pas traditionnellement à la<br />

grammaire. C'est le cas <strong>de</strong> l'intonation que nous étudierons au chapitre consacré<br />

à l'exclamation intensive Mais avant <strong>de</strong> montrer comment l'intonation <strong>de</strong>vient<br />

symboliquement un procédé <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré, nous <strong>de</strong>vons traiter <strong>du</strong> rôle <strong>de</strong><br />

l'adverbe <strong>et</strong> <strong>de</strong> 1adjectif <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée Intensive par le biais <strong>de</strong> la<br />

caractérisation, En eff<strong>et</strong>, la brève étu<strong>de</strong> historique sur les modalités latines <strong>de</strong><br />

<strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré a montré, grâce à la tra<strong>du</strong>ction <strong>du</strong> latin en français, que<br />

1adverbe très suivi d'un autre adverbe ou d'un adjectif est le constituant <strong>de</strong> base<br />

<strong>de</strong> l'intensité, Il est logique par conséquent que notre procé<strong>du</strong>re d'analyse qUI vise<br />

à prévoir <strong>et</strong> à expliciter le sens <strong>de</strong>s énoncés s'applique d'abord à donner <strong>de</strong>s<br />

exemples <strong>de</strong>mploi <strong>de</strong> c<strong>et</strong> intensif originel. C'est la condition idéale qUI accréditera<br />

<strong>et</strong> perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> comprendre nos hypothèses <strong>de</strong>scriptives fondées sur l'II1clusion<br />

sémantique.


108<br />

Oans c<strong>et</strong> emploi. l'adverbe peut s'insérer <strong>dans</strong> un syntagme à lexicalisation<br />

achevée. Il modifie alors le sens d'ensemble <strong>du</strong> groupe <strong>et</strong> non plus<br />

spécIfiquement celui <strong>de</strong> l'adjectif au sémantisme absolument évanescent C'est ce<br />

qui se passe avec le groupe «<strong>de</strong> bon matin» <strong>du</strong> passage suivant:<br />

Ex 2: De très bon matin, les premiers conVOlS<br />

<strong>de</strong>scendirent sissa-sissa sur le sud pour aller<br />

tirer le train <strong>de</strong> Djigui. Monnè : 76.<br />

Un tel emploi <strong>de</strong> c<strong>et</strong> intensif primitif en dénote son évi<strong>de</strong>ment sémantique. Une<br />

autre preuve <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te désémantlsation doit être trouvée <strong>dans</strong> le fait quil<br />

sappllque souvent à <strong>de</strong>s adjectifs dont le contenu notionnel en lui-même dégage<br />

·jéjà une telle plénitu<strong>de</strong> d'expressivité que leur proximité Immédiate aurait dû<br />

apparaître comme une infraction sémantique. Il en va ainsi d'impérieux. On le<br />

t'encontre pourtant <strong>dans</strong> la langue actuelle sans que cela provoque le mOins <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong> une quelconqu'impropriété<br />

Ex 3: Mais Béma, alors qu'il n'était que le<br />

simple dauphin, avait refusé <strong>de</strong> s'offrir aux<br />

<strong>de</strong>nLs vengeresses <strong>de</strong> son père, allait-il, avec<br />

les titres <strong>de</strong> Massa <strong>et</strong> <strong>de</strong> prési<strong>de</strong>nL <strong>du</strong> PREP,<br />

fléchir? Personne ne le pensait. Il fallait<br />

qu'une très impérieuse nécessité le contraignît.<br />

Monnè : 275.<br />

La tentation est gran<strong>de</strong>, <strong>dans</strong> ce genre <strong>de</strong> cas, d'invoquer l'argument d'un double<br />

procès <strong>de</strong> désémantisation en estimant, pour Justifier la construction, que le terme<br />

intensifié lUI aussi subit c<strong>et</strong>te désémantlsation. II semble cependant plus<br />

raisonnable Clue l'emploi soit justiciable <strong>de</strong> l'usage abusif <strong>de</strong> l'intensif, usage<br />

procédant presque toujours d'un besoin irrésistible <strong>et</strong> parfois inconscient<br />

d'llyperbolisation Dans c<strong>et</strong> extrait en tout cas, \e contexte corrobore nos<br />

observations. En eff<strong>et</strong>, l'ar<strong>de</strong>nt désir <strong>de</strong> promotion sociale <strong>de</strong> Béma autant que sa


109<br />

boulimie <strong>de</strong>s sommités politiques, sont aux antipo<strong>de</strong>s <strong>de</strong>s valeurs ancestrales qUI<br />

ont pour noms humilité, sens <strong>de</strong> la conciliation, respect <strong>de</strong> l'âge. Homme<br />

ambitieux <strong>et</strong> dénué <strong>de</strong> scrupules, rien ni personne n'arrive à lui faire entendre<br />

raison Pour un homme <strong>de</strong> son espèce, il faut en eff<strong>et</strong> que se pro<strong>du</strong>ise un<br />

:événement au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> l'ordinaire pour qui! puisse être affectlvement atteint. La<br />

structure Intensive très + impérieuse, par sa dimension quelque peu<br />

pléonastique, est tout à fait symptomatique <strong>du</strong> caractère extraordinaire <strong>de</strong> c<strong>et</strong><br />

événement hypothétique. En d'autres termes, c<strong>et</strong>te structure semble avoir été<br />

voulue pour exprimer la nature <strong>de</strong> c<strong>et</strong> événement qu'on qualifie proleptlquement<br />

<strong>de</strong> peu habituel. Mais ce type d'emploi, quoiqu'il soit digne d'intérêt pour<br />

1analyste <strong>de</strong> discours, il ne revitalise guère l'intenSif très dont l'affadissement<br />

sémantique est peu discutable. Il est normal dès lors que, pour réguler le rapport<br />

expressivité-moyens d'expression, la langue se renouvelle <strong>et</strong> que ses usagers<br />

(surtout les suj<strong>et</strong>s parlants) initient <strong>de</strong>s procédés <strong>de</strong> substitution au contenu plus<br />

énergique. De cela procè<strong>de</strong> l'avènement <strong>dans</strong> le domaine <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

nouvelles races d'intensifs comprenant aussi bien <strong>de</strong>s structures complexes que<br />

<strong>de</strong>s mots simples tels que les adverbes en -ment<br />

11-1-3-2 L'intensité par les concurrents <strong>de</strong> très<br />

11-1-3-2 -1 L'adverbe « motivé » en-ment<br />

La motivation. fondée sur le rapport d'i<strong>de</strong>ntité entre le contenu notionnel<br />

<strong>du</strong> concept <strong>et</strong> sa représentation phonique apparaît comme le corollaire opposable<br />

au caractère arbitraire <strong>du</strong> signe linguistique. A l'origine en eff<strong>et</strong>, la motivation<br />

<strong>de</strong>note 1exacte correspondance entre un phénomène <strong>de</strong> la réalité objective <strong>et</strong> sa<br />

tra<strong>du</strong>ction phonique au niveau <strong>de</strong> la langue. En ce sens. l'expressIvité <strong>de</strong>s<br />

onomatopées constitue l'illustration claSSique <strong>de</strong> la motivation Elles (les<br />

onomatopées) vont <strong>de</strong> la suggestion <strong>de</strong> l'idée d'une montre en marche (tIc-tac) à<br />

celle d'un choc quelconque (plouf l toc' vlan!). Mais par extension, l'usage


110<br />

actuel fait entrer sous la réalité évoquée par le concept <strong>de</strong> motivation, une série <strong>de</strong><br />

termes dont le sémantisme n'a aucun rapport avec le fon<strong>de</strong>ment originel <strong>de</strong> la<br />

motivation Il en résulte ainsi un enrichissement <strong>de</strong> l'acception traditionnelle par<br />

trop limitative <strong>de</strong> la notion. C'est ainsi que le rapport entre le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>et</strong> ses<br />

moyens a expression peut-être qualifié <strong>de</strong> « motivé» Il est normal en eff<strong>et</strong> quà<br />

ce fait <strong>de</strong> langage se situant à l'échelle supérieure <strong>dans</strong> l'ensemble <strong>de</strong>s paliers <strong>de</strong><br />

lidée dlntensité, correspon<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s procédés dont le sémantisme ren<strong>de</strong> le plus<br />

fidèlement possible compte <strong>de</strong> ce rang d'excellence. Parmi ces procédés. figurent<br />

les adverbes en -ment à valeur intensive.<br />

,A. l'origine. ces intensifs étaient commis à <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong><br />

«manière » avec chacun son propre sens. Affectés <strong>de</strong> nos jours <strong>dans</strong> les procès<br />

cilrltenslficatlon leur motivation vient <strong>de</strong> ce que, gardant encore pour la plupart<br />

quelque trace <strong>de</strong> leur étymologie, ils font appararaître l'action qu'ils caractérisent<br />

comme se réalisant sans restriction aucune Cela signifie que l'action ainsi<br />

caractérisée est censée avoir atteint le niveau paroxystique <strong>de</strong> son<br />

accomplissement Prenons un exemple avec parfaitement <strong>dans</strong> l'énoncé<br />

sUivant «Faire la table est une expression parfaitement française » Ce que<br />

dénote c<strong>et</strong>te phrase, c'est, certes, sa grammaticalité, sa conformité avec les lois<br />

<strong>de</strong> la cam blnatOlre sémantique <strong>et</strong> syntaxique De ce point <strong>de</strong> vue le même<br />

énoncé privé <strong>de</strong> l'adverbe n'eût pas été différent en signification. Mais en outre,<br />

parfaitement ajoute au jugement, une certification <strong>de</strong> grammaticalité qUI ne<br />

saurait souffrir le moindre doute: l'énoncé sous-entend, grâce à l'adverbe, qu'il<br />

eXiste différents <strong>de</strong>grés <strong>de</strong> grammaticalité <strong>et</strong> que la grammaticalité la plus<br />

achevée. celle au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> laquelle tout jugement <strong>de</strong> correction perd signification<br />

est celle qUI est parfaite. Le sens <strong>de</strong> base <strong>de</strong> ces caractérisants intensifs institue<br />

par conséquent une nouvelle <strong>forme</strong> <strong>de</strong> motivation qui justifie l'appellation<br />

dadverbes «motivés». Le cntère déterminant <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te nouvelle acception <strong>du</strong><br />

concept cJe motivation est par conséquent cj'ordre sémantique A ce critère<br />

sadJoinr un autre, <strong>forme</strong>l celui-là <strong>et</strong> cependant toujours influencé par le premier. Il


111<br />

est fondé sur l'hypothèse <strong>de</strong> la ré<strong>du</strong>ctibilité par substitution <strong>de</strong> toute séquence à<br />

valeur <strong>de</strong> caractérisation intensive, à un invariant <strong>de</strong> base. Celui-ci peut être décrit<br />

en (être)+ très + adjectif/adverbe. 10 Le test sémantique qui perm<strong>et</strong> d'aboutir<br />

à c<strong>et</strong> invariant comporte lUI-même plusieurs étapes-hypothèses. La confirmation<br />

par celles-cI <strong>du</strong> résultat final atten<strong>du</strong> définit la validation sémantique:<br />

1 - Tout énoncé contenant l'idée <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré est susceptible d'être décomposé<br />

en <strong>de</strong>ux séquences <strong>de</strong> longueur variable. Nous représenterons par S 1a<br />

séquence caractérisée (le support). A sera le symbole <strong>de</strong> la séquence<br />

caractérisante (l'apport).<br />

2 - Nous poserons ensuite que toute séquence caractérisante A, si elle exprime le<br />

Ilaut <strong>de</strong>gré, est passible d'un test au cours <strong>du</strong>quel A s'effacera au profit <strong>de</strong> la<br />

structure <strong>de</strong> base (être) + très + adjectif / adverbe quaiifiant S<br />

3 - L·effacement <strong>de</strong> S sera partiel si ses éléments constitutifs sont naturellement<br />

caractérisants comme l'adjectif <strong>et</strong> l'adverbe. Celui-cI disparaîtra alors a l'issue <strong>du</strong><br />

test dont le signe + signifiant « sUivi <strong>de</strong> » sera la marque Ce test linguistique<br />

est la dimension pratique <strong>du</strong> principe d'inclusion sémantique En théorie,<br />

l'inclusion sémantique se fon<strong>de</strong> en eff<strong>et</strong> sur l'hypothèse que <strong>dans</strong> le sémantlsme<br />

<strong>de</strong> tout adverbe présumé intensivement motivé. est intégré l'outil premier<br />

d'intensification très, suivi <strong>de</strong> l'adjectif ou <strong>du</strong> verbe que modifie l'adverbe en<br />

question ToutefoIs, il convient d'ém<strong>et</strong>tre quelques réserves utiles qui Intéressent<br />

lefficaclte cle l'operation cI-<strong>de</strong>ssus En eff<strong>et</strong>, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> la diversité <strong>de</strong>s procédés<br />

intenSifs, <strong>de</strong>s contraintes sémantiques liées aux propriétés morpho-syntaxiques<br />

<strong>de</strong> certains d'entre eux peuvent faire que ce test ne SOit pas toujours Justiciable <strong>de</strong><br />

chaque cas. Les conditions <strong>de</strong> <strong>de</strong>scription étant définies, il ne reste qu'à la<br />

confronter à l'expérience avec le caractérisant motivé en -ment Celui-ci peut être<br />

intensif soit d'un adjectif, soit d'un verbe


115<br />

<strong>de</strong> très en fin <strong>de</strong> <strong>de</strong>scnption. Il s'agit <strong>de</strong> tout à fait. Pour les mêmes raisons, les<br />

exemples 1 <strong>et</strong> 2 cités en premier donneraient ce qUI SUIt:<br />

Ex l' <strong>de</strong>s têtes crepues, très indécrottables*.<br />

Exl": ... <strong>de</strong>s<br />

indécrotL.ables.<br />

têtes crépues, tout à fait<br />

Ex 2': ils furent renvoyés sur Soba très nus<br />

comme <strong>de</strong>s voleurs*.<br />

Ex 2" ... ils furent renvoyés nus sur Soba<br />

tout à fait nus comme <strong>de</strong>s voleurs.<br />

Le signifié <strong>du</strong> caractérisé influence assez largement le raisonnement syntaxique<br />

comme Vient <strong>de</strong> le montrer le lest. Mais à l'exception <strong>de</strong> ces cas particuliers,<br />

1opération reste tout à fait probante, rnême avec <strong>de</strong>s caractérisants en -ment tels<br />

que carrément spécifiquement, gran<strong>de</strong>ment Si la tradition ne les a pas<br />

encore consacrés comme <strong>de</strong>s continuateurs attitrés <strong>de</strong> très, l'usage lui, a plutôt<br />

tendance à les Imposer <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te <strong>fonction</strong>. Salimata est en pleine séance<br />

sacrificatoire avec Abdoulaye Mais accroupie face au marabout, la femme est en<br />

mauvaise posture car,<br />

Ex 7 : A force <strong>de</strong> tordre les reins, <strong>de</strong> pelner,<br />

<strong>de</strong> pirou<strong>et</strong>ter Salimata s'était stabilisée,<br />

disons-le, <strong>dans</strong> une position carrément<br />

provocante: les selns se découvraient,<br />

<strong>de</strong>scendaient <strong>et</strong> se redécouvraient.Les soleils:<br />

73.<br />

La place <strong>de</strong> carrément en position terminale <strong>dans</strong> l'énoncé est à souligner. En<br />

eff<strong>et</strong>. c est en bout d'énoncé, après une suite <strong>de</strong> verbes marquant l'idée <strong>de</strong><br />

souffrance ou <strong>de</strong> malaise qu'intervient j'adverbe indiquant ainsi l'eff<strong>et</strong> résultant <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te Idée. Dans c<strong>et</strong> emploi. l'adverbe a quitté son sens <strong>de</strong> base <strong>de</strong> configuration


116<br />

geométrique pour ne prendre qu'un sens <strong>de</strong> certification à nuance intensive vOisin<br />

<strong>de</strong> tout à fait <strong>et</strong> <strong>de</strong> très. En ce sens, le reste <strong>de</strong> l'énoncé subséquent à la pause<br />

intro<strong>du</strong>ite par les <strong>de</strong>ux points n'est pas vraiment indispensable car son absence<br />

Il'eût pas influencé la dénotation Intensive <strong>de</strong> la phrase précé<strong>de</strong>nte, Toutefois, il<br />

est utile <strong>dans</strong> sa <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> complément car il explicite le sens <strong>de</strong> l'ensemble<br />

support-apport, à savoir celui <strong>du</strong> caractérisant intensif <strong>et</strong> son support adjectif. En<br />

termes différents, ce complément d'explicitation a davantage une <strong>fonction</strong><br />

picturale par laquelle il tend à faire Visualiser aux lecteurs comme sur une scène<br />

<strong>de</strong> théâtre, ce qui rend particulièrement provocante la posture <strong>de</strong> Salimata, C'est<br />

<strong>dans</strong> ce rôle d'intensif que se trouve employé l'adverbe gran<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> le<br />

passage qui va SUivre, Il s'agit <strong>de</strong> l'imminence d'une rencontre <strong>de</strong> Fama avec les<br />

sommités politiques <strong>du</strong> Horodougou, rencontre qui trouble la quiétu<strong>de</strong> <strong>du</strong> prince.<br />

[_ïnsomnle qui le frappe <strong>de</strong>puis l'annonce <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te réunion est amplement Justifiée<br />

car on ne venait pas «pour rire ou honorer l » Au menu il y aurait,<br />

Ex 8 : Du sous-préf<strong>et</strong>, <strong>de</strong> la contre-révolution,<br />

<strong>de</strong> la réaction, mais c'était gran<strong>de</strong>ment grave.<br />

Les soleils: 136.<br />

L'Idée d'«extrême gravité» qui se dégage <strong>de</strong> ce passage perm<strong>et</strong> d'appliquer<br />

l'opération à c<strong>et</strong> extrait <strong>dans</strong> les conditions d'analyse précisées auparavant. On<br />

consldèrera en outre qu'en structure profon<strong>de</strong>, c'est mis pour « (Tout) cela »<br />

ou « quelque chose» On aura ainsi:<br />

1- I<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s séquences<br />

Ex 8 :,' . mais c'était gran<strong>de</strong>ment grave l<br />

S A<br />

Ce qUI perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> réécrire symboliquement l'énoncé comme SUit·<br />

EX 8 .. S + A


118<br />

Le mécanisme <strong>de</strong> distribution <strong>de</strong> la valeur intensive <strong>du</strong> caractérisant est simple.<br />

Du verbe. j'adverbe indique que son sémantlsme doit être réalisé avec plénitu<strong>de</strong><br />

ainsi que ie suggère l'idée d'«entièr<strong>et</strong>é », <strong>de</strong> « totalité » que l'on saisit en<br />

première lecture. Mais en s'appliquant à l'action <strong>de</strong> se confier, le caractérisant<br />

Intéresse au premier chef l'agent par qui doit saccomplir c<strong>et</strong>te action. C'est <strong>de</strong> lui<br />

qu'on attend quil réalise le signifié <strong>du</strong> verbe. Tout se passe à la limite comme s'il<br />

<strong>de</strong>vait lui-même intégrer le phénomène, faire corps avec lui. La preuve <strong>de</strong><br />

l'implication totale <strong>de</strong> l'agent est encore plus n<strong>et</strong>te <strong>dans</strong> la substituabilité <strong>du</strong><br />

caractérisant en -ment par un autre qui dénote toute la dimension <strong>de</strong> l'action<br />

«Celui qui se confie tout entier au Tout-Puissant n'est jamais honni» C'est<br />

c<strong>et</strong>te valeur d'emploi qu'il faut saisir avec spécifiquement <strong>et</strong> lour<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong><br />

les exemples cI-<strong>de</strong>ssous. Il s'agit <strong>de</strong> Djlgui<br />

2x 9 : Sa fin se trouvait <strong>dans</strong> lui-même, <strong>dans</strong><br />

ses colères, sa salive: c<strong>et</strong>te vérité était<br />

spécifiquement admise par tous, même par le<br />

toubib toubab <strong>de</strong> Saba. Monnè : 179.<br />

La position enclitique <strong>de</strong> l'adverbe placé entre l'auxiliaire <strong>et</strong> le participe passé <strong>du</strong><br />

veroe Joue un rôle assez Important <strong>dans</strong> sa valeur intensive. Oans c<strong>et</strong>te position. Il<br />

a un sens voisin <strong>de</strong> parfaitement <strong>et</strong> l'énoncé ci-<strong>de</strong>ssus peut être ainsi<br />

paraphrasé «. c<strong>et</strong>te vérité était parfaitement admise par tous » En termes<br />

différents. cela signifie qU'II n'y avait aucune raison d'ém<strong>et</strong>tre le mOindre doute<br />

sur l'authenticité <strong>de</strong> ce qui est notoirement considéré comme une vérité absolue. Il<br />

eXiste par conséquent un gar<strong>de</strong>-fou <strong>de</strong> véracité à double tour ce qUI est<br />

consldére comme vraI l'est d'abord en SOI, indépendamment <strong>de</strong> l'opinion publique<br />

qui y accor<strong>de</strong> foi ensuite. Ce qui ne semble pas être le cas <strong>de</strong> «c<strong>et</strong>te vérité était<br />

admise spécifiquement par tous, même par le toubib toubab <strong>de</strong> Saba » Cela<br />

revient presqu'exclusivement à « tous sans exception adm<strong>et</strong>taient c<strong>et</strong>te vérité »<br />

Le centre d'intérêt <strong>de</strong> l'énoncé concerne surtout le jugement extérieur <strong>du</strong> public


119<br />

par rapport à ce qui passe pour être une vérité C'est avant tout, semble-t-i1, la foi<br />

<strong>de</strong> l'opinion publique qui crée les conditions <strong>de</strong> crédibilité dont bénéficie ensuite<br />

<strong>et</strong> presquaprès réflexion, le fait considéré comme vrai. L'espace d'un doute nous<br />

semble par conséquent permis, <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te éventualité imaginable, ce qui n'était pas<br />

le cas pour j'énoncé précé<strong>de</strong>nt. En tout cas, l'assertion paraît vérliculer une note<br />

<strong>de</strong> suspicion autour <strong>de</strong> la chose qui fait l'obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> jugement <strong>et</strong> c'est précisément ce<br />

qUi en affecte la valeur. Dans l'extrait suivant, la valeur intensive <strong>du</strong> caractérisant<br />

procè<strong>de</strong> d'un autre mécanisme. Commentant les événements survenus <strong>dans</strong> les<br />

colonies un éditorialiste métropolitain assure:<br />

Ex 10 C'est une nouvelle agression <strong>du</strong><br />

communisme international contre l'union<br />

française <strong>et</strong> le Mon<strong>de</strong> libre, une nouvelle<br />

Indochine, un nouveau Madagascar. On veut tester<br />

notre volonté <strong>de</strong> <strong>de</strong>meurer libres. Mais c<strong>et</strong>te<br />

fois nos ennemis se sont trompés, lour<strong>de</strong>ment<br />

trompés; il faut le leur prouver. Monnè :258.<br />

Certes, le volume d'un mot (sa brièv<strong>et</strong>é ou sa longueur) n'est pas toujours motivé<br />

par rapport à son signifié. Grand, long, fourmi en sont <strong>de</strong>s exemples édifiants.<br />

Certains possè<strong>de</strong>nt cependant une expressivité où leur volume Joue un rôle<br />

important Tel est le cas <strong>de</strong> lour<strong>de</strong>ment <strong>dans</strong> c<strong>et</strong> énoncé. Bien enten<strong>du</strong>, Il ne<br />

s'agit pas d'une motivation par rapport à l'idée <strong>de</strong> poids qu'exprime en général<br />

l'adverbe. mais plutôt, d'une motivation relative à la valeur intensive acquise.<br />

C2I/e-cl. montrant la détermination Vll1dlcatlve <strong>du</strong> sUj<strong>et</strong> se perçoit en partie à<br />

travers le volume <strong>du</strong> caractérisant, mais la ponctuation <strong>et</strong> le caractère itératif <strong>du</strong><br />

terme flnai y Jouent également un rôle remarquable. On <strong>de</strong>vine ainSI, par un eff<strong>et</strong><br />

d'égale réciprocité entre la cause <strong>et</strong> le résultat. que la réaction implicitement<br />

recommandée dOit être ImpItoyable pour être dissuaSive à jamais. Outre les<br />

caractérisants Intensifs en -ment, divers autres adverbes se sont aussI établis<br />

comme <strong>de</strong> véritables outils intensifs


120<br />

11-1-3-2-2 Autres adverbes intensifs<br />

11-1-3-2-2-1 Tout à fait<br />

Le test linguistique expérimenté antérieurement a permis <strong>de</strong> voir quel est le<br />

champ lexical <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te locution. Selon le contexte en eff<strong>et</strong>, elle peut commuter<br />

avec absol ument, entièrement, totalement, parfaitement. Est-ce c<strong>et</strong>te<br />

polysémie qui explique que ses concurrents lui soient souvent préférés <strong>et</strong> qu'elle<br />

apparaisse à certains sous mauvaise presse? Ainsi par exemple, F Bar parlant<br />

<strong>de</strong> la valeur intensive <strong>de</strong> combien écrit-il« C'est l'équivalent <strong>de</strong><br />

beaucoup (<strong>de</strong>vant comparatif) <strong>et</strong> plus encore <strong>de</strong> tout à fait, qUl<br />

est démodé »11 Dire que c<strong>et</strong>te locution adverbiale est démodée nous parait<br />

assez abusif En eff<strong>et</strong>, la possibilité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te locution à se substituer à plusieurs<br />

intensifs n'est-elle pas en SOI, une certaine richesse sémantique? Que c<strong>et</strong>te<br />

richesse ait été abusivement exploitée au point d'avoir provoqué un émoussement<br />

<strong>de</strong> l'expressivité <strong>de</strong> tout à fait est indiscutable, le cas <strong>de</strong> très est en la matière<br />

une référence. Or, c<strong>et</strong> intensif primitif lui-même continue encore <strong>de</strong> rendre <strong>de</strong><br />

précieux services <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée intensive. Comment alors tout à<br />

fait qui lui est postérieur <strong>de</strong> loin peut-il être mis au ban <strong>de</strong>s intensifs<br />

«démodés»? En outre, c<strong>et</strong>te locution répond souvent n<strong>et</strong>tement mieux à l'idée<br />

<strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré que ne le fait l"'ancêtre" très. Mais il est possible que ce que nous<br />

avons en commun avec F. Bar ne se limite qu'au matériau linguistique <strong>et</strong> que<br />

langle particulier sous lequel nous jugeons <strong>de</strong> ces faits d'expression soit<br />

absolument différent <strong>du</strong> sien. Qui plus est, toute démarche interprétative est<br />

presque toujours assuj<strong>et</strong>tie à quelque subjectiVité. QUOI qu'il en SOit, c<strong>et</strong>te locution<br />

conserve encore sa valeur d'intensif. Nous n'en avons r<strong>et</strong>rouvé qu'un seul<br />

exemple <strong>dans</strong> Les Soleils<br />

Ex: La camionn<strong>et</strong>te soufflait <strong>et</strong> grimpait une<br />

côte.s'éloignait un tournant tout à fait<br />

semblable comme <strong>de</strong>ux traces <strong>du</strong> meme fauve a


122<br />

<strong>de</strong> tout est non seulement distributive, mais encore, au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

"distnbutlvité", il y a selon les cas, une sélection entre la qualité exprimée par<br />

l'adjectlf <strong>et</strong> le signifié <strong>du</strong> substantif sUj<strong>et</strong> en <strong>fonction</strong> d'attribut. Sourire <strong>dans</strong><br />

j'énonce précé<strong>de</strong>nt en est une belle Illustration. M. Clédat voyant lUI-même les<br />

iimltes ce son Interprétation <strong>de</strong>vant <strong>de</strong>s cas similaires à ceux que nous venons <strong>de</strong><br />

citer. a toutefois avisé par la suite, relativisant ses résultats. Cela étant, Il faut noter<br />

que la valeur Intensive <strong>de</strong> tout n'apparaît parfois qu'en arrière-plan:<br />

Ex Tout attendait pour ouvrlr <strong>de</strong> gran<strong>de</strong>s<br />

funérailles dignes d'un Doumbouya; quatre boeufs<br />

au centre tout brillants, tout meuglants. Les<br />

Soleils: 145.<br />

Conformément à ce qui précè<strong>de</strong>. on ne saurait lire <strong>dans</strong> c<strong>et</strong> énoncé «quatre<br />

bœufs tout entiers <strong>dans</strong> la brillance <strong>et</strong> le meuglement ». Cela signifie que <strong>dans</strong><br />

un cas. « tout brillants », la vivacité <strong>du</strong> teint qui dénote un soin particulier donné<br />

aux bêtes <strong>et</strong> une santé plutôt avantageuse suscite une admiration pour les bêtes<br />

qUI culmine à son niveau d'éminence. Dans l'autre, «tout meuglants» il faut<br />

entendre que les meuglements émis par les animaux touchent leur niveau <strong>de</strong><br />

stri<strong>de</strong>nce le plus élevé.<br />

Fort<br />

.::... l'instar <strong>de</strong> l'adjectif indéfini tout fort fait partie <strong>de</strong> ces adverbes dont on<br />

peut dire qu'ils bénéficient d'une sorte d'ambivalence grammaticale <strong>dans</strong> la<br />

mesure ou ils possè<strong>de</strong>nt une double nature ,A.djectifs, Ils s'accommo<strong>de</strong>nt <strong>de</strong>s<br />

caractères morphologiques <strong>de</strong> leur support substantif ( les marques <strong>du</strong> genre <strong>et</strong><br />

<strong>du</strong> nombre ): adverbes, Ils restent naturellement Invanables C'est <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />

seconae <strong>fonction</strong> que fort a acquis sa valeur d'Intensif à part entière. Son emplOI<br />

courant mais non encore galvaudé participe sans doute <strong>de</strong> la dimension <strong>de</strong>


123<br />

solennité qui s'en dégage souvent. A l'oral comme à l'écrit, il ressortit en général<br />

au style soutenu mais c<strong>et</strong> avis n'est pas absolu, Seul Monnè en comporte un<br />

exemple Dans ce passage, il s'agit <strong>de</strong>s exercices d'exorcisation qui constituent le<br />

menu essentiel <strong>du</strong> programme <strong>de</strong>s Jeunes princes<br />

Ex: C'étaient, <strong>dans</strong> les détails, <strong>de</strong>s pratiques<br />

fort compliquées mais qui, <strong>dans</strong> le prlnclpe,<br />

consistaient à maîtriser l'étranger avant qu'il<br />

ne prononçât un seul mot. Monnè : 18,<br />

11-1-3-2-2-3 Aussi<br />

L'adverbe équatif aussi suivi <strong>de</strong> son corrélatif conjonctif est l'un <strong>de</strong>s outils<br />

privilégiés <strong>de</strong> l'accommensuration Toutefois, selon le contexte, aussi peut être<br />

préposé à <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré sans avoir totalement quitté sa valeur<br />

accommensuratlve première Oans c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième <strong>fonction</strong>, il n'est Jamais sUivi <strong>de</strong><br />

son corrélatif Mais c<strong>et</strong>te observation d'ordre morpho-syntaxique n'est que le<br />

résultat <strong>et</strong> non la cause <strong>de</strong> la promotion au sta<strong>de</strong> suprême <strong>de</strong> l'Intensité <strong>de</strong><br />

1adverbe Cam ment en rendre raison? Dans sa <strong>fonction</strong> première d'opérateur<br />

d'égalité, l'adverbe <strong>et</strong> son corrélatif grammatical assuraient l'équilibre <strong>de</strong><br />

1Intensité entre le comparant <strong>et</strong> le comparé au sein <strong>de</strong>s propositions prinCipale <strong>et</strong><br />

subordonnée, Mais avec la disparition <strong>dans</strong> les énoncés réalisés <strong>de</strong> type<br />

mensuratlf <strong>de</strong> que, la symétrie étant rompue, la part d'intensité initialement<br />

réservée à la proposition subordonnée a pu se reporter <strong>dans</strong> la principale<br />

Ladverbe aussi en aurait alors recueilli toute la vigueur d'oiJ sa valeur d'intensif<br />

auprès <strong>de</strong>s adjectifs L'extrait qui va suivre le montre bien La ven<strong>de</strong>use Salimata<br />

vient d'être VictIme <strong>de</strong> sa générosité en faveur <strong>de</strong>s mendiants <strong>et</strong> autres<br />

necesslteux Ceux-cI se sont rués sur elle, la dépouillant <strong>de</strong> tout son gain <strong>du</strong> Jour


124<br />

Ex 1: Depuis <strong>de</strong>s mois Salimata n'avait pas<br />

traversé <strong>de</strong>s jours aussi maléfiques. Il fallait<br />

partir au marabout pour découvrir la cause. Les<br />

Soleils : 64<br />

Dans 1énoncé sUivant le rOI Djigui savoure avec raison 1'honneur qUI lui est fait<br />

d'accomplir pour la <strong>de</strong>uxième fois <strong>de</strong> sa vie (c'est une exception) le grand sacrifice<br />

expiatoire:<br />

Ex 2 : Djigui attendit que les altercations <strong>de</strong>s<br />

pélerins se disputant <strong>de</strong>s places le long <strong>de</strong>s<br />

itinéraires lui parvinssent; il poussa un<br />

puissant bissimilaï, souffla <strong>et</strong> se sentit un<br />

autre, eut l'impression que rien ne saurait lui<br />

résister, que tout était à sa portée( ... )jamais<br />

il ne s'était sentit aussi grand, aussi lourd.<br />

Nonnè : 92.<br />

L'absence <strong>dans</strong> ces énoncés <strong>de</strong> la subordonnée amène une modification <strong>de</strong><br />

1Intonation. Le ton hOrizontal, presque neutre s'estompe avant l'adverbe dont la<br />

profératlon se fait avec une mélodie d'autant plus accentuée quelle est<br />

consécutive à la légère pause ryH"lmique que l'on observe avant lui. Il s'ensuit une<br />

inSistance sur le sens <strong>de</strong> l'adjectif qui, lUI-même, hérite <strong>du</strong> martèlement tonal<br />

lorsque la situation se prête à l'affectivité. Or la narration <strong>dans</strong> les <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong><br />

Kourouma est marquée au sceau indélébile <strong>de</strong> l'hyperbole Il en résulte une<br />

multiplication <strong>de</strong> l'eff<strong>et</strong> d'inSistance qui confine en définitive à l'intensité absolue.<br />

La substituabilité <strong>de</strong> l'intensif consacré si à aussi <strong>dans</strong> les passages précé<strong>de</strong>nts<br />

ajoute à la légitimité <strong>de</strong> nos observations. Avec les énoncés à venir, notre analyse<br />

se conforte davantage en ce qui concerne l'intonation <strong>et</strong> l'accent sur aussi <strong>et</strong> leur<br />

eff<strong>et</strong> stylistique. On notera l'apport conSidérable <strong>de</strong> l'article <strong>et</strong> <strong>de</strong> la préposition<br />

dont la présence contribue à accroître l'énergie tonale. Salimata vient <strong>de</strong> perdre<br />

Baftl. son mari à qui elle s'était refusée <strong>de</strong> son vivant à cause <strong>du</strong> génie qUI la


127<br />

générale. Salimata est rentrée le profil bas:<br />

Ex l : Salimata n'a pas vécu le r<strong>et</strong>our triomphal<br />

au village dont elle a tant rêvé. C'est à<br />

califourchon au dos d'une matrone par une piste<br />

abandonnée,une entrée cachée,qu'elle fut<br />

intro<strong>du</strong>ite <strong>dans</strong> le village. Les Soleils :. 36.<br />

Dans l'extrait qUI suit, Fama se trouve au cim<strong>et</strong>ière où il est venu en compagnie<br />

d'autres pélerins rendre un <strong>de</strong>rnier hommage à ses défunts parents:<br />

Ex 2 : Un vent plus fort souffla plus drue la<br />

puanteur. Fama se <strong>de</strong>manda ce qui pouvait tant<br />

empester le lieu( ... ).Les Soleils :121.<br />

Avec les Intensifs comme tant <strong>et</strong> si, on réalise à quel point peut être parfois<br />

Illusoire la prétention à l'exhaustivité <strong>de</strong> toute démarche qui se veut scientifique<br />

En eff<strong>et</strong>. SI l'opération linguistique précé<strong>de</strong>mment décrite s'applique avec succès<br />

aux intensifs en -ment, elle ne peut être extensible à tous les procédés intensifs<br />

adverbiaux. Doit-on pour autant en inférer son Inefficacité? La réponse à c<strong>et</strong>te<br />

interrogation est négative bien sûr, le champ d'application <strong>du</strong> test ayant été<br />

clairement délimité <strong>et</strong> les conditions <strong>de</strong> son <strong>fonction</strong>nement précisées en tenant<br />

compte <strong>de</strong>s spécificités morpho-syntaxiques <strong>de</strong> chaque outil d'intensification<br />

,A,insl, tant <strong>dans</strong> 1énoncé ci-<strong>de</strong>ssus ne peut que se tradUire par la locution<br />

prépoSitive «à ce point » exprimant un <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. Il existe <strong>de</strong>s adverbes qUI,<br />

sous l'Idée <strong>de</strong> «quantité » assument également la <strong>fonction</strong> d'intensifs Ce sont<br />

notamment assez <strong>et</strong> trop.<br />

11-1-3-2-2-5 Assez - Trop<br />

Assez<br />

Ladverbe gar<strong>de</strong> son étymologie d'Idée <strong>de</strong> « suffisance » ou <strong>de</strong> «mesure»


128<br />

requise à la reallsatlon d'une chose. De c<strong>et</strong>te Idée primitive <strong>de</strong> seuil normal vient<br />

que, selon le contexte, assez peut être un outil <strong>de</strong> jugement positif ou négatif<br />

AinsI. opère-t-II en trompe-I'cell <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> suffisance pour exprimer un vif<br />

agacement, une exacerbation qui montre que le seuil <strong>du</strong> tolérable a été franchi. Le<br />

passage à venir en est une Illustration éloquente. Incarcéré à Mayako, Fama avait<br />

fini par saccommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong> sa vie <strong>de</strong> détenu qui avait l'avantage <strong>de</strong> le soustraire<br />

aux vIcissitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> la vie d'homme libre. Aussi regar<strong>de</strong>-t-il avec beaucoup<br />

d'appréhension sa récente libération·.<br />

A Mayako tout était sûr.Alors que c<strong>et</strong>te<br />

surprenante libération <strong>et</strong> c<strong>et</strong> enrichissement<br />

soudain étaient une sorte <strong>de</strong> résurrection,<br />

relançait Fama <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>et</strong> l'obligeait à<br />

rebàtir <strong>de</strong>s proj<strong>et</strong>s, à espérer <strong>de</strong> nouveau, même<br />

à almer, détester, regr<strong>et</strong>ter <strong>et</strong> à combattre <strong>de</strong><br />

nouveau. De tout cela Fama en avait assez. Les<br />

.:Joleils :193.<br />

SI Fama qUI a recouvré la liberté regr<strong>et</strong>te sa vie <strong>de</strong> détenu, c'est bien que c<strong>et</strong>te<br />

libération l'obligeait <strong>de</strong> nouveau à mesurer par contraste. le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> sa propre<br />

déchéance L'expérience encore ar<strong>de</strong>nte <strong>de</strong> sa vie précarcérale est la preuve<br />

Ine\utab\e d'une eXistence cruellement triste faite <strong>de</strong> frustrations <strong>et</strong> d'humIliatIons<br />

en série <strong>et</strong> qui, à ses yeux, avalent excédé les limites compatibles avec sa dignité.<br />

Ce qUI explique l'exacerbation <strong>de</strong> Fama pour c<strong>et</strong>te libération. Exacerbation, excès<br />

ou exagération, voilà qUI est le domaine privilégié <strong>de</strong> trop. Rien <strong>de</strong> vraiment<br />

étonnant par conséquent que l'un <strong>et</strong> l'autre soient parfois Indifféremment<br />

employes <strong>et</strong> que tous <strong>de</strong>ux aient valeur d'emplOI <strong>de</strong> très. Cela est fréquent surtout<br />

<strong>dans</strong> les formules <strong>de</strong> politesse. Par exemple, on dit plus couramment à une<br />

personne qUI vous oblige « Vous êtes trop aimable »


Trop<br />

129<br />

Conformément à ce qui précè<strong>de</strong>, trop indique à l'origine qu'une chose a<br />

dépassé la mesure raisonnable ou nécessaire, ce qu'explique bien l'étymologie<br />

« plus qU'II ne faut ». Yacouba vient d'être incarcéré par le commandant à<br />

'=:ause <strong>de</strong> ses activités religieuses Jugées subversives Le roi Djigul, son hôte<br />

sadressant au messager <strong>du</strong> commandant juge:<br />

Ex l:-Zan Traoré,tes paroles ont été enten<strong>du</strong>es,<br />

mais tu <strong>de</strong>vrais d'abord repartir <strong>et</strong> faire savoir<br />

au commandant qu'il agit avec trop <strong>de</strong><br />

précipitation. Monnè: 174.<br />

Cest encore <strong>de</strong> la rencontre redoutée <strong>de</strong> Fama avec les autorités politiques <strong>de</strong><br />

rlorodougou qu'il est question. Le narrateur au style vlsualiste note:<br />

Ex 2 : Du sous-préf<strong>et</strong>, <strong>de</strong> la contré-révolution,<br />

<strong>de</strong> la réaction, mais c'était gran<strong>de</strong>ment<br />

grave!( . .. ) C'était grave <strong>et</strong> aussi embarrassant<br />

qu'un boubou au col trop large. Les Sol ei 1 s<br />

:136.<br />

Alors que <strong>dans</strong> l'énoncé 1 l'idée <strong>de</strong> quantité semble dominer avec la<br />

présence <strong>de</strong> la préposition <strong>de</strong>, l'exemple 2 au contraire laisse saiSir d'emblée le<br />

Jegré <strong>de</strong> gravité <strong>de</strong> la situation au moyen <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te comparaison dont le réalisme<br />

même assure sa propre expreSSivité. En fait, il ne s'agit que d'une Impression liée<br />

a la valeur d'emploI plus courante <strong>de</strong> trop en ce qui concerne EX1, car c'est bien<br />

!idée quantitative qu'exprime le couple « trop <strong>de</strong> » lorsque nous avons affaire à<br />

<strong>de</strong>s noms <strong>de</strong> notion nombrable. Mais il existe aussi <strong>de</strong>s emplois <strong>du</strong>ne partaite<br />

correcTion <strong>de</strong> l'adverbe suivi <strong>de</strong> la préposition <strong>de</strong>vant un nom <strong>de</strong> notion non<br />

nombrable comme <strong>de</strong> dire: «II y a trop <strong>de</strong> beurre <strong>dans</strong> le pain » C'est <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

valeur d'emplOI par extension <strong>de</strong> la première qu'il faut rapprocher le cas <strong>de</strong><br />

[énoncé précé<strong>de</strong>mment cité, <strong>et</strong> qui marque l'intensité bien plus qU11 n'y paraît


130<br />

C'est 1adverbe bien qui m<strong>et</strong> fin à la série <strong>de</strong>s Intensifs adverbiaux concurrents <strong>du</strong><br />

primitif très.<br />

11-1-3-2-2- 6 Bien<br />

3a valeur varie selon le contexte. AinsI, auprès d'un verbe, indique-HI la<br />

manière tandis que s'appliquant à un adjectif, il joue le rôle d'un intensif.<br />

ToutefoIs. Il arnve que l'interprétation imposée par le contexte contrevienne à ce<br />

principe morphologique ou plus exactement qu'elle le transcen<strong>de</strong>. C'est lorsqu'à<br />

<strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> la modalIté s'adjoint une nuance intensive ou quà l'inverse, la<br />

valeur Intensive auprès <strong>de</strong>s adjectifs <strong>et</strong> assimilés (les participes passés) se double<br />

<strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> «manière» Fama vient <strong>de</strong> recouvrer la liberté avec en sus,<br />

1assurance d'une prospérité donnée par le prési<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> la République lUI-même.<br />

Bakary. son ami sorti <strong>de</strong> pnson plus tôt ne bénéficiera pas <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te mâne A Fama,<br />

Il confie. envieux:<br />

Ex l : Tu vois qu'un malheur c'est parfois un<br />

bonheur bien emballé <strong>et</strong> quand tout s'use c'est<br />

le bonheur qui tombe. Nous qui avons été libérés<br />

avant vous, on n'a pas été aussi gâtés.Les<br />

Soleils: 183.<br />

Le sens <strong>de</strong> bien <strong>dans</strong> ce passage peut être rapproché <strong>de</strong> parfaitement. Mais<br />

l'interprétation par « manière» est tout aUSSI recevable En eff<strong>et</strong>, la valeur<br />

<strong>de</strong>mplol <strong>de</strong> l'adverbe <strong>dans</strong> c<strong>et</strong> énoncé n'eût pas été différente, si les contraintes<br />

sémantiques l'avalent permis, <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> l'extrait suivant C'est qu'à l'Idée <strong>de</strong><br />

manière sadJoint une nuance affective d'ordre éthique:<br />

2x 2 : (Balla) ilvrtit I:OUjOllCS ce j<strong>et</strong>é la pate <strong>de</strong><br />

l.a converSlon <strong>et</strong> il avait bien fait. Les<br />

Soleils: 115<br />

l' _.


131<br />

Comme on peut le constater, l'adverbe bien soppose à son antonyme mal <strong>et</strong><br />

seule l'Idée <strong>de</strong> manière est recevable <strong>dans</strong> l'interprétation. De même, les emplois<br />

à interprétation monolithique <strong>dans</strong> le sens <strong>de</strong> l'Idée d'Intensité se rencontrent<br />

également Bien a alors le sens d'entièrement, <strong>de</strong> tout à fait<br />

L'Interprète <strong>du</strong> tribunal annonce aux prévenus avec ironie <strong>et</strong> cynisme:<br />

Ex 3: Le juge va lire les peines que vous avez<br />

bien méritées. Les Soleils: 175.<br />

C'est encore <strong>dans</strong> le rôle d'intensif plein que se trouve en général bien auprès<br />

d'attributs repris par lui en épanaphore. L'insistance prend alors la valeur d'une<br />

intensification:<br />

Ex Tout était silencieux, tout était<br />

inUTIobile. Les yeux se r<strong>et</strong>ournèrent vers la porte<br />

<strong>du</strong> vieux féticheur Balla; elle était close <strong>et</strong><br />

bien close. Les Soleils: 187.<br />

C'est la caractérisation adjectivale qUI achéve partiellement le premier vol<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l'étu<strong>de</strong> sur la caractérisation intensive.<br />

Section 4-11-1-4 Caractérisation intensive par l'adjectif<br />

11-1-4-1 Caractérisation distinctive à valeur intensive<br />

La notion <strong>de</strong> caractérisation distinctive se situe <strong>dans</strong> le prolongement <strong>de</strong><br />

l'extension <strong>du</strong> concept <strong>de</strong> motivation. Que signlfie-t-elle? Quel rapport entr<strong>et</strong>ient­<br />

elle avec <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré? En d'autres termes, <strong>dans</strong> quelle mesure<br />

peut-on dire quelle constitue un procédé IntensIf? Pour répondre à ces<br />

Interrogations, il faut évoquer les conditions morpho-sémantiques présidant à son<br />

<strong>fonction</strong>nement. En eff<strong>et</strong>, le caractérisant distinctif d'où se dégage une valeur


133<br />

vrai a la plus importante occurrence13, Il est le caractérisant <strong>de</strong> base <strong>dans</strong> ce<br />

type <strong>de</strong> procédé intensif. Après aVOir décnt la notion <strong>de</strong> caractérisation distinctive,<br />

Il reste à 1 Illustrer par <strong>de</strong>s exemples textuels.<br />

11-1-4-1-1 A.S en complément prépositionnel<br />

Ex 1: Ils partirent, <strong>et</strong> dès la sortie <strong>de</strong> la<br />

capitale Fama se félicita d'avoir à l'autogare<br />

découvert ses canines <strong>de</strong> panthère <strong>de</strong> v ra i<br />

Doumbouya( ... ). Les Soleils: 84.<br />

Ex 2 Comme authentique <strong>de</strong>scendant il ne<br />

restait que lui( ... ). Les Soleils :102.<br />

Ex 3:Et Fama tronait,se rengorgeait, se bombait.<br />

Regardait-il les salueurs? A peine! 3es<br />

paupières tombaient en vrai totem <strong>de</strong> panthère<br />

<strong>et</strong> les houmba! jaillisaient.Les Soleils :113.<br />

":'u sémantisme propre <strong>de</strong> l'invariant adjectivai quI, en SOI, établit déjà une<br />

selection restrictive, s'adjOint la connotation Intensive renforcée par la présence<br />

au déterminant prépositionnel Le phénomène que présente ce matériau<br />

linguistique est un parfait dyptique. Le premier vol<strong>et</strong> immédiatement perceptible<br />

ou signifié <strong>de</strong> la structure dénote la certification, <strong>dans</strong> la qualité considérée <strong>de</strong><br />

iêtre caractérisé: Fama ISSU <strong>de</strong> la dynastie Doumbouya avec tous les<br />

presupposés dont s'accompagne c<strong>et</strong>te naissance. Mais une lecture au <strong>de</strong>uxième<br />

<strong>de</strong>gré fait apparaître une valeur <strong>de</strong> l'ensemble caractérisant qui transcen<strong>de</strong> le<br />

oremler vol<strong>et</strong> <strong>de</strong> compréhension pour déboucher en définitive sur une<br />

mensuration absolue AinSI Fama n'est-il pas seulement un Doumbouya, c'est-à-<br />

Clire un <strong>de</strong>scendant quelconque <strong>de</strong> la dynastie <strong>du</strong> même nom. Outre c<strong>et</strong>te


135<br />

le vrai chef <strong>de</strong>s pays <strong>de</strong> Saba - il était seul<br />

à l'ignorer. Monnè :128.<br />

La relative déterminative (Ex 1) apporte un complément <strong>de</strong> précision sur la qualité<br />

<strong>du</strong> signifié antécé<strong>de</strong>nt. En eff<strong>et</strong>, grâce à elle, le substantif charité reçoit comme<br />

un surcroît <strong>de</strong> valeur, <strong>de</strong> sorte que le sens <strong>de</strong> l'ensemble caractérisant est voisin<br />

<strong>de</strong> «la chanté <strong>de</strong>s charités» qUI est un procédé décommensuratlf. Mais, hormis<br />

l'apport <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te double détermination, ni la valeur en connotation première <strong>de</strong><br />

[ensemble caractérisant, ni celle <strong>de</strong> l'exemple 2 ne diffèrent <strong>de</strong> la signification à<br />

r<strong>et</strong>enir <strong>de</strong> l'extrait suivant <strong>et</strong> qui comporte un actualisateur indéfini. Bakary m<strong>et</strong> en<br />

gar<strong>de</strong> l'amant <strong>de</strong> \a <strong>de</strong>uxième femme <strong>de</strong> Fama incarcéré:<br />

Ex 3: « Tout le mon<strong>de</strong> voit que tu détournes<br />

Mariam( ... ). Attention, Papillon, le mari <strong>de</strong><br />

Mariam s'appelle Doumbouya, c'est un vrai<br />

prince; il reviendra( ... »>. Les soleils: 185.<br />

Ex 4 : Fama voulait partir, il partirait. Eh<br />

bien qu'il fût assuré <strong>de</strong> l'accueil <strong>de</strong> chien<br />

que Salimata servirait à Mariam, il accepta que<br />

celle-ci fût <strong>du</strong> voyage. Une vraie<br />

entreprise <strong>de</strong> possédé! Les Soleils :152.<br />

Comme l'article défini <strong>dans</strong> les exemples précé<strong>de</strong>mment Cités, l'actuallsateur<br />

Indéfini apporte à l'ensemble caractérisant, une dénotation <strong>de</strong> spécification<br />

méliorative à nuance mensurative. Ainsi s'estompe pratiquement leur oppOSition<br />

habituelle fondée sur leurs natures respectives. En outre, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> la position<br />

IrréverSible <strong>du</strong> caractérisant propre (l'adjectif qualificatif) <strong>de</strong> la structure, les <strong>de</strong>ux<br />

actuallsateurs partagent également la connotation affective qui accompagne<br />

généralement le sens <strong>de</strong> tout adjectif antéposé A ce titre, l'exemple 4 qui donne<br />

sa pleine expression à l'explosion sentImentale grâce a sa tonalité exclamative


136<br />

est très significatif Outre la caractérisatIon distinctive, 1\ eXiste également d'autres<br />

procédés <strong>de</strong> caractérisation à valeur intensive. On y compte entre autres: les<br />

"<br />

syntagmes nominaux, les caractérisants adjectifs motivés.<br />

Il -1- 4 -2 Autres caractérisants intensifs<br />

Nous avons déjà assez Insisté sur l'extension <strong>du</strong> concept <strong>de</strong> motivatIon<br />

pour ne pas vouloir faire l'économie d'un long développement iCI. On voudra<br />

seulement se rappeler que consécutivement à l'extension <strong>de</strong> son sens intitial, la<br />

motivation touche dorénavant une diversité <strong>de</strong> termes. Parmi ceUX-CI, figurent <strong>de</strong>s<br />

termes dont le sens <strong>dans</strong> l'ensemble <strong>du</strong> dispositif sémantique les fait apparaître<br />

comme <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s superlatives <strong>de</strong> leurs synonymes au contenu notionnel<br />

atténue. Il en est ainsi <strong>de</strong> colossal, gigantesque à côté <strong>de</strong> grand ou gros;<br />

parfait, excellent par rapport à bon Dans les <strong>œuvres</strong> <strong>de</strong> Kourouma OIJ la<br />

narration se pare souvent <strong>de</strong>s couleurs <strong>de</strong> l'hyperbole, les superlatifs sont d'un<br />

emplOI courant En ce sens, une étu<strong>de</strong> statistique est à souhaiter qUI dresserait un<br />

répertoire exhaustIf <strong>de</strong>s termes mensuratifs <strong>et</strong> leurs occurrences. On pourrait ainsi<br />

distinguer entre plusieurs champs sémantiques: celui <strong>de</strong> la sexualité <strong>et</strong> <strong>de</strong> la<br />

scatologie si présent chez l'auteur, celui <strong>de</strong> l'art militaire également remarquable.<br />

Une telle étu<strong>de</strong> qUI serait sans doute instructive <strong>dans</strong> le cadre précis <strong>du</strong> travail<br />

ultérieur. excé<strong>de</strong>rait le but <strong>de</strong> notre propos actuel Aussi, ne proposons-nous <strong>dans</strong><br />

l'immédlat qu'une liste Indicative <strong>de</strong>s principaux caractérisants adjectifs à valeur<br />

mensuratlve, La bipartition proposée est fondée sur les propriétés morpho­<br />

syntaxiques <strong>de</strong>s caractérisants, à savoir la pOSSibilité d'antéposition <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

postposition pour les uns, mais aussI la fixité <strong>forme</strong>lle <strong>de</strong>s autres.


__ Monnè __<br />

1 - C'est un changement<br />

important une notable promotion<br />

pour le pays <strong>et</strong> un insigne<br />

honneur personnel pour vous<br />

Ojigui P 70.<br />

2 - La vieille, à la fois marabout <strong>et</strong><br />

experte féticheuse chargée <strong>de</strong><br />

ces cours, fut stupéfaite par<br />

l'intelligence <strong>et</strong> l'érudition <strong>de</strong><br />

Moussokoro ( ... ). P 147.<br />

3 - Ojigui les (soldats) félicita; <strong>et</strong><br />

avec l'immense humanisme<br />

qUi le caractérisait, le Massa<br />

énonça les paroles <strong>de</strong> piété<br />

Idoine ( ... ). P 186<br />

4 - C'était une vérité historique<br />

qUi simposalt; tous ceux <strong>de</strong><br />

Soba le disaient <strong>et</strong> le croyaient: Il<br />

n y a pas un seul Kéita sur<br />

l'infinie éten<strong>du</strong>e <strong>du</strong> grand<br />

Mandingue qui ne se préten<strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>scendant <strong>de</strong> Soundiata 1 p<br />

190.<br />

5 - Par quatre fois, le centenaire<br />

lUI commanda d'avancer: elle (la<br />

Jument) refusa. Djigui <strong>dans</strong> une<br />

terri ble colère la mordit <strong>dans</strong><br />

sa crinière. vociféra <strong>de</strong>s<br />

Imprécations, sans succès. p<br />

278<br />

6 - Mais nous promîmes <strong>de</strong><br />

témOigner qu'il avait renoncé au<br />

train <strong>et</strong>. su prême refus, qU'li<br />

était mort avec un non Samonen<br />

entre les <strong>de</strong>nts. p 284<br />

137<br />

__ Les Soleils __<br />

1 - Salimata ne remarqua même<br />

pas que Baffi balançait une<br />

volumineuse hernie qui<br />

l'accablait <strong>de</strong> la démarche<br />

d'écureuil terrestre <strong>de</strong> Tiécoura.<br />

p 40.<br />

2 - La suprême Injure qUI ne<br />

se presse pas, ne se lasse pas,<br />

n'oublie pas, s'appelle la mort.<br />

p 83<br />

3 - Et c'était bien cela u n<br />

immense feu <strong>de</strong> brousse<br />

comme un orage p 95<br />

4 - Ce furent <strong>de</strong>s funérailles<br />

pleinement réUSSies. Mais<br />

pourquoi? Diamourou <strong>et</strong> Balla,<br />

les Jours suivants (... ) ont<br />

décompté les innombrables<br />

sig ne s <strong>de</strong> funérailles<br />

exaucées. p 150


138<br />

Ouelques observations peuvent être faites à propos <strong>de</strong> ce tableau. La<br />

première qui est d'intérêt général, concerne les valeurs d'emplOI <strong>de</strong>s<br />

caracterlsants par rapport à leur position <strong>dans</strong> l'énoncé. En eff<strong>et</strong>, à la <strong>fonction</strong><br />

primaire <strong>de</strong> caractérisation, l'adjectif antéposé ajoute une nuance affective. Cela<br />

Signifie que l'adjectif placé avant le substantif est en général préposé à<br />

1expression <strong>de</strong> divers sentiments: plaisir, désagrément, admiration ou antipathie,<br />

Intention laudative ou péjorative... A l'opposé, l'adjectif postposé convient<br />

davantage à une opération <strong>de</strong> l'esprit qui, analysant un phénomène quelconque,<br />

le qualifie après réflexion en lUI attribuant l'adjectif qu'il estime le mieux approprié<br />

au phénomène en question. C'est sans doute pourquoi ce procédé a presque<br />

toujours une valeur <strong>de</strong> jugement intellectuel où l'affectivIté est si peu remarquable<br />

quelle est négligée. Affectation <strong>de</strong> la sensibilité <strong>dans</strong> un cas, jugement<br />

Intellectuel <strong>dans</strong> l'autre, telle est la portée stylistique <strong>de</strong> la place <strong>de</strong> l'adjectif <strong>dans</strong><br />

lénoncé A ce titre, aucune remarque particulière n'est à tirer <strong>de</strong> l'écriture<br />

kouroumlenne. Mais si l'antéposltion ressortit à l'affectivité <strong>et</strong> la postposition à<br />

l'intellect. le caractérisant superlativement motivé rompt ce cloisonnement en<br />

réconCiliant adjectif antéposé <strong>et</strong> adjectif postposé <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée<br />

II1tensive. Dans c<strong>et</strong>te <strong>fonction</strong>, certains adjectifs sont spatialement réversibles.<br />

Cest le cas <strong>de</strong> suprême <strong>et</strong> immense. Pour celui-ci, on voudra bien se reporter<br />

au tableau. Quant au premier, en voici un exemple <strong>de</strong> postposition:<br />

::x: Dans un mon<strong>de</strong> où tout est sens <strong>de</strong>ssus<br />

<strong>de</strong>ssous, le bonheur suprême pour un<br />

vieillard n'est-il pas <strong>de</strong> lai s s erie<br />

pouvoir <strong>et</strong> la force <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s mains fennes? Monnè<br />

: 271.<br />

C<strong>et</strong> énonce avec « bonheur suprême» <strong>et</strong> tous ceux <strong>du</strong> tableau qu'on vient <strong>de</strong><br />

vOir suscitent une question. En eff<strong>et</strong>, le postulat <strong>de</strong> « termes superlatifs »<br />

appliqué dès le départ à ces caractérisants était sous-ten<strong>du</strong> par l'idée que la


alançait<br />

140<br />

une très grosse hernie qUl<br />

l'accablait <strong>de</strong> la démarche d'écureuil terrestre<br />

<strong>de</strong> Tiécoura.<br />

Dans c<strong>et</strong>te décomposition <strong>de</strong> l'ensemble caractérisant en très grandI gros +<br />

substantif, il faut compter les énoncés 2, 3, 4 <strong>et</strong> 5'<strong>du</strong> tableau en ce qUI concerne<br />

Monné <strong>et</strong> l'énoncé 3 pOLir Les Soleils.<br />

11-1- 4-2-1-2 Très nombreux + S<br />

Rappelons l'énoncé 4 <strong>du</strong> tableau tiré <strong>de</strong> Les Soleils<br />

Ex 4 • Ce furent <strong>de</strong>s funérailles pleinement<br />

réussies. Mais pourquoi? Diamourou <strong>et</strong> Balla,<br />

les jours suiva.nts ( ... ) ont décompté les<br />

innombrables signes <strong>de</strong>funérailles<br />

exaucées. Les Soleils: 150.<br />

A (innombrables) slgnifiant« très nombreux », Ex4 peut être paraphrasé en<br />

Ex 4' :Ce furent <strong>de</strong>s funérailles pleinement<br />

réussies. Mais pourquoi? Diamourou <strong>et</strong> Balla, les<br />

jours suivant.s ( ... ) ont décompté les très<br />

nombreux signes <strong>de</strong> funérailles exaucées.<br />

Toutefois. Il eXiste <strong>de</strong>s superlatifs qui ne peuvent rentrer <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>scription<br />

parce qU'Ils ont un sens proche <strong>de</strong> la formule hébralque Ils constituent un cas<br />

particulier <strong>et</strong> dOivent être décrits comme tels.


11-1- 4-2-1-3 S <strong>de</strong>s S<br />

141<br />

La construction <strong>de</strong> la formule hébraique à valeur superlative est celle d'un<br />

complement déterminatif. Il eXiste toutefOIS une différence qUI tient au fait qu'icI, le<br />

subsrantlf déterminatif ou celui qUI en tient lieu est le substantif déterminé lui­<br />

même. Seule la <strong>forme</strong> (le nombre <strong>et</strong> le genre suivant le cas) en varie, ce qui<br />

explique le sens décommensuratif VOISin <strong>de</strong> « le plus grandi gros <strong>de</strong>» Soit<br />

l'énoncé 2 <strong>du</strong> tableau extrait <strong>de</strong> Les Soleils:<br />

Ex 2 :La suprême injure qUl ne se presse pas, ne<br />

se lasse pas, n'oublie pas,s'appelle la mort. Les<br />

Soleils 83.<br />

Conformément à ce qui précè<strong>de</strong>, Ex 2 peut être paraphrasé comme suit:<br />

Ex 2': L' inj ure <strong>de</strong>s inj ures ILa plus grosse<br />

<strong>de</strong>s injures qui ne se presse pas, ne se lasse<br />

pas, n'oublie pas, s'appelle la mort.<br />

C'est également ce sens décommensuratif qui se perçoit <strong>dans</strong> l'énoncé 6 <strong>de</strong><br />

Monné <strong>du</strong> même tableau:<br />

Ex 6': Mais nous promimes <strong>de</strong> témoigner qu'il<br />

avait renoncé au train ( ... ) <strong>et</strong> (ce qui était)<br />

le refus <strong>de</strong>s refus Ile plus grand <strong>de</strong>s<br />

refus, qu'il était mort avec un non samarien<br />

entre les <strong>de</strong>nts.<br />

Ces exemples montrent que la <strong>de</strong>scnptlon par le prinCipe d'inclUSIon sémantique<br />

est probante pour les caractérisants adjectifs dits superlatifs. Mais. il ne s'agit que<br />

<strong>de</strong>s cas d'antépositlon. /1 reste à vOir la postposition.


11-1- 4-2-2 Postposition<br />

SOit l'énoncé:<br />

142<br />

i::x 1. Le Vleux griot avait été soigneusement<br />

conservé <strong>et</strong> séché. Tout serein <strong>et</strong> blanc, brillant<br />

comme rarement on en rencontre <strong>dans</strong> le Horodougou<br />

(... ) Des mots rapi<strong>de</strong>s, une intelligence<br />

bouillante. Les Soleils: 113.<br />

Lexpresslvlté même <strong>du</strong> caractérisant bouillante le signale à l'attention comme<br />

un terme superlatif, voire hyperbolique. Mais à défaut d'une meilleure<br />

Interprétation, c'est le recours à la structure classique avec très qUI perm<strong>et</strong>tra<br />

d'expliciter ce sens superlatif. Ainsi l'énoncé 1 donne-t-II la résultante que VOICI:<br />

t:x l': Le v leux griot avait été soigneuement<br />

conservé <strong>et</strong> séché. Tout sereln <strong>et</strong> blanc( ... ).<br />

Des mots rapi<strong>de</strong>s, une très gran<strong>de</strong><br />

intelligence.<br />

l_a même pauvr<strong>et</strong>é d'expression plus InCISive <strong>dans</strong> l'idée superlative nous fait<br />

ré<strong>du</strong>ire le caractérisant <strong>de</strong> sens hyperbolique hors pair à« très grand » <strong>dans</strong><br />

1 extrait cI-après .<br />

t:x: Ce n'était pas trop mème pour un homme promis<br />

à un <strong>de</strong>stin hors pair. Monnè : 15.<br />

Dans les mêmes conditions <strong>de</strong> <strong>de</strong>scription, les exemples 3, 4, 6 <strong>et</strong> 7 <strong>de</strong> Monnè<br />

\volr taoleau) rejoignent tous le sens <strong>de</strong> très grand + S pour ce qUI est <strong>de</strong> leurs<br />

superlatifs C<strong>et</strong>te remarque en appelle d'autres, <strong>haut</strong>ement plus Importantes. En<br />

premier lieu, Il s'agit <strong>de</strong> la confirmation <strong>de</strong> l'applicabilité <strong>de</strong> l'analyse par le<br />

principe dlncluslon sémantique aux termes superlatifs adjectifs <strong>dans</strong> l'explicitation<br />

<strong>de</strong> leur valeur Intensive. La secon<strong>de</strong> intéresse la différence d'expressIvité entre


143<br />

ces superlatIfs <strong>et</strong> leurs synonymes à base <strong>de</strong> très. C<strong>et</strong>te remarque est surtout<br />

vraie lorsqu'interviennent l'eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> la ponctuation, le ryUlme <strong>et</strong> l'intonation. C'est<br />

que la position en incise, soit entre virgules. soit entre tir<strong>et</strong>s <strong>de</strong> certains<br />

caractérisants leur confère un relief plus accusé qui aboutit à un accroissement <strong>de</strong><br />

leur vigueur intensive. Il en résulte comme L1ne amplification <strong>du</strong> contenu notionnel<br />

<strong>du</strong> substantif support auquel ils s'appliquent. Tel est le cas d'experte (Ex 1), <strong>de</strong><br />

suprême ( Ex 2 ) <strong>du</strong> tableau <strong>et</strong> d'exceptionnelle <strong>dans</strong> l'extrait qui suit:<br />

Ex: Pour montrer l'importance <strong>de</strong> l'événement,le<br />

commandant, l 'interprète <strong>et</strong> moi-même, accompagnés<br />

par les gar<strong>de</strong>s, sommes partis démarche<br />

exceptionnelle <strong>dans</strong> les villages pour<br />

in<strong>forme</strong>r les habitants <strong>de</strong> l' inhumanité <strong>de</strong>s<br />

Allemands ( ... ) Monnè : 83.<br />

On a pu voir en outre que, <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée intensive, la distinction<br />

claSSique opposant adjectIfs antéposés <strong>et</strong> adjectifs postposés, SI elle est utile par<br />

sa valeur stylistique. elle <strong>de</strong>vient finalement ca<strong>du</strong>que. En eff<strong>et</strong>, quelle que soit la<br />

place <strong>de</strong> l'adjectif, la structure <strong>de</strong> base <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré reste <strong>forme</strong>llement<br />

I<strong>de</strong>ntique. C'est que <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>scription, les cas <strong>de</strong> postposition prennent la<br />

construction <strong>de</strong>s cas d'antéposition. Conformément au principe fondateur <strong>de</strong> notre<br />

<strong>de</strong>scription. nous dirons que, si la <strong>de</strong>scription perm<strong>et</strong> d'i<strong>de</strong>ntifier les cas<br />

d'antéposition aux cas <strong>de</strong> postposition, c'est précisément parce qu'elle obéit aux<br />

eXigences combinatoires propres au système lingUistique lui-même. La <strong>de</strong>scription<br />

ne fait ainsi que découvrir ou extérioriser <strong>de</strong>s lois internes à la langue.<br />

Il existe une catégorie assez particulière <strong>de</strong> caractérisants intensifs Ce sont<br />

ceux <strong>de</strong>rlvant d'une préfixation <strong>de</strong> sens négatif. En eff<strong>et</strong>, la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong> l'énoncé<br />

4 tiré <strong>de</strong> Les soleils (voir tableau) a révélé le sens intensif <strong>du</strong> caractérisant<br />

Innombrables. On note ainSI qu'une évolution sémantique le fait gra<strong>du</strong>ellement<br />

qUitter son sens <strong>de</strong> base <strong>de</strong> « qu'on ne peut compter » vers un sens<br />

hyperbolique proche <strong>de</strong> « qui est d'une quantité trop importante pour être


144<br />

quantifiable» ou simplement superlatif <strong>de</strong> « qui est d'un nombre très<br />

. Important».' Au <strong>de</strong>meurant, la séparation entre sens hyperbolique <strong>et</strong> sens<br />

superlatif n'est souvent que pure illusion, les <strong>de</strong>ux acceptions étant toujours<br />

consubstantielles dès lors que le sens premier <strong>de</strong> pure négation est supplanté par<br />

la visée impressionniste. Un tel processus sémantique ne laisse pas <strong>de</strong> poser<br />

quelques problèmes. S'agit-il d'un phénomène généralisable ou seulement<br />

sélectif <strong>et</strong> limité? Autrement dit, peut-on affirmer que la négation est un procédé<br />

d'intensification? Si non, quels critères prési<strong>de</strong>nt-Ils à la sélection <strong>et</strong>, en définitive,<br />

à l'interprétation <strong>dans</strong> la valeur intensive?<br />

Amorçant une tentative d'explication <strong>du</strong> processus, nous Invoquerons<br />

l'argument qui nous semble le plus objectif d'entre tous: l'irrésistible besoin<br />

d'expresslvitié. C'est un argument qui paraîtra sans doute un lieu commun, nous<br />

en étant servi précé<strong>de</strong>mment <strong>et</strong> plusieurs fois. Le fait est que le besoin<br />

d'expressivité est la véritable Justification à l'existence <strong>de</strong> variantes sémantiques<br />

(la polysémie) <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'enrichissement lexical, antidote SI efficace contre la<br />

monotonie stylistique Il est très rare en eff<strong>et</strong> que les écarts sémantiques ou<br />

syntaxiques ne procè<strong>de</strong>nt pas d'un besoin d'expressivité, ne serait-ce qu'en eff<strong>et</strong><br />

IndUIt. AinsI, par la force <strong>de</strong> l'usage, ce qui n'était que déviation par rapport à une<br />

norme finit-II par simposer avec sa valeur acquise Tel est le cas <strong>de</strong> tous les<br />

procédés <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré, substituts ou concurrents <strong>de</strong> très, <strong>de</strong> tous les moyens <strong>de</strong><br />

superlatlvisatlon Peut-on cependant généraliser le phénomène en ce qUI<br />

concerne la négation? Autrement dit, tous les préfixes exprimant l'idée <strong>de</strong><br />

«contraire» peuvent-ils être <strong>de</strong>s procédés intensifs? Pour pouvoir tirer <strong>de</strong> ce<br />

phenornène une loi générale, Il faudrait que sa validité SOit SI éten<strong>du</strong>e que les cas<br />

favorables dominent quantitativement les exceptions. Or <strong>de</strong> toute évi<strong>de</strong>nce, les<br />

contre-exemples sont Incomparablement plus Importants que les exemples<br />

heureux dont font partie: innombrables, infinie, immaculée. Ceux-ci sont <strong>de</strong>s<br />

superlatifs auprès <strong>de</strong> nombreux, gran<strong>de</strong> ou vaste <strong>et</strong> tout blanc. A mOins qu'on ne<br />

prenne exceptionnellement en compte la situation tout aussi particulière <strong>du</strong>


148<br />

cest le contexte qUI gUi<strong>de</strong> l'interprétation en faveur <strong>de</strong> l'Idée d'«extrême<br />

générosité » Les propos trop élogieux <strong>et</strong> répétitifs <strong>de</strong> Babou à l'adresse <strong>de</strong><br />

Fama exaspère quelque peu l'auditoire <strong>de</strong> la réunion politique:<br />

Ex 4 : Oui d'accord, Fama était sans pareil,<br />

sans limite. Oui! L'humanisme <strong>et</strong> la fraternité<br />

sont avant tout <strong>dans</strong> la vie <strong>de</strong>s hommes. Mais<br />

après? Les Soleils :140.<br />

Ces passages montrent bien la variété <strong>de</strong>s procédés expressifs à connotation<br />

Intensive Ainsi, certains syntagmes nominaux unis par la préposition <strong>de</strong> <strong>dans</strong> sa<br />

pure <strong>fonction</strong> relationnelle participent-ils avantageusement à <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong><br />

<strong>de</strong>gré Le cllapltre s'achève avec l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te <strong>forme</strong> <strong>de</strong> procédés<br />

d'intensification<br />

Il -1- 4-2- 4 Syntagmes nominaux intensifs<br />

Dans la <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> mise en relief abusive <strong>de</strong> la caractérisation, la<br />

preposition <strong>de</strong> tient une place importante, surtout pour la construction <strong>de</strong>s<br />

compléments déterminatifs comportant virtuellement l'Idée comparative La nature<br />

constitue le patllilloine <strong>de</strong> reférence pour ces constructions dithyrambiques Dans<br />

les exemples qUi sUivent, les syntagmes soulignés ont respectivement le sens <strong>de</strong><br />

«très longs bras » <strong>et</strong> « très gran<strong>de</strong> taille », La valeur hyperbolique y est n<strong>et</strong>te:<br />

Ex 1: Fama( ... ) parla, parla avec force <strong>et</strong><br />

ilbondance en dg i tant <strong>de</strong>s bras <strong>de</strong> branches <strong>de</strong><br />

fromager ( ... ). Les Soleils: 13.<br />

Ex 2 : Le chef <strong>de</strong> Toukoro l'lie grand marabout)<br />

avait distingllé il sa taille <strong>de</strong> fromager ( ... ) .<br />

Les soleils: 99.


149<br />

D'autres. sous l'idée <strong>de</strong> «quantité» excessive qu'ils expriment, sont également<br />

<strong>de</strong> nature hyperbolique. Leur vigueur expressive vient encore <strong>de</strong> l'union <strong>de</strong> leur<br />

sens réalisée au moyen <strong>de</strong> la préposition <strong>de</strong>:<br />

Ex 3 : Les <strong>de</strong>ux exploits <strong>de</strong> leur roi( ... )avaient<br />

été célébrés par ceux <strong>de</strong> Soba par <strong>de</strong> nouvelles<br />

orgies <strong>de</strong> sang. Monné: 20.<br />

La sorcière, gran<strong>de</strong> experte en sciences divinatoires s'adresse à la pécheresse<br />

MOLissokoro bannie <strong>de</strong> chez les siens pour luxure:<br />

Ex 4 « Tes sacrifices ne seront pas<br />

acceptés( ... ).11<br />

nuits <strong>et</strong> Jours<br />

d'aumônes. Un<br />

Monné: 147.<br />

te faut prier.D'innombrables<br />

<strong>de</strong> prière.Une montagne<br />

fleuve <strong>de</strong> sacrifices».<br />

Lldée <strong>de</strong> quantité est ainsI consubstantielle à l'idée d'Intensité avec laquelle<br />

l'action évoquée à travers la quantité s'accomplit. Peut-on cependant affirmer que<br />

<strong>dans</strong> l'ordre <strong>de</strong> la perception, les <strong>de</strong>ux idées sont au même niveau avec un égal<br />

eff<strong>et</strong>? Lune cè<strong>de</strong>-t-elle au contraire le pas à l'autre <strong>et</strong> <strong>dans</strong> quelle mesure? Ce<br />

sont là <strong>de</strong>s questions d'autant plus difficiles à trancher que la perception est<br />

souvent <strong>du</strong> domaine <strong>du</strong> subjectif. Il nous semble cependant qu'à l'idée <strong>de</strong> quantité<br />

revient la légitimité <strong>de</strong> l'antérionté, mais que le sens intensif est SI fort <strong>dans</strong> ces<br />

constructions qu'll doit être r<strong>et</strong>enu en définitive. C'est en tout cas ce sens qui se<br />

dégage Indiscutablement <strong>de</strong>s énoncés comme:<br />

Ex 5: Fama ( ... ) avait quelque chose en poche <strong>et</strong><br />

à ses pieds <strong>de</strong>s fourmis <strong>de</strong> malheureux. Les<br />

Soleils: 25.<br />

Ex 6: Avant les soleils <strong>de</strong>s Indépendances ( ... 1<br />

le quarantième jour d'un grand Malinké faisaie


150<br />

déferler <strong>de</strong>s marigots <strong>de</strong> sang. Les Soleils<br />

143.<br />

2x 7 : Sa tête gronda comme battue, agitée par<br />

un essaim <strong>de</strong> souvenirs. Les Soleils: 31.<br />

2x 8 ( ... )brillaient au loin <strong>de</strong>s myria<strong>de</strong>s<br />

d'étincelles. Les Soleils: 59.<br />

L Idée Intensive est d'autant plus présente <strong>dans</strong> ces syntagmes nominaux que la<br />

valeur évocatoire <strong>de</strong>s substantifs <strong>de</strong> base a toute la <strong>forme</strong> d'un procédé<br />

hyperbolique. C<strong>et</strong>te remarque achève l'étu<strong>de</strong> sur le dispositif lexical <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong><br />

<strong>haut</strong> <strong>de</strong>gre Que peut-on en r<strong>et</strong>enir avant la conclusion? La gran<strong>de</strong> difficulté que<br />

dOit résoudre une étu<strong>de</strong> comme celle qui précè<strong>de</strong> est <strong>de</strong> convaincre <strong>de</strong> sa propre<br />

legltlmlte. En eff<strong>et</strong>, l'usage fréquent <strong>de</strong> la plupart <strong>de</strong>s procédés lexicaux d'Intensité<br />

<strong>et</strong> en particulier <strong>de</strong> très, assez, trop, bien .. crée souvent un sentiment d'évi<strong>de</strong>nce<br />

qUI rend le travail très délicat. Nous espérons cependant avoir montré que rien<br />

nest mOins certain <strong>dans</strong> les faits <strong>de</strong> langage que ce qui paraît aller <strong>de</strong> SOl. En<br />

outre, les exigences morpho-syntaxiques <strong>et</strong> sémantiques sur l'axe paradigmatique<br />

entre certains procédés lexicaux qUI paraissaient à première vue rem<strong>et</strong>tre en<br />

cause le caractère opératoire <strong>de</strong> notre test linguistique, montrent en fait <strong>de</strong>ux<br />

cnoses essentielles. La première concerne les problèmes <strong>de</strong> synonymie qUI<br />

seront développés <strong>dans</strong> la troisième partie <strong>du</strong> travail. La <strong>de</strong>uxième observation<br />

Intéresse la justification <strong>du</strong> test linguistique <strong>et</strong>, d'une façon générale, celle <strong>de</strong> notre<br />

proce<strong>du</strong>re d'analyse. En eff<strong>et</strong>, le caractère presque hétéroclite <strong>de</strong>s modalités<br />

intensives nous a semblé ne pouvoir s'accommo<strong>de</strong>r que d'une <strong>de</strong>scription qui<br />

procè<strong>de</strong> au cas par cas <strong>et</strong> qui s'adapte à chacune <strong>de</strong> ces modalités. C'est ce qUI<br />

Justifie notre préférence pour c<strong>et</strong>te métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail variable dont les<br />

aéveloppements ultérieurs donneront d'autres illustrations.


152<br />

satisfaisantes à ces interrogations au cours <strong>de</strong>s chapitres suivants.


154<br />

11 - F. Bar. «Superlatifs» in Le français mo<strong>de</strong>rne, 1952, vol.XX, p 25.<br />

12 - M. Clédat. Revue <strong>de</strong> philologie, 1889, p 47.<br />

13 - Létu<strong>de</strong> statistique donne les résultats suivants pour les <strong>œuvres</strong>:<br />

- Vrai : 44 cas, soit 22 pour chaque roman.<br />

- Authentique: 10 cas, soit 2 cas pour Les Soleils <strong>et</strong> 8 pour Monnè.<br />

- Véritable: 6 cas, tous pour Monnè.


155<br />

CH.2 LA CARACTERISATION COMPLEXE D'INTENSITE<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

D'un strict point <strong>de</strong> vue <strong>forme</strong>l, on peut distinguer <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong><br />

caractérisation intensive. D'une part, la caractérisation lexicale étudiée au cours<br />

<strong>du</strong> chapitre précé<strong>de</strong>nt <strong>et</strong> que nous appellerons caractérisation simple, <strong>et</strong> d'autre<br />

part. une caractérisation à base <strong>de</strong> subordonnées propositionnelles. Pour c<strong>et</strong>te<br />

raison même, nous aurions voulu la nommer caractérisation propositionnelle<br />

Mais le sens d'opposition n'en eût pas été clair, l'adjectif propositionnelle étant<br />

3 la fOIs trop vague <strong>et</strong> imprécis pour être opposable à simple. Comment justifier<br />

par ailleurs <strong>de</strong> faire entrer sous c<strong>et</strong>te même appellation, <strong>de</strong>s énoncés semblables<br />

en Signification certes, mais <strong>forme</strong>llement différents tels que les suivants?<br />

EX 1: (Fama) bailla à se faire éclater les<br />

commissures. Les Soleils :98.<br />

Ex 2 Nous nous sommes ballonnés (<strong>de</strong><br />

nourriture)<br />

r<strong>et</strong>enti comme<br />

f.Jonnè : 243.<br />

au point que nos ventres ont<br />

la peau <strong>de</strong> tam-tam ten<strong>du</strong>e( ... ).<br />

SI la séquence infinitive à se faire éclater les commissures <strong>et</strong> la<br />

subordonnée amenée par la locution au point que <strong>dans</strong> les énoncés 1 <strong>et</strong> 2<br />

renvoient en signification à une même réalité, la différence <strong>de</strong> <strong>forme</strong> qui les<br />

separe empêche <strong>de</strong> les regrouper sous la rubrique «caractérisation<br />

propositionnelle» Un tel parti-pris nous expose à certaines objections. L'une<br />

d'elles pourrait être que l'énoncé 1, en dépit <strong>de</strong> sa <strong>forme</strong> sans subordonnant<br />

logique n'est pas moins une proposition, ce qui est <strong>du</strong> reste parfaitement exact<br />

La <strong>de</strong>uxième objection résulte logiquement <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte. En structure


156<br />

profonae en eff<strong>et</strong>, l'énoncé 1 peut parfaitement s'accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong> la présence<br />

d'une ilgature ayant la même valeur que la séquence infinitive. Cela est<br />

également vrai <strong>et</strong> cependant, ni l'un, ni l'autre arguments ne suffisent à invali<strong>de</strong>r<br />

notre parti-pris en faveur <strong>du</strong> facteur <strong>forme</strong>l <strong>et</strong> nous convaincre d'y renoncer. C'est<br />

d'abord que, précisément, la <strong>forme</strong> a été r<strong>et</strong>enue comme un critère distinctif. Et<br />

par sUite logique <strong>de</strong> ce choix, le concept <strong>de</strong> caractérisation complexe répondant<br />

mieux aux réserves formulées antérieurement a emporté notre préférence.<br />

Récapitulons par conséquent : la caractérisation intensive peut être dédoublée<br />

avec <strong>du</strong>n côté, la caractérisation simple <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'autre, la caractérisation complexe<br />

La première ayant déjà fait l'obj<strong>et</strong> d'étu<strong>de</strong>, c'est la secon<strong>de</strong> qui r<strong>et</strong>iendra notre<br />

attention au cours <strong>de</strong> ce chapitre. Ouelles sont les différentes marques<br />

gram maticales <strong>de</strong> la caractérisation complexe? Comment <strong>fonction</strong>nent-elles au<br />

sein <strong>de</strong> celle-cI pour lui conférer une valeur Intensive? Les développements qui<br />

vont sUivre tentent d'y répondre Concrètement, ces développements ont pour but<br />

d'expliciter le mécanisme d'expressivité <strong>de</strong> la caractérisation complexe en tant<br />

que modalité d'intensification.


158<br />

où le résultat est le fidèle refl<strong>et</strong> en intensIté <strong>de</strong> la cause qui le suscite, la<br />

subordonnée consécutive se double <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te plus-value sémantique qui la signale<br />

comme un procédé intensif à part entière. En eff<strong>et</strong>, pour que les ventres pUissent<br />

r<strong>et</strong>entir comme une peau <strong>de</strong> tam-tam ten<strong>du</strong>e, Il faut quils aient atteint leur limite<br />

extrême <strong>de</strong> plénitu<strong>de</strong> le plus <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> leur capacité <strong>de</strong> contenance Le<br />

procédé consécutif est par conséquent autant un moyen d'accroissement <strong>de</strong><br />

IllitenSlte quune caracténsation On remarquera au passage le goût <strong>du</strong> narrateur<br />

pour les envolées hyperboliques grâce au pouvoir évocateur <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong><br />

sonore pro<strong>du</strong>ite par le tam-tam. Mais surtout, on remarquera le rôle <strong>de</strong> la<br />

conjonction que <strong>dans</strong> le mécanisme d'expressIvité <strong>du</strong> procédé. Ce rôle semble<br />

remonter jusquà l'origine <strong>de</strong> la langue française. En eff<strong>et</strong>, l'antériorité <strong>du</strong> rôle<br />

dopèrarateur <strong>de</strong> conséquence <strong>de</strong> que employé absolument, c'est-à-dire sans<br />

antécé<strong>de</strong>nt adverbial ou adjectival après les constructions asyndétiques, est un<br />

fait attesté par l'ensemble <strong>de</strong>s étu<strong>de</strong>s historiques à notre connaissance. PourquoI<br />

la conjonction sest-elle adjoint un corrélatIf sous les diverses <strong>forme</strong>s que présente<br />

la langue actuelle? A c<strong>et</strong>te question, on peut alléguer plusieurs arguments­<br />

réponses. De tous les arguments possibles, ceux-ci nous paraissent les plus<br />

probables. Cela peut s'expliquer d'une part, par l'insuffisance <strong>de</strong> que à expliciter<br />

avec clarté la causalité, <strong>et</strong>, d'autre part, par le besoin d'une plus gran<strong>de</strong><br />

expressIvité <strong>et</strong> <strong>de</strong> précision. Quant à la manière dont c<strong>et</strong>te Insuffisance a été<br />

palliée, on note simplement que <strong>dans</strong> son rôle <strong>de</strong> subordonnant, que<br />

saccompagne touJours, soit d'adverbes <strong>et</strong> <strong>de</strong> locutions adverbiales préposés à<br />

1expression <strong>de</strong> l'Idée Intensive (si, à tel poin!,.), soit <strong>de</strong> locutions exprimant à<br />

l'origine la manière (<strong>de</strong> manière que, <strong>de</strong> façon que, .. ). Le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré étant notre<br />

préoccupation, c'est tout naturellement que nous commencerons l'étu<strong>de</strong> par la<br />

première série <strong>de</strong> procédés conjonctifs d'Intensité après en avoir décrit le<br />

mécanisme


11-2-1-1 Si que<br />

159<br />

La double valeur <strong>de</strong> si que à la fois comme Intro<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong><br />

conséquence <strong>et</strong> <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré remonte, d'après les étu<strong>de</strong>s historiques, à la<br />

:ormation même <strong>de</strong> la langue française. Ainsi par exemple, au chapItre IX <strong>de</strong> son<br />

ouvrage précé<strong>de</strong>mment cité <strong>et</strong> consacré aux subordonnées « conséquentielles<br />

», G. Le Bidols parlant <strong>de</strong> la faculté <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te ligature d'intensité à marquer la<br />

conséauence ècrit-il :« Dès les origines <strong>de</strong> la langue, si pris au<br />

sens <strong>de</strong> tellement, a servi à marquer ce rapport >>-2 Dans l'état<br />

actuel <strong>de</strong> la langue, c<strong>et</strong>te locution a réussi à préserver son ambivalence<br />

<strong>fonction</strong>nelle. D'un point <strong>de</strong> vue morphologique, si que encadre soit un adjectif,<br />

SOit un adverbe dont il modifie intensIvement le sens. La qualité. l'action ou la<br />

notion ainsi intensifiée <strong>dans</strong> la principale par si se répercute avec une égale<br />

proportion <strong>de</strong> puissance <strong>et</strong> <strong>de</strong> vigueur <strong>dans</strong> la subordonnée amenée par que.<br />

Prenons quelques exemples.<br />

Dans le premier extrait cI-<strong>de</strong>ssous, Il s'agit <strong>de</strong>s festivités marquant le<br />

quarantième Jour <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> Lacina. Au cours <strong>de</strong> ces festivités, les<br />

coreligionnaires <strong>du</strong> défunt ont fait preuve d'un recueillement <strong>et</strong> d'une piété<br />

exceptionnels. Le caractère inhabituel <strong>de</strong> la religiosité ne manque pas <strong>de</strong> tirer à<br />

consequence :<br />

Ex 1 : Quelle solennité! Quelle dignité! Quelle<br />

religiosité! C'était si extraordinaire pour <strong>de</strong>s<br />

Malinkés que leurs génies s'indignèrent <strong>et</strong> un<br />

maléfique tourbillon déboucha <strong>du</strong> cim<strong>et</strong>ière( ... ).<br />

Les soleils: 146.<br />

Ex 2: A les (les Malinkés) entendre, l'épidémie<br />

fut si décimante qu'on vit <strong>de</strong>s<br />

enterrés ( '" )émerger <strong>de</strong>s tombes pour marcher <strong>et</strong><br />

revenir au village( ... ) <strong>de</strong>s cadavres abandonnés


160<br />

ressusciter, s'assembler, creuser leurs propres<br />

tombes, prier <strong>et</strong> s'enterrer réciproquement.<br />

Monnè 85.<br />

2x J Djéliba ( ... ) commença <strong>de</strong> crier une<br />

quatrième louange inédite, mais en l'articulant,<br />

ouvrit si large la gorge qu'une quinte <strong>de</strong> toux<br />

s'y engouffra <strong>et</strong> étouffa le chanteur. Monne :<br />

222.<br />

D'un pOint <strong>de</strong> vue strictement grammatical, la succession <strong>de</strong>s événements sous<br />

c<strong>et</strong>te causalité est d'une logique Implacable. La conséquence apparaît en eff<strong>et</strong><br />

comme étant non pas un terme possible d'un processus, mais comme le terme<br />

inéluctable <strong>du</strong> processus. De ce fait même, elle semble se parer <strong>de</strong>s garanties<br />

d'obJectivité. En réalité, ce n'est bien souvent qu'un leurre car la probabilité que<br />

l'événement-conséquence se pro<strong>du</strong>ise <strong>dans</strong> les conditions décrites, SI elle nest<br />

pas tOLJJoLJrs nulle, est <strong>du</strong> mOins fort mince. Peu Importe La visée Impressionniste<br />

Inscme au cœur <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> hyperbolique ne se préoccupe guère <strong>de</strong><br />

vraisemblance. pas plus davantage qu'elle ne pose la question <strong>de</strong> la vérité.<br />

L'essentiel est <strong>de</strong> présenter les faits tels qU'Ils sont censés se pro<strong>du</strong>ire <strong>et</strong><br />

d essayer d'en persua<strong>de</strong>r le <strong>de</strong>stinataire <strong>du</strong> message. Ce rapport logIque se<br />

marque également au moyen d'autres mots-outils parmi lesquels si bien que,<br />

<strong>forme</strong> étoffée <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte ligature.<br />

11-2-1-2 Si bien que<br />

L'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s outils Intensifs que nous avons passés en revue au chapitre<br />

précé<strong>de</strong>nt a faIt allUSion à la valeur originelle <strong>de</strong> bien qui est <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong><br />

l'idée <strong>de</strong> manière Son Intercalation entre la conjonction <strong>et</strong> son corrélatif adverbial<br />

remonterait au XVIe siècle, selon G. Le Bldois. L'ensemble <strong>forme</strong> <strong>de</strong> nos Jours<br />

une locution conjonctive à valeur consécutive dont le sens est proche <strong>de</strong> «à tel


162<br />

autant un moyen <strong>de</strong> qualification que d'intensification. Fort curieusement, c<strong>et</strong><br />

adjectif indéfini tire parti <strong>de</strong> l'imprécision <strong>de</strong> son sens puisque <strong>de</strong> là Vient sa<br />

propriété à Jouer son double rôle déjà mentionné. Morpho-syntaxiquement, il peut<br />

se construire tantôt comme épithète d'un substantif, tantôt comme attribut. Dans le<br />

premier cas, il suit ou précè<strong>de</strong> immédiatement son support, tandis que <strong>dans</strong> le<br />

second. il est séparé <strong>du</strong> substantif auquel il s'applique par la copule être ou par<br />

d'autres verbes pouvant s'accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te construction. Les extraits ci-<br />

<strong>de</strong>ssous en sont <strong>de</strong>s illustrations:<br />

Ex l : (Dj igui) éprouva tous les mots inusités<br />

<strong>du</strong> Livre, les prononça avec une force <strong>et</strong> une<br />

ferveur telles que le roi atteignit le tout­<br />

puissant Lui-même, Le perturba <strong>dans</strong> Sa splen<strong>de</strong>ur<br />

<strong>et</strong> L'obligea à se débusquer. JI10nnè : 24.<br />

Ex 2 :( ... ) les lèvres(<strong>de</strong> Mariam) piqu<strong>et</strong>ées dont<br />

les noirceur <strong>et</strong> excroissance étaient telles<br />

qu'on résistait difficilement au désir <strong>de</strong> les<br />

mordiller. Monnè : 249.<br />

Du fait <strong>de</strong> l'imprécision <strong>du</strong> sens <strong>de</strong> tel qui laisse l'espnt se m<strong>et</strong>tre en frais à la<br />

recherche <strong>du</strong> terme <strong>de</strong> qualification qu'il jugera le plus approprié, la conséquence<br />

amenée par que est ici plus que <strong>dans</strong> les procédés antérieurs, l'indice<br />

d'évaluation <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong> la cause (ou <strong>de</strong> l'excellence <strong>de</strong> la qualité évoquée)<br />

Mais, quoique ce rapport <strong>de</strong> cause à eff<strong>et</strong> soit grammaticalement tout à fait<br />

logique, li n'y a pas toujours une ausSI n<strong>et</strong>te rationalité extra-linguistique entre la<br />

cause <strong>et</strong> l'eff<strong>et</strong>. si l'on se fon<strong>de</strong> sur <strong>de</strong>s critères probabilistes <strong>et</strong> qu'on se <strong>de</strong>man<strong>de</strong><br />

SI l'eff<strong>et</strong> peut être effectivement réalisable ou non. AinsI <strong>dans</strong> les exemples<br />

précé<strong>de</strong>nts comme <strong>dans</strong> ceux qui vont suivre, les résultats provoqués <strong>et</strong> atteints<br />

en discours sont-ils probables. C'est le cas <strong>de</strong> l'énoncé 2. D'autres au contraire<br />

sont simplement <strong>du</strong> domaine <strong>de</strong> l'imagInaire <strong>et</strong> n'ont <strong>de</strong> vérité que romanesque,<br />

cest-à-dire qu'ils sont <strong>dans</strong> l'ordre <strong>du</strong> fictif. L'exemple 1 en est un cas.


11-2-1- 4 De sorte que<br />

163<br />

Comme ses semblables (<strong>de</strong> manière que, <strong>de</strong> façon que), c<strong>et</strong>te locution<br />

servait originellement à décrire la manière dont se déroule l'action-cause qUI<br />

pro<strong>du</strong>it la conséquence. Mais le sens consécutif acquis a presque complètement<br />

supplanté le sens initial <strong>de</strong> manière. De l'idée <strong>de</strong> conséquence, le sens <strong>de</strong> la<br />

locution glisse quelquefois vers le domaine <strong>de</strong> l'intensité. Le critère qui en<br />

détermine l'emploi <strong>dans</strong> ce sens semble être d'ordre sémantique, si on se fon<strong>de</strong><br />

sur les similitu<strong>de</strong>s <strong>forme</strong>lles. Nous invoquons ici notamment, la substituabilité avec<br />

d'autres locutions conjonctives établies <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée intensive Ce<br />

sont entre autres, si bien que, tellement que, si que. Dans l'extrait qUI SUit, la<br />

première locution peut bien remplacer <strong>de</strong> sorte que:<br />

1;: x J: C' est v r () i Inen t Inalheu r eux qu' A11a h nou s<br />

ait mal fabriqués, nous Nègres. Il nous a créés<br />

menteurs <strong>de</strong> sorte que le Noir n'accepte <strong>de</strong><br />

dire la vérité que la plante <strong>du</strong> pied posé sur la<br />

braise. Monnè : 81.<br />

Quant à tellement que <strong>et</strong> si que, leur intro<strong>du</strong>ction entraînerait une modification<br />

syntaxique, mais aucune en ce qui concerne le sens <strong>de</strong> l'énoncé. Avec eux,<br />

l'intensification portée sur la qualité "menteurs" <strong>de</strong>viendrait explicite comme le<br />

montre c<strong>et</strong>te résultante:<br />

Ex l': ( ... ) Il nous a créés tellement/si<br />

menteurs que le Noir n'accepte <strong>de</strong> dire la<br />

vérité que la plante <strong>du</strong> pied posé sur la braise.<br />

Mais le contexte ne se prête pas toujours avec un égal bonheur à l'interprétation<br />

en faveur <strong>du</strong> sens intensif, <strong>et</strong> on hésite parfoIs à trancher entre la prédominance à<br />

accor<strong>de</strong>r à l'intensité ou à la conséquence. Le passage suivant est un exemple <strong>de</strong>


165<br />

<strong>de</strong>s événements <strong>dans</strong> leur chronologie qUI laisse voir une certaine finalité, <strong>et</strong><br />

d'autre part, une analyse strictement <strong>forme</strong>lle excluant toute considération extra­<br />

linguistique. Autrement dit, il n'y a là aucune impropriété qu'on pourrait Imputer à<br />

la confusion <strong>de</strong>s modalités qui prési<strong>de</strong>nt à la distinction entre la conséquence <strong>et</strong> la<br />

finalité Quant à la question <strong>de</strong> la prédominance entre l'intensité <strong>et</strong> la<br />

conséquence, Il nous semble que celle-cI prend le pas sur celle-là.<br />

Lomnlprésence <strong>de</strong> la conjonction que <strong>dans</strong> les passages proposés Jusque-là<br />

d'une part, <strong>et</strong> les différents cas <strong>de</strong> procédés consécutifs Impliqués <strong>dans</strong><br />

<strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré d'autre part, confirment que c<strong>et</strong>te conjonctIon est bien<br />

l'élément <strong>de</strong> base <strong>dans</strong> l'établissement <strong>du</strong> rapport logique <strong>de</strong> causalité. Cela<br />

explique qu'on le trouve <strong>dans</strong> la presque totalité <strong>de</strong>s structures aux côtés <strong>de</strong><br />

certains mots comme point qui contiennent <strong>de</strong> manière diffuse, l'idée <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré.<br />

C'est le cas <strong>de</strong> quelques procédés locutionnels à valeur intensive que sont au<br />

point que, à tel point que.<br />

11-2-2<br />

11-2-2-1<br />

Autres procédés locutionnels intensifs<br />

Avec Point<br />

La langue est d'abord appréhendée <strong>dans</strong> sa <strong>fonction</strong> fondamentale <strong>de</strong><br />

moyen <strong>de</strong> transmission <strong>de</strong>s pensées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s sentiments Il arrive cependant <strong>de</strong>s<br />

Situations où l'affectivité est si atteinte que la langue se trouve démunie <strong>et</strong> inapte à<br />

rendre compte avec exactitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> l'intensité <strong>du</strong> sentiment éprouvé. Soit les<br />

énoncés sUivants:<br />

(1) Elle dit avoir fait la connaissance d'un homme d'une avenance, mais d'une<br />

avenance'<br />

(2) Mon père hait au plus <strong>haut</strong> point toute <strong>forme</strong> <strong>de</strong> délation.<br />

Entre les énoncés 1 <strong>et</strong> 2, Il eXiste certes une marge affective considérable à<br />

lavamage <strong>du</strong> premier (on le verra plus lOin <strong>dans</strong> la troisième partie <strong>du</strong> travail)<br />

Pourtant. c<strong>et</strong>te marge affective est une différence <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré <strong>et</strong> non une différence


Fouphouai :<br />

167<br />

Ex 2: Les crépiternents <strong>de</strong>s tam-tams <strong>et</strong>:. les<br />

chants se répétèrent <strong>et</strong> se prolongèrent au<br />

point que les oiseaux gazouillèrent les noms <strong>de</strong><br />

«Fouphouai ». Monnè: 240.<br />

Le fait que toute la nature, par le biais <strong>de</strong> la gent ailée assure le relal tonitruant <strong>de</strong><br />

la gloire au vainqueur, atteste le faste avec lequel c<strong>et</strong>te victoire est célébrée, mais<br />

en même temps, cela indique les limites <strong>de</strong> la portée <strong>de</strong> l'hommage ren<strong>du</strong> au<br />

vainqueur. La conséquence apparaît en eff<strong>et</strong> comme le terme butolre que peut<br />

atteindre l'Imagination. En réalité, celle-ci ne se m<strong>et</strong> guère en frais pUisque grâce<br />

à la subordonnée, elle n'a plus à inventer <strong>et</strong> à <strong>de</strong>viner l'intensité <strong>de</strong> la cause.<br />

C<strong>et</strong>te remarque est aussI valable pour à tel point que<br />

11-2-2-1-1-2 A tel point que<br />

Comme prince, Fama est tenu à l'obligation d'humanisme <strong>et</strong> <strong>de</strong> charité<br />

AusSI m<strong>et</strong>-il un pOint d'honneur à faire étalage d'une générosné somme toute<br />

particulière. Qu'on en Juge plutôt.<br />

Farna se <strong>de</strong>vait <strong>de</strong> donner/il <strong>de</strong>vait:. être<br />

généreux; <strong>et</strong> il l'était à tel point qu'il<br />

allait offrir jusqu'à son cache-sexe. Les<br />

Soleils: 131.<br />

La conséquence portée par la subordonnée <strong>dans</strong> ces passages amène une<br />

explicitation <strong>du</strong> sens <strong>de</strong> point <strong>et</strong> tel imprécis <strong>et</strong> vague au départ en fixant comme<br />

une marge butolre à leur extensibilité. En eff<strong>et</strong>, <strong>dans</strong> « Mon père hait au pius <strong>haut</strong><br />

point toute <strong>forme</strong> <strong>de</strong> délation », la marge <strong>de</strong> manœuvre <strong>de</strong> l'imagination <strong>dans</strong> sa<br />

tentative <strong>de</strong> quantification <strong>du</strong> sentiment <strong>de</strong> haine est n<strong>et</strong>tement plus large que


169<br />

<strong>de</strong> la cause que celui avec la locution prépositive. Voici un exemple <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

<strong>de</strong>rnière Le narrateur veut faire entendre que les envies sexuelles intempestives<br />

<strong>de</strong> Salimata sont on ne peut déraisonnables, compte tenu <strong>de</strong> l'âge <strong>de</strong> son mari.<br />

Ex: ?ourtant, Allah <strong>et</strong> son prophète, vous le<br />

savez, vous nous avez fabriqués ainsi, aucune<br />

drogue, aucune prière ne peut ragaillardir un<br />

vidé comme Fama, au point <strong>de</strong> l' exc i ter tous<br />

les soirs comme un jeune pubère.Les soleils :29.<br />

C<strong>et</strong> extrait m<strong>et</strong> ainsi fin à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s procédés logiques à valeur intensive<br />

construits avec que Au paragraphe sUivant, les procédés locutionnels avec la<br />

préposition jusq ue constituent le centre d'Intérêt Quel est en le mécanisme<br />

<strong>de</strong>xpresslvlté I,ntenslve? Les extraits choisis <strong>et</strong> les analyses qui en sont faites<br />

perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> comprendre ce mécanisme.<br />

11-2-2-2 Avec jusque<br />

La nuance <strong>de</strong> limite extrême que nous avons précé<strong>de</strong>mment évoquée <strong>dans</strong><br />

l'explicitation <strong>du</strong> sens <strong>de</strong> certains procédés à travers leurs subordonnées,<br />

notamment avec poi nt, trouve sa pleine expression au selll <strong>de</strong> structures<br />

amenées par j usq ue L'em ploi <strong>de</strong> celui-cI appelle quelques remarques qui<br />

Intéressent aussI bien la morpho-syntaxe que la sémantique. Morpho­<br />

syntaxiquement. jusque se construit avec divers éléments. Il s'agit soit<br />

d·adveroes, notamment les déictiques spatiaux (iCI, là .. ) <strong>et</strong> temporels (auJourd'huI,<br />

hier ... ) SOit dautres prépositions Le syntagme ainsI obtenu a pour complément<br />

une proposition ou un substantif, ou bien encore un infinitif. C'est ce <strong>de</strong>uxième cas<br />

<strong>de</strong> figure qui nous Intéresse. D'un point <strong>de</strong> vue sémantique, le syntagme Indique<br />

le déroulement d une action vers un terme final que constitue le complément <strong>du</strong><br />

syntagme lui-même La conséquence (le complément syntagmatique) étant<br />

considéré comme la limite extrême envisageable, l'attellldre ou même la


170<br />

dépasser, c'est m<strong>et</strong>tre en relief par ricoch<strong>et</strong>, l'intensité <strong>de</strong> la cause qUI la suscite.<br />

C'est ainsi que le procédé <strong>de</strong>vient un moyen d'intensIfication.<br />

11-2-2-2-1 Jusqu'à + proposition<br />

Le résultat iCI est rarement <strong>du</strong> domaine <strong>de</strong> l'Irréel <strong>dans</strong> la mesure ou la<br />

perspective probabiliste nest pas Infirmée par lui Cela signifie que le résultat<br />

tra<strong>du</strong>it une chose tout à fait probable. Moussokoro, jeune pubère convaincue <strong>de</strong><br />

luxure reçoit le châtiment <strong>de</strong> son père blessé <strong>dans</strong> son amour-propre'<br />

Ex 1: Un matin, le pere <strong>de</strong> Moussokoro se fâcha,<br />

lia les bras <strong>de</strong> sa fille au dos, l'attacha à un<br />

pieu/l'injuria abondamment, la battit jusqu'à<br />

ce qU'elle perdit la voix. Monnè : 132.<br />

La gravité <strong>de</strong> l'incon<strong>du</strong>ite <strong>de</strong> Moussokoro apparaît davantage <strong>dans</strong> toute sa<br />

dimension lorsque le griot déclare, s'adressant à la pécheresse impIe:<br />

Ex 2 : La religion <strong>de</strong>man<strong>de</strong> que tu sois enterrée<br />

j llsqu' aux seins <strong>et</strong> lapidée jusqu'à ce que<br />

mort s'en suive. Monnè : 149.<br />

Le rOI Ojigui à qui Yacouba vient <strong>de</strong> s'adresser avec Impertinence, assure,<br />

nostalgique:<br />

Ex J ( ... ) lorsqu'un déhonté <strong>de</strong> l'espèce <strong>de</strong><br />

Yacouba se présentait avec l'air méprisant <strong>et</strong><br />

<strong>haut</strong>ain, j'esquissais un geste: Fadoua, secouru<br />

par <strong>de</strong>ux soli<strong>de</strong>s sicaires, se précipitait sur<br />

l'arrivant, le dénudait, le j<strong>et</strong>ait à terre, lui<br />

liait les mains <strong>de</strong>rrière le dos <strong>et</strong> le fou<strong>et</strong>tait<br />

jusqu'à ce qu'il criât <strong>et</strong> urinâ"t.Monnè<br />

161.


171<br />

Ex 4 :( ... ) les militants furent arrêtés, PU1S<br />

envoyés <strong>dans</strong> le camp <strong>de</strong> Soba où ils furent<br />

déshabillés <strong>et</strong> battus jusqu'à ce qu'ils aient<br />

publiquement renié le parti. Monnè : 261.<br />

Notons une autre exigence morphosyntaxique qui est liée à l'emploI <strong>de</strong> jusqu'à<br />

sUivi <strong>de</strong> proposition. C'est le mo<strong>de</strong> subjonctif. Il s'en SUIt que l'idée <strong>de</strong><br />

conséquence s'accompagne parfois d'une nuance <strong>de</strong> finalité, Tel est le cas <strong>de</strong><br />

l'énoncé 2, C<strong>et</strong>te nuance y est d'autant plus frappante que nous avons affaire à<br />

une prescnption, La finalité est par conséquent l'idée-force A un <strong>de</strong>gré mOindre,<br />

on peut en rapprocher les énoncés 3 <strong>et</strong> 4, Quant à l'exemple 1, Il est certain que<br />

l'aphonie n'était pas le but expressément recherché par le père <strong>de</strong> Moussokoro<br />

lorsqu'il donnait à sa fille, la correction suscitée par son incon<strong>du</strong>ite. L'aphonie<br />

nest quun «acci<strong>de</strong>nt » survenu à force <strong>de</strong> cri <strong>et</strong> <strong>de</strong> pleurs. Dans c<strong>et</strong> emploi,<br />

jusque peut également avoir pour complément un substantif. En général, il se<br />

construit avec à, mais on le rencontre aussi avec d'autres prépositions,<br />

11-2-2-2-2 Jusqu'à + substantif<br />

Certaines <strong>de</strong> ces constructions sont proches <strong>de</strong>s formules stéréotypées <strong>et</strong><br />

nont d'intérêt que par leur caractère intensifiant qui touche parfoIs à l'hyperbole:<br />

Ex 1: Fama lui (au commerçant syrien) fit lécher<br />

comme a un àne <strong>du</strong> sel gemme, <strong>et</strong> Si end<strong>et</strong>ta<br />

jusqu'à la gorge. Les Soleils: 24.<br />

Mais les exemples avec les constructIons d'un réalisme banal se rencontrent<br />

également <strong>et</strong> sont quantitativement supérieurs à ceux <strong>du</strong> cas précé<strong>de</strong>nt:<br />

Ex 2: Un matin, le pere <strong>de</strong> Moussokoro se fàcha,<br />

lia les bras <strong>de</strong> sa fille au dos, l'attacha à un<br />

pieu, l'injuria abondamment, la battit jusqu'au


sang. Monnè 132.<br />

172<br />

La conséquence, Indice d'évaluation <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong> l'action-cause montre que<br />

celle-cI a atteint son point culminant d'accomplissement, le sta<strong>de</strong> suprême <strong>de</strong> sa<br />

leailsallon Les extraits ci-<strong>de</strong>ssous le confirment. La rencontre politique atten<strong>du</strong>e<br />

semble tomber très à propos pour Fama qui saisirait c<strong>et</strong>te opportunité pour faire<br />

certaines révélations<br />

Ex 3: Fama pouvai t en outre dire à tous les<br />

prési<strong>de</strong>nts <strong>et</strong> sécrétaires généraux que les<br />

habitants <strong>de</strong> Togobala étaient usés jusqu'à la<br />

<strong>de</strong>rnière fibre. Les Solei1 s : 136.<br />

Ex 4: Touboug <strong>et</strong> ses<br />

nombreux <strong>dans</strong> le pays,<br />

partisans,<br />

se levèrent<br />

les plus<br />

tous <strong>et</strong><br />

injurièrent, jusque sous le pagne <strong>et</strong> le<br />

pantalon, les meres <strong>et</strong> les pères <strong>de</strong>s collecteurs<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong>s recruteurs. Monnè: 253.<br />

Dans les conditions sémantiques <strong>et</strong> logiques i<strong>de</strong>ntiques, jusqu'à peut également<br />

appeler un complément infinitif (noté symboliquement inf) Lunique exemple<br />

rencontré <strong>dans</strong> ce cas <strong>et</strong> que nous citerons bientôt, achève l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s procédés<br />

consécutifs prépOSitionnels <strong>et</strong> conjonctIfs<br />

11-2-2-2-3 Jusqu'à + infinitif<br />

Toute la nourriture préparée pour la cour royale a été enlevée par une<br />

collorte cie sUj<strong>et</strong>s affamés <strong>et</strong> dégUisés en étrangers Pour prévenir une réaction<br />

Impitoyable <strong>du</strong> roi que c<strong>et</strong>te nouvelle ne réjouit pas, le griot Djéliba rappelle à son<br />

maitle que c<strong>et</strong> acte (Je vandalisme apparent est un pOint <strong>de</strong> culture <strong>de</strong> pratique<br />

mllitiséclliaire l_'explication ne va [Jas sans quelque flatterie<br />

Ex 1: ( ... ) la fière <strong>de</strong>vise <strong>de</strong>s Kéita àit:.:


174<br />

d'intensité «après un substantif ou un adjectif dont on veut<br />

marquer que, par son intensité, il pourrait entraîner une<br />

certaine conséquence »3, que reVient indiscutablement la priorité Au<br />

contraire F. Brunot, J. Oamour<strong>et</strong>te <strong>et</strong> E. Pichon verraient d'abord en à + inf. , un<br />

outil <strong>de</strong> caractérisation <strong>du</strong> substantif <strong>et</strong> un certain développement <strong>de</strong> la qualité<br />

exprimée par l'adjectif. Partant <strong>du</strong> sens final <strong>de</strong> à, G. Le Bidois reconnaît quant à<br />

lui, plusieurs valeurs à à + inf. Ainsi la structure sert-elle tantôt à «marquer le<br />

<strong>haut</strong>: ciegré ou la caractérisation entraînant la conséquence »4,<br />

tantôt à indiquer« la conséquence qui résulte d'un état porté à un<br />

<strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré ».5 On verra bientôt que la distinction entre la conséquence<br />

résultant d'un <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>et</strong> celle issue d'une caractérisation pure que semble<br />

établir Le Bido\s, n'est pas toujours éVi<strong>de</strong>nte. Mais le problème <strong>de</strong> fond dont les<br />

avis que nous venons <strong>de</strong> citer sont les différents aspects, est celui <strong>de</strong> la<br />

problématique <strong>de</strong> la subjectivité <strong>dans</strong> l'approche <strong>et</strong> l'interprétation <strong>de</strong>s faits<br />

d'expression En eff<strong>et</strong>, les divergences mentionnées nous semblent <strong>de</strong>voir être<br />

Imputables à la réceptivité affective <strong>de</strong>s uns <strong>et</strong> <strong>de</strong>s autres C'est là un argument<br />

qui peut paraître captieux, semblant n'excuser qu'une erreur d'analyse ou une<br />

certaine Inaptitu<strong>de</strong> à interpréter avec justesse les faits <strong>de</strong> langage. Mais comment<br />

faire autrement? Comment justifier sans prétention ce qUI nous apparaît avec une<br />

incohérence inadmissible <strong>dans</strong> l'analyse d'un grammairien comme Kr. Sandfeld<br />

<strong>et</strong> qUI nous console quelque peu, il est vrai, <strong>de</strong> nos propres difficultés<br />

d'Interprétation? En eff<strong>et</strong>, partant <strong>du</strong> sens directif <strong>de</strong> à comme Le Bidois, Sandfeld<br />

ne m<strong>et</strong> en relief que l'aspect résultatif <strong>dans</strong> les énoncés ci-après que nous lui<br />

empruntons Quant à la nuance d'intensité, elle ne mérite pas la mOindre allusion<br />

Au contraire, elle est purement <strong>et</strong> simplement ignorée:<br />

Ail ! Je l'ai reçu, la face plate, à lui oter le<br />

goût <strong>de</strong> revenir (O. Imm. 272 )


175<br />

Tout en mOl doit vous déplaire à crier ( Gyp.<br />

chiffon 44 )<br />

Oans quelles constructions l'Idée Intensive interVient-elle alors? Sandfeld le salt <strong>et</strong><br />

peut ecnre à ce propos •<br />

Dans bien <strong>de</strong>s cas, il ne s'agit pas d'un eff<strong>et</strong><br />

réel, mais <strong>de</strong> ce qui est seulement sur le point<br />

d'avoir l' eff<strong>et</strong> indiqué, <strong>et</strong> à + inf. ne sert<br />

alors qu'à marquer l'intensité <strong>et</strong> le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

l'action ou <strong>de</strong> l'état en question. 6<br />

L·argument probabiliste (l'éventualité que la chose se pro<strong>du</strong>ise) qUI peut<br />

effectivement servir <strong>de</strong> critère distinctif est-II utilisé à propos? Nous en doutons <strong>et</strong><br />

les exemples proposés par le grammairien lui-même nous confortent <strong>dans</strong> ce<br />

sentiment.<br />

Leurs canots partaient chargés à craquer<br />

(Dorgelès, Partir 67)<br />

(Elle) bâilla à se décrocher la mâchoire<br />

( Monterlant. Pitié 101 )<br />

Oh ! j'ai faim, j'ai faim à manger <strong>de</strong> la<br />

terre ( Z. Déb. 156 )<br />

Comment expliquer autrement c<strong>et</strong>te différence SI ce n'est par la dimension<br />

subjective accompagnant toute démarche sémantique <strong>de</strong>s faits d'expression?<br />

Comment comprendre que à + inf. <strong>dans</strong> un cas (les <strong>de</strong>ux premiers énoncés)<br />

marque exclusivement l'eff<strong>et</strong> d'une action-cause, c'est-à-dire la conséquence<br />

pure, tandis que <strong>dans</strong> l'autre (les énoncés suivants), Il est un pur outil intensif?<br />

Pour notre part, à + inf tel que ci-<strong>de</strong>ssus employé a surtout une <strong>fonction</strong><br />

essentiellement intenSive <strong>dans</strong> la langue actuelle. Oue, primitivement, la structure<br />

ait marqué la manière <strong>et</strong> la conséquence, cela est plausible <strong>et</strong> même établi. Ce<br />

qUI est en cause ici n'est donc pas tant c<strong>et</strong>te valeur première que, sion peut dire,


177<br />

horrible à faire éclater la<br />

déchirer le ciel( ... ). Les Soleils<br />

terre,<br />

200.<br />

Ex 4 Dans certains lougan <strong>et</strong> concession, <strong>de</strong>s<br />

greniers restaient pleins à débor<strong>de</strong>r.Monnè :<br />

252.<br />

Les dimensions picturale (caractérisation) <strong>et</strong> consécutive sont toutes <strong>de</strong>ux<br />

notables <strong>dans</strong> la structure à + inf. Mais ce qui prime en définitive, c'est la valeur<br />

d'Intensification qui relègue au second plan le rapport logique <strong>de</strong> causalité.<br />

Que le procédé s'applique à un adjectif, à un substantif ou à un verbe, sa valeur<br />

essentielle n'en varie pas.<br />

1\-2-2-1-2 Substantif + à + inf.<br />

Ex 1 : Il fallait bousculer, menacer, injurier<br />

pour marcher. Tout cela <strong>dans</strong> un vacarme à<br />

arracher les oreilles. Les Soleils: 10.<br />

Le griot commis aux obsèques <strong>de</strong> Koné Ibrahlma vient <strong>de</strong> perpétrer un crime <strong>de</strong><br />

lèse-honneur en associant sans discernement. les Doumbouya avec les Keita.<br />

C'est une grave faute, un terrible affront pour Fama :<br />

Ex 2: Qui n'est pas Malinké peut l'ignorer: en<br />

la circonstance c'était un affront, un affront à<br />

faire éclater les pupilles. Les Soleils :12.<br />

Plus <strong>de</strong> neuf mOIs <strong>de</strong> grossesse nerveuse laissent <strong>de</strong>s traces morales Indélébiles.<br />

Salimata l'a appris à ses dépens, elle qui s'est reJoule à l'avance d'une maternité<br />

dont elle ne connaîtra jamais le bonheur:<br />

Ex 3: Ce qUl est malheureux <strong>dans</strong> ce genre <strong>de</strong><br />

choses, c'est la honte subséquente. Une honte à<br />

à


178<br />

vouloir fendre le sol pour s' y terrer. Les<br />

Soleils: 53.<br />

Ex '-l: Dans une pestillence à vous brûler la<br />

gorge, <strong>dans</strong> un tourbillon <strong>de</strong> mouches, gisait un<br />

chien mort, yeux <strong>et</strong> nez arrachés. Les Soleils:<br />

121.<br />

On remarquera <strong>dans</strong> ces extraits que le substantif est toujours actualisé par<br />

l'article indéfini, ce qui est le résultat d'une exigence syntaxique. En outre, Il est<br />

intéressant <strong>de</strong> noter que <strong>forme</strong>llement, à + inf. s'applique en réalité à un support<br />

substantif à épithète sous ellipse. En eff<strong>et</strong>, on peut <strong>de</strong>viner l'épithète qui modifie<br />

chacun <strong>de</strong>s substantifs intensifiés, A ce suj<strong>et</strong>, les aVIs divergent encore quant à<br />

iantériorité <strong>de</strong>s constructions, certains dont Kr, Sandfeld estimant que la structure<br />

originelle est substantif + à +inf. D'autres au contraire, parmi lesquels Ch,<br />

Bertllelon, soutiennent que adj. + à + inf. est la structure initiale Sans entrer<br />

<strong>dans</strong> les détails <strong>du</strong>ne querelle historique, nous dirons simplement que ce <strong>de</strong>rnier<br />

avis emporterait notre agrément. Mais ce qui nous intéresse par-<strong>de</strong>ssus tout,<br />

cest la <strong>fonction</strong> Intensive <strong>de</strong> la structure. Le verbe peut ainSI être modifié par à +<br />

inf. comme le montrent les extraits à venir.<br />

11-2-2-1-3 Verbe + à + inf<br />

L'expression Ilyperbolique est le domaine où à + inf. déplOie son énergie<br />

superlative au mépris <strong>de</strong> toute norme d'objectiVité. A ce titre, nous proposons à la<br />

fin <strong>de</strong> ce paragraphe, un regroupement tripartite sUivant une logique probabiliste,<br />

Pour l'heure, c'est l'intensification verbale qui mérite notre attention.<br />

Ex 1: (Djigui <strong>et</strong> ses séi<strong>de</strong>s)<br />

fusilla<strong>de</strong>s, cris, chicottes,<br />

les pays à faire sortir<br />

avalent, par les<br />

torturé, chauffé<br />

les caîmans <strong>de</strong>s


180<br />

travailleur, il voyageait beaucoup; elle<br />

l'attendait <strong>et</strong> pensait <strong>de</strong>s journées <strong>et</strong> <strong>de</strong>s nuits<br />

entières au bruit <strong>de</strong> ses pas( ... ). Les Soleils:<br />

56.<br />

il/lais le caractère figé <strong>de</strong> ces formules stéréotypées même n'est pas toujours un<br />

facteur positif à la pérennité <strong>de</strong> leur propre expressivité. En eff<strong>et</strong>, par le fait d'un<br />

fréquent usage, beaucoup d'entre elles s'affaiblissent quelque peu, laissant ainsi<br />

libre champ à l'imagination inventive <strong>de</strong> la langue parlée <strong>de</strong> réguler le système.<br />

C'est ainsi que naissent d'autres constructions qui apparaissent com me <strong>de</strong>s<br />

variantes-remè<strong>de</strong>s au risque <strong>de</strong> monotonie <strong>de</strong>s stéréotypes <strong>et</strong> un moyen<br />

d'enrichissement lexical. De ces variantes, sont à rapprocher les expressions<br />

telles que belle à emporter l'amour, pleins à débor<strong>de</strong>r, bâilla à se faire<br />

éclater les commissures. Syntaxiquement, la <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> l'infinitif est vanable<br />

selon l'antécé<strong>de</strong>nt auquel il se rapporte AinSI à + inf. est une épithète auprès <strong>de</strong><br />

son support substantif ( voir les exemples y afférents ). Com me complément<br />

prépositionnel <strong>de</strong> l'adjectif, Il <strong>forme</strong> avec celui-ci un syntagme modifiant le<br />

substantif auquel il se rattache. Il existe cependant une exception avec<br />

«Sallmata naquit belle, belle à emporter l'amour» où le syntagme est en<br />

<strong>fonction</strong> dattrlbut. Revenant à la question <strong>de</strong> la distance entre <strong>l'expression</strong> <strong>et</strong> la<br />

réalité. c est-à-dire le rapport au réel <strong>du</strong> passage <strong>de</strong> la cause à la conséquence<br />

pro<strong>du</strong>ite. il est pOSSible <strong>de</strong> faire le regroupement tripartite qui SUIt.<br />

11-2-2 -2 Regroupement logique<br />

il faut distinguer <strong>de</strong>ux sortes <strong>de</strong> logique. D'une part, le rapport logique <strong>de</strong><br />

cause à eff<strong>et</strong> suggéré par à + inf <strong>dans</strong> sa double valeur consécutive <strong>et</strong> Intensive<br />

C<strong>et</strong>te ioglque d'ordre lingUistique qu'on pourrait appeler logique grammaticale,<br />

dOit être différemment perçue par rapport à une logique a posteriOri <strong>et</strong> extérieure<br />

au fait <strong>de</strong>xpression lui-même. C'est lorsque nous faisons subir à j'eff<strong>et</strong> pro<strong>du</strong>it ou


181<br />

atten<strong>du</strong>. l'épreuve probatoire <strong>de</strong> la rationalité <strong>et</strong> cherchons à savoir si, d'un point<br />

<strong>de</strong> vue physique, j'action-résultat a quelque chance <strong>de</strong> succès. Suivant c<strong>et</strong>te<br />

hypothèse, certaines conséquences atten<strong>du</strong>es bénéficient d'une faveur <strong>de</strong><br />

logique plus que d'autres. On distingue ainsI <strong>de</strong>s conséquences impossibles, <strong>de</strong>s<br />

conséquences réalisables <strong>et</strong> <strong>de</strong>s conséquences réelles<br />

11-2-2-2-1 Des conséquences impossibles<br />

La conséquence IC\ n'est pas seulement impossible; . elle l'est avant tout<br />

par son caractère irréaliste. C'est le domaine <strong>de</strong> l'inflation sémantique où à + inf.<br />

apparait avec sa pleine valeur <strong>de</strong> moyen d'intensification Les exemples <strong>de</strong><br />

conséquences Impossibles sont <strong>de</strong> lOin quantitativement plus Importants 8<br />

quailleurs. Mais pour faire l'économie <strong>de</strong> répétitions gratuites, nous nous<br />

contenterons dindiquer les énoncés représentatifs déjà cités <strong>et</strong> les pages qui s'y<br />

rapportent Ce sont par exemple les énoncés 2 <strong>et</strong> 3 <strong>de</strong> la page 176, <strong>et</strong> d'une<br />

façon générale. la majeure partie <strong>de</strong>s énoncés proposés <strong>de</strong> la page 176 à la page<br />

179.<br />

11-2-2-2-2 Des conséquences réalisables<br />

L'exemple étant unique Ici, nous le repro<strong>du</strong>isons in extenso. Mais avant il<br />

est utile <strong>de</strong> préciser la situation. Salimata frappée <strong>de</strong> stérilité est allée solliciter les<br />

services <strong>du</strong> très réputé Abdoulaye, marabout <strong>de</strong> son état Mais seul avec sa<br />

'patlente", l'homme nourrit <strong>de</strong>s idées lascives <strong>et</strong> très vite veut donner libre cours à<br />

ses puisions libidinales. La douceur <strong>et</strong> la délicatesse ne sont pas ses premières<br />

qualités'<br />

Il ne voyait qu'une femelle brillante, ron<strong>de</strong>,<br />

hésitante, mais soumise, <strong>et</strong> ne connaissant Gue


182<br />

le désir qui l'agitait <strong>et</strong> le chauffait. Il tira<br />

à arracher le pagne. Les Soleils: 78.<br />

Même SI le texte ne précise pas d'emblée que le pagne fut effectivement arraché.<br />

l'éventualité que la chose eût pu se pro<strong>du</strong>ire ne peut souffrir le mOindre doute. En<br />

réalité, plus quune simple éventualité, c'est d'une probabilité qu'il faut parler La<br />

situation évoquée plus <strong>haut</strong> s'y prête bien <strong>et</strong> la suite <strong>du</strong> texte l'atteste<br />

éloquemment « ... <strong>et</strong> il s'accrocha <strong>et</strong> tira plus fort; la femme fut proj<strong>et</strong>ée,<br />

dispersée <strong>et</strong> ouverte sur le lit: il ne restait plus qu'à sauter <strong>de</strong>ssus » Des<br />

circonstances extérieures peuvent par conséquent influer négativement ou<br />

positivement sur la réalisation <strong>de</strong> l'action-conséquence Mais il ne s'agit là que<br />

d'une éventualité <strong>et</strong> tous les cas ne se présentent pas sous les mêmes conditions.<br />

Certains ont une marge <strong>de</strong> probabilité plus autonome, intrinsèque. Lénoncé 4 <strong>de</strong><br />

1117<br />

" la page 176 en est une illustration. Le troisième <strong>et</strong> <strong>de</strong>rnier cas r<strong>et</strong>enu d'après le<br />

cntère d'objectivité est celui où la conséquence, réalisable au départ, se pro<strong>du</strong>it<br />

effectivement.<br />

11-2-2-2-3 Conséquences réelles<br />

Devant la stérilité irrémédiable <strong>de</strong> Salimata, Fama s'est résolu à la<br />

polygamie. Il prend donc Mariam en second mariage. Or, celle-ci est précédée<br />

<strong>du</strong>ne soli<strong>de</strong> réputation <strong>de</strong> femme extraordinairement fécon<strong>de</strong>. Il n'en fallait pas<br />

plus pour susciter <strong>de</strong>s crises hystériques chez Salimata <strong>et</strong> lui donner <strong>de</strong>s envies<br />

d'homici<strong>de</strong> Tout l'exaspère désormais <strong>dans</strong> sa rage <strong>de</strong> jalousie:<br />

Ex 6: Et quand la nuit appartenait a Mariam,<br />

il y avait toujours le même grincement <strong>du</strong> tara<br />

qui l'endiablait à hurler, à courir chercher<br />

le couteau, à vouloir tuer. Les Soleils<br />

159.


183<br />

Dans une société où la femme semble d'abord être Jugée par sa capacité à<br />

assurer la pérennité d'un lignage, «Le but <strong>de</strong> la vie est que naisse un rej<strong>et</strong>on »<br />

(Les Soleils :77), la stérilité <strong>de</strong> Salimata est une souffrance morale inconsolable.<br />

Ses tentatives dhomici<strong>de</strong> ne sont que le fidèle refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> l'ampleur <strong>du</strong> désespoir <strong>et</strong><br />

<strong>du</strong> sentiment <strong>de</strong> déréliction qui la minent littéralement. Et <strong>de</strong> fait, le texte précise<br />

bien, grâce à l'adverbe temporel touj 0 U rs à valeur itérative, qu'elle a<br />

effectivement eu plusieurs fois recours au couteau pour ressusciter <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te mort<br />

sociale. La violence physique peut ainsi être interprétée comme une sorte <strong>de</strong><br />

catharsis perm<strong>et</strong>tant d'expurger c<strong>et</strong>te tension morale <strong>et</strong> psychologique Avec c<strong>et</strong><br />

énoncé. nous m<strong>et</strong>tons un terme à ce vol<strong>et</strong> <strong>de</strong> la caractérisation complexe<br />

consacré aux procédés consécutifs <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. Que faut-il en r<strong>et</strong>enir?<br />

En premier lieu, il faut r<strong>et</strong>enir le fait que, outre leur <strong>fonction</strong> première qui<br />

est dindiquer l'eff<strong>et</strong> résultant ou <strong>de</strong>vant résulter d'une action, ces procédés sont<br />

également parfaitement en mesure d'exprimer l'Idée Intensive. Mais c<strong>et</strong>te bi­<br />

<strong>fonction</strong>nalité ne va pas sans poser quelques problèmes. Nous pensons<br />

notamment au malaise réel qu'on éprouve parfOIS quand vient à se poser la<br />

question <strong>de</strong> la prédominance entre conséquence <strong>et</strong> intensité. C'est que, loin <strong>de</strong><br />

constituer un couple <strong>du</strong>al, nous avons presque toujours affaire à <strong>de</strong>ux dimenSions<br />

consubstantielles d'une seule <strong>et</strong> même réalité Pour être plus exact nous <strong>de</strong>vons<br />

plutôt dire qu'on a affaire à une même modalité préposée à <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong><br />

notions souvent IIldissolublement liées. Un autre problème est la questIon<br />

probabiliste, celle <strong>de</strong> la distance entre <strong>l'expression</strong> <strong>et</strong> la réalité qu'elle est censée<br />

tra<strong>du</strong>ire. Du pOlllt <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'expressivité, à + inf. <strong>de</strong> sens en général<br />

Ilyperbolique a une valeur n<strong>et</strong>tement plus rehaussée que ses concurrents<br />

conjonctifs <strong>et</strong> locutionnels. En outre, le caractère <strong>de</strong> logique implacable <strong>de</strong> ceux-cI<br />

les soustrait à la variabilité <strong>forme</strong>lle <strong>de</strong> ceux-là, plus réceptifs aux Innovations.<br />

Mais en tout état <strong>de</strong> cause, l'intensité marquée par chaque modalité <strong>dans</strong> sa<br />

spécificité est plus que suggérée; elle est presqu'évi<strong>de</strong>nte. A côté <strong>de</strong> ces<br />

modalités. il existe d'autres moyens d'exprimer le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> manière implicite.


184<br />

A ce titre. les propositions à <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré implicite sont la <strong>de</strong>uxième <strong>forme</strong> <strong>de</strong> la<br />

caractérisation complexe à laquelle nous allons nous intéresser.<br />

Section 3-11-2-3 Propositions à <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré Implicite<br />

Nous avons tenté <strong>de</strong> montrer l'importance <strong>de</strong> l'hyperbole en tant que<br />

macro-procédé intensif. Nous avons également montré combien sa tendance<br />

naturelle à attirer exagérement l'attention sur un fait pour l'imposer <strong>et</strong> en<br />

persua<strong>de</strong>r l'inscrivait au cœur même <strong>de</strong> l'affectivité. Par c<strong>et</strong> élan Impressionniste,<br />

l'hyperbole est avant tout un procédé multi<strong>forme</strong>. Elle englobe en eff<strong>et</strong> tous les<br />

faits d'expression au pouvoir sémantique inflationniste. On y compte les termes<br />

excessifs (les caractérisants superlatifs par exemple), les énoncés comparatifs<br />

Irréalistes, les évaluations décommensuratives... Procédé <strong>de</strong> caractérisation<br />

abUSive par excellence, l'hyperbole9 peut être simple (leXicale) ou complexe.<br />

C'est le cas <strong>de</strong>s propositions. Celles-ci peuvent être <strong>de</strong> <strong>forme</strong> positive ou négative.<br />

11-2-3-1 Propositions négatives<br />

Nous avons posé plus <strong>haut</strong> le problème <strong>de</strong> la perception <strong>de</strong>s faits<br />

d'expression <strong>et</strong> évoquer l'erreur d'interprétation à laquelle peut in<strong>du</strong>ire la marge<br />

<strong>de</strong> subjectivité qui l'accompagne presque toujours. Il nous faut en donner ici une<br />

autre Illustration avec la réaction <strong>de</strong> B Dupriez contre la définition généralement<br />

admise <strong>de</strong> l'hyperbole. Il est admis en eff<strong>et</strong> que celle-ci sert à augmenter ou à<br />

diminuer avec excès la vérité <strong>de</strong>s choses pour susciter plus d'impression. Dupnez<br />

se fait <strong>du</strong>bitatif quant à la propriété diminutive <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te figure <strong>et</strong> s'Interroge<br />


185<br />

a augmenter fût-ce jusqu'à l'impossible»11 Les auteurs <strong>du</strong><br />

Vocaoulaire <strong>de</strong> la stylistique semblent à première vue corroborer l'avIs <strong>de</strong> Dupriez<br />

lorsqu ils écrivent que l'hyperbole est une<br />

Figure macrostructurale, selon laquelle on<br />

exagère l'indication <strong>du</strong> sens véhiculé par le<br />

message, à l'ai<strong>de</strong> <strong>de</strong> lexies ou <strong>de</strong> caractérisèmes<br />

<strong>de</strong> portée sémantique supérieure au contenu réel<br />

<strong>de</strong> l'énoncé. 12<br />

Simplifions c<strong>et</strong>te définition <strong>de</strong> rhétorique, puis élucidons-en quelques<br />

termes Importants. Ré<strong>du</strong>isons ainsi "arbitrairement" l'épithète macrostructurale<br />

El la pertinence <strong>du</strong> contexte sltuationnel <strong>de</strong> l'énonciation <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'énoncé. Faisons­<br />

en <strong>de</strong> mème pour lexies <strong>et</strong> caractérisèmes qu'on entendra circonstantiellement<br />

aux sens respectifs <strong>de</strong> mots <strong>et</strong> caractérisants, <strong>et</strong> reprenons la définition. On<br />

s·é1perçolt que le rôle <strong>de</strong> l'hyperbole consiste en une exagération <strong>de</strong> la "vérité"<br />

<strong>de</strong>s choses signIfiées ou décrites, c<strong>et</strong>te exagération elle-même étant, comme on<br />

la vu pluri<strong>forme</strong> L'hyperbole lexicale <strong>et</strong> contextuelle définies précé<strong>de</strong>mment<br />

illustrent fort bien c<strong>et</strong>te réalité. Mais ce qu'il convient par-<strong>de</strong>ssus tout <strong>de</strong> noter <strong>dans</strong><br />

la définition <strong>de</strong> J Mazaleyrat <strong>et</strong> G. Molinié, cest son affinité apparente avec le<br />

réajustement définitionnel <strong>de</strong> Dupriez Nous disons bien affinité apparente parce<br />

qu'elle est sUj<strong>et</strong>te à caution <strong>et</strong> que, comme on le verra sous peu, Duprlez iUI­<br />

même énonce les conditions d'infirmation <strong>de</strong> l'affinité présumée. Ce faisant, il<br />

apporte un rectificatif à sa proposition <strong>de</strong> réajustement définitionnel Initiale. Celul­<br />

CI pose un problème là où précisément, il semble n'yen avoir aucun pour tous, <strong>et</strong><br />

où par conséquent, l'unanimité paraissait avoir établi son règne Que faut-il<br />

entendre par « augmenter, fût-ce jusqu'à l'impossible »? Ne pose-t-on pas là,<br />

en <strong>de</strong>s termes Simplement différents, la question <strong>de</strong> la dIstance <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong><br />

lîypemolique au réel? Si la réponse à c<strong>et</strong>te question est positive, alors l'objection<br />

qUi nous Intéresse ici n'est guère recevable, à moins peut-être qu'elle ne SOit


186<br />

reformulée. Il est absolument certain en eff<strong>et</strong> que. <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> son inclination<br />

naturelle à l'inflation verbale, l'essence même <strong>de</strong> toute hyperbole est son défi à<br />

l'objectivité. Ch. Sally ne disait-il pas <strong>dans</strong> ce sens, <strong>dans</strong> Le Langage <strong>et</strong> la vie 13<br />

que « Pour ètre expressif, le langage doit sans cesse dé<strong>forme</strong>r<br />

l.es idées, les grossir ou les rap<strong>et</strong>isser (... ) »? Mais peut-être<br />

ce «jusqu'à l'impossible » signifie-t-il que la diminution atteint en définitive<br />

l'hyperbole dès lors que les frontières <strong>de</strong> l'objectivité sont franchies? A peine<br />

formulée, c<strong>et</strong>te lecture est à récuser car Dupriez lui-même ne perm<strong>et</strong> pas<br />

d'accor<strong>de</strong>r le moindre crédit à une telle interprétation. Il relativise en eff<strong>et</strong> sa<br />

définition antérieure en écrivant à la même page: «On peut cependant<br />

observerun emploi ironique <strong>de</strong> l'hyperbole dont le résultat est<br />

une diminution» Un espace est par conséquent prévu qui atteste la valeur<br />

diminutive <strong>de</strong> l'hyperbole, que ce soit comme « résultat » ou comme but. Mais<br />

ce n'est là que question <strong>de</strong> terminologie, la réalité elle, est invariable: diminuer ou<br />

augmenter les faits avec excès sont bien les <strong>de</strong>ux dimensions <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te figure<br />

macrostructurale. Relativement à ce qui précè<strong>de</strong>, on peut r<strong>et</strong>enir ceci. Selon la<br />

nature abstraite ou concrète <strong>de</strong> la chose évoquée par le contenu notionnel <strong>du</strong><br />

substantif complément, on distingue d'un côté, les propositions négatives d'obj<strong>et</strong><br />

concr<strong>et</strong>. <strong>de</strong> l'autre, les propositions négatives d'obj<strong>et</strong> abstrait.<br />

11-2-3-1-1 Obj<strong>et</strong> concr<strong>et</strong><br />

Ex lLes indépendances <strong>et</strong> le parti unique ont<br />

<strong>de</strong>stitué, honni <strong>et</strong> ré<strong>du</strong>i t le cousin Lacina à<br />

quelque chose qui ne vaut pas plus que les<br />

chiures d'un charognard. Les Soleils : 22.<br />

Ex 2: Togobala était la chose <strong>de</strong>s Doumbouya( ... ).<br />

Malheureusement, Togobala, les Doumbouya <strong>et</strong> mème<br />

le Horodougou ne valaient pas en Afrique un<br />

grain <strong>dans</strong> un sac <strong>de</strong> fonios. Les Soleils


117.<br />

187<br />

Ex 3 (Mariam) était belle, ensorcelante,<br />

exactement la femme née pour couver le reste <strong>de</strong>s<br />

jours d'un homme vieillisant comme Fama. Assise<br />

côte à côte avec Salimata, celle-ci ne<br />

vaudrait pas une <strong>de</strong>mi noix <strong>de</strong> cola.Les<br />

Soleils 134.<br />

Ex 4 Fama Il ne pesait pas plus lourd<br />

qu'un <strong>du</strong>v<strong>et</strong> d'anus <strong>de</strong> poule - un vaurien, un<br />

margouillat( .. ). Les Soleils: 138.<br />

Les énoncés 1 <strong>et</strong> 4 illustrent la discrimination annoncée <strong>dans</strong> la partie<br />

Intro<strong>du</strong>ctive en ce qui concerne les énoncés accommensuratifs. Mais qu'elle soit<br />

Intégrée ou non <strong>dans</strong> une proposition à valeur accommensurative. la négation <strong>et</strong><br />

le substantif complément qui l'accompagne <strong>fonction</strong>nent <strong>de</strong> manière i<strong>de</strong>ntique<br />

<strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré par l'hyperbole. Ce substantif possè<strong>de</strong> une<br />

valeur <strong>et</strong>rmo-sociologique secon<strong>de</strong> qui le signale comme une référence normative<br />

<strong>dans</strong> l'ordre péjoratif. Il sert ainsi comme <strong>de</strong> coefficient d'évaluation à rebours,<br />

avec c<strong>et</strong>te particularité que la chose qui lui est rapprochée se situe n<strong>et</strong>tement au­<br />

:Jessous <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te référence normative AIrlSI Lacina a per<strong>du</strong> toute sa dignité<br />

d'homme au point d'être ravalé, non au rang d'un charognard. mais pire, au­<br />

<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong> ses chiures tandis qu'un <strong>du</strong>v<strong>et</strong> d'anus <strong>de</strong> poule pro<strong>du</strong>irait plus d'eff<strong>et</strong><br />

à la pesée que Fama. Nous r<strong>et</strong>rouvons Ici, sous d'autres aspects, les notions <strong>de</strong><br />

conditions minimale <strong>et</strong> maximale. Les autres énoncés procè<strong>de</strong>nt <strong>du</strong> même<br />

mecanisme <strong>de</strong> dépréciation<br />

Dans l'énoncé 3 par exemple, la cola est un pro<strong>du</strong>it à valeurs <strong>du</strong>ales.<br />

Intervenant <strong>dans</strong> plusieurs gran<strong>de</strong>s occasions <strong>de</strong> la vie comme le mariage où il a<br />

vaieur <strong>de</strong> dot. cest un prodUIt <strong>de</strong> grand prestige positivement valorisé en tant que<br />

tel. Mais d'un autre côté, par LIn pur paradoxe né <strong>de</strong> ce qu'elle est en général à la<br />

portée <strong>de</strong> tous, la cola est, somme toute, un prodUit ordinaire presque banal, ce


188<br />

qUI semble finalement en affecter le prestige. Ainsi s'explique la comparaison<br />

péJoraIlve dont Salimata est l'obj<strong>et</strong>. La beauté <strong>de</strong> Mariam est <strong>de</strong> loin si peu<br />

comparable, <strong>dans</strong> le sens mélioratif, au physique <strong>de</strong> Salimata, que celle-ci est<br />

mOIns côtée qu'une <strong>de</strong>mi-noix <strong>de</strong> cola. Nous avons là <strong>de</strong>s hyperboles à valeur<br />

procne <strong>de</strong>s énoncés hypo-décommensuratifs. Si l'exemplarité <strong>de</strong> la beauté <strong>de</strong><br />

l'une est irréfutable selon le texte, l'indifférence qu'on éprouve à la vue <strong>de</strong> l'autre<br />

au physique si peu agréable semble aussi la signaler comme un exemple<br />

canonique <strong>de</strong> lai<strong>de</strong>ur. Est-ce c<strong>et</strong> eff<strong>et</strong> ironique <strong>de</strong> l'hyperbole qui a suscité la<br />

définition proposée par Dupriez? Quoi qu'il en soit, ces observations valent<br />

également pour les énoncés où le sens <strong>de</strong> négation est complété par un obj<strong>et</strong><br />

abstrait<br />

1/-2-3 -1-2 Obj<strong>et</strong> abstrait<br />

Des termes qui désignent <strong>de</strong>s choses non concrétes, immatérielles peuvent<br />

participer à <strong>l'expression</strong> hyperbolique. Leur immatérialité même assure comme la<br />

garantie d'une plus-value d'expressivité qui les distingue <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts. Après<br />

vingt ans <strong>de</strong> vie à la capitale, Fama est <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our <strong>dans</strong> son village natal<br />

Evi<strong>de</strong>mment, 1étonnement est à la dimension <strong>de</strong> la <strong>du</strong>rée <strong>de</strong> l'exil:<br />

Ex 1 : Au nom <strong>de</strong> la gran<strong>de</strong>ur <strong>de</strong>s aïeux, Fama se<br />

trotta les yeux pour s'assurer qu'il ne se<br />

trompait pas. Du Togobala qu'il avait <strong>dans</strong> le<br />

cœur il ne restait même plus la <strong>de</strong>rnière<br />

pestilence <strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier p<strong>et</strong>. Les Soleils :105.<br />

Ex 2: Balla déchargea entre les cornes ct' un<br />

buffle les quatre doigts <strong>de</strong> poudre. Quel fut<br />

l'ébahissement <strong>du</strong> chasseur lorsqu'il vit la bête<br />

foncer sur lui comme si le coup n'avait été<br />

que le p<strong>et</strong> d'une grand-maman. Les Soleils :<br />

128.


189<br />

Après sa sortie <strong>de</strong> prison, Fama a pris la ferme résolution <strong>de</strong> rentrer <strong>dans</strong> son<br />

Horodougou natal sans même chercher à revoir tous ceux qu'il aimait Il en<br />

éprouve quelque regr<strong>et</strong> pour Salimata, mais point pour Mariam<br />

Ex3: Mariam non plus n'aimait pas Fama, ne<br />

souhaiterait pas le revoir. Mais celle-ci ne<br />

valai t pas lin grain <strong>de</strong> regr<strong>et</strong>, une seule<br />

goutte <strong>de</strong> souci. Les Soleils: 193.<br />

Conformément El l'hypothèse <strong>de</strong> la conditionnalité qui désigne l'opération <strong>de</strong> mise<br />

en équation entre un fait <strong>et</strong> les circonstances préalables qui prési<strong>de</strong>nt à sa<br />

léalisatlon, ces énoncés <strong>de</strong> <strong>forme</strong> négative dOivent être enten<strong>du</strong>s au sens <strong>de</strong><br />

negatlons absolues. Ainsi l'énoncé 1 signifie « ... Il ne restait absolument rien »<br />

<strong>et</strong> l'énoncé 3 « On ne <strong>de</strong>vait pas éprouver le moindre regr<strong>et</strong> pour celle-ci »,<br />

Quant à l'exemple 2, sans qu'on puisse lui trouver une signification précise, il faut<br />

en r<strong>et</strong>enir l'esprit qui, lui, est sans équivoque: il tra<strong>du</strong>it simplement que la tentative<br />

<strong>du</strong> chasseur n' a pas eu même le plus p<strong>et</strong>it eff<strong>et</strong> sur la victime présumée L'idée <strong>de</strong><br />

<strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré peut également être suggérée à travers <strong>de</strong>s propositions <strong>de</strong> <strong>forme</strong><br />

positive. avec toujours au centre, c<strong>et</strong>te amplification verbale propre à l'hyperbole,<br />

Certaines sont <strong>de</strong> sens comparatif, d'autres <strong>de</strong> sens plutôt métaphorique,<br />

Précisons toutefois quune telle distinction n'est pas absolue, n'ayant pour but que<br />

<strong>de</strong> simplificatIon C'est que la distinction entre comparaison <strong>et</strong> métaphore, hormis<br />

les marques grammaticales classiques (comme, aussI que, autant) qui perm<strong>et</strong>tent<br />

d'i<strong>de</strong>ntifier n<strong>et</strong>tement la première n'est souvent que superficielle, tant ces figures<br />

sont proches l'une <strong>de</strong> l'autre. Quelques critères sémantique <strong>et</strong> syntaxique ont<br />

toutefOIS été r<strong>et</strong>enus qui peuvent être ré<strong>du</strong>ctibles aux hypothèses suivantes<br />

1- Le postulat Initial est que toute proposition <strong>de</strong> sens comparatif est<br />

décomposable en <strong>de</strong>ux séquences <strong>de</strong> longueur variable. L'une, comprenant<br />

l'échantll est touJours intro<strong>du</strong>ite par co m m e ou par un <strong>de</strong> ses substituts à<br />

i<strong>de</strong>ntifier


190<br />

2 - Nous posons ensuite que, comme, l'opérateur <strong>de</strong> comparaison canonique<br />

<strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te proposition signifie « <strong>de</strong> telle façon / manière » ou « à la manière<br />

<strong>de</strong> ».14 "s'ensuit que son substitut ainsi i<strong>de</strong>ntifié doit pouvoir s'interpréter <strong>de</strong> la<br />

même façon<br />

3 - Ce substitut assure le rapprochement <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux séquences obtenues par<br />

décomposition, la proposition analysée n'apparaissant en définitive que comme le<br />

résultat <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te opération <strong>de</strong> liaison. De là vient que celles <strong>de</strong>s propositions qUI<br />

ne s'accommo<strong>de</strong>nt pas <strong>de</strong> l'opération sont les propositions <strong>de</strong> sens métaphorique,<br />

tout simplement.<br />

/1-2-3-2 Propositions positives<br />

Soit les énoncés suivants, tous tirés <strong>de</strong> Les Soleils<br />

Ex i: (Fama) se dépêChai t encore, marchait au<br />

pas redoublé d'un diarrhéique Les Soleils<br />

9.<br />

Ex 2 : (Fama) était fatigué, bien cassé, aussi<br />

coula-t-il <strong>dans</strong> le sommeil d'une pierre <strong>dans</strong><br />

un bief. Les Soleils: 30.<br />

Ex 3 : Bien<br />

<strong>de</strong> pagne <strong>de</strong><br />

distribué.<br />

sùr (Salimata ) avait <strong>dans</strong> le bout<br />

l'argent qui ne pouvait pas être<br />

Ce serait offrir ses yeux pour<br />

regar<strong>de</strong>r avec sa nuque.Les Soleils: 61.<br />

Ex4: Marabout pour député, ministre, ambassa<strong>de</strong>ur<br />

èt


191<br />

Ex 5 : Le malheur qui courait à la rencontre <strong>de</strong><br />

Salimata <strong>et</strong> <strong>de</strong> son époux, que pouvait-il étre?<br />

Ils avaient la pauvr<strong>et</strong>é, s'étaient<br />

habillés <strong>de</strong> toutes les couleurs <strong>de</strong> la<br />

pauvr<strong>et</strong>é. Les Soleils: 72.<br />

Ex 6 Les aSSlS se levèrent, serrèrent les<br />

mains <strong>de</strong>s arrivants <strong>et</strong> en bons musulmans chacun<br />

s'enquit <strong>de</strong>s nouvelles <strong>de</strong> la famille <strong>de</strong> l'autre,<br />

cela <strong>du</strong>ra le temps <strong>de</strong> faire passer par un<br />

lépreux un fil <strong>dans</strong> le chas d'une<br />

aiguille. Les Soleils: 138.<br />

Ex 7: C<strong>et</strong>te nuit-là (Fama) sombra <strong>dans</strong> le<br />

sommeil d'un homme qui s'est cassé le cou<br />

en tombant. Sans ronfler.Les Soleils : 142.<br />

Appliquons à présent le test précé<strong>de</strong>mment défini en prenant les énoncés<br />

<strong>et</strong> 3 comme représentant respectivement les propositions <strong>de</strong> sens comparatif <strong>et</strong><br />

celles <strong>de</strong> sens métaphorique. Précisons que les séquences mises en relief par<br />

leur caractère typographique sont celles censées être le siège <strong>de</strong> la distinction à<br />

établir. Ce qU'II faut noter au premier chef, c'est le rapport étroit à la vie <strong>de</strong> ces<br />

propositions, le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> réalisme <strong>de</strong>s Images dont elles sont construites. AinsI.<br />

<strong>dans</strong> 1 énoncé 1, l'allure <strong>de</strong> Fama est jugée par rapport à un homme souffrant le<br />

malaise <strong>de</strong> la diarrhée <strong>et</strong> qUI a hâte <strong>de</strong> trouver un espace discr<strong>et</strong> pour se soulager.<br />

C'est que, pour Fama, arriver parmi les tout premiers aux cérémonies funéraires<br />

est plus qu'une simple obligation humanitaire ou sociale, c'est presqu'une<br />

nécessité vitale. En eff<strong>et</strong>, <strong>dans</strong> la mesure où l'argent qu'on y distribue constitue<br />

pour partie ses moyens d'existence, être <strong>de</strong> bonne heure à ces cérémonies est<br />

absolument capital Or ce Jour-là, il accusait <strong>du</strong> r<strong>et</strong>ard sur les obsèques <strong>de</strong> Koné<br />

Ibrahlma, ce qUI était lOin d'être une garantie <strong>de</strong> prospérité car Il serait lesé <strong>dans</strong><br />

le partage <strong>de</strong>s butins. Cela explique pourquoi il avait tout intérêt à y aller au plus<br />

vite, a ia manière d'un homme atteint <strong>de</strong> diarrhée. L'énoncé peut se décomposer


comme SUIt: 15<br />

192<br />

Ex1- al - Un diarrhéique marche <strong>de</strong> telle façon / manière<br />

Ex1- b ) - Fama( .. ) marchait<br />

façon<br />

.. à la manière d'un diarrhéique ou <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te même manière/<br />

... comme un diarrhéique<br />

La préposition <strong>de</strong> qui intro<strong>du</strong>it le complément déterminatif est le siège <strong>du</strong><br />

rapprochement <strong>de</strong>s actions exprimées par les séquences (a) <strong>et</strong> (b). Des<br />

contraintes <strong>de</strong> la combinatoire syntaxique <strong>et</strong> sémantique justifient par la suite qu'à<br />

la coordination <strong>de</strong>s séquences, l'explicitation <strong>du</strong> rapprochement sOit mise sous<br />

ellipse Il s'ensuit que <strong>de</strong> a la valeur d'un substitut <strong>de</strong> comme <strong>dans</strong> la mesure où<br />

il opère une comparaison entre les <strong>de</strong>ux faits: la démarche <strong>de</strong> Fama d'un côté, <strong>et</strong><br />

1allure <strong>du</strong>n diarrhéique <strong>de</strong> l'autre Sur un modèle I<strong>de</strong>ntique sont construits les<br />

énoncés 2 <strong>et</strong> 7 Ils présentent en outre une richesse d'un intérêt tout particulier.<br />

Avec [énoncé 2 en eff<strong>et</strong>, nous r<strong>et</strong>rouvons l'une <strong>de</strong>s modalités figuratives favorites<br />

<strong>de</strong> l'auteur, à savoir. l'anthropomorphisme si présent <strong>dans</strong> la littérature orale. C'est<br />

la personnification. AinSI, pour dire que Fama dormait d'un profond sommeil (le<br />

caractère habituel <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> eût sans doute laissé indifférent), l'auteur attire<br />

l'attention sur l'excellence <strong>de</strong> la qualité <strong>du</strong> sommeil en le comparant à celui<br />

«d'une pierre <strong>dans</strong> un bief » D'un double pOint <strong>de</strong> vue grammatical <strong>et</strong><br />

sé ma ntlq ue, pierre n'est pas seulement l'échantil: il est surtout l'élément<br />

archétYPlque, le modèle en matière <strong>de</strong> qualité <strong>de</strong> sommeil. Et le fait précisément<br />

quune pierre qUI gît au fond <strong>de</strong> l'eau, sans vie <strong>et</strong> incapable naturellement <strong>du</strong><br />

Illolf1dre mouvement par elle-même SOit l'obj<strong>et</strong> d'un transfert d'attribut humain,<br />

cree en définitive l'expressivité <strong>de</strong> la comparaison. L'auteur veut simplement<br />

laisser entendre que rien ni personne n'aurait pu interrompre le sommeil <strong>de</strong> Fama,<br />

le perturber. tellement il dormait bien, profondément. C'est une interprétation<br />

similaire qUI dOit être faite <strong>de</strong> l'énoncé 7. On soulignera simplement ICI l'apparente<br />

contradiction que revêt l'énoncé à travers la relative déterminative. En eff<strong>et</strong>, la


193<br />

logique eût certainement voulu qu'après une fracture <strong>du</strong> cou consécutive à une<br />

chute. ia victime éprouvât que/que difficulté à trouver le sommeil à cause <strong>de</strong> la<br />

douleur. Au contraire, Fama dormait plutôt <strong>du</strong> profond sommeil « d'un homme<br />

qUI s'est cassé le cou en tombant. Sans ronfler ». On r<strong>et</strong>rouve là, l'illogisme<br />

chronloue <strong>de</strong>s expressions hyperboliques. En ce qui concerne l'énoncé 3<br />

représentant les propositions <strong>de</strong> sens métaphorique, il va sans dire que la<br />

séquence soulignée, « Ce serait offrir ses yeux pour regar<strong>de</strong>r avec sa nuque »<br />

ne peut <strong>forme</strong>llement supporter le test linguistique. Il n'y a en eff<strong>et</strong> aucun terme<br />

qUI Intro<strong>du</strong>ise une idée <strong>de</strong> comparaison <strong>et</strong> qui perm<strong>et</strong>te, après son I<strong>de</strong>ntification.<br />

d'opérer le découpage séquentiel <strong>et</strong> le <strong>fonction</strong>nement <strong>du</strong> test Il nous semble par<br />

conséquent nappe/er <strong>de</strong> commentaire que sémantique. Nous dirons ainSI que<br />

l'énoncé 3 condamne par anticipation, l'extrême stupidité <strong>de</strong> l'acte <strong>de</strong> générosité<br />

éventuelle <strong>de</strong> Salimata en faveur <strong>de</strong>s néceSSiteux <strong>de</strong> toute nature qui<br />

l'assaillaient FaIre don <strong>de</strong> sa rec<strong>et</strong>te <strong>du</strong> jour laborieusement gagnée serait faire<br />

preuve d'une InconSCience <strong>et</strong> d'une StUpidité inqualifiables puisque la nature n' a<br />

pas assigné à la nuque, la <strong>fonction</strong> visuelle réservée aux yeux. Offrir ses yeux<br />

pour regar<strong>de</strong>r avec la nuque étant déjà naturellement absolument Impossible,<br />

cela Signifie en définitive que pour rien au mon<strong>de</strong>, Salimata ne se séparerait <strong>du</strong><br />

frUit a un <strong>du</strong>r labeur. Dans c<strong>et</strong>te logIque, les énoncés 4, 5 <strong>et</strong> 6 <strong>de</strong> sens<br />

métaphorique expriment implicitement respectivement, l'idée d'une extrême<br />

richesse, d'une extrême pauvr<strong>et</strong>é <strong>et</strong> d'une <strong>du</strong>rée infinie. Quelle que soit leur<br />

<strong>forme</strong> négative ou positive, les propositions à <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré implicite tirent leur<br />

énergie hyperbolique <strong>dans</strong> la construction d'images au pouvoir toujours SI<br />

évocateur que l'esprit en saisit sans difficulté leur valeur d'intensification AinSI,<br />

1énoncé 4 révèle-t-i/ un trait <strong>de</strong> la culture africaine en matière <strong>de</strong> vêtement Les<br />

pagnes sont en eff<strong>et</strong> en Afrique, le pendant <strong>de</strong>s tissus en Europe Le fait<br />

matériellement possible sans doute mais raisonnablement Irréalisable <strong>de</strong> pouvoir<br />

se confectionner <strong>de</strong>s vêtements tout <strong>de</strong> bill<strong>et</strong>s <strong>de</strong> banque, passe pour être<br />

lindicateur d'une immense fortune. Quant à l'énoncé 5, Il exprime


198<br />

plein jour la lune apparaissait. On ne<br />

réussissait pas à dormir la nuit, <strong>et</strong> toute la<br />

journée on titubait, ivre <strong>de</strong> sommeil. Les<br />

Soleils: 166.<br />

A l'image <strong>de</strong>s procédés antérieurs, la <strong>forme</strong> est ici également le premier indice<br />

d'évaluation <strong>de</strong> l'expressivité <strong>du</strong> contenu. Ainsi existe-t-il une marge affective<br />

notable <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée d'un certain ravissement moral, d'un bonheur<br />

entre être content <strong>et</strong> ivre <strong>de</strong> joie. En eff<strong>et</strong>, autant la première <strong>forme</strong> laisse une<br />

certaine imprécision quant au <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> joie éprouvée, autant la <strong>de</strong>uxième n'offre<br />

<strong>de</strong> possibilité <strong>de</strong> compréhension que celle qui situe la joie au niveau paroxystique<br />

<strong>de</strong> sa réalisation <strong>et</strong> <strong>dans</strong> toute sa plénitu<strong>de</strong>. L'avènement <strong>de</strong> Béma au pouvoir<br />

apparal[ à ceux <strong>de</strong> Soba comme une flagrante usurpation. " en découle une<br />

fébrilité <strong>du</strong> pouvoir qUI vacille Aussi l'arrivée <strong>de</strong>s tirailleurs est-elle plus que<br />

salutaire pour Béma, car ils lui perm<strong>et</strong>tront d'asseoir son autorité:<br />

Ex 8 : La présence <strong>de</strong>s tirailleurs balafrés le<br />

comblai t <strong>de</strong> joie. Elle apprenait aux insoumis<br />

que l'amusement avec la queue <strong>du</strong> fauve <strong>de</strong>vait<br />

cesser( ... ). Monné: 260.<br />

Quelques-unes <strong>de</strong> ces <strong>forme</strong>s verbales se constrUisent nécessairement avec la<br />

copule être, <strong>et</strong> l'ensemble constitue une unité sémantique complète<br />

11-2-4-1-3 Construites avec être<br />

Oans le premier extrait la <strong>forme</strong> verbale est une vanante <strong>de</strong> être tout<br />

ouïe. Par c<strong>et</strong>te <strong>forme</strong>, on veut entendre que l'attention auditive est entièrement<br />

captée <strong>et</strong> Intéressée par ce qUI se dit, toute entière à l'écoute d'un sUj<strong>et</strong> parlant<br />

HormiS le défaut d'esthétique phonique (être tout ouïe nous est agréable, plus<br />

harmonieux phonétiquement qu'être tout oreilles), la variante est aussi


expressive .<br />

199<br />

Ex 1 Brusquement, ( l'interprète) commanda<br />

qu'on l'écoutât (nous étions déjà, tout<br />

oreilles) <strong>et</strong> <strong>dans</strong> une attitu<strong>de</strong> sermonnaire, se<br />

mit à regar<strong>de</strong>r tour à tour le ciel <strong>et</strong> la terre.<br />

Monnè : 55.<br />

Contrairement à c<strong>et</strong>te <strong>forme</strong> verbale qui laisse quelque marge <strong>de</strong> variabilité,<br />

certaines unités sémantiques sont <strong>de</strong> véritables locutions figées prêtes à être<br />

employées sans modification. Parmi ces locutions, figure c'est tout réfléchi<br />

Celle-ci se veut <strong>l'expression</strong> d'une résolution Irrévocable par rapport à une<br />

situation donnée Mais c<strong>et</strong>te locution apparaît souvent bien plus spontanément<br />

<strong>dans</strong> le discours qu'elle ne veut le faire croire. Elle ne tra<strong>du</strong>it pas toujours<br />

iaboutlssement inéluctable d'une réflexion préalable. Le commandant qui a<br />

promis la construction d'une voie ferroviaire tente <strong>de</strong> persua<strong>de</strong>r le rOI DJigui <strong>de</strong><br />

renoncer à vouloir abriter la gare <strong>de</strong>s chemins <strong>de</strong> fer non loin <strong>de</strong> la cour royale.<br />

Mais le patriarche voit les choses sous un angle dIfférent:<br />

Ex 2 : Un vacarme pour l' honneur ne pourrait<br />

fatiguer un homme d'honneur. Je veux ma gare <strong>et</strong><br />

mon train à ma porte. C'est tout réfléchi. On<br />

ne craint pas la nuisance quand on se porte<br />

acquéreur d'un panier <strong>de</strong> grelots. Monnè : 75.<br />

Le rOI semble avoir priS sa décision en toute connaissance <strong>de</strong> cause, ce que<br />

confirme le proverbe énoncé. Mais la réalité est toute autre car le patriarche n'a<br />

encore jamais fait l'expérience <strong>du</strong> branle-bas infernal d'une gare ferroviaire. Sa<br />

ferm<strong>et</strong>é <strong>et</strong> son obstination ne peuvent donc être motivées que par une certaine<br />

mégalomanie <strong>et</strong> une fierté à être le premier chef noir à disposer d'une telle<br />

Infrastructure <strong>de</strong> communication. Il ne s'agit pas là, par conséquent, d'une<br />

décision a posteriori. Le passage suivant rappelle quant à lui, quelques extraits


200<br />

déjà cites où l'idée <strong>de</strong> « paroxysme » sous-tendait <strong>l'expression</strong> intensive:<br />

Ex 3 Quand le pouvolr <strong>de</strong> Dj igui était au<br />

z è nit h , :-; 0 1\ F' " d 0 \ 1d Il \1 .1 V t.' nait cl e If\ 0 U C 1. r<br />

pouvait; il pouvait par temps menaçant affirmer<br />

que le ciel était serein sans que personne <strong>de</strong> ce<br />

coté <strong>du</strong> fleuve osât désigner <strong>du</strong> doigt les nuages<br />

encombrant l'horizon. Monnè : 197.<br />

De l'invariabilité <strong>forme</strong>lle soulignée précé<strong>de</strong>mment, doit être rappochée la<br />

locution suivante que sous-entend l'idée d'« entièr<strong>et</strong>é » :<br />

Ex 4: Le messager exorcisé, guidé par <strong>de</strong>s<br />

esclaves arriva au Bolloda habillé <strong>de</strong> neuf <strong>de</strong><br />

pied en cap( ... ).Monnè : 18.<br />

Au niveau syntaxique, c<strong>et</strong>te locution s'emploie toujours avec la copule être, que<br />

celle-Ci SOit en ellipse (c'est le cas pour le passage ci-<strong>de</strong>ssus) ou pas. En réalité,<br />

la locution prépositive « <strong>de</strong> pied en cap » est complément <strong>de</strong> la <strong>forme</strong> verbale<br />

« être habillé <strong>de</strong> neuf »<strong>et</strong> s'adapte par conséquent à sa syntaxe. L'ensemble<br />

signifie « être entièrement habillé <strong>de</strong> neuf » <strong>et</strong> il est facile d'établir l'équation<br />

sémantique: <strong>de</strong> pied en cap =entièrement/complètement. D'autres <strong>forme</strong>s<br />

ver baies fJlOclleS <strong>du</strong> fJarler tamiller rnallnké dont elles sont probablement <strong>de</strong>s<br />

tra<strong>du</strong>ctions, doivent être également soulignées <strong>dans</strong> la mesure où elles sont<br />

styllstiquement porteuses Elles sont <strong>de</strong>s variantes <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> bien connue<br />

en avoir assez. Selon le contexte, <strong>l'expression</strong> peut avoir une valeur positive ou<br />

négative. Dans le premier cas, la locution verbale marque une satisfaction Dans<br />

le second au contraire, elle tra<strong>du</strong>it une profon<strong>de</strong> exaspération, l'explosion d'une<br />

patience à bout, suite au franchissement <strong>du</strong> seuil <strong>du</strong> tolérable C'est <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />

<strong>de</strong>uxième valeur que sont employées les variantes. Le prince Fama <strong>de</strong>venu<br />

«vautour » <strong>et</strong> qUI vit <strong>de</strong>s prében<strong>de</strong>s distribuées lors <strong>de</strong>s cérémonies funéraires,<br />

a l'art <strong>de</strong> se m<strong>et</strong>tre à dos tous ses coreligionnaires. Evi<strong>de</strong>mment cela finit par


provoquer quelque ressentiment:<br />

201<br />

Ex 1: Pourtant, pouvait-il l'ignorer? Les gens<br />

étaient fatigués, ils avaient les nez pleins<br />

<strong>de</strong> toutes les exhibitions, tous les palabres ni<br />

noirs ni blancs <strong>de</strong> Fama à l'occasion <strong>de</strong> toutes<br />

le.s réunions. Les Soleils: 13.<br />

Ex 2: Toujours Fama, toujours <strong>de</strong>s parts<br />

insuffisantes, toujours quelque chose! Les gens<br />

en étaient rassasiés. Les Soleils: 13.<br />

Ex 3 : Avec les Indépendances, le parti unique,<br />

le comité <strong>et</strong> tous les autres, on avait vanné les<br />

Malinkés à leur coller <strong>de</strong>s vertiges. Ils en<br />

avaient plein la gorge <strong>et</strong> le nez. Les<br />

Soleils : 136.<br />

L expression <strong>du</strong> sentiment <strong>de</strong> lassitu<strong>de</strong> agacee, par <strong>de</strong>s termes qui ne<br />

désignent pas les parties dites nobles <strong>du</strong> corps, à savoir le nez <strong>et</strong> la gorge mérite<br />

attention C'est l'explosion spontanée <strong>de</strong> ressentiment <strong>de</strong> personnes dont la<br />

patience, maintes fois mise à ru<strong>de</strong> épreuve, a finalement succombé aux assauts<br />

répétés <strong>de</strong> certaines Incon<strong>du</strong>ites sociales. En proie à c<strong>et</strong> agacement coléreux<br />

<strong>dans</strong> un milieu traditionnel cosmopolite, circonstantiellement homogène (les<br />

barrières dressées par la hiérarcrlie sociale paraissent s'effondrer à l'occasion<br />

<strong>de</strong>s obsèques), le suj<strong>et</strong> parlant ne se formalise guère <strong>de</strong> préciosité Au contraire.<br />

l\J'ayant cure <strong>de</strong>s règles coercitives <strong>de</strong> la bienséance langagière, Il emploie <strong>de</strong>s<br />

termes dont la ver<strong>de</strong>ur est tout à fait symptomatique <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong>s sentiments<br />

éprouvés En eff<strong>et</strong>, voudrait-on se montrer courtois <strong>dans</strong> ces cas que, bien<br />

souvellt on ne le pourrait pas, tellement la force <strong>de</strong> l'affectivité paraît se décupler<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong>Vient irrésistible, indomptable De là vient qu'on s'exprime sans ambages en<br />

employant <strong>de</strong>s termes directs qui sont le fidèle refl<strong>et</strong> <strong>de</strong> notre état d'âme <strong>du</strong>


202<br />

moment. A ce titre, le nez <strong>et</strong> la gorge <strong>dans</strong> les passages précités revêtent une<br />

valeur métapllonque remarquable Ils désignent d'abord <strong>de</strong>ux organes essentiels<br />

assumant <strong>de</strong>s rôles vitaux chez l'être humain. L'un est préposé à la <strong>fonction</strong><br />

respiratoire, l'autre à la <strong>fonction</strong> nutritionnelle. Avoir le nez <strong>et</strong> la gorge obstrués,<br />

« pleins », c'est gêner le bon <strong>fonction</strong>nement <strong>de</strong> la faculté respiratoire <strong>et</strong><br />

d'ingurgItation. Dans ces conditions, ce n'est pas exagérer <strong>de</strong> dire que<br />

physiquement, ce dys<strong>fonction</strong>nement fait peser un certain péril sur la vie.<br />

Métaphoriquement, cela signifie qu'on en a assez d'une chose <strong>dans</strong> le sens<br />

dépréciatif évoqué antérieurement. Ces expressions peuvent sembler familières,<br />

même quelque peu relâchées, elles n'en paraissent pas moins riches<br />

stylistiquement, car ce qu'elles per<strong>de</strong>nt en niveau <strong>de</strong> langue, elles le compensent<br />

avantageusement en expressivité <strong>et</strong> en affectivité. Nous venons <strong>de</strong> le montrer à<br />

travers c<strong>et</strong>te métaphore <strong>de</strong> l'asphyxie. Terminons par l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> quelques<br />

syntagmes qui ont ceci <strong>de</strong> particulier qu'ils sont plus porteurs <strong>dans</strong> l'idée intensive<br />

qu'ils nen donnent l'air Formellement, ils se composent <strong>de</strong> l'adverbe rien<br />

substantivé que SLilt un complément amené par la préposition <strong>de</strong>.<br />

11-2-4 -2 Rien + <strong>de</strong> + substantif<br />

D'un pOint <strong>de</strong> vue sémantique, rien <strong>et</strong> son complément renvoient au<br />

mécanisme <strong>de</strong> <strong>fonction</strong>nement <strong>de</strong> l'hyperbole tel que nous en avons débattu<br />

précé<strong>de</strong>mment. Rappelons simplement que c<strong>et</strong>te figure a la faculté <strong>de</strong> décupler la<br />

valeur réelle <strong>de</strong>s choses au moyen d'une inflation verbale. Mais il eXiste<br />

également une <strong>forme</strong> d'hyperbole par atténuation qui, alors même qu'elle<br />

présente la chose évoquée <strong>dans</strong> sa plus faible manifestation, la signale<br />

paradoxalement com me se situant à un <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. C<strong>et</strong>te <strong>forme</strong> <strong>de</strong>vient ainsi un<br />

procédé suggestif d'intensité dont le sens est proche <strong>de</strong> très Itout p<strong>et</strong>it SUIVI<br />

d'un substantif Les troupes françaises qUi ont vamcu Soba sans coup férir<br />

viennent <strong>de</strong> s'établir <strong>dans</strong> le royaume. 1mpuissant. le roi Djigui fait mine <strong>de</strong>


203<br />

banaliser la portée <strong>du</strong> revers politique <strong>et</strong> militaire qu'il vient d'essuyer.<br />

Ex1 : Les nazaréens n'occupaient que ce rien <strong>de</strong><br />

son univers, une insignifiante parcelle <strong>de</strong> son<br />

ciel, portion d'ailleurs maudite( ... ).Monné :76<br />

Bernier, ex-instituteur à Soba renvoyé à la métropole <strong>de</strong> force est <strong>de</strong> r<strong>et</strong>our, c<strong>et</strong>te<br />

fois en qualité <strong>de</strong> commandant. L'interprète Soumaré a tenté sans succès <strong>de</strong><br />

rappeler Bernier aux souvenirs <strong>du</strong> roi Djigui. Quelque peu dépité, il confie par la<br />

voix <strong>du</strong> narrateur.<br />

Ex 2 : Bernier était l'instituteur blanc qui, à<br />

l'époque, s'était enfui avec la femme <strong>du</strong><br />

commandant Journaud. Djigui, avec un rien<br />

d'effort, pouvait se souvenlr <strong>de</strong>s cachotteries<br />

<strong>et</strong> <strong>de</strong> la fugue <strong>de</strong> Mme Journaud. Monné: 117.<br />

Notons enfin que rien peut être précédé <strong>de</strong> certains actualisateurs tels les<br />

indéfinis quelque, un, le démonstratif ce mais presque Jamais par l'article défini.<br />

L'un <strong>de</strong>s rares emplois <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier auprès <strong>de</strong> rien, c'est lorsque celui-ci est<br />

précédé d'une épithète Dans l'exemple à venir, le démonstratif pourrait bien être<br />

remplacé par l'article défini<br />

Ex: Les Jours étaient sans vent, sans voix, sauf<br />

<strong>de</strong> lointain en lointain, ces éphémères <strong>et</strong><br />

riens <strong>de</strong> tourbillons <strong>de</strong> poussière( ... ). Les<br />

Soleils :202.<br />

Ce passage achève l'étu<strong>de</strong> sur la valeur intensive <strong>de</strong> la caractérisation<br />

complexe, ce qui nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> tirer une conclusion


Conclusion<br />

204<br />

La caractérisation complexe atteste la diversité <strong>de</strong>s modalités <strong>du</strong> <strong>haut</strong><br />

<strong>de</strong>gré. Les problèmes d'interprétation <strong>et</strong> les divergences entre grammairiens sur<br />

!a question <strong>de</strong> la primauté <strong>de</strong>s nuances, notamment avec à+inf. sont autant <strong>de</strong><br />

preuves <strong>de</strong> la part <strong>de</strong> subjectivité quasi om ni présente <strong>dans</strong> une approche<br />

semantique comme la nôtre. La constante hyperbolique, notable <strong>dans</strong> la plupart<br />

<strong>de</strong> ces procédés <strong>et</strong> surtout avec à + inf., le ton oraliste d'un humour tantôt<br />

satirique, tantôt guiller<strong>et</strong> mais touJours d'une simplicité <strong>et</strong> d'une familiarité<br />

exaltantes, participent étroitement à l'originalité <strong>de</strong> Kourouma <strong>dans</strong> l'exploitation<br />

<strong>de</strong> la littérature orale. La construction d'images illogiques <strong>et</strong> les comparaisons<br />

, Irréalistes confère au style, truculence <strong>et</strong> saveur inatten<strong>du</strong>es. Mais l'innovation ICI<br />

Vient surtout <strong>du</strong> mécanisme d'expressivité par lequel <strong>de</strong>s propositions en<br />

apparence ordinaires, accè<strong>de</strong>nt au rang <strong>de</strong>s modalités intensives. Qu'elles soient<br />

<strong>de</strong> <strong>forme</strong> négative ou positive, ces propositions sont presque toujours empreintes<br />

d'un réalisme anthropologique qui crée le terme exponentiel d'intensité. Tel est le<br />

cas par exemple <strong>de</strong> la noix <strong>de</strong> cola qui <strong>de</strong>vient IJne norme référentielle à<br />

connotation péJorative. Le chapitre sUivant qui se consacre aux énoncés<br />

comparatifs <strong>dans</strong> leur valeur Intensive étudie plus à fond le mécanisme<br />

aexpresslvité intensive <strong>de</strong> la comparaison.


205<br />

Î - La terminologie varie parfois à propos <strong>de</strong>s subordonnées consécutives selon<br />

les grammairiens Ainsi G. Le Bidois <strong>dans</strong> son ouvrage cité ci-après préfère-t-il<br />

l'appellation <strong>de</strong> subordonnée « conséquentielle ».<br />

2 - G. Le Bidois. Syntaxe <strong>du</strong> français mo<strong>de</strong>rne. A. Picard, 1967, p 485, vol.ll<br />

3-Ch. Berthelon. L'Expression <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré en français contemporain:<br />

essai <strong>de</strong> syntaxe affective. Thèse, 1956, p 120<br />

4 - G. Le Bidois. op. cit P 481.<br />

5 - I<strong>de</strong>m, p 482.<br />

6 - Kr. Sandfeld Syntaxe <strong>du</strong> français contemporain. Oroz, 1965, p 250, vol.lll<br />

7-La structure à + inf. peut avoir d'autres valeurs, comme par exemple la valeur<br />

d'incitation <strong>dans</strong> un énoncé tel que « C'est un spectacle à voir absolument »<br />

8 - Le calcul <strong>de</strong>s exemples est Simple. Excepté 1énoncé 5 <strong>de</strong> la page 25. la quasI<br />

totalité <strong>de</strong>s exemples proposés sont <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> conséquences impossibles.<br />

9 - Plusieurs termes passent pour être <strong>de</strong>s synonymes d'hyperbole. Ce sont:<br />

Exagération avec Ch. Bally. Traité <strong>de</strong> stylistique française Klincksleck, 1929,<br />

p 295. vol. 1. <strong>et</strong> Auxèse avec H Suhamy Les Figures <strong>de</strong> style. Presses<br />

Universitaires <strong>de</strong> France, 1981, P 102.<br />

10 - B Dupnez. Les Procédés littéraires. Coll. 10/18, 1980, P 238.<br />

11 - I<strong>de</strong>m


206<br />

12- J. Mazaleyrat & G. Molinié. Vocabulaire <strong>de</strong> la stylistique. Presses<br />

UniverSitaires <strong>de</strong> France, 1989, p 170.<br />

13 - Ch. Bally. Le langage <strong>et</strong> la vie. Droz, 1965, p 19.<br />

14 - Notre démarche s'inspire ici <strong>de</strong> celle <strong>de</strong> M. Delabre <strong>dans</strong> son article sur<br />

«Les <strong>de</strong>ux types <strong>de</strong> comparaison avec comme» paru <strong>dans</strong> la revue Le<br />

français mo<strong>de</strong>rne, 5è année, avril 1984, n° 112.<br />

15 - Nous ém<strong>et</strong>tons l'hypothèse que la séquence-source <strong>de</strong> rapprochement<br />

exprime toujours un fait établi ou supposé tel. Aussi avons-nous r<strong>et</strong>enu le présent<br />

<strong>de</strong> 1 indicatif comme temps "standard" <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa valeur intemporelle.


CH.3<br />

Intro<strong>du</strong>ction<br />

207<br />

LA CARACTERISATION INTENSIVE PAR LES ENONCES<br />

COMPARATIFS<br />

Le but <strong>de</strong> ce chapitre est <strong>de</strong> décrire le mécanisme <strong>de</strong> la comparaison<br />

intensive Notons toutefois que le concept <strong>de</strong> comparaison ne réunit pas toujours<br />

1accord <strong>de</strong>s rhétoriciens. Il existe en eff<strong>et</strong> une divergence théorique qui se tra<strong>du</strong>it<br />

par une querelle <strong>de</strong> terminologie. A ce titre. l'Insurrection conceptuelle <strong>de</strong> M. Le<br />

Guern1 contre l'acception généralement admise <strong>de</strong> la comparaison mérite d'être<br />

soulignée. Selon lui en eff<strong>et</strong>, le phénomène linguistique qu'on prête d'ordinaire à<br />

la comparaison ne convient guère à celle-ci. Pour être fidèle à sa pensée, nous<br />

<strong>de</strong>vons dire que d'après lui, le terme générique <strong>de</strong> comparaison est générateur <strong>de</strong><br />

confus/on Aussi propose-t-il similitu<strong>de</strong> en lieu <strong>et</strong> place <strong>de</strong> comparaison. Et pour<br />

rétablir c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière <strong>dans</strong> sa réalité linguistique, il distingue entre comparatio <strong>et</strong><br />

similitu<strong>de</strong> Ainsi <strong>dans</strong> les énoncés que nous proposons plus loin, (a) illustrerait<br />

comparatio <strong>et</strong> (b) similitu<strong>de</strong>. Notons tout <strong>de</strong> suite que pour ce qui nous concerne,<br />

c<strong>et</strong>te querelle terminologique présente peu d'intérêt. Les développements <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong>scriptions antérieurs <strong>et</strong> à venir précisent <strong>du</strong> reste clairement notre parti sur la<br />

question. Ce quil faut souligner en revanche. c'est le mécanisme sémantique <strong>de</strong><br />

la structure <strong>forme</strong>lle <strong>de</strong>s énoncés comparatifs <strong>dans</strong> leur rapport avec <strong>l'expression</strong><br />

<strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. En outre, comme pour les chapitres précé<strong>de</strong>nts, les questions <strong>de</strong><br />

grammaire <strong>et</strong> <strong>de</strong> stylistique que soulève ce procédé multi<strong>forme</strong> sont également<br />

abordées selon les spécificités morphosyntaxiques <strong>de</strong> chaque morphème <strong>de</strong><br />

comparaison


209<br />

l'énoncé Nous avons montré, d'après l'hypothèse <strong>de</strong> départ, que sous certaines<br />

conditions, <strong>de</strong>s énoncés <strong>de</strong> sens intensifs peuvent être scindés en <strong>de</strong>ux<br />

séquences <strong>de</strong> longueur variable. Nous avons également décrit l'hypothèse<br />

principale elle-même comme étant fondée sur le principe d'inclusion sémantique.<br />

Ainsi, une <strong>de</strong>scription au <strong>de</strong>uxième niveau <strong>de</strong> (b) donne-t-elle le découpage<br />

séquentiel sUivant:<br />

2 - ( b ) - Landry est bavard comme une pie<br />

S A<br />

Formellement, on peut distinguer les séquences suivantes: d'un côté, le<br />

support (S) composé <strong>de</strong> l'élément C que caractérise a <strong>et</strong> qui se situe à gauche <strong>du</strong><br />

morphème comme; <strong>de</strong> l'autre, l'apport (A) comprenant comme <strong>et</strong> j'élément<br />

échantil D, son complément. De fait, c'est c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>uxième séquence qui possè<strong>de</strong><br />

une valeur intensive car elle est porteuse <strong>de</strong> toute la charge culturelle par laquelle<br />

sexplique le mécanisme sémantique <strong>du</strong> procédé. La définition qUI suit perm<strong>et</strong>tra<br />

<strong>de</strong> préciser notre pensée sur la question. Une personne, un obj<strong>et</strong>,.. peut passer<br />

<strong>dans</strong> la conscience collective comme possédant à un <strong>de</strong>gré éminent, une qualité<br />

quelconque au point d'être notoirement considéré comme le représentant<br />

canonique <strong>de</strong> la dite qualité. On peut ainsi valoriser une autre personne, un autre<br />

obj<strong>et</strong> censé possé<strong>de</strong>r la qualité en question au moins à un <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> parfaite<br />

égalité avec le représentant connu <strong>de</strong> la qualité. Le rapprochement prend alors la<br />

valeur d'un procédé intensif qui a précisément pour siège la séquence A, celle<br />

avec le morphème <strong>et</strong> l'échantil. En réalité, l'attribut commun qUI fait l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

rapprochement entre l'échantil (l'être, l'obj<strong>et</strong> exemplaire) <strong>et</strong> l'élément C, son<br />

comparé. n'est jamais équitablement partagé <strong>et</strong> cela se justifie En eff<strong>et</strong>, l'échantll,<br />

c<strong>et</strong> élément-étalon passe pour être un modèle inégalable <strong>dans</strong> la possession <strong>de</strong><br />

Ia.ttribut envisagé Ainsi l'opération d'analogie <strong>de</strong>vient-elle par ce fait même une<br />

pure hyperbole En outre, la séquence IIltensive, ou plus exactement le terme<br />

ayant valeur <strong>de</strong> modèle étant presque toujours Immuable. ancré qu'il est <strong>dans</strong> la


210<br />

conscience collective com me non surclassable, Il s'ensuit inévitablement une<br />

fixation <strong>de</strong> l'attribut par rapport au modèle. Ainsi s'explique le clichage<br />

d'expressions telles que « Fier comme Artaban », «Riche comme Crèsus ».<br />

<strong>de</strong>venues aujourd'hui <strong>de</strong> simples tournures intensives. C'est ce type <strong>de</strong> formules<br />

dont nous allons bientôt vOir l'exploitation qu'en fait A. Kourouma. Mais avant,<br />

IlOUS <strong>de</strong>vons donner sUite à une interrogation possible que peut susciter la<br />

<strong>de</strong>scription <strong>du</strong> mécanisme <strong>de</strong> la comparaison intensive que nous venons <strong>de</strong><br />

proposer. En eff<strong>et</strong>, la co'mparaison intensive <strong>et</strong> son antonyme circonstanciel, celle<br />

que nous avons qualifiée d'ordinaire parce qu'étant non intensive. sont<br />

<strong>forme</strong>llement i<strong>de</strong>ntiques. Supposons, pour les besoins <strong>de</strong> la démonstration que le<br />

morphème comme ( ou son substitut) <strong>et</strong> l'échantil, son complément. soient<br />

Interprétables en très + adj. selon la théorie <strong>de</strong> l'inclusion sémantique. Précisons<br />

que 1adJectif auquel s'applique très est celui-là même qui motive l'analogie.<br />

AinSI. a priori, )es énoncés ( a) <strong>et</strong> ( b ) peuvent-ils être paraphrasés comme suit:<br />

l a )- Jonathan est fort comme son père. ( a' )- Jonathan est très fort"<br />

l b )- Landry est bavard comme une pie. (b')- Landry est très bavard<br />

Formellement par conséquent, rien ne justifie à première vue la<br />

distinction entre comparaison intensive <strong>et</strong> comparaison ordinaire que nous<br />

établissons. Pourtant ( a ) <strong>et</strong> ( b ) n'ont pas la même valeur. Comment expliquer<br />

c<strong>et</strong>te différence? Pour justifier la validité <strong>de</strong> la distinction, nous ém<strong>et</strong>trons le<br />

postulat suivant. Pour que la <strong>de</strong>scription d'un énoncé comparatif en modalité<br />

intensive SOit recevable, l'échantll dOit possé<strong>de</strong>r une valeur <strong>de</strong> modèle<br />

notoirement établie <strong>dans</strong> la qualité sur laquelle se fon<strong>de</strong> l'analogie. Ainsi, la<br />

résultante ( a' ) ne peut-elle être considérée comme un procédé intensif que si la<br />

force ou la pUissance <strong>du</strong> père <strong>de</strong> Jonathan est d'une exemplarité absolument<br />

irréfutable, <strong>et</strong> qu'elle constitue <strong>de</strong> la sorte, une référence commune. Ce qui est<br />

discutable. sauf peut-être si on tient compte <strong>de</strong> la situation particulière <strong>de</strong><br />

communication. En revanche, <strong>dans</strong> la culture linguistique française <strong>et</strong> même<br />

francoohone. la valeur <strong>de</strong> modèle <strong>de</strong> « prolixité » <strong>de</strong> la pie est supposée


212<br />

européen d'administrateur ( ... ) remuant <strong>et</strong> impoli<br />

comme la barbiche d'un bouc commandait le<br />

Horodougou. Les Soleils: 21.<br />

Au len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l'indépendance <strong>de</strong> son pays, la déception le disputait au<br />

désespoIr chez Fama face à l'oubli dont il a été victime <strong>dans</strong> le partage <strong>de</strong>s postes<br />

<strong>de</strong> responsabilité. C'est que le prince qui s'est investi sans compter <strong>dans</strong> la lutte<br />

anticolonialiste ne <strong>de</strong>mandait rien qu'il n'eût pu obtenir,<br />

Ex 2: Fama <strong>de</strong>meurant analphabète comme la queue<br />

d'un âne. Les Soleils 23.<br />

Ex 3. (Les mendiants envahisseurs) turent leurs<br />

chuchotements <strong>et</strong> silencieux comme <strong>de</strong>s pierres<br />

présentèrent leurs mains, leurs infirmités! ... ).<br />

Les Soleils: 62.<br />

L'anthropocentrisme <strong>de</strong>s énoncés ci-<strong>de</strong>ssus apporte une modification <strong>de</strong>s<br />

valeurs par ces rapprochements on ne peut plus Insolites Grâce à eux, les<br />

animaux <strong>et</strong> les obj<strong>et</strong>s se vOient dotés d'attributs qui sont naturellement l'apanage<br />

exclusif <strong>de</strong>s humains. Dans l'énoncé 1 ( P 212 ) en eff<strong>et</strong>. la qualité « politesse »<br />

ou ( impolitesse) ne peut s'appliquer qu'à un étre humain parce que seul, celui-CI<br />

dispose <strong>de</strong> la faculté <strong>de</strong> discernement qui lui perm<strong>et</strong> d'avoir la pleine conscience<br />

<strong>de</strong> la qualité en question, <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'intégrer <strong>dans</strong> ses rapports avec ses semblables.<br />

On ne saurait donc attendre d'un bouc la manifestation ou non <strong>de</strong> ce trait<br />

dé<strong>du</strong>catlon qUi est le propre <strong>de</strong>s SOCiétés humaines. Toutefois, c<strong>et</strong>te comparaison<br />

se fon<strong>de</strong> SLir une réalité sexuelle simple en rapport avec l'analyse précé<strong>de</strong>nte<br />

C'est qu'en pério<strong>de</strong> <strong>de</strong> rut, le bouc, commandé par l'instinct se dirige<br />

systématiquement vers toute femelle sans diSCrimination, cest-à-dlre qu'il nexclut<br />

pas sa mère <strong>et</strong> a fortiori, ses sœurs éventuellement. Nous assistons là par<br />

conséquent, à un transfert <strong>de</strong> comportement <strong>et</strong> <strong>de</strong> sentiment. Dans ces conditions,


213<br />

une tel\e comparaison SI Illogique à l'évi<strong>de</strong>nce. sert d'abord à souligner la<br />

constante mobilité <strong>et</strong> à fustiger l'impolitesse notoire (aux yeux <strong>de</strong> Fama) <strong>de</strong><br />

l'administrateur européen. Ainsi, l'interprétation <strong>de</strong> la séquence remuant <strong>et</strong><br />

impoli comme la barbiche d'un bouc en «extrêmement mobile <strong>et</strong> impoli »<br />

n'est-elle qu'une piètre équation sémantique qui rend très mal compte <strong>de</strong> toute<br />

l'expressivité <strong>de</strong> la formule originelle C<strong>et</strong>te observation vaut également pour les<br />

autres énoncés tout aussi illogiques. En eff<strong>et</strong>, l'analphabétisme ( EX 2, P 212 ) est<br />

une tare déplorable chez j'être humain, seul susceptible d'alphabétisation <strong>et</strong> non<br />

un animal, qui plus est, un âne, le représentant attitré <strong>de</strong> la bêtise. C'est que<br />

l'analphabétisme <strong>du</strong> prince Fama est tout simplement Incurable. Quant à l'énoncé<br />

3 ( P 212 ) enfin. Il est légèrement différent <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts. En eff<strong>et</strong>. une pierre est<br />

par nature aphone. mu<strong>et</strong>te si bien que l'eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> surprise provoquée (si surprise Il y<br />

a) par le rapprochement entre le silence <strong>de</strong>s mendiants <strong>et</strong> celui <strong>de</strong>s pierres peut<br />

être négligeable puisque la situation présente quelque logique. Cela n'enlève<br />

toutefois absolument rien à l'énergie expressive <strong>de</strong> l'énoncé. Mais toutes les<br />

comparaisons ne sont pas aussi Illogiques. Il en existe qui, sans qu'il n'y ait une<br />

distance réelle entre les situations présentées, ne sont pas moins hyperboliques:<br />

Ex 4 Quant à l'infidélité( ... )les femmes propres<br />

<strong>de</strong>venaient rares <strong>dans</strong> le Horodougou comme <strong>de</strong>s<br />

béliers à testicule unique.Les Soleils : 135.<br />

Mais Il faut le reconnaître, les énoncés illogiques quaffectionnent l'auteur<br />

supplantent <strong>de</strong> lOin les énoncés comparatifs logiques qUI, <strong>de</strong> ce fait, passent<br />

finalement pour <strong>de</strong>s cas a-typIques. Dans l'extrait qui suit, nous en r<strong>et</strong>rouvons une<br />

illustration:<br />

Ex 5: C'était (l'amant <strong>de</strong> Mariam) un frêle<br />

adolescent, élancé, noir comme un sourd-<br />

mu<strong>et</strong>( ... ). Les Soleils :185.


215<br />

C<strong>et</strong> extrait est un <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong>s Innovations imputables à l'auteur en ce qUI<br />

concerne le renouvellement (on le verra plus loin <strong>dans</strong> un tableau) <strong>de</strong>s termes<br />

faisant image. <strong>et</strong> notamment le terme échantil. Ainsi, par rapport à <strong>l'expression</strong><br />

consacrée « Bavard comme une pie », l'énoncé qui précè<strong>de</strong> apporte-t-il<br />

plusieurs modifications <strong>forme</strong>lles. Il faut remarquer en premier lieu l'établissement<br />

<strong>de</strong> l'équation sémantique entre la <strong>forme</strong> verbale attributive sous-enten<strong>du</strong>e « être<br />

bavard » <strong>et</strong> le verbe débiter. Puis, toujours au niveau paradigmatique, on<br />

observe le remplacement <strong>de</strong> l'échantil (une pie) par un autre complément <strong>de</strong><br />

<strong>forme</strong> différente « <strong>de</strong>s oiseaux <strong>de</strong> figuiers ». Nous avons ainsi affaire, non<br />

seulement à un syntagme nominal là où il n'y avait qu'un simple substantif, mais<br />

encore. alors que celui-ci est toujours invanable, celui-là est au plunel A propos<br />

<strong>de</strong> l'illvanabilité <strong>de</strong> pie, notons que, SI métaphonquement on peut dire «Ces<br />

enfants sont <strong>de</strong> véritables pies », nous ém<strong>et</strong>tons <strong>de</strong> sérieuses réserves quant à<br />

!a recevabilité <strong>et</strong> à l'existence même <strong>de</strong> « Ils sont bavards comme <strong>de</strong>s pies" »<br />

Nous expliquerons plus loin c<strong>et</strong>te différence grammaticale, à savoir, la possibilité<br />

d'accord <strong>de</strong> l'un <strong>et</strong> l'invariabilité <strong>de</strong> l'autre. Poursuivons pour l'heure avec d'autres<br />

exemples. Dans l'extrait qui suit immédiatement <strong>et</strong> où la qualité « mensonge »<br />

est l'attribut (Jomlnant, on note aussI une modification au niveau <strong>du</strong> complément<br />

<strong>du</strong> morphème ayant valeur <strong>de</strong> modèle Le griot Diamourou parlant <strong>de</strong> la veuve<br />

Manam à son maître Fama assure:<br />

Ex 2 -Les très gros défauts <strong>de</strong> la jeune femme<br />

ont tourmenté les <strong>de</strong>rnières années <strong>du</strong> décédé.<br />

Elle ment comme une aveugle, comme une<br />

é<strong>de</strong>ntée( .. . ). Les Soleils 134.<br />

Oans la mesure où l'infirmité visuelle peut être cause d'erreur pour le non voyant<br />

<strong>dans</strong> 1I<strong>de</strong>ntification <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s <strong>et</strong> obj<strong>et</strong>s dont la Juste appréciation requiert le<br />

parfait <strong>fonction</strong>nement <strong>de</strong> la vue, la valeur d'échantil <strong>du</strong> terme aveugle, <strong>et</strong>, par­<br />

<strong>de</strong>là luI. la comparaison toute entière peut être Justifiable. Encore qu'il faille faire


216<br />

abstraction totale <strong>de</strong> l'odorat <strong>et</strong> <strong>du</strong> toucher dont le développement, <strong>dans</strong> ces cas.<br />

atteint souvent une performance (au sens non linguistique) i<strong>de</strong>ntificatoire<br />

exceptionnelle. Mais <strong>du</strong> moins, quelques raisons objectives, fussent-elles<br />

discutables existent, qUI ren<strong>de</strong>nt l'analogie somme toute recevable. Il en va tout<br />

autrement <strong>de</strong> la sUite <strong>de</strong> l'énoncé « elle ment comme une é<strong>de</strong>ntée ». Rien<br />

apparemment ne perm<strong>et</strong> en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> soutenir le rapprochement entre les <strong>de</strong>ux<br />

indivi<strong>du</strong>s, <strong>et</strong> ce que nous avons dit auparavant <strong>de</strong> la surdi-mutité comme unité <strong>de</strong><br />

mesure <strong>de</strong> la pigmentation <strong>de</strong> la peau reste tout entier valable pour c<strong>et</strong>te image <strong>de</strong><br />

l'é<strong>de</strong>ntée. Il existe cependant <strong>de</strong>s cas <strong>de</strong> comparaisons où, exception faite <strong>de</strong> la<br />

démesure qui est la matrice <strong>de</strong> toute hyperbole, les faits rapprochés sur la base<br />

d'un attribut commun obéissent à une certaine logique. Les extraits ci-<strong>de</strong>ssous en<br />

témoignent:<br />

Ex 3. Alors le serpent partait <strong>du</strong> marigot, droit<br />

sur Togobala, filait comme un orage ( ... ). Les<br />

Soleils : 162.<br />

La qualité « extrême rapidité » évoquée <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te image peut également<br />

s'exprimer avec d'autres compléments au contenu notionnel proche ou non <strong>du</strong><br />

champ lexical d'orage. Mais la constante est qu'on a affaire à <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s ou à <strong>de</strong>s<br />

phénomènes réputés fort rapi<strong>de</strong>s <strong>dans</strong> leur déroulement:<br />

Ex 4 Fama se courba, se pencha, mais ne put<br />

rien distinguer, le manque filait comme le<br />

vent(.). Les Soleils: 178.<br />

Ex 5 Fama( ... ) se laissa tomber sur un banc <strong>de</strong><br />

sable. Il se releva, l'eau n'arrivait pasà la<br />

<strong>haut</strong>eur <strong>du</strong> (Jenou. rI voulut faire un pas, mais<br />

aperçut un caïman sacré fonçant sur lui comme<br />

une flèche Les Soleils 200.


217<br />

Outre le morphème comme dont les passages cités jusque-là sont <strong>de</strong>s<br />

emplois. d'autres outils grammaticaux qUI passent pour être ses substituts,<br />

peuvent également participer à <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. Parmi eux, il faut<br />

compter aussi, suivi <strong>de</strong> son corrélatif que, mais aussi, autant que.<br />

11-3-1-2 Amenée par les substituts <strong>de</strong> comme<br />

11-3-1-2 -1 Aussi que<br />

Avec ce morphème, plus encore qu'avec les autres, la faune, la flore <strong>du</strong><br />

terroir <strong>de</strong> l'intrigue romanesque <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière générale, les phénomènes naturels<br />

Jniversels sont largement mis à contribution par l'écrivain. Bien souvent en eff<strong>et</strong>.<br />

lauthenticité <strong>de</strong>s assertions s'appuie sur la réalité <strong>de</strong> phénomènes<br />

universellement connus tels que la succession <strong>du</strong> jour <strong>et</strong> <strong>de</strong> la nuit. Ce faisant,<br />

1auteur semble poser <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fous <strong>de</strong> crédibilité par rapport aux événements<br />

décrits <strong>et</strong> réussit <strong>de</strong> la sorte à les faire adm<strong>et</strong>tre <strong>et</strong> à les imposer comme effectifs <strong>et</strong><br />

absolument vrais C'est le cas <strong>dans</strong> l'extrait qui suit où, par narrateur Interposé,<br />

,i.(ourouma souligne la foi inébranlable <strong>et</strong> la très profon<strong>de</strong> conviction <strong>du</strong> roi Djigui<br />

<strong>dans</strong> la prédiction concernant la fin <strong>de</strong> son ascendance<br />

Ex 1: Il lui avait été révélé <strong>et</strong> il le croyait<br />

aussi sûr que la nuit succè<strong>de</strong> au jour, que le<br />

règne <strong>de</strong> la dynastie cesserait le jour 00 les<br />

murs <strong>de</strong> sa capitale tomberaient. Monnè :31.<br />

L'interprète vient d'expliquer à ceux <strong>de</strong> Soba, les services atten<strong>du</strong>s d'eux à travers<br />

les différentes prestations, insistant particulièrement sur le châtiment qui serait<br />

réservé à qUiconque s'y déroberait. Le passage suivant donne la réaction <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>stinataires <strong>du</strong> message:<br />

Ex ;2. Les vieillards se regardaient. C' était<br />

aussi vrai que l'eustache <strong>du</strong> circonciseur que


218<br />

personne parmi eux ne pourrait, après les<br />

épreuves <strong>du</strong> feu <strong>et</strong> <strong>du</strong> piment, survivre aux vingt<br />

plus <strong>de</strong>ux fois cinq coups <strong>de</strong> fou<strong>et</strong>. Monnè :63.<br />

Les situations insolites ne manquent pas. Leur caractère extraordinaire perm<strong>et</strong><br />

toujours <strong>de</strong> décupler l'énergie expressive <strong>de</strong> l'analogie. La valorisation se fait<br />

alors avec plus d'éclat:<br />

Ex 3: (Le griot) <strong>de</strong>manda au brigadier les<br />

ralsons d'un débarquement aussi insolite que la<br />

rencontre <strong>de</strong>s cynocéphales pêchant <strong>de</strong>s carpes<br />

<strong>dans</strong> le courant. Les Soleils : 175.<br />

Ex 4 C'étaient les immenses déchéances <strong>et</strong><br />

honte, aussi l::Jrosses que la vieille panthère<br />

surprise disputant <strong>de</strong>s charognes aux hyènes, que<br />

<strong>de</strong> connaitre Fama courlr ainsi pour <strong>de</strong>s<br />

funérailles. Les Soleils: 10.<br />

Ces énoncés se passeraient bien <strong>de</strong> commentaire, tant ils sont<br />

sémantlquement clairs. Mais il est utile d'insister sur le réalisme incisif qui leur<br />

donne toute leur expressivité. La succession <strong>du</strong> jour <strong>et</strong> <strong>de</strong> la nUit est un<br />

phénomène d'une banalité intemporelle vécu sous tous les cieux En comparant<br />

la fOI <strong>et</strong> la conviction <strong>de</strong> Djigui à c<strong>et</strong>te réalité <strong>de</strong> tous les temps, l'auteur veut m<strong>et</strong>tre<br />

en relief le <strong>de</strong>gré d'importance que le roi attache à la révélation qUI lui a été faite<br />

quant au déclin <strong>de</strong> sa lignée <strong>et</strong> <strong>de</strong> son règne. En eff<strong>et</strong>, autant la succession <strong>du</strong><br />

Jour <strong>et</strong> <strong>de</strong> la mJlt est incontestable, autant sa croyance <strong>et</strong> sa conviction par rapport<br />

aux événements précurseurs <strong>de</strong> la fin <strong>de</strong> la dynastie sont inébranlables. La réalité<br />

d'une situation sert ainSI <strong>de</strong> terme exponentiel d'intensité à la véracité <strong>de</strong> l'autre.<br />

Tous les passages qui sUivent <strong>fonction</strong>nent sur le même mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> réalisme incisif<br />

mais surtout IntenSifiant Tel est le cas <strong>de</strong> (4). En eff<strong>et</strong>, la panthère est un prédateur<br />

parmi les plus redoutables qUi se repaît presque toujours <strong>de</strong> vian<strong>de</strong> <strong>de</strong> qualité.


219<br />

I\lnsl. Il n'est pas pire déchéance pour ce félin que d'être obligé <strong>de</strong> faire ban<strong>de</strong><br />

avec les hyènes pour leur disputer <strong>de</strong>s mi<strong>et</strong>tes <strong>de</strong> vian<strong>de</strong>s faisandées. Grosse<br />

honte également <strong>et</strong> misère sans nom que la situation d'un prince ré<strong>du</strong>it à vivre <strong>de</strong><br />

quelques prében<strong>de</strong>s funéraires. Comme pour l'extrait précé<strong>de</strong>nt, le réalisme <strong>de</strong><br />

!analogie est particulièrement instructif, enrichissant. Mais à ce sta<strong>de</strong> d'analyse,<br />

quelques interrogations viennent à l'esprit. Le choix <strong>de</strong> l'un ou l'autre morphème<br />

est-II Indifférent chez j'auteur? Ou bien obéit-il au contraire à quelques exigences<br />

spécifiques <strong>et</strong> lesquelles? La suite <strong>du</strong> travail nous éclairera sur ces interrogations<br />

Pour 1heure, poursuivons avec d'autres exemples <strong>du</strong> substitut <strong>de</strong> comme.<br />

Même <strong>dans</strong> la mosquée, lieu <strong>de</strong> saint<strong>et</strong>é, Fama n'a cesse <strong>de</strong> penser<br />

lubriquement à sa femme Salimata. Le passage ci-après donne la mesure <strong>de</strong> la<br />

gravité <strong>du</strong> péché commis:<br />

Ex 5 Les détailler (les turpitu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> Salimata)<br />

n'était pas seulement profanateur, mais aussi<br />

superflu <strong>et</strong> indécent que <strong>de</strong> <strong>de</strong>scendre pantalon<br />

<strong>et</strong> caleçon pour exhiber un furoncle quand on<br />

vous a seulement <strong>de</strong>mandé pourquoi vous boitez.<br />

Les Soleils: 29.<br />

Parfaitement conscient <strong>de</strong> son Incompétence Intellectuelle <strong>et</strong> <strong>de</strong> son "in-formation"<br />

liées à un analphabétisme total, Fama comprend qu'on ne lui ait pas proposé<br />

certains postes <strong>de</strong> responsabilité d'élite<br />

Ex 5 : Passaient encore les postes <strong>de</strong> ministres,<br />

<strong>de</strong> députés, d'ambassa<strong>de</strong>urs, pour lesquels lire<br />

<strong>et</strong> écrire n'est pas aussi futile que <strong>de</strong>s bagues<br />

pour un lepreux. Les Soleils: 22-23.<br />

Limage <strong>de</strong> la litote est n<strong>et</strong>te, frappante. Le lépreux ayant les doigts complètement<br />

r-onges par la maladie, Il n'a nul besoin <strong>de</strong> bague car elle ne peut lUI être <strong>de</strong> la<br />

mOindre utilité. Au contraire, les postes ministériel, d'ambassa<strong>de</strong>ur <strong>et</strong> <strong>de</strong> député,


220<br />

<strong>du</strong> fait <strong>de</strong>s attributions qui s'y rattachent <strong>et</strong> <strong>de</strong>s responsabilités qui incombent à<br />

ceux qui exercent ces <strong>fonction</strong>s, requièrent une qualification intellectuelle <strong>et</strong><br />

formationnelle certaine qui suppose une scolarisation préalable. Or Fama est un<br />

analphabète total qui ne sait ni lire ni écrire. Si les bagues sont absolument<br />

inutiles pour un lépreux. le savoir que confèrent la scolarisation <strong>et</strong> la formation est<br />

une exigence <strong>de</strong> premier ordre <strong>dans</strong> la société mo<strong>de</strong>rne pour assumer <strong>de</strong>s<br />

<strong>fonction</strong>s aussI importantes que celles d'un ministre, d'un ambassa<strong>de</strong>ur ou d'un<br />

député. Outre comme <strong>et</strong> aussi que, le morphème autant sert également à<br />

marquer un rapport d'égalité.<br />

11-3-1-2-2 Autant que<br />

La valeur <strong>de</strong> c<strong>et</strong> opérateur d'égalité paraît d'abord faire intervenir une<br />

appreclatlOIl d'ordre quantitatif. Mais c<strong>et</strong> aVIs dOit être relativisé car la nuance <strong>de</strong><br />

qualité se superpose presque toujours à celle <strong>de</strong> la quantité en sorte que toute<br />

tentative <strong>de</strong> hiérarchisation est parfois ren<strong>du</strong>e très délicate. On peut toutefois<br />

affirmer avec certitu<strong>de</strong>, que la <strong>forme</strong> <strong>de</strong> la proposition précédant le morphème<br />

Joue un rôle remarquable <strong>dans</strong> l'élévation <strong>de</strong> la nuance <strong>de</strong> qualité. En eff<strong>et</strong>,<br />

lorsque la proposition antécé<strong>de</strong>nt <strong>du</strong> morphème est <strong>de</strong> <strong>forme</strong> négative, elle donne<br />

plus <strong>de</strong> relief à la valeur intensive <strong>de</strong> ce <strong>de</strong>rnier. Sous c<strong>et</strong>te <strong>forme</strong> en eff<strong>et</strong>, on nie<br />

que la chose comparée puisse être égalée, <strong>et</strong> moins encore dépassée par l'autre,<br />

exactement comme avec la préposition sans sUivie <strong>de</strong> pareIl ou égal De la sorte,<br />

on marque un <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. En voici quelques illustrations. Devant le pessimisme<br />

Impertinent <strong>du</strong> griot quant aux chances <strong>de</strong> succès <strong>de</strong> ceux <strong>de</strong> Soba face aux<br />

troupes coloniales, le rOI Djigui excédé, assure<br />

Ex l • - La dynastie <strong>de</strong>s Keita a été la seule <strong>de</strong><br />

toute la Négritie à être informée six siècles<br />

plus tôt <strong>de</strong> l'arrivée <strong>de</strong> l'irreligion. Aucun <strong>de</strong>s<br />

rOlS vaincus n'a autant que nous prié Allah;


221<br />

aucun n'a autant que nous vénéré les mânes <strong>de</strong>s<br />

aïeux. Monnè : 32.<br />

Dans c<strong>et</strong> emploi, le morphème a un sens vOisin <strong>de</strong> « à ce point »<strong>et</strong> rappelle la<br />

logique <strong>de</strong>s procédés consécutifs marquant l'intensité. En eff<strong>et</strong>. la protection <strong>de</strong>s<br />

siens par Dieu face aux troupes ennemies apparaît évi<strong>de</strong>nte au roi, eu égard à la<br />

dévotion qu'ils lui ont <strong>du</strong>e. C<strong>et</strong>te protection divine serait alors la récompense<br />

méritée <strong>de</strong> tant d'adoration <strong>et</strong> <strong>de</strong> piété inégalables. L'extrait à venir confirme tout<br />

simplement le sens <strong>du</strong> morphème:<br />

Ex 2 : Le porte-canne fut d'abord tenu <strong>de</strong> goûter<br />

à tous les sacrifices qu'il égorgeait: rlen<br />

n'affaiblit autant que <strong>de</strong> tuer <strong>et</strong> <strong>de</strong> consommer<br />

les sacrifices. Monnè :198.<br />

La chaleur est d'une atrocité insoutenable à Soba <strong>et</strong> le soleil, une véritable<br />

canicule sans égal. C'est ce que dit implicitement le passage ci-<strong>de</strong>ssous:<br />

Ex3: En récapitulant la journée, on s'aperçoit<br />

qu'il ne peut exister <strong>de</strong> jour qui chauffe autant<br />

que celu i <strong>de</strong> Soba. l1onnè: 267.<br />

Une autre exigence syntaxique <strong>de</strong> l'emploi <strong>de</strong> ce morphème auprès d'un<br />

verbe concerne sa position Lorsque le verbe se trouve à la <strong>forme</strong> simple en eff<strong>et</strong>,<br />

Il en est le complément immédiat, venant directement à sa suite. Tel est le cas<br />

<strong>de</strong>s énoncés 2 <strong>et</strong> 3. Mais lorsqu'un auxiliaire intervient (cas <strong>de</strong> Ex1) autant<br />

que se m<strong>et</strong> en position enclitique, s'intercalant entre l'auxiliaire <strong>et</strong> le participe<br />

passe C<strong>et</strong>te observation nous rapproche d'un début <strong>de</strong> solution aux<br />

Interrogations que nous formulions antérieurement à propos <strong>de</strong>s Critères<br />

éventuels <strong>du</strong> choix <strong>de</strong> l'auteur par rapport à l'un ou l'autre morphème.


222<br />

11-3-1-3 De Comme à Aussi que<br />

Solt l'énoncé hors-texte déjà proposé:<br />

(b) - Landry est bavard comme une pie.<br />

D'un stnct point <strong>de</strong> vue sémantique, il n'existe pas la moindre nuance entre l'Idée<br />

expnmee par ( b) <strong>et</strong> celle <strong>de</strong> sa résultante:<br />

(b')- Landry est aussi bavard qu'une pie.<br />

Mieux, à l'un <strong>et</strong> l'autre énoncés est imputable l'illusion d'égalisation Inscnte <strong>dans</strong><br />

le procès comparatif. En eff<strong>et</strong>, alors même qu'elle tente d'imposer <strong>de</strong>ux faits ou<br />

<strong>de</strong>ux notions comme étant absolument égales, la comparaison établit une<br />

hiérarchie entre elles. Dès lors, on peut affirmer que d'une manière générale,<br />

l'emploi <strong>de</strong> l'un ou <strong>de</strong> l'autre morphème n'est pas déterminé par <strong>de</strong>s eXigences<br />

specifiques Peut-on en dIre autant <strong>de</strong> Kourouma? Une remarque élémentaire<br />

s'impose d'abord, qui intéresse le volume <strong>de</strong>s énoncés comportant chaque outil<br />

<strong>de</strong> comparaison Formellement, on note une disparité <strong>de</strong> longueur entre les<br />

énonces comparatifs avec aussi que d'une part, <strong>et</strong> ceux construits avec comme<br />

dautre part. Ceux-ci sont en général moins développés que les premiers:<br />

2x 2 - (Mariam) ment comme une aveugle, comme<br />

une é<strong>de</strong>ntée.<br />

Ex 3(.) un débarquement aussi insolite que la<br />

rencontre <strong>de</strong>s cynocéphales pêchant <strong>de</strong>s carpes<br />

<strong>dans</strong> le courant.<br />

Comme le montrent ces extraits, les séquences à droite <strong>de</strong>s morphèmes sont <strong>de</strong><br />

longueur variable selon que la comparaison est amenée par comme (séquence<br />

brève) ou par aussi que (séquence longue) On constate en outre que l'analogie<br />

Intro<strong>du</strong>ite par comme semble davantage porter sur une qualité évoquée par un<br />

terme <strong>de</strong> la proposition, tandis que pour aussi que, l'analogie s'étendrait plutôt à


223<br />

l'idée <strong>de</strong> la propoSition toute entière. Mais à peine formulée, c<strong>et</strong>te hypothèse se<br />

voit Sinon infirmée, <strong>du</strong> mOins relativisée par la qualité <strong>de</strong>s contre-exemples qui ne<br />

manquent pas. à commencer d'abord par ceux que nous avons précé<strong>de</strong>mment<br />

cités. En eff<strong>et</strong> une simple opération <strong>de</strong> commutation <strong>de</strong>s morphèmes aboutit à <strong>de</strong>s<br />

résultats significatifs. En premier lieu, on s'aperçoit qU'II n'existe aucune<br />

différence fondamentale entre le sens <strong>de</strong> l'énoncé 3 avec aussi que, <strong>et</strong> sa<br />

résultante ci-<strong>de</strong>ssous avec comme:<br />

Ex 3': (Le griot) <strong>de</strong>manda<br />

ralsons d'un débarquement<br />

rencontre <strong>de</strong>s cynocéphales<br />

<strong>dans</strong> le courant.<br />

au brigadier les<br />

insolite comme la<br />

pêchant <strong>de</strong>s carpes<br />

,:'x,u <strong>de</strong>meurant. nous avons déjà vu le morphème comme employé <strong>dans</strong> un<br />

énoncé à séquence finale développée. Rappelons c<strong>et</strong> énoncé:<br />

Ex 4 Quant a l'infidélité{ ... ) les femmes<br />

propres cievenaient rares <strong>dans</strong> le HorocioLlgou connne<br />

<strong>de</strong>s béliers à testicule unlque.<br />

On remarquera en outre que les <strong>de</strong>ux morphèmes se rejoignent sur un autre pOll1t<br />

<strong>forme</strong>l qui concerne la reprise <strong>du</strong> verbe <strong>de</strong> la proposition principale. L'un <strong>et</strong> l'autre<br />

laissent en eff<strong>et</strong> <strong>de</strong>viner en structure profon<strong>de</strong>, la reprise <strong>du</strong> verbe <strong>de</strong> la<br />

proposition qUI les précè<strong>de</strong>, ou <strong>de</strong> tout autre verbe <strong>de</strong> même sens <strong>dans</strong> la<br />

séquence qUlls intro<strong>du</strong>isent. En général, pour c<strong>et</strong>te reprise, c'est l'auxiliaire être<br />

qui convient. AinsI l'exemple précé<strong>de</strong>nt donnerait-il la résultante ci-après:<br />

Ex 4': Quant a l'infidélité{ ... ) les femmes<br />

propres <strong>de</strong>venaient rares <strong>dans</strong> le Horodougou<br />

comme le sont les béliers à testicule unique.


224<br />

Le résultat est également concluant avec aussi que: « ... les femmes propres<br />

<strong>de</strong>venaient aussi rares <strong>dans</strong> le Horodougou que le sont les béliers à testicule<br />

.'<br />

unique» Nous fondant sur ces opérations, nous pouvons dire que le morphème<br />

comme peut bien s'accommo<strong>de</strong>r <strong>de</strong>s séquences relativement développées. Peut­<br />

on pour autant en Inférer le succès total <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te commutation? Autrement dit,<br />

l'opération Inverse <strong>de</strong> la commutation <strong>de</strong> comme par son substitut est-elle<br />

toujours aussi heureuse? Prenons un exemple. En français, il est impossible <strong>et</strong><br />

incorrect <strong>de</strong> dire:<br />

Ex 2': (Mariam) ment aussi qu'une aveugle,<br />

qu'une é<strong>de</strong>ntée*<br />

Si la résultante Ex 4' est tout à fait acceptable, Ex 2' ne l'est guère. Cela signifie<br />

que la substituabilité entre les <strong>de</strong>ux morphèmes n'est pas parfaite, notamment<br />

<strong>dans</strong> le sens aussi que -> comme. Ainsi se trouve posée la question <strong>de</strong>s<br />

conditions d'efficacité <strong>de</strong> l'opération <strong>et</strong> nous pouvons tirer quelques observations<br />

utiles<br />

1 - Comme peut se substituer à aussi que <strong>dans</strong> les énoncés d'analogie<br />

IfltenSlve amenée par le second morphème <strong>et</strong> ce, sans conditions particulières.<br />

Mais la rèciproque n'est pas toujours vraie.<br />

2 - La substitution <strong>de</strong> co m me par aussi que est possible lorsque le terme<br />

désignant l'attribut commun, obj<strong>et</strong> <strong>du</strong> rapprochement, se construit (ou peut se<br />

construire) avec l'auxiliaire être ou avec tout autre verbe pouvant en terllr lieu<br />

C'est le cas <strong>de</strong> l'énoncè 4'<br />

3 - La substitution est absolument impossible quand la qualité à m<strong>et</strong>tre en relief se<br />

trouve Intégrée exclusivement au sémantlsme d'un verbe à la <strong>forme</strong> simple. La<br />

résultante 2' en est une Illustration<br />

Les premières règles ainsi formulées, revenons à l'interrogation principale.<br />

Elle est \a sUIvante. Peut-on affirmer que le choix <strong>de</strong>s morphèmes est spécifié


225<br />

chez l'auteur? Là-<strong>de</strong>ssus, il faut le reconnaître, aucune hésitation n'est possible<br />

Le test <strong>de</strong> substitution a en eff<strong>et</strong> montré les limites <strong>de</strong> l'opération, quand les<br />

conclusions qui viennent d'être tirées, elles, précisaient les conditions syntaxiques<br />

<strong>de</strong> son succès. Il ressort que le choix <strong>de</strong> ces outils n'obéit a priori à aucune<br />

eXigence spécifique qui soit imputable à la volonté <strong>de</strong> l'écrivain. Tout au plus,<br />

peut-on ém<strong>et</strong>tre quelques hypothèses. Conformément à ce qui précè<strong>de</strong>, nous<br />

pouvons dire que Kourouma semble préférer l'emploi d'aussi que à comme<br />

lorsqu'il s'agit <strong>de</strong> rapprocher, non pas <strong>de</strong>ux termes simples, mais <strong>de</strong>ux situations<br />

assez rocambolesques dont la compréhension nécessite l'explicitation <strong>de</strong> la<br />

situation comparante. Le fait est que <strong>dans</strong> ce cas, les situations sont envisagées<br />

non <strong>dans</strong> leur indivi<strong>du</strong>alité, mais au contraire, comme <strong>de</strong>ux fac<strong>et</strong>tes<br />

Indissolublement liées (l'une seule <strong>et</strong> même réalité. La preuve en est qu'on a<br />

généralement affaire à <strong>de</strong>ux propositions hiérarchisées d'un double pOint <strong>de</strong> vue<br />

sémantique <strong>et</strong> logique, la première Intro<strong>du</strong>isant l'idée d'ensemble que la secon<strong>de</strong><br />

(amenée par que) complète en compréhension. Aussi que conviendrait par<br />

conséquent plus aux énoncés à développer. Quant à comme, il est davantage<br />

apte à exprimer une analogie réelle ou supposée entre <strong>de</strong>ux termes simples,<br />

même SI. comme nous l'avons montré, Il peut aussI Jouer le rôle dévolu à son<br />

substitut aussi que Mais cela nous semble surtout être la preuve <strong>de</strong> son<br />

caractère <strong>de</strong> morphème principal <strong>de</strong> comparaison En tout état <strong>de</strong> cause, nous<br />

pouvons affirmer que le chOIX <strong>de</strong> ces outils grammaticaux, s'il n'est pas<br />

absolument indifférent chez l'auteur, répond moins à <strong>de</strong>s contraintes syntaxiques<br />

ou sémantiques qu'à <strong>de</strong>s <strong>de</strong>s préférences <strong>de</strong> raison stylistique. C'est également<br />

<strong>dans</strong> ce sens que doit être Interprété l'effort <strong>de</strong> l'écrivain au renouvellement <strong>de</strong>s<br />

enonces comparatifs usuels tels que « Nu comme un ver » <strong>de</strong>venus pour la<br />

plupart <strong>de</strong> véritables stéréotypes.


226<br />

11-3-1- 4 Renouvellement <strong>de</strong>s énoncés stéréotypés<br />

. La comparaison intensive présente un indivi<strong>du</strong> ou un obj<strong>et</strong> censé possé<strong>de</strong>r<br />

une qualité quelconque à un <strong>de</strong>gré imbattable, comme le représentant<br />

archétypique <strong>de</strong> la dite qualité. Ce représentant étant <strong>de</strong> ce fait même<br />

théoriquement insurclassable, il en résulte à terme un clichage <strong>de</strong> la comparaison.<br />

Mais li ne sagit là que d'une apparence fort trompeuse car bien <strong>de</strong> ces.<br />

constructions sont susceptibles <strong>de</strong> recevoir <strong>de</strong>s variantes. Cela signifie que l'être­<br />

modèle peut avoir un ou plusieurs concurrents. Empressons-nous d'ajouter<br />

toutefois que cela ne constitue pas toujours non plus un remè<strong>de</strong> efficace contre le<br />

risque <strong>de</strong> clichage <strong>de</strong>s tournures Comment en rendre raison? Il semble que les<br />

habitu<strong>de</strong>s linguistiques, l'usage courant <strong>de</strong> certaines formules activent leur<br />

clichage par rapport à d'autres. AinSI, alors que <strong>de</strong>s expressions comme « Léger<br />

comme une plume », «Clair comme <strong>de</strong> l'eau <strong>de</strong> roche »,... passent n<strong>et</strong>tement<br />

pour être <strong>de</strong>s clicllés, leurs variantes sont peu courantes <strong>et</strong> sont par conséquent<br />

peu exposées au lîsque <strong>de</strong> lexicalisation. Ce sont par. exemple «Léger comme<br />

un oiseau », «Clair comme le jour» Mais l'impossibilité à définir <strong>de</strong>s critères<br />

objectifs autres que ceux faisant appel à l'usage courant, fait peser d'énormes<br />

risques d'erreurs sur toute tentative <strong>de</strong> classification <strong>et</strong> rend par conséquent<br />

l'exercice très délicat. Rien d'absolu ne nous paraissant proposable en la matière,<br />

nous ne nous y hasar<strong>de</strong>rons pas Mais le fait que nombre <strong>de</strong> ces expressions<br />

connaissent <strong>de</strong>s variantes laisse libre cours à l'imagination <strong>de</strong> l'écrivain pour la<br />

formation <strong>de</strong> nouvelles Images A Kourouma en tout cas explore c<strong>et</strong>te pOSSibilité<br />

avec réalisme souvent, presque toujours avec une audace iconoclaste Pour<br />

illieux apprécier ce qUi apparaît comme une contribution <strong>de</strong> l'écrivain à un effort<br />

<strong>de</strong>nrlchlssement leXical, nous proposons <strong>dans</strong> le tableau qui suit, les exemples<br />

les plus représentatifs <strong>de</strong> sa « création» Pour faCiliter la lecture <strong>du</strong> tableau, Il<br />

est utIle <strong>de</strong> faire certaines préciSions Nous avons disposé à gauche, les formules<br />

usuelles cIe nature intenSive. A droite. viennent les variantes quon peut leur


227<br />

rapprocher ainsi que d'autres tournures qUI sont toutes <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> l'auteur<br />

Précisons quen fait <strong>de</strong> tournures, Il s'agit plutôt <strong>de</strong> leurs termes principaux, cecI<br />

pour éviter <strong>de</strong> longues répétitions Terminons par la signification <strong>de</strong>s symboles<br />

utilisés. Le signe < représente le morphème <strong>de</strong> comparaison. S'il est un substitut<br />

<strong>de</strong> comme, à savoir aussi que, nous marquons en bas, à droite <strong>du</strong> couple<br />

constitué C- Enfin, lorsque la comparaison sappllque à une personne, nous<br />

notons H+ en bas, à gauche <strong>du</strong> terme comparé


228<br />

Formes usuelles Nouvelles formules<br />

LES OEUVRES<br />

Monnè pages Les Soleils pages<br />

Croire < Liu fer Croire < nUlt/ jour 31<br />

C-<br />

Sec< coup <strong>de</strong> Sec < granit 27<br />

trique H+<br />

Stérile < harmat- 30/37<br />

tan - cendre/ roc<br />

poussière H+<br />

Nu < ver Nu < fil <strong>de</strong> 5411 71<br />

coton / baobab<br />

H+<br />

Vrai < paume <strong>de</strong> la 56/58<br />

grenouille/noix <strong>de</strong><br />

cola blanche<br />

Clair < eau <strong>de</strong> Clair < paume <strong>de</strong> 175<br />

roche la grenouille<br />

Silencieux < 143 Silencieux < 62<br />

zombies H +<br />

pierres H +<br />

Léger < plume Léger < toile 69<br />

d'araignée C -<br />

Lourd < plomb Lourd < 121<br />

montagne<br />

Mentir < arracheur Mentir < aveugle 134<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>nt /é<strong>de</strong>ntée<br />

Filer < zèbre<br />

-<br />

Filer < 162/<br />

orage/Vent 178<br />

Noir < corbeau Noir < Sourd- 134<br />

mu<strong>et</strong><br />

DIOlt < i<br />

Droit < ronier 272


230<br />

<strong>dans</strong> la décommensuration suppose au préalable, la constitution ou l'existence<br />

<strong>du</strong>n ensemble d'éléments semblables. Toutefois, en dépit <strong>de</strong> leur ressemblance,<br />

ces éléments sont nécessairement <strong>de</strong> qualité variable. C'est c<strong>et</strong>te différence qui<br />

perm<strong>et</strong> qu'on puisse considérer <strong>et</strong> valoriser un élément parmi ceux <strong>de</strong> l'ensemble<br />

référentiel comme possédant à un <strong>de</strong>gré éminent, un attribut quelconque commun<br />

a touS Le procédé oppose par conséquent un être à tous ceux <strong>du</strong> même groupe<br />

ou <strong>de</strong> la même nature à travers un Jugement qui peut être valorisant ( positif) ou<br />

dévalorisant (négatif). C'est ainsi que c<strong>et</strong>te <strong>forme</strong> <strong>de</strong> comparaison fait<br />

logiquement partie <strong>de</strong> la caractérisation intensive. D'un point <strong>de</strong> vue <strong>forme</strong>l, on<br />

peut distinguer <strong>de</strong>ux procédés décommensuratifs. D'un côté, les procédés<br />

synHlétlques ( mieux, meilleur, pire ) <strong>de</strong> l'autre, les procédés analytiques.<br />

PréCisons tout <strong>de</strong> suite que, n'ayant pas rencontré d'exemples représentatifs <strong>de</strong>s<br />

premiers, nous nous limiterons à l'étu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s seconds.<br />

11-3-2-1 Décornrnensuration intensive<br />

par les procédés analytiques<br />

Rappelons la remarque <strong>forme</strong>lle que nous avons déjà formulée Elle<br />

concerne la présence d'un actualisateur défini ou non <strong>dans</strong> la structure<br />

décommensurative. Cela est une exigence syntaxique <strong>du</strong> mécanisme sémantique<br />

<strong>du</strong> procédé lUI-même tel que précé<strong>de</strong>mment décrit. En eff<strong>et</strong>, pour que la mise en<br />

relief <strong>de</strong> la notion ou <strong>de</strong> l'être soit pariaite, celui-ci doit nécessairement faire l'obj<strong>et</strong><br />

d'une spécification ou d'une indivi<strong>du</strong>alisation. C'est ainsi qu'il acquiert une<br />

notoriété par le pouvoir cJe détermination <strong>de</strong> l'article ou <strong>de</strong> ses substituts (pronoms<br />

démonstratifs <strong>et</strong> personnels) <strong>et</strong> sort <strong>de</strong> l'anonymat. Les extraits qui vont suivre en<br />

témOignent.


231<br />

11-3-2-1-1 Le plus adj. + compléments<br />

11-3-2-1-1-1 Complément spatial<br />

L'importance quantitative, en éten<strong>du</strong>e ou volume <strong>du</strong> complément<br />

spatial, c'est-à-dire l'ensemble référentiel par rapport auquel s'effectue le<br />

prélèvement, Joue un rôle considérable <strong>dans</strong> l'expressivité <strong>de</strong> la tournure. Plus<br />

c<strong>et</strong> ensemble est éten<strong>du</strong> en eff<strong>et</strong>, plus l'attribut dominant <strong>et</strong> l'être caractérisé sont<br />

célébrés avec énergie:<br />

Ex 1 (Salimata) s'était rappelé la premlere<br />

fois au'elle avait vu fama <strong>dans</strong> le cercle <strong>de</strong><br />

<strong>dans</strong>e: le plus <strong>haut</strong> garçon <strong>du</strong> Horodougou,<br />

le plus noir ( ... ). Les Soleils: 47.<br />

Les compléments <strong>de</strong> lieu sont comme organisés en cercles concentriques, les uns<br />

Incluant les autres. L'exemple patent en est le Horodougou, territoire <strong>du</strong> grand<br />

Mandingue, lUI-même partie Intégrante <strong>de</strong> la «Négritie»4 Ce sont <strong>de</strong>s panégy-<br />

décommensurations:<br />

Ex 2 (Le griot Diabaté) était sans nouvelles <strong>de</strong><br />

ses trois femmes (les plus belles griotes <strong>du</strong><br />

Mandingue). Monnè : 43.<br />

Ex 3: (.) LI n ta ta en <strong>haut</strong>eur <strong>et</strong> en profon<strong>de</strong>ur,<br />

infini.. La plus titanesque construction <strong>de</strong><br />

la Négritie! Monnè: 33.<br />

Ex 4 ( ... ) l' Almamy, <strong>dans</strong> son Boribana, conunandait<br />

a l'Armée la<br />

glorieuse <strong>de</strong> la<br />

plus puissante<br />

Négritie. Monnè<br />

<strong>et</strong> la<br />

: 189.<br />

plus<br />

Grâce à la concentricité <strong>de</strong>s espaces, tout évolue vers un développement <strong>de</strong> plus


232<br />

en plus Impressionnant qui accentue ainsi l'éclat <strong>et</strong> le rayonnement <strong>de</strong><br />

l'événement, <strong>de</strong> la notion ou <strong>de</strong> l'être caractérisé<br />

Ex 5 (.) Fadoua arrêtai t le suppl ice, le<br />

(l'hôte <strong>haut</strong>ain) détachait, lui commandait <strong>de</strong> se<br />

courber, <strong>de</strong> s'agenouiller, se prosterner, se<br />

couvrir <strong>de</strong> poussière pour respecter <strong>et</strong> saluer<br />

l' homme le plus ancien, le plus sage <strong>et</strong> le<br />

plus généreux <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Monnè: 162.<br />

Ex 6 Les quatre alliés allèrent consulter le<br />

plus grand <strong>de</strong>vin <strong>de</strong> l'univers qui leur<br />

dévoila les secr<strong>et</strong>s <strong>du</strong> maître <strong>de</strong> Berlin. Monnè :<br />

216.<br />

Certaines <strong>de</strong> ces formules sont <strong>de</strong>venues complètement figées:<br />

Ex 7: Fama, le plus tranquillement <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>,<br />

comme s'il entrait <strong>dans</strong> son jardin, tira la<br />

porte <strong>et</strong> se r<strong>et</strong>rouva sur le pont Les Soleils :<br />

199.<br />

Ex 8 Kélétigui <strong>et</strong> Touboug eurent le plus<br />

grand mal <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> <strong>dans</strong> <strong>de</strong> longs discours à<br />

expliquer ce qu'étaient le vote <strong>et</strong> la<br />

citoyenn<strong>et</strong>é française. Monnè :241.<br />

Outre l'ensemble référentiel désignant un espace, d'autres compléments<br />

participent aussI à ce procédé <strong>de</strong> sens hyperbolique. Ce sont notamment les<br />

compléments temporels, ceux qui désignent <strong>de</strong>s personnes


234<br />

Ex 5 : «Vrai Doumbouya! Authentique! Le prince<br />

<strong>de</strong> tout le I-lorodougou, le seul, le grand, le<br />

plus grand <strong>de</strong> tous » Les Soleils: 178.<br />

Sur la position <strong>dans</strong> l'énoncé <strong>de</strong> la structure décommensurative, quelques<br />

r·emarques utiles sont à faire. La structure le plus + adj., lorsqu'elle s'applique à<br />

un substantif peut avoir une place variable. Soit elle le précè<strong>de</strong>, ce qUI est courant,<br />

soit elle vient à sa suite. C'est le cas <strong>de</strong>s énoncés 4 <strong>et</strong> 5 <strong>de</strong>s pages 231 <strong>et</strong> 232.<br />

En outre, le plus + adj. peut être en position initiale Les exemples 1 <strong>et</strong> 3 <strong>de</strong> la<br />

page 231 l'illustrent bien. Mais on le trouve aussi en apposition comme <strong>dans</strong> les<br />

extraits 7 <strong>et</strong> 3 respectivement aux pages 232 <strong>et</strong> 233. Il n'est pas rare non plus qu'il<br />

occupe la position terminale <strong>dans</strong> l'énoncé C'est ce qui se passe lorsqu'on a<br />

affaire à l'énumération d'une série d'attributs caractérisant le même Indivi<strong>du</strong>. Les<br />

énoncés 1 <strong>et</strong> 5 <strong>de</strong>s pages 232 <strong>et</strong> 233 l'attestent. Toutefois, il existe aussi <strong>de</strong>s<br />

tournures à place fixe. L'énoncé <strong>de</strong> la page 232 avec « le plus grand mal <strong>du</strong><br />

mon<strong>de</strong>» en est une illustration Il convient <strong>de</strong> souligner que c<strong>et</strong>te formule<br />

décommensurative est touJours postérieure à l'auxiliaire avoir. Il en est <strong>du</strong> reste<br />

presquexclusivement le complément La panégy-décornmensuratlon peut<br />

également s'exprimer au moyen <strong>de</strong> la litote. Tel est le cas lorsque la proposition<br />

est <strong>de</strong> <strong>forme</strong> négative <strong>et</strong> qu'en outre, l'adverbe plu s est remplacé par son<br />

antonyme auprès d'un adjectif. En voici un exemple. Enfant, Moussokoro est<br />

pressentie non seulement comme la future femme <strong>du</strong> roi Djigui intronisé <strong>de</strong> fraîche<br />

date. mais encore, elle sera la préférée <strong>du</strong> souverain C'est une situation qui<br />

présente <strong>de</strong>s avantages énormes pour son p<strong>et</strong>it ami. Et pour cause:<br />

Ex 6 : Son mari <strong>de</strong> groupe d'âge n'était pas le<br />

moins heureux. La tradition veut que le mari <strong>de</strong><br />

groupe d'âge <strong>de</strong> la femme reste l'ami <strong>du</strong> ménage.<br />

!'Ionnè : 138.


236<br />

Noirs( ... ) un nouvau parti( ... ).Seraitdésigné<br />

prési<strong>de</strong>nt fédéral <strong>de</strong> ce parti le chef gui y<br />

ferait adhérer le plus <strong>de</strong> nègres. Monnè : 264.<br />

Toutefois, qu'il soit employé <strong>de</strong> manière elliptique comme <strong>dans</strong> l'extrait ci-<strong>de</strong>ssus<br />

où il est complément <strong>du</strong> substantif nègres, ou bien qu'il apparaisse effectivement<br />

<strong>dans</strong> l'énoncé, le sens <strong>de</strong> possible est voisin <strong>de</strong> « qU'II se peut »<strong>et</strong> cela<br />

explique sans doute son invariabilité. En eff<strong>et</strong>, quelle que soit la <strong>forme</strong> ( pluriel ou<br />

singulier) <strong>du</strong> substantif antécé<strong>de</strong>nt, possible ne prend jamais la marque <strong>du</strong><br />

pluriel. Avnnt d'abor<strong>de</strong>r d'autres moyens décommensuratifs, notons la valeur <strong>du</strong><br />

,<br />

syntagme nominal <strong>de</strong> notre siècle dont l'explication rejoint celle <strong>de</strong>s tournures<br />

qui ont pour complément « <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> » :<br />

Ex 4 : Assurément, Djéliba était un griot<br />

talentueux, le plus grand poète-louangeur <strong>de</strong><br />

notre siècle. Monnè : 42.<br />

Nous r<strong>et</strong>rouvons cJans cel extrait, le même eff<strong>et</strong> d'élévation apologétique <strong>de</strong> la<br />

panégy-décommensuration. Les passages qui vont suivre en donnent d'autres<br />

Illustrations.<br />

11-3-2-2 Autres procédés analytiques<br />

11-3-2-2-1 Des plus 1 Jeune <strong>de</strong>s jeunes<br />

La structure <strong>de</strong>s plus + adj. est une tournure <strong>de</strong>s plus usuelles parmi les<br />

procédés <strong>de</strong> car-actérisation Intensive. Son mécanisme sémantique est presque<br />

totalell1er1l I<strong>de</strong>ntique à celui cIe l'ensemble <strong>de</strong>s procédés décommensuratifs<br />

étudiés jusque-là Ell tlléorie, Il suppose l'eXistence d'un ensemble référentiel à<br />

partir <strong>du</strong>quel se fait la sélection. La légère nuance rési<strong>de</strong> en ceci que c<strong>et</strong><br />

ensemble ne regroupe a priori que <strong>de</strong>s indivi<strong>du</strong>s <strong>de</strong> stature exceptionnelle, ceux


237<br />

reconnus d'avance comme possédant au mieux la qualité envisagée Rapporter<br />

ainSI un Indivi<strong>du</strong> à ce groupe d'élite <strong>dans</strong> la même qualité reVient pratiquement à<br />

dire <strong>de</strong> lui qu'il possè<strong>de</strong> ladite qualité au plus <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. En fait, le<br />

rapprochement n'est rien moins qu'une <strong>forme</strong> <strong>de</strong> prélèvement à partir <strong>du</strong> groupe<br />

d'élite<br />

Ex l : La case patriarcale, la case royale <strong>du</strong><br />

Horodougou était une <strong>de</strong>s plus anciennes ( ... )<br />

Les Soleils: 131.<br />

Le châtiment impitoyable réservé à la péchbi dse Impie donne la pleine mesure <strong>de</strong><br />

la gravité <strong>de</strong> la faute (l'impudicité) dont 1\I10ussokoro s'est ren<strong>du</strong>e coupable:<br />

Ex 2.« Le plre <strong>de</strong>s transgressions d' interdit,<br />

<strong>de</strong>s coutumes: un <strong>de</strong>s plus grands péchés. Sauf<br />

le pardon d'Allah, l'absolution <strong>de</strong>s mânes, toute<br />

la vie tu <strong>de</strong>meureras une réprouvée » Monné :<br />

147.<br />

Soulignons la souplesse <strong>forme</strong>lle <strong>de</strong> la tournure pour conclure partiellement<br />

sur ce point Elle peut en eff<strong>et</strong> se rencontrer avec une autre syntaxe sans que le<br />

sens <strong>de</strong> l'énoncé n'en subisse la moindre modification. Tel est le cas lorsqu'au<br />

lieu dêtre au pluriel comme <strong>dans</strong> les passages qui précè<strong>de</strong>nt, le substantif<br />

caractérisé est au singulier après l'article indéfini. Celui-ci le précè<strong>de</strong><br />

Illlmedlatement sous c<strong>et</strong>te syntaxe-là <strong>et</strong> <strong>de</strong>s plus + adj. est alors presque<br />

toujours rej<strong>et</strong>é en position finale. Ainsi, au lieu <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription:<br />

\a)- un (e) <strong>de</strong>s plus + adj.+ substantif, on a plutôt,<br />

(b)- un (e)+ substantif + <strong>de</strong>s plus + adj<br />

Prenons les résultantes <strong>de</strong>s énoncés Cités antérieurement, faute <strong>de</strong> mieux<br />

Ex J' ·La case patriarcale, la case royale <strong>du</strong><br />

Horodollgou était une case <strong>de</strong>s plus<br />

(


Ex 2<br />

239<br />

Par la poudre, le feu <strong>et</strong> le fer, Samory<br />

s'était taillé<br />

Handingue ait<br />

Monnè : 24.<br />

le plus grand emplre que le<br />

rassemblé <strong>de</strong>puis Soundiata.<br />

Notons que d'un point <strong>de</strong> vue <strong>forme</strong>l, la relative détermlllatlve, outil<br />

d'intensification Joue le même rôle qu'un groupe prépositionnel complément. C'est<br />

le cas <strong>de</strong>s compléments spatiaux. Comparez avec les résultantes <strong>de</strong>s extraits qui<br />

précè<strong>de</strong>nt:<br />

Ex l': C'est au XIIè siècle que Tiewouré, le<br />

plus grand <strong>de</strong>vin <strong>du</strong> Mandingue à un aïeul <strong>de</strong><br />

Djigui annonça...<br />

Ex 2' Par la poudre, le feu <strong>et</strong> le fer, Samory<br />

s'était taillé le plus grand empire <strong>du</strong> Mandingue<br />

<strong>de</strong>puis Soundiata.<br />

S'il eXiste une différence, elle est d'abord syntaxique, les énoncés originels<br />

étant plus développés (ce qui est tout à fait normal) que leurs résultantes. Il<br />

convient <strong>de</strong> souligner également que le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la relative <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />

construction est presqu'autant une exigence sémantique que syntaxique. En eH<strong>et</strong>,<br />

la présence <strong>de</strong> la structure décommensurative appelle nécessairement le<br />

subjonctif. Cela explique qu'on soit tenté <strong>de</strong> donner un avantage en plus-value<br />

d'expressivité à c<strong>et</strong>te tournure par rapport à ses résultantes. En voici un autre<br />

exemple'<br />

Ex 3:« Hon nom totémique est Diabaté; Je me<br />

nomme Kindia Mory Diabaté,<br />

que le Mandingue ait<br />

Soundiata ( ...) ». Monnè: 30.<br />

le plus grand griot<br />

enfanté <strong>de</strong>puis<br />

Certes. la relative à l'indicatif se rencontre après une structure décommensurative


239<br />

Ex 2 Par la poudre, le feu <strong>et</strong> le fer, Samory<br />

s'était taillé le plus grand empire que le<br />

Mandingue ait rassemblé <strong>de</strong>puis Soundiata.<br />

Nonnè : 24.<br />

Notons que d'un pOint <strong>de</strong> vue <strong>forme</strong>l, la relative déterminative, outil<br />

d'intensification Joue le même rôle qu'un groupe prépositionnel complément. C'est<br />

le cas <strong>de</strong>s compléments spatiaux. Comparez avec les résultantes <strong>de</strong>s extraits qui<br />

précè<strong>de</strong>nt:<br />

Ex l': C'est au Xllè siècle que Tiewouré, le<br />

plus grand <strong>de</strong>vin <strong>du</strong> Mandingue à un aïeul <strong>de</strong><br />

Djigui annonça...<br />

Ex 2' Par la poudre, le reu <strong>et</strong> le fer, Samory<br />

s'était taillé le plus grand empire <strong>du</strong> Mandingue<br />

<strong>de</strong>puis Soundiata.<br />

S'il eXIste une clifférence, elle est d'abord syntaxIque, les énoncés originels<br />

étant plus développés (ce qUI est tout à fait normal) que leurs résultantes. Il<br />

convient cie souligner également que le mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> la relative <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te<br />

construction est presqu'autant une exigence sémantique que syntaxique. En eff<strong>et</strong>,<br />

la présence <strong>de</strong> la structure décommensurative appelle nécessairement le<br />

subjonctif. Cela explique qu'on soit tenté <strong>de</strong> donner un avantage en plus-value<br />

d'expressivité à c<strong>et</strong>te tournure par rapport à ses résultantes. En voici un autre<br />

exemple<br />

Ex J « ['Ion (lOm t.otémique est Diabaté; Je me<br />

nomme Kindia Mory Diabaté, le plus grand griot<br />

que le Mandingue ait enfanté <strong>de</strong>puis<br />

Soundiata ( .. ) » l'tonné: 30.<br />

Certes, la relative à l'indicatif se rencontre après une structure décommensurative


240<br />

comme c'est le cas <strong>dans</strong> l'extrait qUI suit. Mais il n'existe aucun risque <strong>de</strong><br />

confusion <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux fmmes d'énonciation:<br />

Ex 4 : Le grand sacrifice était une institution<br />

<strong>de</strong> la dynastie, la suprême <strong>de</strong>s adorations qu'un<br />

chef pouvait exposer. Monnè : 91.<br />

HormiS sa nature déterminative, c<strong>et</strong>te relative n'a rien <strong>de</strong> commun avec la<br />

précé<strong>de</strong>nte. En eff<strong>et</strong>, alors que la relative au subjonctif est le prolongement<br />

logique <strong>de</strong> la structure décommensurative, celle à l'indicatif se limite<br />

presqu'exclusivement à la <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> détermination. Mais le véritable enjeu<br />

ce sont les valeurs respectives <strong>de</strong>s mo<strong>de</strong>s en présence Dans un cas, le<br />

subjonctif indique que l'excellence évoquée, si elle est momentanément<br />

inégalable, reste néanmoins susceptible d'égalisation, voire <strong>de</strong><br />

dépassement. Par conséquent, nous avons affaire à un jugement dont la<br />

validité est limitée clans le temps. A l'opposé, l'indicatif ( ICI <strong>du</strong> mOins )<br />

possè<strong>de</strong> une valeur intemporelle qui donne l'idée exprimée comme vraie à<br />

Jamais. Et, <strong>de</strong> fait, tel semble être le cas puisque le grand sacrifice est<br />

notoirement reconnu <strong>de</strong>puis toujours par ceux <strong>de</strong> Soba comme le plus<br />

prestigieux <strong>de</strong>s rites sacrificiels auquel le souverain n'a recours que <strong>de</strong> façon<br />

tout aussI exceptionnelle Avant <strong>de</strong> conclure, voyons une catégOrie assez<br />

spéciale <strong>de</strong> moyens intensifs que sont les nombres <strong>et</strong> les chiffres.<br />

11-3-2-3- Nombres-coefficients<br />

Des nombres Indiquant ordinairement l'idée <strong>de</strong> quantité peuvent, selon le<br />

contexte. servir à marquer symboliquement l'intensité. A Dauzat justifiant l'usage<br />

<strong>de</strong> certains cie ces nombres <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te <strong>fonction</strong> note:<br />

L'emploi <strong>de</strong> dix <strong>et</strong> <strong>de</strong> ses multiples est en


confirmation d'un certain a-priorlsme interne au système linguistique lUI-même<br />

grâce notamment â la <strong>de</strong>scription sémantique <strong>de</strong> comme L'expressivité intensive<br />

<strong>de</strong> nombre d'énoncés comparatifs s'explique non seulement par leur caractère<br />

Insolite. mais encore, par la déviance qu'ils opèrent par rapport à la logique<br />

admise Cela nous perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> tirer une conclusion générale


Conclusion<br />

La variété <strong>de</strong>s procédés comparatifs à valeur IIltenslve confirme la<br />

complexité <strong>de</strong> la caractérisation <strong>et</strong>, plus généralement, celle <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong><br />

<strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré Sémantiquement, l'expressivité <strong>de</strong> ces images réalisées par les<br />

énoncés comparatifs tient pour une gran<strong>de</strong> part aux présupposés linguistiques <strong>et</strong><br />

culturels <strong>et</strong> à leur mécanisme <strong>de</strong> <strong>fonction</strong>nement. D'un point <strong>de</strong> vue linguistique.<br />

on note que la linéarité <strong>du</strong> discours est à la fois discriminante <strong>et</strong> hiérarchisante<br />

car elle conditionne l'appréciation en posant a priori le terme Intro<strong>du</strong>it par le<br />

morphème <strong>de</strong> comparaison comme la référence normative. L'apport culturel<br />

réalise <strong>et</strong> confirme c<strong>et</strong>te logique linguistique sous-Jacente en lUI donnant une<br />

<strong>forme</strong> à partir <strong>de</strong> l'expérience vécue. Et, comme pour les autres procédés passés<br />

en revue précé<strong>de</strong>mment, l'hyperbole y Joue un rôle capital bien que ce SOit à <strong>de</strong>s<br />

<strong>de</strong>grés divers. Ainsi les associations d'images qui sont <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> l'auteur<br />

possè<strong>de</strong>nt-elles, par l'eff<strong>et</strong> d'inatten<strong>du</strong> qu'elles créent <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> leur caractèrEi?<br />

souvent insolite, un avantage certain en expressivité sur nombre <strong>de</strong> structures<br />

classiques. Véritables créations analogiques. ces Images sont tantôt réalistes.<br />

tantôt illogiques avec pour <strong>fonction</strong> principale le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré par l'hyperbole. AinsI<br />

se justifient les constructions telles (être) impoli comme la barbiche d'un<br />

bouc, (être) analphabète comme la queue d'un âne, (être) noir comme<br />

un sourd-mu<strong>et</strong>, croire (quelque chose) aussi sûr que la nuit succè<strong>de</strong><br />

au jour. Quant aux morphèmes, il est utile <strong>de</strong> noter que la substituabilité entre<br />

comme <strong>et</strong> aussi que n'est pas parfaite, le premier pouvant tenir la place <strong>du</strong><br />

second <strong>dans</strong> presque tous les cas <strong>de</strong> figure, alors que l'inverse n'est pas toujours<br />

vrai. Dans ces conditions, on peut affirmer que comme est 1intro<strong>du</strong>cteur <strong>de</strong><br />

comparaison intensive par excellence. Enfin, au niveau <strong>de</strong> la structure<br />

décommensurative le plus adj. + compléments, il faut noter l'importance <strong>du</strong><br />

sens <strong>de</strong> l'adjectif <strong>dans</strong> la nature <strong>de</strong> la décommensuration C'est lUI en eff<strong>et</strong> qUI<br />

détermine la distinction entre l'hypo-décommensuration <strong>et</strong> la panégy-


1 - M. Le Guern. Sémantique <strong>de</strong> la métaphore <strong>et</strong> <strong>de</strong> la métonymie.<br />

Larousse. 1973, p 52.<br />

2 - C'est à <strong>de</strong>ssein que nous prenons <strong>de</strong>s exemples avec comme qui est pour<br />

nous, le morphème <strong>de</strong> comparaison par excellence.<br />

3 - Le terme image est pris au sens large où toute structure <strong>de</strong> comparaison telle<br />

que nous l'avons définie a une valeur intensive.<br />

4 - Néologisme indiquant chez l'auteur, l'univers réel <strong>et</strong>/ou fictif supposé habité<br />

par les Noirs <strong>dans</strong> l'imaginaire collectif.<br />

5 - A Dauzat. «L'expression <strong>de</strong> l'intensité par la comparaison » ln Le<br />

français mo<strong>de</strong>rne, juill<strong>et</strong>-octobre 1945, n° 3 - 4, P 183-84


" ,<br />

CH. 1 - L ·EXCLAMAl'ION INTENSIVE<br />

CH. II - L'ESTHETIQUE DE L'ANOMALIE<br />

SYNTAXIQUE DANS LE HAUT<br />

DEGRE


248<br />

nous appelons exclamation pure, caractérisée par la presence <strong>de</strong> termes<br />

Interjectifs classiques (Ah! , Oh! ). Dans ces conditions. le recours au contexte<br />

situationnel s'impose pour départager ces cas-limites. ainSI que les énoncés<br />

exclamatifs à termes motivés. En eff<strong>et</strong>, termes II1teqectifs <strong>et</strong> termes motivés <strong>dans</strong> le<br />

procès exclamatif, témoignent d'une forte réaction émotive qui se veut tout cl fait<br />

symptomatique <strong>de</strong> l'intensité <strong>de</strong> la cause qUI suscite c<strong>et</strong>te réaction. Il s'agit par<br />

conséquent d'une <strong>forme</strong> toute particulière d'intensification dont nous traitons <strong>dans</strong><br />

ce chapitre.


Section 1-111 - 1-1 L'exclamation notoire<br />

111-1-1-1 Exclamation pure<br />

L'insistance sur l'ascendance noble <strong>de</strong> Fama est un procédé à diverses<br />

finalités lorsqu'on envisage le discours <strong>dans</strong> la perspective <strong>de</strong> l'instance narrative.<br />

Elle s'en sert en eff<strong>et</strong>, soit pour souligner l'obstination presquobsessionnelle ou<br />

l'impertinente témérité <strong>du</strong> prince <strong>de</strong>vant une cause per<strong>du</strong>e d'avance. salt pour<br />

m<strong>et</strong>tre en relief sa patllétique déchéance. L'extrait ci-<strong>de</strong>ssous est une illustration<br />

<strong>du</strong> <strong>de</strong>rnier cas <strong>de</strong> figure:<br />

Ex 1: Fama Doumbouya! ( ... ) <strong>de</strong>rnier <strong>et</strong> légitime<br />

<strong>de</strong>scendant <strong>de</strong>s princes Doumbouya <strong>du</strong> Horodougou.<br />

( ... ) Un prince Doumbouya! Totem panthère<br />

faisait ban<strong>de</strong> avec les hyènes! Ah! les<br />

soleils <strong>de</strong>s Indépendances! Les Soleils 9.<br />

L'énoncé mis en relief n'eût pas été suffisant tout seul, à marquer ce soupir<br />

désabusé <strong>et</strong> c<strong>et</strong>te impuissance résignée, En eff<strong>et</strong>, le contexte <strong>de</strong> l'énoncé <strong>et</strong> le<br />

climat affectif général contribuent pour une large part à 1accrOissement <strong>de</strong><br />

l'intensité <strong>de</strong> la charge émotive. l\Jous pensons surtout à l'effondrement <strong>de</strong>s<br />

valeurs d'une époque déca<strong>de</strong>nte, celle où la qualité <strong>de</strong> la naissance était une<br />

soli<strong>de</strong> garantie pour une vie épargnée <strong>de</strong>s soucis existentiels, notamment les<br />

soucis d'ordre matériel. Le souvenir lointain <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te époque heureuse, celle sans<br />

doute <strong>de</strong> son enfance comparée à la combien triste réalité <strong>de</strong> sa vie actuelle qui<br />

porte tous les stigmates d'une décrépitu<strong>de</strong> sociale irrémédiable, perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> situer<br />

toute la portée d'une douleur morale absolue que tra<strong>du</strong>it l'exclamation CI-<strong>de</strong>ssus.<br />

Par conséquent, elle n'exprime pas seulement un sentiment quelconque, neutre,<br />

mais el1 indique en même temps l'intensité <strong>et</strong> marque que ce sentiment est porté<br />

à son plus <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> manifestation. Selon le même <strong>fonction</strong>nement. le<br />

passage à venir est semblable au précé<strong>de</strong>nt. C'est encore Fama, nostalgique,


voire passéiste qui s'écrie:<br />

Ex 2: Ville sale <strong>et</strong> gluante! pourrle <strong>de</strong> pluie!<br />

Ah! nostalgie <strong>de</strong> la terre <strong>de</strong> Fama! son ciel<br />

profond <strong>et</strong> lointain, son sol ari<strong>de</strong> <strong>et</strong> toujours<br />

sec. Oh! Horodougou! tu manquais à c<strong>et</strong>te<br />

ville( .. ) Les Soleils 19.<br />

Expression <strong>de</strong> dégoût blasé <strong>et</strong> réprobation Indignée se mêlent subrepticement<br />

pour déboucher en définitive sur un sentiment où une forte nostalgie le dispute à<br />

une gran<strong>de</strong> admiration, à travers la personnification d'un lointalll Horodougou<br />

dont le souvenir heureux est pourtant si présent <strong>dans</strong> l'esprit <strong>de</strong> Fama. Mais<br />

l'exclamation peut également être <strong>de</strong> nature positive. Elle marque alors une Jale,<br />

un plaisir intense. Tel est le cas <strong>de</strong>s extraits suivants Dans le premier,<br />

l'imminence <strong>de</strong> la cérémonie d'excIsion rend la mère <strong>de</strong> Salimata heureuse <strong>et</strong> sa<br />

Joie est compréhensible. En eff<strong>et</strong>, <strong>dans</strong> la mesure OIJ elle consacre la rupture avec<br />

l'enfance <strong>et</strong> l'entrée <strong>dans</strong> le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s a<strong>du</strong>ltes pour la jeune fille nubIle qUI a<br />

subi avec succès l'épreuve <strong>de</strong> l'excision, celle-ci revêt une importance sociale <strong>et</strong><br />

culturelle <strong>de</strong> premier ordre. Par-<strong>de</strong>ssus tout, l'issue <strong>de</strong> l'opération engage aussi le<br />

prestige <strong>et</strong> l'honneur <strong>de</strong>s familles Intéressées. Cela explique la jale anticipée <strong>de</strong> la<br />

mére <strong>de</strong> Salimata:<br />

Ex 3 : Quand poussèrent <strong>et</strong> <strong>du</strong>rcirent les seins <strong>de</strong><br />

Salimata, sa maman éclata <strong>de</strong> joie« Ah! te<br />

voilà jeune fille! Ce sera pour bientôt».<br />

Les Soleils: 33.<br />

La présomption <strong>de</strong> réussite totale qui pèse sur chaque candidate <strong>et</strong> par­<br />

<strong>de</strong>là elle, sur tous les siens d'une part, les r<strong>et</strong>ombées morales (1 honneur, la<br />

dignité <strong>et</strong> la joie <strong>de</strong> la réussite) qu'on en attend d'autre part, Justifient c<strong>et</strong>te<br />

explosion <strong>de</strong> joie longtemps contenue <strong>et</strong> cependant anticipée <strong>de</strong> la mère <strong>de</strong>


quil est le seul à bénéficier <strong>de</strong> la clémence <strong>du</strong> singe sexuellement anthropophile,<br />

ce qUI explique son infinie reconnaissance<br />

Ex 3 : (Le cynocéphale) avait les griffes <strong>de</strong><br />

flanune, <strong>de</strong> flamme qui vascillait, il poursuivait<br />

les hommes tous nus <strong>et</strong> musclés malS fous<br />

d'épouvante qu i se débandaient ( ... ) Louange a<br />

Allah! le singe répugnant épargna Fama ()<br />

Les Soleils: 170.<br />

A côté <strong>de</strong> ces énoncés exclamatifs <strong>de</strong> type religieux, on trouve <strong>de</strong>s exclamations<br />

réalisées avec d'autres mots-programmes L'expressivité <strong>de</strong> ceux-ci, leur<br />

mécanisme sémantique rappellent le <strong>fonction</strong>nement <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>nts <strong>dans</strong> leur<br />

connotation Intensive. En voici quelques exemples<br />

Ex 4 : (Salimata) avait le <strong>de</strong>stin d'une femme<br />

stérile comme l' harmattan <strong>et</strong> la celldre.<br />

Malédiction! Malchance! Allah seul fixe le<br />

<strong>de</strong>stin d'un être. Les Soleils: 30.<br />

Dans le chapitre consacré à <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré par la caractérisation<br />

intensive adjectivale, nous avons montré quelle nuance séparait un adjectif<br />

postposé d'un adjectif antéposé: l'antéposition convient à <strong>l'expression</strong> affective<br />

Cela. J. Marouzeau l'atteste lorsqu'il note que: «Dans un énoncé complexe,<br />

on peut s'attendre à ce que les éléments affectifs soient<br />

antéposés aux éléments intellectuels ».1 C<strong>et</strong>te remarque est surtout<br />

vraie pour l'exclamation comme le montre l'exemple qui va SUivre La veuve<br />

Salimata est indirectement tenue pour responsable <strong>de</strong> la mort <strong>de</strong> son marI. Et pour<br />

cause, Selon l'entourage, c'est le génie malfaisant censé 1 habiter qUI en est<br />

l'auteur direct:


Ex : Baffi ne serait pas mort par la grosse<br />

hernie étranglée, mais assassiné par le génie<br />

malfaisant <strong>et</strong> jaloux qui hantait Salimata; elle<br />

en était responsable. On se la montrait <strong>du</strong> doigt<br />

pour se la conter «Maudite beauté qui<br />

attirait le génie! une femme sans trou!<br />

une statu<strong>et</strong>te! ». Les Soleils: 41.<br />

C'est une colère indignèe à la limite <strong>de</strong> la haine qui explose littèralement <strong>et</strong> dont<br />

la manifestation se perçoit au niveau <strong>de</strong> l'intonation par l'accentuation <strong>de</strong> 1adJectif<br />

placé en initiale. Des adjectifs <strong>et</strong> <strong>de</strong>s adverbes peuvent également servir à<br />

marquer le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. Ce sont entre autres, quel. combien <strong>et</strong> que.<br />

Section 2-111-1-2 Exclamatifs d'intensité<br />

111-1-2-1 Exclamatifs simples<br />

Aux exclamatifs qui viennent d'être énumérés, s'opposent <strong>de</strong>s constructions,<br />

<strong>forme</strong>llement SI bien élaborées qu'elles sont comparables à <strong>de</strong>s locutions. AinSI le<br />

caractère <strong>de</strong> simplicité appliqué à quel, combien <strong>et</strong> que se veut-il distinctif <strong>du</strong>n<br />

point <strong>de</strong> vue <strong>forme</strong>l.<br />

111-1-2-1-1 Combien<br />

L'ambivalence <strong>fonction</strong>nelle <strong>de</strong> combien (il peut aussi bien marquer l'idée<br />

<strong>de</strong> quantité que l'intensité) montre à n'en pOint douter, à quel pOint quantité <strong>et</strong><br />

intensité se superposent <strong>et</strong> sont souvent étroitement unies. Cela ne va pas sans<br />

poser quelques difficultés. Nous pensons notamment au problème <strong>de</strong> la frontière<br />

à tracer entre les <strong>de</strong>ux notions <strong>et</strong> celui, infiniment plus délicat encore <strong>de</strong> la<br />

prééminence entre elles. Comment résoudre ces difficultés? Des conditions<br />

morphosyntaxiques y contribuent. En eff<strong>et</strong>. lorsque combien est en <strong>fonction</strong><br />

nominale (son sens est alors proche <strong>de</strong> beaucoup <strong>de</strong> + substantif) Il sert à


t:..JI<br />

constatation, soudain la voix subit une inflexion ascendante dont le somm<strong>et</strong><br />

culmine sur cam ment. Celui-ci est ainsi prononcé avec énergIe. même<br />

littéralement martelé sous la poussée d'un sentiment qUI reste à préciser afin<br />

qUlntervienne à sa suite, l'explicitation <strong>de</strong> l'idée <strong>de</strong> la proposition. Ce qUI explique<br />

l'importance <strong>du</strong> <strong>de</strong>uxième groupe <strong>de</strong>s exclamations. En eff<strong>et</strong>. \a structure « mais<br />

comment! », bien que càmplétant partiellement l'idée <strong>de</strong> son antécé<strong>de</strong>nt. a<br />

besoin elle-même d'autres éléments pour que sa signification SOit intelligible.<br />

C'est que son sens est parfaitement imprécis, bien qU'li soit éminemment<br />

suggestif. « Mais comment' », formule <strong>de</strong> renchérissement Insinue en eff<strong>et</strong><br />

l'Idée contraire à celle exprimée par la proposition qui la précè<strong>de</strong>. <strong>de</strong> sorte qu'il<br />

convient en général à <strong>l'expression</strong> Ironique. Ainsi, avant l'énonciation <strong>de</strong> « <strong>et</strong><br />

après combien <strong>de</strong> douleurs' » <strong>dans</strong> l'extrait précité, il est certes pOSSible <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong>viner la dichotomie entre l'espoir initial <strong>et</strong> le résultat. En revanche. 1\ est<br />

parfaitement impossible <strong>de</strong> quantifier avec précision, la qualité <strong>et</strong> l'éten<strong>du</strong>e réelle<br />

<strong>de</strong>s sacrifices consentis pour infléchir positivement le cours <strong>de</strong>s evénements .<br />

Grâce à son caractère explicite par conséquent, la <strong>de</strong>uxième séquence <strong>de</strong><br />

j'énoncé enrichit la signification <strong>de</strong> « mais comment\ » en la clarifiant <strong>et</strong> en la<br />

précisant. Quant à la valeur <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> l'énoncé (Opposition intensité­<br />

quantité) <strong>et</strong> en particulier celle <strong>de</strong> combien, l'idée <strong>de</strong> quantité semble à première<br />

vue primer sur l'intensité. Le fait est que l'intensité est précisément<br />

consubstantielle à la quantité. Autrement dit, l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong>s souffrances en<strong>du</strong>rées<br />

par la mère <strong>de</strong> Salimata sert <strong>de</strong> mesure exponentielle à leur propre portée en<br />

terme d'intensité. La superposition <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux notions <strong>et</strong> la difficulté quen Impose<br />

parfOIS une tentative <strong>de</strong> claSSification se r<strong>et</strong>rouvent également avec l'exclamatif<br />

que.<br />

111-1-2-1-2 Que<br />

Ex 1 Pauvre maman! OUl la maman <strong>de</strong> Salimata,


place <strong>de</strong> que <strong>dans</strong> les exemples 1 <strong>et</strong> 2 n'est pas non plus absolument figée<br />

Certes une certaine hiérarchie d'expressivité eXiste entre ces énoncés <strong>et</strong> leurs<br />

résultantes quand l'adverbe vient à occuper la position initiale<br />

Ex l': Que d'innombrables <strong>et</strong> grands malheurs a<br />

traversés la (malheureuse) maman pour sa fille.<br />

Ex 3': Qu'Allah t'accor<strong>de</strong> granàeur <strong>et</strong> prospérité<br />

sans limite.<br />

En dépit <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nuance d'expressivité affective peu discutable, les résultantes<br />

sont parfaitement recevables. Cela signifie que lintensif que n'a pas l'exclusivité<br />

<strong>de</strong> la position Initiale, ce qui nous ramène à la lanCinante Interrogation sur la<br />

valeur Intensive <strong>de</strong> c<strong>et</strong> exclamatif. Puisque l'explication par la syntaxe comporte<br />

d'évi<strong>de</strong>ntes lacunes <strong>et</strong> ne peut suffire à donner une réponse satisfaisante. nous<br />

<strong>de</strong>vons en chercher les Justifications complémentaires ailleurs <strong>et</strong> invoquer<br />

d'autres arguments. Tournons-nous vers la motivation psychologique <strong>de</strong> l·énonce.<br />

c'est-à-dire l'idée qui provoque l'exclamation elle-même Il semble en eff<strong>et</strong> que<br />

c<strong>et</strong>te motivation psychologique Joue un rôle moteur <strong>dans</strong> !·énonclatlon<br />

exclamative d'intensité <strong>et</strong> que la syntaxe (ici <strong>du</strong> mOins), si elle y tient une place<br />

non négligeable, n'est en définitive qu'une contribution d'appOint <strong>et</strong> non<br />

particulièrement déterminante. Notons cependant quelques remarques<br />

syntaxiques avant <strong>de</strong> conclure partiellement sur ce point. En plus <strong>de</strong> '·adjectlf<br />

(<strong>dans</strong> 1 exemple 2), l'exclamatif Intensif que peut aussi s'appliquer à un adverbe,<br />

à un verbe ou à une locution verbale. MaiS. étant donné que nous navons<br />

rencontré aucun <strong>de</strong> ces emplois chez l'auteur, les exemples qui sUivent sont tous<br />

hors-texte:<br />

1- adverbe: Qu'il fut peu délicat <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te affaire, Franckl<br />

2- verbe: Dieu, qu'il renifle sans arrêt, Sébahi 1<br />

3- locution verbale: Mon Dieu. qu'il fait chaud aUJourd'hui!


261<br />

Ex 3 : Les cuisses <strong>et</strong> les fesses se répandaient<br />

inf inies <strong>et</strong> on<strong>du</strong>lantes sous le pagne. Quel<br />

saisissement au toucher! Les Soleils: 133.<br />

Ex 4 : Quelle solennité! quelle dignité!<br />

quelle religiosité! C'était si extraordinaire<br />

pour <strong>de</strong>s Malinkés que leurs génies s'indignèrent<br />

<strong>et</strong> un maléfique tourbillon déboucha <strong>du</strong><br />

cim<strong>et</strong>ière( ... ). Les Soleils: 146.<br />

Quelques remarques d'ordre morphosyntaxique sont à noter à propos <strong>de</strong><br />

l'adjectif exclamatif. La première concerne sa position <strong>dans</strong> l'énoncé. En eff<strong>et</strong>.<br />

quel a une place variable. il peut tour à tour occuper la position initiale (exemole<br />

4) ou terminale (exemples 1 <strong>et</strong> 3 ) " peut également se trouver en position<br />

enclitique comme <strong>dans</strong> les exemples 2 <strong>et</strong> 3. Mais la variabilité spatiale <strong>de</strong> que<br />

<strong>dans</strong> l'énoncé n'influe guère sur l'exigence syntaxique qu'impose son emploi <strong>et</strong><br />

qui est l'inversion <strong>de</strong>s structures. De cela, nous inférons quelques règles<br />

1 - Quelle que soit sa position <strong>dans</strong> l'énoncé, l'exclamatif d'intensification quel<br />

in<strong>forme</strong> toujours une séquence inversée ou régressive<br />

2 - En <strong>fonction</strong> attributive auprès <strong>du</strong> sUj<strong>et</strong> inversé, Il peut être soit immédiatement<br />

suivI <strong>du</strong> terme qU'II modifie intensivement, lorsque le verbe <strong>de</strong> la proposition<br />

intro<strong>du</strong>ite n'est pas la copule être (exemple 1, P 258), salt séparé <strong>du</strong> sUj<strong>et</strong> par la<br />

copule être ( exemple 2, p 258 ).<br />

3 - LorsqU'li s'applique comme épithète à un substantif. il IntrodUit une proposition<br />

indépendante nominale ( exemples 3 <strong>et</strong> 4, p 261 ).<br />

Ces emplois Jouent-ils un rôle <strong>dans</strong> l'expressivité <strong>de</strong> l'adjectif? Autrement dit.<br />

la place <strong>de</strong> l'adjectif <strong>dans</strong> l'énoncé a-t-il une valeur hlérachisante? Invoquons la<br />

dimension sémantique <strong>de</strong>s énoncés pour tenter <strong>de</strong> trancher la question. A l'instar<br />

<strong>de</strong> point <strong>et</strong> tel <strong>dans</strong> les constructions «à ce point » <strong>et</strong> « à tel point ».<br />

l'adjectif quel est sémantiquement vague <strong>et</strong> imprécis. De là vient sa double<br />

<strong>fonction</strong> <strong>de</strong> caractérisation auprès d'un substantif <strong>et</strong> d'intensification <strong>de</strong> la qualité


262<br />

<strong>du</strong> substantif en question Qualité <strong>et</strong> intensité se superposant ainsI. 1expressivité<br />

<strong>de</strong> l'adjectif apparaît relativement amoindrie lorsque la qualité se trouve explicitée<br />

« quel grand honneur, quelle gran<strong>de</strong> pUissance cela représentait' » Au<br />

contraire, l'absence d'adjectif qualificatif auprès <strong>du</strong> substantif. parce qu'elle laisse<br />

!imaglnation libre <strong>de</strong> trouver l'épithète qui lUI semble le mieux convenir à<br />

<strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> sentiment éprouvé par le suj<strong>et</strong>, donne incontestablement plus <strong>de</strong><br />

vigueur au rôle intensif <strong>de</strong> quel. Tel est <strong>du</strong> moins notre Jugement par rapport à<br />

<strong>de</strong>s énoncés comme: « ( .. ) les cUisses <strong>et</strong> les fesses se répandaient infinies <strong>et</strong><br />

on<strong>du</strong>lantes sous le pagne. Quel bonheur au toucher' » On le VOIt. l'exclamatif<br />

multiplie à l'infini l'excitation libidinale <strong>de</strong> Fama, ou, pour être plus exact. il essaie<br />

<strong>de</strong> tra<strong>du</strong>ire au mieux l'intensité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te excitation qui est au summum <strong>de</strong> sa<br />

manifestation. En eff<strong>et</strong>, rien qu'en évoquant les avantages physiques <strong>de</strong> Manam,<br />

Fama est transi <strong>de</strong> convoitise <strong>et</strong> on <strong>de</strong>vine qu'il aurait bien aimé assouvir c<strong>et</strong>te<br />

flambée <strong>de</strong> désir lubrique qUI le consume littéralement. L'exlamatlf possè<strong>de</strong> par<br />

conséquent un pouvoir expressif indéniable.<br />

Quant au second énoncé : « Quelle solennité' quelle dlgnitél quelle<br />

religiosité l c'était si extraordinaire pour <strong>de</strong>s Malinkés que ( .. ) ». nous<br />

n'insisterons pas davantage en glose. On voudra simplement se souvenir <strong>de</strong>s<br />

développements que nous avons déjà faits <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>uxième partie <strong>du</strong> travail sur<br />

!a valeur intensive <strong>de</strong>s propositions consécutives. Mais exprimer l'impossibilité à<br />

trouver un terme qui ren<strong>de</strong> le plus fidèlement possible compte <strong>de</strong> ce qu'éprouve<br />

réellement le suj<strong>et</strong> parlant, n'est pas dévolu au seul adjectif intensif quel. Nous<br />

avons montré que tel <strong>et</strong> point, <strong>de</strong> sens imprécis pouvaient également servir à<br />

c<strong>et</strong>te fin. Outre ces termes. <strong>de</strong>s locutions suspensives servent elles aussi à<br />

marquer un très <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré sentimental. C'est à ces locutior',s exclamatives <strong>et</strong> à<br />

d'autres formules assimilées que nous nous Intéressons au paragraphe suivant.


263<br />

111-1-2-2 Locutions suspensi ves<br />

Si la capacité <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s parlant une langue à tirer le meilleur parti <strong>de</strong>s<br />

Insuffisances lexicales <strong>et</strong> syntaxiques <strong>de</strong> celle-ci, pour en enrichir le vocabulaire <strong>et</strong><br />

la grammaire peut être valorisante pour la langue, alors le français est sans aucun<br />

doute une gran<strong>de</strong> langue. Nous avons montré en eff<strong>et</strong> combien les énoncés<br />

exclamatifs intro<strong>du</strong>its par quel, avec ellipse d'une épithète précise gagnaient en<br />

expressivité affective autant qu'en puissance intensive. L'indicible qUI m<strong>et</strong>tait à nu<br />

les lacunes <strong>de</strong> vocabulaire <strong>de</strong>vient ainsi un facteur particulièrement propice à un<br />

enrichissement lexical. C'est ce procédé que nous r<strong>et</strong>rouvons <strong>dans</strong> les mêmes<br />

conditions psychologiques, suivant le même mécanisme sémantique à travers les<br />

locutions exclamatives telles :« Elle est d'une beauté! »,


111-1-2-2-1 Et d'une beauté<br />

264<br />

Le griot Diamourou explique à Farna, les ro.isons <strong>de</strong> so. bonne sante<br />

physique, Il lui fait le récit <strong>de</strong> la rencontre <strong>de</strong> sa fille avec le commandant<br />

Tomasslni. Celui-ci a littéralement succombé à la beauté <strong>de</strong> celle qUI serait plus<br />

tard sa femme.<br />

Ex l : Comme un bubale elle a sauté <strong>et</strong> atterri<br />

aux pieds <strong>du</strong> commandant Tomassini qui sifflota<br />

d'admiration. « Jolie! » ( ... ). Elle était<br />

plus vigoureuse qu'une génisse <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux ans, <strong>et</strong><br />

d'une beauté! d'une beauté! Le commandant<br />

n'en avait pas vu <strong>de</strong> comparable <strong>dans</strong> tout le<br />

Horodougou. Les Soleils: 111.<br />

Le griot qui est en général le maître <strong>de</strong> la facon<strong>de</strong>, celui pour qui l'art oratoire n'a<br />

aucun secr<strong>et</strong> <strong>et</strong> qui possè<strong>de</strong> un registre lexical toujours riche <strong>et</strong> varié. semble<br />

subitement à court d'épithète. Il laisse alors l'interlocuteur libre <strong>de</strong> se figurer le<br />

<strong>de</strong>gré le plus éminent que son imagination puisse concevoir pour qualifier la<br />

beauté ineffable <strong>de</strong> sa fille Matali. En fait, il est peu probable que le griot se donne<br />

la mOindre peine <strong>de</strong> trouver l'épithète correspondante, ni même quil la cherche<br />

C'est que la ressource vocale <strong>dans</strong> une expression comme celle-là, privée <strong>de</strong><br />

qualificatif précis est <strong>de</strong>puis longtemps un procédé <strong>de</strong> caractérisation IIltensive,<br />

Absente <strong>dans</strong> l'énoncé, l'épithète n'en acquiert que plus <strong>de</strong> présence <strong>de</strong> sorte<br />

que, ce que le procédé semble perdre en précision notionnelle par défaut<br />

d'épithète, il le compense plus qu'avantageusement en intensité émotive, Bien<br />

enten<strong>du</strong>, le contexte intervient pour éclairer l'interprétation vers les nuances <strong>de</strong><br />

caractérisation <strong>et</strong> d'intensité extrême, toutes <strong>de</strong>ux fondant harmonieusement <strong>dans</strong><br />

un climat affectif général propre à toute exclamation. Formellement, c<strong>et</strong>te<br />

exclamation suspensive est simple à décrire Elle se compose <strong>de</strong> 1article IIldéflnl<br />

uni une précédé <strong>de</strong> la préposition <strong>de</strong>, le tout suivi d'un substantif. CelUI-CI peut


265<br />

être <strong>de</strong> nature abstraite ou concrète. Fonctionnellement. la formule est un attribut.<br />

En eff<strong>et</strong>, bien que ia copule être salt absente <strong>dans</strong> 1énoncé, elle y est néanmoins<br />

virtuellement présente, <strong>de</strong> sorte que l'ensemble <strong>forme</strong> une locution verbale<br />

<strong>de</strong>scriptive en être d'un + substantif. Et c'est peu dire que d'affirmer que,<br />

sémantiquement, l'équation être d'un + substantif = très + adjectif est un<br />

pis-aller. Le fait est que l'énonciation obéit là à <strong>de</strong>ux niveaux psychologiques<br />

différents, selon qu'elle est toute entière <strong>dans</strong> l'affectivité intensive. ou qUI\<br />

s'agisse au contraire d'exprimer une froi<strong>de</strong> constatation sur laquelle l'affectivité<br />

n'a pas prise ou si peu qu'elle est à négliger. Mais <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré au<br />

moyen <strong>de</strong> l'exclamation suspensive est un procédé à plusieurs registres AinsI.<br />

alors que <strong>dans</strong> la locution verbale précitée, l'épithète était sentie comme étant<br />

intégrée au sémantisme même <strong>du</strong> substantif, <strong>dans</strong> d'autres locutions, seuls<br />

l'intonation <strong>et</strong> le contexte orientent l'interprétation vers l'intensité.<br />

111-1-2-2-2 Autres locutions<br />

111-1-2-2- 2-1 Mais la fauss<strong>et</strong>é<br />

Nous avons déjà montré que la conjonction mais occupant la place initiale<br />

<strong>dans</strong> un énoncé pouvait, selon le contexte, servir délément d'appuI à une<br />

expression affectivement marquée. Mais contrairement à la structure être d'un +<br />

substantif où les éléments sont assez soudés, la construction exclamative avec<br />

mais est, elle, plutôt libre <strong>et</strong> susceptible <strong>de</strong> recevoir divers compléments. Les<br />

extraits proposés CI-<strong>de</strong>ssous en témoignent. L'éventualité d'un héritage après la<br />

disparition <strong>de</strong> son cousin semble enchanter Fama. Par rapport à 1ensemble <strong>de</strong>s<br />

biens, l'héritier putatif a ses centres d'intérêts bien Ciblés, ses préférences.<br />

Ex 1: L' enterré laissait quatre veuves, les<br />

plus sérieuses pièces <strong>de</strong> la succession, dont<br />

<strong>de</strong>ux vieilles que le défunt avait acquises par


266<br />

legs. Ces <strong>de</strong>rnières ne<br />

plus( .. ) .Hais les <strong>de</strong>ux<br />

Mariam. Les Soleils: 93.<br />

se coupleront<br />

autres! Surtout<br />

Ex 2 : Sans la fauss<strong>et</strong>é malinké, c<strong>et</strong>te première<br />

nuit aurait été reposante ( ... ). Hais la<br />

fauss<strong>et</strong>é! les Malinkés ont la <strong>du</strong>plicité parce<br />

qu'ils ont l'intérieur plus noir que leur peau<br />

( ... ). Les Soleils: 108.<br />

Mis à part leur volume, ces formules interjectives lancées comme d'un trait sous la<br />

poussée émotive sont <strong>dans</strong> une certaine mesure comparables aux phrases<br />

adjectivales «Magnifique' », « Ravissant!» qu'on prononcerait <strong>de</strong>vant un<br />

obj<strong>et</strong> d'art qui frappe vivement notre sensibilité <strong>de</strong> dil<strong>et</strong>tante ou <strong>de</strong> professionnel<br />

<strong>de</strong> l'art. En eff<strong>et</strong>, lorsque l'affectivité est atteinte à un <strong>de</strong>gré extrême. la<br />

grammaticalisation ou la construction élaborée d'une proposition complète <strong>et</strong><br />

explicite cè<strong>de</strong> en général le pas à une expression ramassée. concise <strong>et</strong> qui est<br />

symptomatique <strong>de</strong> l'intensité <strong>du</strong> sentiment éprouvé Tel est le cas <strong>de</strong> la locution<br />

exclamative avec mais... ! Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la courbe mélodique <strong>de</strong> la voix,<br />

seul le terme complément <strong>de</strong> la conjonction reçoit toute l'énergIe d'accentuation.<br />

SI bien que c'est par lui que le sUj<strong>et</strong> se trahit affectlvement, laissant exploser sa<br />

sensibilité. Dans les passages que nous venons <strong>de</strong> citer à la page 266,<br />

1intonation porte respectivement sur autres (exemple 1) <strong>et</strong> fauss<strong>et</strong>é (exemple<br />

2) En eff<strong>et</strong>, pour que ces cris <strong>de</strong> cœur soient poussés avec une telle force. il a<br />

fallu que les causes qui les ont suscités aient atteint le suj<strong>et</strong> à l'extrême limite <strong>de</strong><br />

sa sensibilité, ce qui l'oblige à recourir naturellement aux interjections. De ce point<br />

<strong>de</strong> vue par conséquent, la formule suspensive avec mais est comparable au<br />

mécanisme expressif <strong>de</strong> la structure être d'un + substantif. En eff<strong>et</strong>. Incapable<br />

sous le coup d'une vive émotion <strong>de</strong> qualifier notionnellement ce qu'il ressent<br />

viscéralement, le suj<strong>et</strong> se limite à ce j<strong>et</strong> spontané à valeur d'autant plus intensive<br />

qu'il est <strong>de</strong> sens imprécis. En somme, la formule suspensive avec mais en initiale


267<br />

<strong>de</strong>vient un véritable moyen d'expression <strong>de</strong> l'affectivité autant que <strong>de</strong> 1intensité,<br />

grâce a l'eff<strong>et</strong> conjugué <strong>de</strong> l'intonation <strong>et</strong> le précieux concours <strong>du</strong> contexte La<br />

conjonction y sert alors <strong>de</strong> coefficient négatif ou pOSitif selon le cas Les<br />

exclamations conjonctives amenées par <strong>et</strong> sont comparables à c<strong>et</strong>te locution<br />

exclamative. A ce propos, notons d'emblée que ce qUI vient d'être dit <strong>de</strong>s locutions<br />

avec mais étant valables pour celles avec <strong>et</strong>. nous nous contenterons <strong>de</strong> donner<br />

quelques exemples <strong>de</strong> ces <strong>de</strong>rnières.<br />

Le prince Fama se rend à une cérémonie funéraire en quête <strong>de</strong><br />

quelques subsi<strong>de</strong>s. Mais quoique lamentablement déchu, il a encore le sens <strong>de</strong><br />

<strong>de</strong> l'honneur pour être sensible aux commentaires peu amènes, <strong>et</strong> a fortiori. aux<br />

critiques acerbes <strong>de</strong>s autres AUSSI, la présence <strong>de</strong>s badauds contrlbue-t-elle à<br />

accroître son exaspération.<br />

Ex 1 Fama se récriait « Bâtard cie<br />

bâtardise! Gnamokodé! » Et tout manigançait à<br />

l'exaspérer. Le soleil!( ... ) Et puis les<br />

badauds! les bâtards <strong>de</strong> badauds plantés en<br />

plein trottoir comme <strong>dans</strong> la case <strong>de</strong> leur papa.<br />

Les Soleils :9-10.<br />

Dans c<strong>et</strong> extrait, l'exclamation marque \a gran<strong>de</strong> exaspération <strong>de</strong> Fama,<br />

exaspération provoquée par une combinaison d'événements dont la présence<br />

<strong>dans</strong> la rue <strong>de</strong>s badauds. Leurs regards moqueurs <strong>et</strong> complices, probablement<br />

sUivis <strong>de</strong> quelques réflexions désabusées au passage <strong>de</strong> Fama, est une véritable<br />

épreuve morale pour le prince. Ils lui donnent en eff<strong>et</strong> l'occasion <strong>de</strong> mesurer sa<br />

cruelle déchéance <strong>et</strong> sa situation actuelle <strong>de</strong> ITIlsérable gueux accroché à<br />

quelques hypothétiques subSi<strong>de</strong>s funéraires. Sémantiquement. Il est difficile <strong>de</strong><br />

trouver une interprétation précise <strong>et</strong> absolue à c<strong>et</strong>te exclamation Mais nous<br />

pensons que parmi d'autres synonymes à proposer sur le strict plan <strong>de</strong> 1affectiVité.<br />

celui-cI serait tout à fait recevable. « Ahl ces badauds. qu'ils mexaspèrent ».<br />

'lu sous l'angle <strong>de</strong> l'affirmation simple, c<strong>et</strong> énoncé signifierait « Ces badauds


m'exaspèrent au plus <strong>haut</strong> point. »<br />

268<br />

Mais l'apport <strong>du</strong> contexte <strong>dans</strong> la démarche interprétative est d'autant<br />

plus précieux que l'environnement linguistique immédiat <strong>de</strong> l'exclamation<br />

suspensive est peu explicite, L'extrait qui va sUivre en constitue un exemple<br />

L'imminence <strong>de</strong>s agitations socio-politiques <strong>dans</strong> la capitale <strong>de</strong> la République <strong>de</strong>s<br />

Ebènes provoque chez Fama, la nostalgie d'une certaine époque où tous les<br />

événements graves <strong>de</strong> la vie étaient présumés par les oracles, Parmi ceux-cl. un<br />

serpent boa fort Impressionnant:<br />

Ex 2: Et le serpent! Aussi âgé que l'Ancienne,<br />

aussi gros que le cou d'un taurillon, vingt pas<br />

<strong>de</strong> longueur( ... ). Les Soleils: 162.<br />

C<strong>et</strong>te exclamation dont le sens est imprécis peut être interprétée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux façons,<br />

Elle peut être <strong>l'expression</strong> d'une nostalgie admirative pour le serpent. non<br />

seulement <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa dimension qUI en Imposait, mais également, cOlllme<br />

instrument <strong>de</strong> divination respecté, Dans ce sens, Il est aussI permis (<strong>de</strong>uxième<br />

Interprétation possible) <strong>de</strong> penser que l'exclamation expnme ulle très gran<strong>de</strong><br />

admiration pour le serpent en tant qu'il représentait une institution Jugée infaillible,<br />

<strong>et</strong> que c<strong>et</strong>te <strong>fonction</strong> <strong>dans</strong> l'art divinatoire paraît avoir été toujours assumée avec<br />

bonheur par l'animal. En fait. ces <strong>de</strong>ux hypothèses, loin <strong>de</strong> s'exclure l'une l'autre,<br />

sont plutôt <strong>dans</strong> un rapport <strong>de</strong> complémentanté mutuelle, On peut ainsi affirmer<br />

que la formule suspensive exprime à la fois l'indéfectible attachement <strong>de</strong> Fama au<br />

serpent, symbole <strong>de</strong>s valeurs sûres <strong>de</strong> son époque <strong>et</strong> l'extrême admiration <strong>du</strong><br />

prince pour la vérité <strong>et</strong> l'éfficacité réelles ou supposées <strong>de</strong>s diagnostics <strong>de</strong><br />

l'animal-oracle, Du point <strong>de</strong> vue syntaxique, on notera la substituabilité <strong>dans</strong> les<br />

passages cités jusque-là entre l'article défini <strong>et</strong> son alternant habituel, le<br />

démonstratif ce (c<strong>et</strong> ou c<strong>et</strong>te). C'est que celUI-ci peut également intro<strong>du</strong>ire une<br />

exclamation <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s conditions presqu'i<strong>de</strong>ntiques à celles <strong>de</strong> l'article défini. C.<br />

De Boer, parmi d'autres grammairiens <strong>de</strong>s ongines note en substance à ce


269<br />

propos. <strong>dans</strong> sa Syntaxe <strong>du</strong> français mo<strong>de</strong>rne 5, que l'emploi exclamatif <strong>de</strong> c<strong>et</strong><br />

adjectif démonstratif est un héritage <strong>de</strong> l'ancienne langue où le démonstratif <strong>et</strong> le<br />

défini alternaient déjà. Les exemples suivants m<strong>et</strong>tront fin au paragraphe.<br />

111-1-2-2-2-2 C<strong>et</strong>te fuite!<br />

Le rôle Intensif <strong>du</strong> démonstratif <strong>dans</strong> l'exclamation peut être parfois sUj<strong>et</strong> à<br />

caution comme certains procédés que nous avons précé<strong>de</strong>mment étudiés. Cela<br />

s'explique par le fait que les données intensive <strong>et</strong> affective sont presque toujours<br />

si intimement liées, que vouloir accor<strong>de</strong>r la primauté à l'une d'elles n'est pas<br />

toujours aisé. Plus encore, cela peut même paraître relever d'une prétention<br />

d'exégète. Mais peut-on vraiment échapper à c<strong>et</strong>te prétention <strong>de</strong>vant un fait <strong>de</strong><br />

langage qui fait essentiellement appel à la sensibilité? Or, nous savons qu'il<br />

n'existe rien <strong>de</strong> moins coercible, parce que non susceptIble <strong>de</strong> standardisation.<br />

que l'affectivité ou la subjectivité. La relativité que nous avons notée comme étant<br />

indissolublement liée à toute démarche interprétative dOit être <strong>de</strong> mise plus<br />

encore Ici qu'ailleurs. En tout cas, le rôle <strong>du</strong> contexte est toujours aussi capital<br />

pour l'Intelligence <strong>de</strong>s énoncés. Salimata, nostalgique <strong>de</strong>s temps Idylliques entre<br />

elle <strong>et</strong> Fama se souvient <strong>de</strong> la fugue qu'elle fit pour rejoindre son amant <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s<br />

conditions <strong>de</strong> courage inhabituel pour une jeune fille <strong>de</strong> son âge:<br />

Ex l : C<strong>et</strong>te fuite! Par la nuit grlse, seule,<br />

par une piste, <strong>dans</strong> la brousse nOlre,<br />

mystérieuse d' esprits, <strong>de</strong> mâmes, infestée <strong>de</strong><br />

fauves, un baluchon sous l'aisselle, elle<br />

s'était enfuie. Les Soleils: 46.<br />

Sans la suite <strong>de</strong> l'énoncé qui complète l'exclamation. il eût été impossible <strong>de</strong><br />

donner une signification précise à celle-ci. Tout ce qUI pourrait être avancé comme<br />

interprétation avant la partie postérieure à l'exclamation ne sera en fait que


270<br />

simples conjectures risquées. En termes différents. cela signifie quen elle-même.<br />

la formule suspensive amenée par le démonstratif n'est pas sémantlquement<br />

autonome, ou, plus exactement, que son autonomie sémantique ne se limite qu'à<br />

1expression d'un état d'âme innommable, en tout cas notionnellement vague <strong>et</strong><br />

imprécis, Seule la <strong>de</strong>scription <strong>de</strong>s conditions <strong>de</strong> la fuite perm<strong>et</strong> <strong>de</strong> saisir l'idée<br />

d'extrême témérité <strong>de</strong> la jeune Salimata. Et comme pour nombre <strong>de</strong> procédés<br />

déjà analysés, le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te témérité sert en même temps d'exposant<br />

d'intensité au sentiment <strong>de</strong> fierté personnelle que peut éprouver Salimata à<br />

l'évocation <strong>de</strong> ce moment décisif <strong>de</strong> sa vie. On le voit. affectivité <strong>et</strong> Intensité se<br />

mêlent encore étroitement sans qu'on puisse dire <strong>de</strong> façon absolue, si l'une prend<br />

le pas sur l'autre, bien que, à première vue, la dominante affective semble<br />

l'emporter, Du point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'intonation. l'accent se porte sur le terme ou sur le<br />

groupe complément immédiat <strong>de</strong> l'exclamatif, à savoir le substantif tuite. On<br />

remarquera <strong>du</strong> reste que <strong>dans</strong> c<strong>et</strong> emploi, le démonstratif est le correspondant <strong>de</strong><br />

l'adjectif exclamatif quel qUI, <strong>dans</strong> ce cas précis, alternerait parfaitement avec lui<br />

sans que pour autant ne soient confon<strong>du</strong>es leurs spécificités respectives,<br />

actualisateur pour l'un, épithète ou attribut pour l'autre.<br />

Au niveau syntaxique, ce peut alterner avec l'article <strong>de</strong>finl Mais sans<br />

quon puisse en donner d'autres explications objectives que celle <strong>de</strong> leurs<br />

'personnalités" respectives, on note une légère différence d'expressIvité entre ces<br />

morphèmes <strong>de</strong> même champ lexical. Ainsi, <strong>dans</strong> le passage à venir où la place<br />

<strong>de</strong> l'article pourrait être tenue par ce ou quel, nous pensons que l'énoncé varie<br />

en charge affective <strong>et</strong> intensive selon qu'on emploie tel ou tel morphème, Après<br />

une nuit d'insomnie subie, l'angoisse <strong>de</strong> l'infécondité au ventre, Salimata revit en<br />

souvenir l'affreux abus sexuel dont elle fut victime <strong>et</strong> qui couve peut-être le secr<strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> sa stérilité:<br />

Ex 2 : Le viol! Dans le sang <strong>et</strong> les douleurs <strong>de</strong><br />

l'excision, elle a été mor<strong>du</strong>e par les feux <strong>du</strong><br />

fer chauffé au rouge <strong>et</strong> au piment. Et elle a


271<br />

crié, hurlé. Les Soleils 31.<br />

Indignation <strong>et</strong> dégoût atteignent leur paroxysme <strong>dans</strong> l'esprit <strong>de</strong> la victime par<br />

simple évocation <strong>de</strong> c<strong>et</strong> acte pourtant déjà bien lOintain. Et comme pour le cas<br />

précé<strong>de</strong>nt, affectivité <strong>et</strong> intensité s'imbriquent indissolublement l'une <strong>dans</strong> 1autre.<br />

rendant ainsi toute tentative <strong>de</strong> hiérarchisation très délicate, vOire Impossible.<br />

Quant à la possibilité <strong>de</strong> combinaison <strong>de</strong>s unités <strong>de</strong> même rôle (ce, le. quel), Il ny<br />

a qu'un seul cas <strong>de</strong> figure acceptable. Cela peut-II être discriminant au niveau <strong>de</strong><br />

l'expressivité? Hormis la variation d'expressivité qui reste à démontrer. aucune<br />

modification significative n'est à noter en ce qui concerne le sens <strong>de</strong> l'énoncé<br />

lorsque l'article vient à être remplacé par les <strong>de</strong>ux morphèmes. Voyons-en les<br />

résultantes :<br />

Ex 2' a) Ce viol! Dans le sang <strong>et</strong> les<br />

douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

Ex 2' b) Quel viol! Dans le sang <strong>et</strong> les<br />

douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

Mais une telle mise en équation au rllveau syntaxique ne rend pas totalement<br />

compte <strong>de</strong> la complexité réelle <strong>de</strong> la spécificité <strong>de</strong> chaque morphème quant à<br />

leur possibilité d'union. En eff<strong>et</strong>, les exigences <strong>de</strong> l'intonation apparaissent<br />

sélectives sur le plan syntaxique où les énoncés varient en <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

grammaticalité, les uns étant plus ou moins anomaux que les autres. Les<br />

passages ci-après montrent bien les limites <strong>du</strong> processus d'amalgation <strong>de</strong>'s<br />

morphèmes:<br />

1 - Lei quel<br />

a) - ** : Le viol! Ce viol! Dans le sang <strong>et</strong><br />

les douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...


272<br />

b) - ** : Ce viol! Le viol! Dans le sang <strong>et</strong><br />

les douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

2 - Le/quel<br />

c) - . Le viol! Quel viol! Dans le sang <strong>et</strong> les<br />

douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

d) - **: Quel viol! Le viol! Dans le sang <strong>et</strong><br />

les douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

3 - Ce / quel<br />

e) - : Ce viol! Quel viol! Dans le sang <strong>et</strong><br />

les douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

f) - : Quel viol! Ce viol! Dans le sang <strong>et</strong><br />

les douleurs <strong>de</strong> l'excision elle a été mor<strong>du</strong>e...<br />

La combinaison au niveau <strong>de</strong> l'exemple 1 entre l'article défini <strong>et</strong> le<br />

démonstratif est absolument impossible Cela ne serait-il pas la preuve <strong>de</strong><br />

l'i<strong>de</strong>ntité presque totale <strong>de</strong> leur <strong>fonction</strong>? En ce qui concerne le <strong>et</strong> que, seul (c)<br />

paraît recevable avec cependant une acceptabilité située au-<strong>de</strong>ssous <strong>de</strong>s<br />

énoncés <strong>de</strong> la combinaison ce/ quel. En eff<strong>et</strong>, seuls ces énoncés ont valeur <strong>de</strong><br />

modéle au plan morpho-syntaxique. En outre, <strong>du</strong> pOint <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la courbe<br />

mélodique <strong>de</strong> la voix, l'intonation montante <strong>dans</strong> les exclamations amenées par<br />

quel semble Incontestablement supplanter celle <strong>de</strong>s autres exclamations. Le<br />

critère phonétique est-il pertinent <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> l'expressivité? Pour trouver<br />

une réponse à c<strong>et</strong>te ultime question, ouvrons davantage l'étu<strong>de</strong> à l'accentuation.<br />

quoique sa valeur intensive puisse être assez discutable <strong>dans</strong> certains cas. Il en<br />

va ainsi <strong>de</strong> l'indéfini même dont la <strong>fonction</strong> d'insistance confine à une seml­<br />

intensité.


273<br />

Section 3-111 1-3 Insistance semi-intensive par même<br />

L'insistance est la dominante sémantique que peuvent accompagner<br />

différentes nuances. Parmi celles-ci, il faut compter le renchérissement Comment<br />

c<strong>et</strong>te insistance <strong>de</strong>vient-elle symboliquement un procédé intensif? L'extrait qui SUit<br />

perm<strong>et</strong>tra <strong>de</strong> mieux faire comprendre c<strong>et</strong> autre mécanisme linguistique. Après<br />

l'éclatant succès <strong>de</strong>s funérailles <strong>de</strong> son cousin Lacina, Fama fut un moment tenté<br />

d'assurer la continuité <strong>du</strong> pouvoir pour les Doumbouya. Mais un moment<br />

seulement car l'irrésistible appel <strong>du</strong> r<strong>et</strong>our à la capitale <strong>de</strong>vait finalement<br />

l'emporter:<br />

Ex l : Pour reconquerlr son pOUVOlr, Fama<br />

possédait un sorcier, un griot, <strong>de</strong> l'argent, àes<br />

appuis politiques ( ... ). C'était beaucoup, mais<br />

pas tout. Il manquait que le prince lui-mème n'y<br />

croyait pas, <strong>et</strong> qui aurait pu affirmer que <strong>dans</strong><br />

son for intérieur il le voulait, ou même le<br />

souhaitait? LesSoleils : 117<br />

Le rôle <strong>de</strong> l'indéfini même est capital <strong>dans</strong> la conditionnalité marquée par<br />

l'énoncé, Pour obtenir <strong>de</strong>s résultats, il faut s'en donner les moyens, y travailler <strong>et</strong><br />

surtout. Il faut déjà être désireux <strong>de</strong> les obtenir. C'est la condition première. non<br />

suffisante certes, mais nécessaire car les autres en dépen<strong>de</strong>nt étroitement Pour<br />

que Fama pût effectivement restaurer la cheffene laissée vacante, il eût fallu qU11<br />

remplît la condition minimale. En l'occurrence, le prince <strong>de</strong>vait. à défaut <strong>de</strong> vouloir<br />

ar<strong>de</strong>mment assurer le relai politique <strong>et</strong> administratif. le souhaiter au rnOll1s<br />

sincèrement. Or Fama ne semblait pas vouloir remplir c<strong>et</strong>te condition minimale.<br />

Que 1option <strong>de</strong> l'exil ait pris le <strong>de</strong>ssus chez lui n'est par conséquent qu'une sUite<br />

logique, Telle est <strong>du</strong> moins l'interprétation à tirer <strong>de</strong> la nuance qU'établit le<br />

narrateur entre vouloir <strong>et</strong> souhaiter Mais ce qU'II faut noter, c'est quau-<strong>de</strong>là <strong>de</strong><br />

c<strong>et</strong>te nuance sémantique, c'est l'importance <strong>du</strong> caractère systématique <strong>de</strong> la


274<br />

langue <strong>et</strong> <strong>de</strong>s problèmes <strong>de</strong> synonymie qui ressurgissent. En eff<strong>et</strong>. bien que<br />

vouloir <strong>et</strong> souhaiter appartiennent au même champ lexicàl ( celuI d'un vœu) <strong>et</strong><br />

qu'ils pUissent être mutuellement substituables. ils sont également opposables<br />

l'un à l'autre <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s cas comme celui qui précè<strong>de</strong>. Aussi peut-on faire au moins<br />

<strong>de</strong>ux observations en tenant compte <strong>du</strong> contexte d'énonciation. La première qUI<br />

est d'ordre sémantique, concerne les <strong>de</strong>ux synonymes. tandis que la <strong>de</strong>uxième<br />

qui ressortit plutôt à la syntaxe, intéresse davantage le rôle <strong>de</strong> 1indéfini même.<br />

Supposons que ces <strong>de</strong>ux verbes expriment « l'idée d'une chose qu'on aimerait<br />

voir se pro<strong>du</strong>ire mais dont la réalisation est soumise à certaines conditions »<br />

Supposons encore, pour les besoins <strong>de</strong> la démonstration, que la nuance<br />

sémantique qui sépare vouloir <strong>et</strong> souhaiter tienne d'une part. au <strong>de</strong>gré<br />

d'implication <strong>de</strong> la personne qui formule le vœu <strong>dans</strong> la réalisation effective <strong>de</strong><br />

celui-ci, <strong>et</strong> d'autre part, à la difficulté réelle ou supposée à satisfaire aux conditions<br />

nécessaires. Pour expliquer c<strong>et</strong>te nuance, nous dirons ainsi que le contenu<br />

notionnel <strong>de</strong> souhaiter laisse entendre selon le passage cité précé<strong>de</strong>mment.<br />

que la réalisation <strong>du</strong> vœu est tributaire <strong>de</strong> différents facteurs tout à fait<br />

imprévisibles <strong>et</strong> par conséquent indomptables par la personne aUI form ule ce<br />

vœu. Quant au signifié <strong>du</strong> verbe vouloir, il indiquerait plutôt que <strong>dans</strong> le<br />

processus d'accomplissement <strong>du</strong> vœu, les conditions qu'évoque son synonyme<br />

sont déjà remplies, ou bien qu'elles pourraient parfaitement l'être sous réserve<br />

que la personne en manifeste un vif intérêt. Par conséquent, sil est possible <strong>de</strong><br />

parler <strong>de</strong> responsabilité en terme d'implication ou d'intérêt effectif. nous pouvons<br />

dire, selon l'extrait que nous avons proposé, que la responsabilité <strong>de</strong> Fama est<br />

plus engagée <strong>dans</strong> l'interruption <strong>du</strong> processus successoral. En d'autres termes. si<br />

le relai politique <strong>et</strong> administratif n'a pu être assuré après la mort <strong>de</strong> Lacina, si le<br />

pouvoir est resté vacant à Togobala, c'est parce que Fama na pas fait ce qU'II<br />

aurait dû <strong>et</strong> sans doute pu faire: souhaiter prendre le pouvoir, ne fût-ce que cela.<br />

La conclusion sémantique que nous tirons <strong>de</strong> ce qui précè<strong>de</strong> est la suivante. La<br />

synonymIe entre <strong>de</strong>ux termes n'est Jamais absolue mais seulement partielle, car


275<br />

elle ne s'applique qu'au point d'intersection <strong>de</strong>s <strong>de</strong>ux synonymes. Ce pOint grâce<br />

auquel une équivalence sémantique supposée est établie. nous la désignons<br />

sous le terme d"'invariant sémantique' En ce qui concerne l'lndéfinl même.<br />

l'observation syntaxique est la suivante. Dans un énoncé, l'indéfini peut unir ( ou<br />

séparer) soit <strong>de</strong>ux termes en particulier dont dépend la signification d'ensemble<br />

<strong>de</strong> l'énoncé ( c'est le cas <strong>de</strong> vouloi r <strong>et</strong> sou haiter ), soit au contraire. <strong>de</strong>ux<br />

séquences plus élaborées. Dans le <strong>de</strong>uxième cas. on peut dire que même<br />

«coordonne» les "idées principales" <strong>de</strong> ces séquences, idées grâce auxquelles<br />

on attribue une signification globale à l'énoncé. Outre ce rôle syntaxique <strong>de</strong><br />

coordination, l'indéfini même Joue également un rôle sèmantlque Important: il<br />

amène un renchérissement soit progressif, soit regressif sur ce qUI a été dit<br />

auparavant. Les extraits qui suivent perm<strong>et</strong>tent <strong>de</strong> mieux apprécier ce pouvoir <strong>de</strong><br />

renchérissement. Si le prince a dû se résoudre à regagner la capitale. cest sans<br />

doute aussi parce qu'il a réalisé qu'il hériterait d'une situation <strong>de</strong> pénurie<br />

désespérante. peut-être sans promesse d'amélioration imminente. ni même à<br />

terme:<br />

Ex 2 : Comme héritage, rien <strong>de</strong> pulpeux, rien àe<br />

lourd, rlen <strong>de</strong> gras. Même une poule épatée<br />

pouvait faire le tour <strong>du</strong> tout. Les Soleils: 110.<br />

Le fait qu'une poule physiquement diminuée puisse faire le tour <strong>de</strong> la concession<br />

dont aurait hérité Fama s'il avait accepté la chefferie à Togobala est. selon le<br />

narrateur, parfaitement révélateur <strong>du</strong> dénuement total où se trouve tout le Village.<br />

On remarquera que le narrateur n'a pas choisi un animai qui SOit d'ordinaire cité<br />

en modèle pour sa rapidité, ce qui n'est pas gratuit. Dans ces conditions.<br />

l'embarras. puis le refus définitif <strong>du</strong> prince sont, sinon justifiés. <strong>du</strong> moins<br />

parfaitement compréhensibles car la situation était incompatible avec son désir<br />

<strong>de</strong> gran<strong>de</strong>ur. Mais l'indéfini même, en coordonnant plusieurs Idées. faits ou<br />

sentiments selon un ordre <strong>de</strong> présentation bien précis, peut être un moyen <strong>de</strong>


276<br />

renchérir sur ce qui a été déjà dit. Le passage que nous venons <strong>de</strong> citer le montre<br />

bien. En revanche, ce qui pourrait faire l'obj<strong>et</strong> <strong>de</strong> discussion, c'est sans doute la<br />

double nature <strong>de</strong> ce renchérissement qui, selon nous, peut être progressif ou<br />

regresslf. N'est-ce pas contradictoire <strong>de</strong> parler <strong>de</strong> renchérissement regresslf? En<br />

d'autres. termes, comment un renchérissement qUI est synonyme d'augmentatlon<br />

peut-il être regressif? Pour lever c<strong>et</strong>te apparente contradiction, nous <strong>de</strong>vons<br />

définir les critères <strong>de</strong> progression <strong>et</strong> <strong>de</strong> regresslon <strong>du</strong> renchérissement. En fait <strong>de</strong><br />

critère, il n'en eXiste qu'un seul <strong>et</strong> il est d'ordre "moral".La règle est la suivante. Si.<br />

<strong>dans</strong> un énoncé, le renchérissement amené par même est positif. alors ce<br />

renchérissement est qualifié <strong>de</strong> progressif. Dans le cas contraire. nous avons<br />

affaire à un renchérissement regressif. Ajoutons pour terminer que. pour être<br />

recevable. la dimension affective <strong>de</strong> ce critère doit impérativement tenir non<br />

seulement <strong>du</strong> sentiment linguistique, mais encore <strong>et</strong> surtout <strong>du</strong> bon sens<br />

L'envoyé spécial <strong>de</strong> Samory vient <strong>de</strong> livrer au roi Djigui. la teneur <strong>du</strong><br />

message dont il était porteur: le roi <strong>de</strong> Soba est invité à sceller un pacte d'alliance<br />

anticoloniale avec le grand résistant par la consommation <strong>de</strong> la boisson <strong>de</strong><br />

suzerain<strong>et</strong>é. C'est une situation on ne peut plus délicate pour Djigui. écartelé<br />

entre l'attachement à son honneur <strong>de</strong> souverain <strong>et</strong> son patriotisme<br />

Ex 3 L"enthousiasme <strong>de</strong> Djigui baissa; même il<br />

s'assombrit <strong>et</strong> se tut. Pouvait-il, fût-ce en<br />

raison d'une alliance pour vaincre les<br />

«Nazaras», accepter la suzerain<strong>et</strong>é? Monnè : 25<br />

Le roi Djigui est <strong>dans</strong> une situation véritablement cornélienne. S'il refuse le pacte<br />

que lUI propose le célèbre nationaliste Samory. il court le double risque d'être<br />

accusé <strong>de</strong> trahison <strong>et</strong> <strong>de</strong> collaboration avec le conquérant étranger. Mais s'il<br />

accepte l'offre <strong>du</strong> résistant, Il en <strong>de</strong>vient inéluctablement le vassal avec cependant<br />

la récompense <strong>du</strong> patriotisme utile, <strong>et</strong> surtout, la reconnaissance <strong>de</strong> toute la<br />

«Négritie>>. La tristesse qUi succè<strong>de</strong> à l'affaiblissement <strong>de</strong> son enthouSiasme


277<br />

initial montre une gradation affective ascendante <strong>de</strong> plus en plus négative. Le<br />

renchérissement sentimental amené par même est par conséquent <strong>de</strong> type<br />

regressif. Quant au renchérissement <strong>de</strong> type progressif, l'extrait qui suit en est une<br />

illustration. Il s'agit <strong>de</strong>s funérailles <strong>du</strong> quarantième Jour <strong>de</strong> Laclna<br />

Ex 4 Les marabouts - <strong>de</strong>s prestigieux! - il Y<br />

avait même <strong>de</strong>ux El Hadj - s'accroupirent au<br />

centre, à un pas <strong>de</strong>s plats <strong>et</strong> se mirent a<br />

feuill<strong>et</strong>er <strong>de</strong>s papiers jaunis. Les Soleils :<br />

145.<br />

Ces funérailles furent un éclatant succès. La preuve en est que <strong>de</strong>s marabouts <strong>et</strong><br />

non <strong>de</strong>s moindres, y avaient pris part, rehaussant ainsi la dimension religieuse <strong>de</strong><br />

la cérémonie <strong>de</strong> leur présence effective. Le fait que la présence <strong>de</strong>s sommités<br />

religieuses SOit synonyme <strong>de</strong> réussite totale est très révélateur d'un point <strong>de</strong> vue<br />

sémantique. On peut supposer en eff<strong>et</strong> que, même la venue d'un seul <strong>haut</strong>·<br />

dignitaire religieux n'était pas évi<strong>de</strong>nte, qu'elle n'était guère certaine. A fortiorI. la<br />

présence <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux musulmans prestigieux dépassait toutes les espérances <strong>et</strong> cest<br />

précisément en cela qu'elle sert d'élément évaluateur d'une réUSSite parfaite. Ce<br />

qu'il est important <strong>de</strong> noter aussi, c'est l'accent d'insistance qu'hérite même. que<br />

ce soit après une légère pause ryHlmique imposée par la ponctuation ou. cas<br />

assez rare, <strong>dans</strong> la ca<strong>de</strong>nce « normale » d'une lecture ininterrompue. Au<br />

len<strong>de</strong>main <strong>de</strong> l'indépendance <strong>de</strong> son pays, Fama rêvait légitimement d'une<br />

promotion sociale. La fin Justifiant les moyens à ses yeux, Il ne fit l'économie<br />

d'aucun sacrifice pour que son rêve <strong>de</strong>vînt réalité:<br />

Ex 5 : (.) il Y avait quatre vingts occaSlons <strong>de</strong><br />

contenter <strong>et</strong> <strong>de</strong> dédommager Fama qui voulait ètre<br />

sécrétaire général d'une sous-section <strong>du</strong> parti<br />

ou directeur d'une coopérative. Que n'a-t-il pas<br />

f ait pour être coopté? Prier Allah nu i t <strong>et</strong><br />

jour, tuer <strong>de</strong>s sacrifices <strong>de</strong> toutes sortes, même


278<br />

un chat nOlr <strong>dans</strong> un puits( ... ). Les Soleils :23<br />

L'ordre <strong>de</strong> présentation progressif <strong>de</strong>s faits Jusqu'à même. la place <strong>et</strong> l'énergie<br />

tonale qu'en nécessite la prononciation <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te positiol1 contribuent à dire<br />

combien Fama était obsédé par une quête <strong>de</strong> promotion sociale En eff<strong>et</strong>. la<br />

séquence complément <strong>de</strong> l'indéfini même peut être Interprétée <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux façons. A<br />

travers elle, le narrateur veut dire Implicitement, soit que Fama a accompli le<br />

sacrifice suprême avec l'idée que cela s'accompagne d'un jugement positif. On<br />

ém<strong>et</strong>tra l'hypothèse que, <strong>dans</strong> ce cas, sacrifier un chat afin d'obtenir ce qu'on<br />

désire est un acte positivement valorisé. Dans l'hypothèse opposée sur laquelle<br />

se fon<strong>de</strong> la <strong>de</strong>uxième interprétation. on supposera que le sacrifice <strong>du</strong> chat est un<br />

acte tout à fait ignoble. Dans ce cas. le narrateur qUI se veut dénonCiateur <strong>et</strong> outré.<br />

chercherait à dire que Fama s'est livré à <strong>de</strong>s pratiques futiles <strong>et</strong> abjectes à la limite<br />

<strong>du</strong> grotesque <strong>et</strong> <strong>du</strong> pathétique. En fait, les <strong>de</strong>ux hypothèses. SI elles paraissent<br />

s'exclure mutuellement à première vue, sont plutôt complémentaires <strong>dans</strong><br />

<strong>l'expression</strong> <strong>de</strong> l'idée principale, celle <strong>du</strong> désir obseSSionnel <strong>de</strong> Fama C'est<br />

encore <strong>dans</strong> ce sens que les énoncés à venir possè<strong>de</strong>nt une valeur exemplaire.<br />

Fama vient <strong>de</strong> se voir infliger vingt années <strong>de</strong> réclusion Criminelle Le narrateur,<br />

<strong>dans</strong> sa <strong>fonction</strong> symbolique <strong>de</strong> porte-parole <strong>de</strong> l'opinion publique. affirme. l'âme<br />

en peine. que le prince a pleinement mérité c<strong>et</strong>te sanction pour navolr pas écouté<br />

les conseils avisés <strong>de</strong> personnes respectables qui ont la sagesse <strong>de</strong> 1expérience:<br />

Ex 6 : Fama avait ce qu'il avait cherché( ... ). On<br />

l'avait prévenu. Les gens <strong>de</strong> l'indépendance ne<br />

connaissaient ni la vérité, ni l' honneur, ils<br />

sont capables <strong>de</strong> tout, même <strong>de</strong> fermer l' œil<br />

sur une abeille. Les Soleils: 175.<br />

Si la piqûre d'une abeille sur l'une quelconque <strong>de</strong>s parties <strong>du</strong> corps les<br />

plus exposées telles que le visage ou le bras provoque une douleur atroce. on<br />

peut imaginer le martyre à souffrir lorsque la piqûre est portée sur un organe aussI


279<br />

précieux <strong>et</strong> sensible que l'œil. Par conséquent ce qu'exprime l'énoncé n'est rien<br />

moins que la détermination presque pathologique <strong>de</strong> la nouvelle race <strong>de</strong> gens à<br />

aller jusqu'au bout <strong>de</strong> l'impensable. La valeur d'indéfini <strong>de</strong> l'adjectif tout qUI<br />

ponctue la phrase précédant la séquence avec même, souligne parfaitement.<br />

<strong>dans</strong> un curieux paradoxe d'imprécision notionnelle. combien Il peut être<br />

présomptueux, voire suicidaire <strong>de</strong> vouloir contrarier c<strong>et</strong>te nouvelle génération. <strong>de</strong><br />

s'opposer à elle. La séquence amenée par même explicite ainSI une <strong>de</strong>s<br />

capacités <strong>de</strong>s « gens <strong>de</strong> l'indépendance» implicitement contenue <strong>dans</strong><br />

l'indéfini tout. Dans sa <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> marqueur <strong>de</strong> gradation à valeur dinsistance.<br />

même peut être précédé <strong>de</strong> la conjonction <strong>et</strong>. Citons-en quelques exemples. Aux<br />

funérailles <strong>de</strong> Koné lbrahima, Fama a eu une vive altercation publique avec un<br />

coreligionnaire. Bien qu'il en ait été dédommagé, il n'en éprouve pas moins un<br />

profond chagrin pour sa dignité bafouée:<br />

Ex 7 : L'ombre <strong>du</strong> décédé allait transm<strong>et</strong>tre aux<br />

mânes que sous les soleils <strong>de</strong>s Indépendances les<br />

Malinkés honnissaient <strong>et</strong> même giflaient leur<br />

prlnce. Les Soleils: 15.<br />

Entre son désir obsessionnel d'avoir un enfant <strong>et</strong> la stérilité irrémédiable dont elle<br />

est SI cruellement frappée, Salimata est <strong>de</strong>venue psychologiquement vulnérable<br />

au point <strong>de</strong> rencontrer <strong>de</strong>s bébés partout:<br />

Ex 8 : Ses rêves débordaient <strong>de</strong> panlers<br />

grouillants <strong>de</strong> bébés, il en surgissait <strong>de</strong><br />

partout( ... ). En plein jour <strong>et</strong> même en pleine<br />

rue, parfois elle entendait <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> bébés,<br />

<strong>de</strong>s pleurs <strong>de</strong> bébés. Elle s'arrêtait. Rien:<br />

c' était le vent qui sifflait. Les Soleils 52.<br />

L'extrait cI-<strong>de</strong>ssus m<strong>et</strong> ainsI un terme à l'étu<strong>de</strong> succincte <strong>de</strong>s valeurs <strong>de</strong>


280<br />

l'indéfini m ê me. Avant <strong>de</strong> conclure ce chapitre sur <strong>de</strong>s observations<br />

fondamentales, Il est utile d'insister sur l'Importance <strong>du</strong> contexte dénonciation<br />

<strong>dans</strong> la syntaxe expressive En eff<strong>et</strong>, les nuances que nous avons essayé <strong>de</strong><br />

montrer sont étroitement dépendantes <strong>de</strong>s conditions d'emploi <strong>de</strong> même. En<br />

outre, la distinction entre renchérissement regresslf <strong>et</strong> renchérissement progressif.<br />

bien qu elle pUisse être discutable, elle était cependant utile. Elle avait pour but <strong>de</strong><br />

décrire une <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s <strong>du</strong> mécanisme d'expressivité linguistique par la syntaxe<br />

La remarque principale à en tirer est l'inexistence d'une synonymie absolue sur<br />

l'axe paradigmatique.


Conclusion<br />

281<br />

La première observation concerne la confirmation <strong>du</strong> rôle combien capital<br />

<strong>de</strong> l'intonation <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong>, non seulement <strong>de</strong> l'idée d'insistance à ml­<br />

chemin entre une simple gradation <strong>et</strong> l'intensité, mais aussI <strong>de</strong> l'idée d'intensité à<br />

nuance affective, La <strong>de</strong>uxième observation qui découle <strong>de</strong> la précé<strong>de</strong>nte est<br />

relative à la difficulté réelle à faire une distinction absolue entre l'une <strong>et</strong> l'autre<br />

notions, <strong>du</strong> fait précisément qu'elles s'expriment d'une manière indifférenciée au<br />

moyen <strong>du</strong> même procédé. A fortiori, c'est parfois une profon<strong>de</strong> gageure <strong>de</strong><br />

prétendre établir IJne hiérarchie entre intensité <strong>et</strong> affectivité, C'est que la<br />

perception <strong>de</strong> l'intensité <strong>et</strong> <strong>de</strong> l'affectivité au travers d'un procédé oral (l'intonation)<br />

que l'écriture peine à adopter peut varier considérablement suivant les indivi<strong>du</strong>s.<br />

De là vient que toutes les hypothèses qui sous-ten<strong>de</strong>nt les démarches<br />

interprétatives peuvent être a priori recevables, pUisqu'il ne semble guère eXister<br />

<strong>de</strong> critères objectifs imposables à tous, c'est-à-dire absolument Ifrécusables. On<br />

peut légitimement, <strong>dans</strong> ces conditions d'incertitu<strong>de</strong>, présumer <strong>de</strong>s risques réels<br />

ou supposés d'une polysémie interprétative <strong>et</strong> Infinie En fait. il n'en est<br />

absolument rien, car il existe tout <strong>de</strong> même une base d'objectivité mlillmaie pour<br />

tout analyste <strong>de</strong> diSCOurS, <strong>et</strong> qUi constitue un gar<strong>de</strong>-fou prémunissant <strong>de</strong>s dérives<br />

sémantiques ou autres interprétations erronées. Ce gar<strong>de</strong>-fou. c'est l'expérience<br />

<strong>de</strong> la pratique linguistique, le sentiment linguistique <strong>et</strong> le bon sens. Ainsi, si le<br />

doute est permis entre la prééminence à accor<strong>de</strong>r entre l'intensité pure <strong>et</strong><br />

l'intensité affective <strong>dans</strong> les énoncés que nous venons <strong>de</strong> voir, il ne serait guère<br />

raisonnable en revanche, d'en exclure complètement les idées d'affectivité <strong>et</strong><br />

d'intensité qu'ils dénotent d'abord. Il apparaît <strong>de</strong> la sorte clairement que ce qui<br />

présentait au départ quelques lacunes possè<strong>de</strong> en définitive, d'un strict point <strong>de</strong><br />

vue analytique, une rentabilité opératoire certaine. Que faut-II en inférer?<br />

Lintonation détenant un privilège certain, reconnaître la spécificité <strong>de</strong><br />

l'exclamation amenée par quel parmi d'autres, c'est établir impliCitement une


282<br />

hiérarchie <strong>et</strong> accor<strong>de</strong>r en définitive une certaine supériorité au pouvoir expressif<br />

<strong>de</strong> c<strong>et</strong> exclamatif. Dans ce sens, le rôle <strong>et</strong> le mécanisme d'expressIvité intensive<br />

<strong>de</strong>s locutions suspensives avec « Et d'une beauté 1 » notamment. méritent<br />

d'être soulignés.


283<br />

1- J. Marouzeau. «Quelques aspects d'u relief <strong>dans</strong> l'énoncé » ln Le français<br />

mo<strong>de</strong>rne, Juill<strong>et</strong>-Octobre 1945, n ù<br />

3 - 4, P 163<br />

2 - Ch. Berthelon. L'Expression <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré en français contemporain<br />

essai <strong>de</strong> syntaxe affective. Thèse, 1956, p 22.<br />

3 - La restriction concerne <strong>l'expression</strong> emphatique proche d'une déclamation<br />

poétique, comme <strong>de</strong> dire par exemple: «Que noble est le métier d'enseignant 1»<br />

4 - Ch. Sally. Traité <strong>de</strong> stylistique française. Klincksieck, 1929. vol.l. p 279­<br />

80.<br />

5 - C De Boer. Syntaxe <strong>du</strong> français mo<strong>de</strong>rne. 2è édition, Ley<strong>de</strong>. 1954. p<br />

120


286<br />

Section 1-111-2-1 De l'anomalie en général<br />

111-2-1-1 Anomalie <strong>et</strong> correction<br />

Dans la mesure où le concept d'anomalie en linguistique se définit toujours<br />

Implicitement par opposition à une certaine correction qui sous-tend l'idée <strong>de</strong><br />

norme. il est utile <strong>de</strong> traiter la question à rebours, en nous intéressant dabord à la<br />

structure <strong>de</strong> base <strong>dans</strong> le système français. C<strong>et</strong>te structure <strong>de</strong> base qUI actualise<br />

la <strong>fonction</strong> combinatoire est celle que consacre la complémentatlon principale<br />

entre le verbe, son suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> son obj<strong>et</strong>. suj<strong>et</strong> +verbe ( + obJ<strong>et</strong>) SOit les énoncés CI­<br />

<strong>de</strong>ssous.<br />

(a)- Qui dort dine<br />

(b) - Arnaud bat sa sœur cad<strong>et</strong>te<br />

Ce qUI est important à noter, c'est le rôle joué par le verbe <strong>dans</strong> la mesure où ses<br />

propriétés syntaxiques interviennent pour beaucoup <strong>dans</strong> l'exlstence d'une<br />

certaine terminologie qui se veut classificatoire. l\Jous pensons notamment à la'<br />

gran<strong>de</strong> opposition entre verbes transitifs <strong>et</strong> verbes intransitifs Mais en fait. c<strong>et</strong>te<br />

tentative <strong>de</strong> classification obéit au moins autant si ce n'est plus, à <strong>de</strong>s critères<br />

sémantiques qu'à <strong>de</strong>s critères syntaxiques. Et à mesure que le fon<strong>de</strong>ment<br />

sémantique se fait plus sélectif, les subdiVisions issues <strong>de</strong> la bipartition Initiale<br />

<strong>de</strong>viennent plus précises <strong>et</strong> se multiplient d'autant. L'existence <strong>de</strong>s verbes dits <strong>de</strong><br />

mouvement tels aller, partir, <strong>de</strong>s verbes performatifs comme jurer <strong>et</strong> prom<strong>et</strong>tre en<br />

est une preuve. Quant aux verbes <strong>de</strong> la classe « transitif » Ils appellent<br />

nécessairement un complément d'obj<strong>et</strong> pour la réalisation parfaite <strong>de</strong> leur schème<br />

syntaxique. C'est la nécessité <strong>de</strong> ce rapport syntaxique que soulignait déjà au<br />

Xlllè Siècle, Michel <strong>de</strong> Marbais cité par J. C. Chevalier en notant:<br />

Il est <strong>dans</strong> la nature <strong>de</strong>s choses que certaines<br />

actions réclament un autre terme extrinsèque <strong>et</strong><br />

différent <strong>de</strong> leur agent, tandis que d'autres ne<br />

requièrent pas un tel terme: <strong>et</strong> il en est qui


287<br />

réclament un terme qUl non seulement termine<br />

l'action, mais la reçolve, <strong>et</strong> d'autres OUl<br />

requlerent seulement un terme qui la termine,<br />

sans que ce terme reçoive l'action en quelque<br />

façon. 2<br />

C<strong>et</strong>te loi <strong>de</strong> la combinatoire sémantique gouverne les règles générales <strong>de</strong><br />

<strong>l'expression</strong> « correcte » au sens <strong>de</strong> la langue courante ou. si l'on veut. <strong>de</strong> la<br />

grammaire permissive <strong>et</strong> normative. Or la grammaire structurale elle-même,<br />

quoique privilégiant la dimension morpho-syntaxique <strong>dans</strong> son analyse.<br />

reconnaît l'importance <strong>du</strong> sens. Ainsi, après avoir défini les conditions <strong>de</strong> la<br />

«phrase minimale active achevée » ou « phrase canonique » par l'existence<br />

<strong>de</strong> part <strong>et</strong> d'autre <strong>du</strong> verbe (ou <strong>du</strong> syntagme verbal ) <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux syntagmes<br />

nominaux, l'un étant suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> l'autre obj<strong>et</strong>, J. Dubois note-t-il:<br />

(... ) la structure <strong>de</strong>s signifiants <strong>dans</strong> une<br />

phrase minimale active achevée est fortement<br />

indiquée. Elle tra<strong>du</strong>it l'opposition sémantique<br />

fondamentale entre l'acteur <strong>et</strong>/ou le <strong>de</strong>stinateur<br />

qui ont la <strong>fonction</strong> grammaticale <strong>de</strong> suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> le<br />

patient <strong>et</strong>/ou le <strong>de</strong>stinataire qui ont le raIe<br />

grammatical d'obj<strong>et</strong>. 3<br />

Cela signifie que les exigences sémantiques qui se répercutent au niveau<br />

<strong>de</strong> la syntaxe sont à la fois discrimlllantes <strong>et</strong> coercitives. car certains verbes<br />

imposent au suj<strong>et</strong> parlant, l'emploI d'un complément d'obj<strong>et</strong>. Tel est le cas <strong>de</strong> ( b),<br />

Pour dautres au contraire, le locuteur n'est tenu à aucune contralllte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

nature Les verbes <strong>de</strong> la classe « intransitif » que l'énoncè (a) Illustre bien en<br />

sont un exemple. Mais à un niveau supérieur d'analyse, les contrallltes <strong>de</strong> la<br />

sélection <strong>de</strong>viennent plus spécifiantes. exigeant <strong>de</strong> certains verbes un SUj<strong>et</strong> ou un<br />

obj<strong>et</strong> soécial répondant préalablement à <strong>de</strong>s traits <strong>de</strong> compatibilité précis. Il s'en<br />

suit Gue la nomenclature verbale se fait plus variée <strong>et</strong> en même temps.


289<br />

Il passe a toutes les sensations les menottes àu<br />

sourlre.<br />

Le son <strong>de</strong> sa VOlX est une cicatrice.<br />

Voici la gran<strong>de</strong> place bègue 4 .<br />

Le proj<strong>et</strong> stylistique <strong>de</strong> Br<strong>et</strong>on, Eluard <strong>et</strong> d'autres surréalistes visait. par le biais <strong>de</strong><br />

l'écriture automatique, à créer l'eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> sens a posteriori, cest -à-dire en<br />

Juxtaposant sans préméditation, <strong>de</strong>s Illats ou <strong>de</strong>s phrases qUI ne peuvent<br />

logiquement être employés ensemble. Le mon<strong>de</strong> <strong>de</strong>s arts. <strong>et</strong> en particulier la<br />

musique, proposent aussi <strong>de</strong>s combinaisons qui violent les présupposés<br />

linguistiques. Un exemple frappant est la chanson <strong>du</strong> célèbre compositeur<br />

français Serge Gainsbourg qui s'intitule: « Je t'aime mal non plus » Ou pOint <strong>de</strong><br />

vue logique en eff<strong>et</strong>, les contraines sémantiques <strong>de</strong> « Je t'aime » <strong>de</strong>man<strong>de</strong>nt<br />

comme complément «moi aussi », tandis que la séquence « mal non plus »<br />

présuppose, elle, un antécé<strong>de</strong>nt <strong>de</strong> <strong>forme</strong> négative. C<strong>et</strong>te remarque est Illlportante<br />

car elle perm<strong>et</strong> d'envisager la notion <strong>de</strong> présupposé <strong>dans</strong> une acception<br />

extensive <strong>et</strong> non plus exclusivement par rapport à la grammaticalité Soit les<br />

énoncés ci-<strong>de</strong>ssous:<br />

1- Jean-Christophe n'ira plus en Afrique.<br />

2- Paul reviendra.<br />

De l'énoncé 1, on peut inférer <strong>de</strong>ux interprétations possibles. Soit on laisse<br />

entendre que Jean-Christophe a déjà effectué au moins un voyage en Afrique <strong>et</strong><br />

que son prochain voyage qui était en vue va être annulé pour certaines raisons<br />

Soit au contraire, on veut dire implicitement que Jean-Christophe n'a Jamais été<br />

en Afrique, qu'il' était sur le point <strong>de</strong> s'y rendre pour la première fois mais que, pour<br />

certaines raisons, son voyage ne peut pas avoir lieu. Ces <strong>de</strong>ux hypothèses qUI<br />

sont tirées <strong>de</strong> la négation ne plus perm<strong>et</strong>tent détendre le sens <strong>et</strong> l'application <strong>de</strong><br />

la notion <strong>de</strong> présupposé. Le « ne plus » suppose au préalable un "ayant déjà<br />

été" effectif ou virtuel que 0 Ducrot appelle le posé. AinsI <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>scription<br />

qu'adopte l'auteur <strong>de</strong> Dire <strong>et</strong> ne pas dire: principes <strong>de</strong> sémantique linguistique. le


290<br />

présupposé ( pp) <strong>et</strong> le posé ( p) <strong>de</strong> l'énoncé 2 seraient les sUivants<br />

2- Paul reviendra.<br />

2' ( p. P )- Paul était là.<br />

2" ( p. )- Paul est parti.<br />

Le posé <strong>et</strong> le présupposé sont par conséquent, <strong>dans</strong> la procé<strong>du</strong>re d'analyse<br />

<strong>du</strong>crotienne, les synonymes conceptuels <strong>de</strong> ce que nous appelons<br />

génériquement les résultantes. Celles-ci désignent en eff<strong>et</strong> les propositions<br />

dé<strong>du</strong>ctibles d'un énoncé ou les paraphrases qu'on peut en faire pour expliciter<br />

son sens. Les exemples que nous venons <strong>de</strong> proposer perm<strong>et</strong>tent ainSI <strong>de</strong> clanfier<br />

les notions d'anomalie linguistique <strong>et</strong> <strong>de</strong> présupposé. Précisons que. en ce qui<br />

concerne le présupposé, nous le prenons surtout <strong>dans</strong> son acception restreinte où<br />

il définit les exigences <strong>de</strong> la <strong>fonction</strong> combinatoire.<br />

111-2-1-2 Présupposés <strong>de</strong> combinatoire sémantique<br />

Tout mot ( les termes mis en relief préciseront ce que recouvre pour<br />

nous c<strong>et</strong>te appellation) possè<strong>de</strong> <strong>de</strong>s sèmes spécifiques i<strong>de</strong>ntifiables Ce sont ses<br />

propriétés ou ses traits sémantiques. Ainsi la construction d'un énoncé<br />

sémantiquement partait doit-elle respecter au niveau syntaxique, la compatibilité<br />

<strong>de</strong>s propriétés sémantiques <strong>de</strong>s mots employés. Sur ce fon<strong>de</strong>ment sémantique.<br />

nous pouvons énoncer les hypotllèses <strong>de</strong> travail suivantes: 5<br />

1- Au niveau <strong>du</strong> sens, tout mot est susceptible <strong>de</strong> ré<strong>du</strong>ction jusqu'à ses<br />

caractéristiques extrinsèques. Ce sont ces traits sémantiques qui imposent <strong>de</strong>s<br />

restrictions sélectives sur l'axe syntagmatique <strong>de</strong>s combinaisons possibles (la<br />

<strong>fonction</strong> combinatoire).<br />

2 - Chaque mot ainsi ré<strong>du</strong>ctible fait jouer <strong>dans</strong> ses rapports avec les autres, le jeu<br />

<strong>de</strong> la compatibilité combinatoire. Celle-ci est définie par la correspondance entre<br />

les traits sémantiques essentiels <strong>de</strong>s mots pour que l'énoncé pro<strong>du</strong>it (ou à


291<br />

pro<strong>du</strong>ire) soit acceptable d'un double point <strong>de</strong> vue sémantique <strong>et</strong> syntaxique.<br />

Appelons L', l'ensemble <strong>de</strong>s lois sémantiques <strong>et</strong> R le rapport <strong>de</strong> tout locuteur L à<br />

ces lOIs. étant enten<strong>du</strong> que ce rapport peut être <strong>de</strong> transgression ou <strong>de</strong><br />

soumission. En excluant les transgressions involontaires. celles qUI sont Justifiées<br />

par une Ignorance <strong>de</strong> ces lOIS, nous ém<strong>et</strong>tons l'hypothèse que les transgressIons<br />

délibérées visent à pro<strong>du</strong>ire Uil eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> sens particulier. SOit 1_'=R \a relation qUI<br />

définit la soumission <strong>du</strong> locuteur aux lois sémantiques. L'équation L= non R<br />

définira quant à elle, la relation <strong>de</strong> transgression volontaire. Supposons enfin que<br />

le signe> tra<strong>du</strong>ise une certaine visée esthétique <strong>du</strong> locuteur L. Notre postulat<br />

sera le sUivant. Si L'= non R alors L > idée intensive ou idiome. Cela Signifie que<br />

la transgression délibérée <strong>de</strong>s lois sémantiques par le locuteur a pour but, <strong>dans</strong> le<br />

cas <strong>de</strong>s énoncés à verbes, soit d'exprimer symboliquement l'idée Intensive. SOit<br />

d'exprimer <strong>de</strong>s idiomes conformément à l'ambition <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> vraie. Après<br />

ces vues générales, nous pouvons à présent traiter <strong>de</strong>s énoncés anomaux chez'<br />

Kourouma.<br />

111-2-2- Des "anomalies" syntaxiques chez Kourouma<br />

111-2-2-1 " Renouvellement" syntaxique<br />

11I-2-2-1-1-Verbes "intransitivisés".,.<br />

111-2-2-1-1-1- Par eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> contamination<br />

Des verbes qUI s'emploient d'ordinaire avec un complément d'obj<strong>et</strong> sont<br />

employés intransitivement. Mais ce qu'il convient par-<strong>de</strong>ssus tout <strong>de</strong> noter. cest<br />

l'origll1e <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te "nouvelle" syntaxe, son mo<strong>de</strong> <strong>de</strong> création qui opère comme par<br />

contamination. A la vue <strong>de</strong> Fama venu vlllgt ans après aux funeral\\es <strong>de</strong> son<br />

cousin Lacina, <strong>de</strong>s pleurs se sont élevés, provoquant une atmosphère <strong>de</strong> chaos<br />

général où pleureuses, chiens <strong>et</strong> charognards se mêlaient. Lincongrulté <strong>de</strong> la<br />

scène est considérée comme un outrage impardonnable par la nature qUI réagit<br />

par un vent Impétueux:


292<br />

Ex l • Le vent renversa, arracha, aveugla <strong>et</strong><br />

le vacarme s' arr<strong>et</strong>a, chiens <strong>et</strong> pleureuses<br />

s'enfuirent <strong>et</strong> se refugièrent <strong>dans</strong> <strong>et</strong> <strong>de</strong>rrière<br />

les cases. Les Soleils : 107.<br />

Ex 2 Le marabout grogna un soufflant<br />

«bissimilai»( ... ) grasseya le nom <strong>du</strong> vers<strong>et</strong> à<br />

dire sept fois. Et un vent, un soleil <strong>et</strong> un<br />

unlvers graves <strong>et</strong> mystérieux <strong>de</strong>scendirent or<br />

enveloppèrent. Les Soleils: 119.<br />

La réalisation complète <strong>du</strong> schème syntaxique <strong>de</strong> renversa. arracha.<br />

aveugla <strong>dans</strong> l'énoncé 1 d'une part, <strong>et</strong> d'enveloppa <strong>dans</strong> lénoncé 2 dautre<br />

part, exige un complément d'obj<strong>et</strong>. Ces énoncés montrent au contraire une<br />

infraction à ce co<strong>de</strong> <strong>du</strong> bon usage, puisque ces verbes sont en emploi absolu.<br />

Mais la question d'intérêt à se poser concerne surtout le mécanisme <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

déstructuration, D'un point <strong>de</strong> vue <strong>forme</strong>l ( temps verbal), nous avons affaire <strong>dans</strong>'<br />

les <strong>de</strong>ux cas au passé simple. temps <strong>de</strong> récit adapté à la narration d'événements<br />

ponctuels, « clos » En outre, leur caractère ponctuel en ajoute à leur vitesse<br />

d'exécution, ce qUI contribue avantageusement à la modalité aspectuelle<br />

d'accompli qUI est celle <strong>du</strong> passé simple, Mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te valeur modale <strong>et</strong><br />

aspectuelle, ce qui revêt une importance fondamentale <strong>dans</strong> la narration <strong>et</strong> qUI.<br />

convenons-en, est moins tributaire <strong>du</strong> passé simple en tant que temps verbal quil<br />

n'est <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> l'auteur, est l'infraction syntaxique soulignée plus <strong>haut</strong>. Comment<br />

<strong>de</strong>vient-elle symboliquement un moyen d'exprimer l'idée d'intensité?<br />

Dans une suite <strong>de</strong> verbes à dénominateur commun (le mo<strong>de</strong> <strong>et</strong> le temps).<br />

certains, employés <strong>dans</strong> les conditions normales <strong>de</strong> plénitu<strong>de</strong> <strong>de</strong> leur schème<br />

syntaxique en influencent d'autres comme par phagocytose en modifiant leur<br />

rection, Tel est le cas <strong>de</strong> s'arrêta <strong>et</strong> <strong>de</strong>scendirent par rapport respectivement à<br />

ren versa, arracha, aveu g 1a d'une part, <strong>et</strong> d'en velo ppèrent d'autre part<br />

C<strong>et</strong>te sorte <strong>de</strong> phagocytose linguistique. opérant par proximité. nous l'appelons


293<br />

eff<strong>et</strong> par contamination. Ou point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> sa valeur, la suspension <strong>du</strong> schème<br />

verbal par c<strong>et</strong>te contamination décuple la pUissance <strong>et</strong> la vitesse d'exécution <strong>de</strong>s<br />

événements décrits <strong>et</strong> confère à l'ensemble <strong>de</strong> l'énoncé, une dimension<br />

hyperboloï<strong>de</strong>. Cela est surtout vrai <strong>de</strong> l'énoncé 1. En eff<strong>et</strong>, l'absence <strong>de</strong><br />

complément d'obj<strong>et</strong> qUI aurait pu servir <strong>de</strong> terme butoire à "extension <strong>de</strong>s<br />

événements, amplifie en quelque sorte l'ampleur <strong>de</strong> leur déroulement Par c<strong>et</strong>te<br />

narration suspensive, l'auteur nous fait <strong>de</strong>viner l'intensité avec laquelle se<br />

pro<strong>du</strong>isent ces événements, sans quartier. Parfois, l'intensité dOit simplement se<br />

<strong>de</strong>viner à travers la vitesse d'exécution <strong>du</strong> fait relaté. Mais touJours, un terme<br />

faisant partie intégrante <strong>du</strong> sens <strong>du</strong> verbe est sous ellipse <strong>dans</strong> ce cas Tel est le<br />

cas <strong>du</strong> substantif chemin <strong>dans</strong> la locution verbale rebrousser chemin <strong>dans</strong><br />

l'extrait qui suit On notera qu'il s'agit toujours sinon d'une anomie sociale, <strong>du</strong><br />

mOins d'un bouleversement significatif au niveau <strong>de</strong> la nature ou <strong>de</strong> phénomènes<br />

qUI sont souvent d'une extrême violence ou d'une rare abondance<br />

Pour échapper au contrôle <strong>de</strong>s gar<strong>de</strong>-fronlières, le plînce Fal1la sest J<strong>et</strong>e<br />

d'un pont, se laissant ainsi choir sur la berge d'un fleuve infesté <strong>de</strong> calmans. Il est<br />

mortellement mor<strong>du</strong> par une <strong>de</strong> ces bêtes en dépit <strong>de</strong> l'intervention d'un gar<strong>de</strong>­<br />

frontière qui a tiré sur la bête. Le cri <strong>de</strong> douleur <strong>de</strong> Fama, le grognement <strong>de</strong><br />

l'animal <strong>et</strong> le coup <strong>de</strong> fusil, en interrompant une fois <strong>de</strong> plus l'harmonie cosmique,<br />

m<strong>et</strong> aux prises animaux <strong>et</strong> humains <strong>dans</strong> un bouleversement apocalyptique digne<br />

d'un conte:<br />

Ex 3 : Les oiseaux ( ... ) en poussant <strong>de</strong>s crlS<br />

sinistres s'échappèrent <strong>de</strong>s feuillages, mais au<br />

lieu <strong>de</strong> s'élever, fondirent sur les anlmaux<br />

terrestres <strong>et</strong> les hommes. Surpris par c<strong>et</strong>te<br />

attaque inhabituelle, les fauves en hurlant<br />

fonçèrent sur les cases <strong>de</strong>s villages, les<br />

crocodiles sortirent <strong>de</strong> l'eau <strong>et</strong> s'enfuirent<br />

<strong>dans</strong> la brousse, pendant que les hommes <strong>et</strong> les<br />

chiens, <strong>dans</strong> <strong>de</strong>s crlS <strong>et</strong> <strong>de</strong>s aboiements<br />

infernaux, se débandèrent <strong>et</strong> s'enfuirent <strong>dans</strong> la


294<br />

brousse ( ... ). Les montagnes, les rlVleres, les<br />

forêts <strong>et</strong> les plaines encore une <strong>de</strong>uxième fois<br />

se relayèrent pour faire entendre la détonation<br />

à tout le pays. Les oiseaux, les animaux <strong>et</strong><br />

les hommes r e br0 u s s èrent, les 0 i s eau x<br />

s'élevèrent, .Les hommes <strong>et</strong> les chiens<br />

revinrent ( ... ). Les Soleils 2al.<br />

L'emploi intransif <strong>de</strong> certains verbes <strong>de</strong> la classe «transitif »quon vient <strong>de</strong> voir<br />

n'est qu'une <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s <strong>de</strong> l'impropriété participant <strong>du</strong> "renouvellement"<br />

syntaxique. La mise en suspens <strong>du</strong> schème verbal, c<strong>et</strong>te fois, non par eff<strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

contamination mais par "intransitivisation" absolue, est une autre <strong>forme</strong> <strong>de</strong><br />

déstructuration syntaxique.<br />

111-2-2-1-1-2 Par "intransitivisation" absolue<br />

Alors que <strong>dans</strong> l'lntransltivisatlon par eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> contamination <strong>de</strong>s verbes<br />

per<strong>de</strong>nt leur autonomie syntaxique au contact d'autres verbes <strong>du</strong> même énoncé.<br />

<strong>dans</strong> l'intransitivisation absolue, nous avons plutôt affaire à <strong>de</strong>s verbes employés<br />

solitairement par énoncé. Cela signifie simplement que <strong>de</strong>s verbes qui. d'ordinaire<br />

saccompagnent d'un complément d'obj<strong>et</strong>, subissent une modification syntaxique<br />

sans quon puisse invoquer la raison <strong>de</strong> l'eff<strong>et</strong> par contamination Le problème<br />

que pose l'intransitivisation absolue est celui <strong>de</strong> la polysémie Celle-ci désigne le<br />

fait qu'on puisse attribuer à un même mot plusieurs sens selon le contexte Les<br />

extraits qui suivent le montrent bien. En compagnie <strong>de</strong> nombreux coreligionaires.<br />

Fama est allé rendre un <strong>de</strong>rnier hommage à ses défunts parents au cim<strong>et</strong>ière <strong>du</strong><br />

village. Une o<strong>de</strong>ur <strong>de</strong> putréfaction à couper le souffle les enveloppe soudain en<br />

pleine prière. Le narrateur décrit l'intensité <strong>de</strong> ce baume féti<strong>de</strong> en ces termes:<br />

Ex 1 : Ils prièrent au pied <strong>de</strong> la tombe malgré la<br />

puanteur qui donnait comme s'ils étalent<br />

enfermés <strong>dans</strong> les boyaux. Les Soleils :122.


indiquer l'idée <strong>de</strong> quantité. En <strong>fonction</strong> adverbiale. il marque l'intensité Dans c<strong>et</strong><br />

emploI, l'adverbe modifie SOit un adjectif, SOIt un verbe ou un adverbe avec Ull<br />

sens voisin <strong>de</strong> à ce point Remarquons tout <strong>de</strong> suite, avant <strong>de</strong> passer à<br />

l'exemplification <strong>de</strong> sa valeur d'emploi chez l'auteur, que <strong>dans</strong> l'unique passage<br />

r<strong>et</strong>enu, combien est un cas <strong>de</strong> superposition <strong>de</strong> ses <strong>de</strong>ux valeurs Au fur <strong>et</strong> à<br />

mesure qu'approchait la date fatidique <strong>de</strong> l'excision <strong>de</strong> sa fille, la mère <strong>de</strong><br />

Salimata était minée par une appréhension grandissante. Elle éprouva alors la<br />

nécessité d'invoquer les génies <strong>et</strong> mânes <strong>de</strong> ses aleux afin qu'ils assurent sa fille<br />

<strong>de</strong> leur protection <strong>et</strong> garantissent le succès <strong>de</strong> l'opération. Lextrait qUI suit est<br />

<strong>dans</strong> ce sens significatif à plus d'un titre:<br />

Ex l : Oui, les génies entendirent les prières<br />

<strong>de</strong> sa maman, mais comment! <strong>et</strong> après combien <strong>de</strong><br />

douleurs! après combien àe soucis! a.près<br />

combien <strong>de</strong> pleurs! Les Soleils: 33.<br />

L'expressivité <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te série d'exclamations est frappante quant au martyre<br />

souffert par la mère <strong>de</strong> Salimata <strong>et</strong> l'issue <strong>de</strong> l'opération. Pour l'essentiel, ces<br />

exclamations peuvent se répartir en <strong>de</strong>ux groupes. On verra bientôt que. si au<br />

niveau sémantique ces <strong>de</strong>ux groupes sont mutuellement dépendants, cest surtout<br />

grâce à une certaine hiérarchie qui les sépare. Mais penchons-nous en premier<br />

sur les composantes mêmes <strong>de</strong> ces groupes. D'un côté, nous avons l'exclamation<br />

initiale « ... mals comment l » Plus qu'une simple juxtaposition syntaxique, cest<br />

une véritable structure expressive <strong>et</strong> combien affectivement porteuse <strong>de</strong> la langue<br />

parlée. En eff<strong>et</strong>, complément d'une proposition,« mais comment l »sert à<br />

Intensifier en la reprenant en d'autres termes, l'idée <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te proposition. Sa <strong>forme</strong><br />

ramassée <strong>et</strong> conCise, sa position toujours postérieure à c<strong>et</strong>te proposition<br />

contribuent beaucoup à c<strong>et</strong>te intonation particulière que sa profératlon exige <strong>du</strong><br />

suj<strong>et</strong> parlant. Alors que son antécé<strong>de</strong>nt (la proposition que suit la structure) se dit<br />

ou se lit avec le ton assez neutre qui Sied en général à toute assertion <strong>de</strong> simple


296<br />

commun <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s parlant une langue, précè<strong>de</strong> le second qui, lui. est issu <strong>du</strong><br />

contexte d'emploI, d'où l'appellation <strong>de</strong> sens contextuel. Du Marsais, <strong>dans</strong> le<br />

Traité <strong>de</strong>s tropes <strong>de</strong>venu un classique parmi les étu<strong>de</strong>s <strong>de</strong> rhétorique. définit ainSI<br />

le sens propre (<strong>et</strong> le sens contextuel aussi, implicitement ):<br />

Le sens propre d'un mot, c'est la première<br />

signification <strong>du</strong> mot. Un mot est pris <strong>dans</strong> le<br />

sens propre lorsqu'il signifie ce pourquoi il a<br />

été premièrement établi. 6<br />

Si la tentation étymologiste est inévitable <strong>dans</strong> toute démarche définitionnelle, il<br />

faut veiller à en relativiser la dimension, surtout <strong>dans</strong> l'acception <strong>du</strong> sens propre<br />

selon Du Marsais. En eff<strong>et</strong>, si l'antériorité <strong>du</strong> sens propre sur le sens contextuel ou<br />

sens figuré est incontestable, l'exclusion <strong>de</strong>s considérations synchroniques serait<br />

une lacune réelle <strong>dans</strong> le sens d'une certaine dynamique sémantique En eff<strong>et</strong>.<br />

<strong>dans</strong> la mesure où le sens propre suit la trajectoire Ilistorique <strong>et</strong> est par<br />

conséquent évolutif, la valeur étymologiste <strong>de</strong> «signification première» peut être<br />

non seulement cause d'erreur d'analyse, mais encore, elle nous semble être pour<br />

c<strong>et</strong>te raison même, assez restrictive. Dans ces conditions, pour éviter la tentation<br />

d'une sémantique étymologiste d'une part, <strong>et</strong> <strong>dans</strong> la mesure où, d'autre part, le<br />

sens propre parait être fondé sur le critère d'usage général <strong>et</strong> commun <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s.<br />

ne conviendrait-il pas <strong>de</strong> privilégier le sens actuel, ici <strong>et</strong> maintenant? "faut bien<br />

noter en eff<strong>et</strong> que le sens propre n'est rien moins que la signification qu'une<br />

communauté linguistique <strong>dans</strong> son ensemble ou <strong>dans</strong> sa gran<strong>de</strong> majorité. donne<br />

à un mot à un moment précis <strong>de</strong> son histoire. AinSI, pour éviter que le sens propre<br />

ne rime avec « première signification », il serait plus exact <strong>de</strong> le définir comme<br />

étant le sens actuel le plus connu. Cela éviterait les pièges d'un étymologlsme<br />

sclérosant. Mais au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te proposition <strong>de</strong> réajustement définitionnel. ce qUI<br />

mérite Intérêt au premier chef, c'est le processus <strong>de</strong> création en grammaire <strong>du</strong><br />

sens contextuel.


297<br />

D'un point <strong>de</strong> vue morpho-syntaxique par exemple. le procédé peut être <strong>de</strong><br />

nature additionnelle ou "ré<strong>du</strong>ctlonnelle" Oans le premier cas, le proce<strong>de</strong> consiste<br />

en une adjonction <strong>de</strong> terme Dans le second au contraire. c'est la suppression <strong>du</strong><br />

terme normalement atten<strong>du</strong>. Le résultat <strong>de</strong> ces opérations est toujours un<br />

"néologIsme" dont le sens diffère en général complètement <strong>du</strong> sens Initial Tel est<br />

le cas <strong>de</strong> don n er <strong>dans</strong> les exemples cités auparavant <strong>et</strong> où. excepté<br />

l'homographie avec le verbe transitif donner, nous avons affaire en quelque sorte<br />

à plusieurs verbes donner. Ainsi <strong>dans</strong> l'énoncé 1. donnait signifie « exhalait<br />

très fort >>. C'est également <strong>dans</strong> le sens d'une exhalaison tenace que dOit être<br />

interprété donnait <strong>dans</strong> l'énoncé 2. En outre, ces verbes se rejoignent presque<br />

au niveau <strong>de</strong> la complémentation. Dans l'énoncé 1 en eff<strong>et</strong>. don n ait<br />

s'accompagne d'une séquence à valeur <strong>de</strong> comparaison hypothétique qUI a pour<br />

<strong>fonction</strong>, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa caractérisation, <strong>de</strong> suggérer l'intensité <strong>de</strong> l'exhalaison féti<strong>de</strong>.<br />

Oans l'extrait 2, il s'agit simplement d'une comparaison hyperbolique dont nous<br />

avons déjà montré combien elle défie la logique probabiliste quant à l'événement<br />

décrit. Pour ce qUI est <strong>de</strong> l'énoncé 3, donnèrent doit être compris <strong>dans</strong> le sens<br />

<strong>de</strong> « résonnèrent avec force >>. Outre donner, d'autres verbes subissent<br />

également une modification <strong>de</strong> leur syntaxe selon le même procédé Ce sont entre<br />

autres, mitrailler, pilonner. débiter, écraser Les <strong>de</strong>ux premiers verbes<br />

seront étudiés plus loin <strong>dans</strong> le paragraphe <strong>de</strong>s verbes <strong>de</strong> métaphore militaire.<br />

Toutefois, ces verbes <strong>et</strong> les autres participent tous <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré<br />

par l'hyperbole comme le montrent les énoncés qUI suivent.<br />

Ex 4 : Le griot débitait comme <strong>de</strong>s oiseaux <strong>de</strong><br />

figuiers. Les Sole.ils : 114.<br />

A Soba où la puissance d'un homme se mesure aussi à l'éten<strong>du</strong>e <strong>de</strong> son pouvoir<br />

mystique, le roi Djigui a <strong>de</strong>s raisons d'éprouver un sentiment d'auto-satisfaction <strong>et</strong><br />

<strong>de</strong> fierté silencieuse mêlées: il avait encore le pouvoir <strong>de</strong> comman<strong>de</strong>r à la nature:


298<br />

Ex 5 : Le centenaire caressa sa barbe, rajusta sa<br />

coiffure <strong>et</strong> plongea sa maln droite <strong>dans</strong> la<br />

gran<strong>de</strong> poche chargée <strong>de</strong> mille fétiches <strong>et</strong> gri­<br />

gris impossibles. A ce geste, tous les gendarmes<br />

regagnèrent leurs nids. Donc il pouvait encore.<br />

Monnè : 121.<br />

Le statut <strong>de</strong> seml-auxiliaire <strong>de</strong> pouvoir requiert toujours un complément<br />

II1finitif. Employé <strong>de</strong> manière absolue comme <strong>dans</strong> l'énoncé ci-<strong>de</strong>ssus. il est<br />

comparable aux verbes précé<strong>de</strong>mment étudiés qui, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> la modification <strong>de</strong><br />

leurs propriétés syntaxiques, acquièrent un nouveau sens. Le semi-auxiliaire ainsi<br />

employé exprime, sans qu'on pUIsse lui trouver un synonyme précIs. 1idée d'une<br />

omnipotence mystique exceptionnelle. Le passage qui SUit perm<strong>et</strong> d'apprécier<br />

davantage, par son caractère explicite, la signification en <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> pouvoir<br />

Ex 6 : Quand le pouvoir <strong>de</strong> Dj igui était au<br />

zénith, son Fadoua gUl venait <strong>de</strong> mourlr<br />

pouvait; il pouvait par temps menaçant affirmer<br />

gue le ciel était serein sans gue personne <strong>de</strong> ce<br />

côté <strong>du</strong> fleuve osât désigner <strong>du</strong> doigt les nuages<br />

encombrant l'horizon. Monnè : 197.<br />

Suivant le même procédé <strong>de</strong> suspension <strong>de</strong> son schème, le verbe écraser reçoit<br />

un accroissement sémantique <strong>et</strong> suggère que la chose décrite se pro<strong>du</strong>it avec un<br />

éclat tout particulier qui tra<strong>du</strong>it implicitement l'idée d'une intensité indicible. Et le<br />

fait que <strong>dans</strong>. c<strong>et</strong> emploi le verbe ait <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s appartenant au même champ<br />

leXical n'est pas indifférent. C'est en eff<strong>et</strong> la condition nécessaire <strong>et</strong> suffisante pour<br />

que l'énoncé soit sémantiquement II1telligible:<br />

Ex 7 : (... ) Ce maudit soleil <strong>de</strong> notre pays qUl<br />

écrasait <strong>et</strong> étouffait au point que les vautours<br />

avaient déserté le ciel. Les Soleils 71.


299<br />

Ex 8 : Le soleil montait, la chaleur éCL"asait.<br />

Les .Soleils : JS9.<br />

Ex 9 : Nous étions <strong>dans</strong> le Livre, tentant <strong>de</strong><br />

dénombrer les surnoms <strong>de</strong> l' Etre suprème; le<br />

soleil brûlait, écrasait; les illlrages montaient<br />

<strong>de</strong>s rues <strong>et</strong> <strong>de</strong>s places. Monnè 169.<br />

Ces énoncés sont une <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s <strong>de</strong> l'anomalie linguistique participant <strong>de</strong><br />

<strong>l'expression</strong> hyperbolique. Les verbes d'emploi métapllorlque par matérialisation<br />

<strong>de</strong> l'abstrait ou par transfert <strong>de</strong> sens pur, contribuent aussi avantageusement à<br />

1expression <strong>de</strong> l'idée intensive au moyen <strong>de</strong> l'hyperbole.<br />

111-2-2-'-2 Verbes d'emploi métaphorique<br />

Considérée comme la reine <strong>de</strong>s figures, la métaphore opère elle aussi un<br />

transfert <strong>de</strong> sens i<strong>de</strong>ntique à ce que nous venons <strong>de</strong> VOIr. A ce titre, la définition<br />

qu'en propose Du Marsais mérite d'être citée. On y notera la synonymie entre<br />

« transporte »<strong>et</strong> transfère:<br />

La métaphore est une figure par laquelle on<br />

transporte, pour ains i dire, la s ignification<br />

propre d'un mot à une autre signification qui ne<br />

lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui<br />

est <strong>dans</strong> l'esprit. 7<br />

AinsI <strong>dans</strong> les énoncés hors-texte ci-<strong>de</strong>ssous, les mots combat <strong>et</strong> mort sont <strong>dans</strong><br />

un emplOI métaphorique car ils possè<strong>de</strong>nt un sens autre (sens contextuel ou<br />

figuré) que leur sens propre:<br />

1- La scolarisation combat l'ill<strong>et</strong>risme<br />

2- Après son spectacle au Zénith, il étaIt mort <strong>de</strong> fatigue.


300<br />

Dans le premier énoncé, combat n'a plus son sens d'« affrontement physique»<br />

entre <strong>de</strong>s antagonistes. Il signifie simplement que le savoir qu'on acquiert par<br />

l'école affranchit (autre métaphore) <strong>de</strong> l'ignorance ou <strong>de</strong> l'analphabétisme. Dans<br />

le second aussI, le terme mort ( ou la <strong>forme</strong> verbale être mort <strong>de</strong> ) ne marque pas<br />

la cessation définitive <strong>de</strong> la Vie, mais un état <strong>de</strong> grand exténuement ou l'absence<br />

<strong>de</strong> la moindre force s'apparente à l'inertie que suppose la mort. Ainsi. sans entrer<br />

<strong>dans</strong> les détails, peut-on noter qu'il existe un dénominateur COITllTlun entre la<br />

métaphore <strong>et</strong> la comparaison telle que nous l'avons précé<strong>de</strong>mment illustrée. Il<br />

tient pour l'essentiel à l'analogie fondée elle-même sur un attribut commun. Mais<br />

alors que la présence <strong>du</strong> morphème opérateur <strong>de</strong> l'analogie empêche<br />

l'aboutissement <strong>du</strong> processus d'i<strong>de</strong>ntification <strong>dans</strong> la comparaison, la métaphore.<br />

elle, établit c<strong>et</strong>te i<strong>de</strong>ntification. Pour être plus exact, on peut dire que le <strong>de</strong>gré <strong>de</strong><br />

suggestion <strong>de</strong> l'illusion d'i<strong>de</strong>ntification est plus fort <strong>dans</strong> la métaphore qu'il ne<br />

l'est <strong>dans</strong> la comparaison. Mais par-<strong>de</strong>là c<strong>et</strong>te différence, ce qu'il convient <strong>de</strong><br />

noter, c'est le rapport à <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> la métaphore que nous<br />

allons voir à travers les verbes <strong>de</strong> sens hyperbolique.<br />

111-2-2-1-2-1 Verbes <strong>de</strong> sens hyperbolique<br />

Outre le fait qu'ils sont pris <strong>dans</strong> un sens métaphorique, ces verbes dégagent<br />

également une si gran<strong>de</strong> expressivité qu'ils confinent en définitive à l'hyperbole.<br />

Certains emplois métaphoriques <strong>de</strong> sens hyperbolique appartiennent à une<br />

terminologie spécialisée qui se situe <strong>dans</strong> le prolongement <strong>de</strong> ce que Cil. Bally<br />

appelle « eff<strong>et</strong> par évocation <strong>du</strong> milieu ». Un regroupement bipartite peut être<br />

fait qUI distingue d'un côté, les verbes <strong>de</strong> sens militaire, <strong>de</strong> l'autre. tous ceux qUI<br />

ne font partie d'aucune terminologie particulière,


301<br />

111-2-2-1-2-1-1 Verbes <strong>de</strong> sens militaire<br />

Ex l Vers la mer, la pluie c.jrondaJ1te souf'[lée<br />

par le vent revenait, réa t taquai t au pas <strong>de</strong><br />

course d'un troupeau <strong>de</strong> buffles. Les premières<br />

gouttes mitraillèrent <strong>et</strong> se cassèrent sur le<br />

minar<strong>et</strong>. Les Soleils: 25.<br />

On trouve également mitrailler <strong>dans</strong> son emploi syntaxique idéal avec un<br />

complément d'obj<strong>et</strong>. Toutefois, cela n'influe guère sur sa force expressive<br />

Ex 2 (.) la pluie tombait faible en gouttes<br />

espacées grosses comme <strong>de</strong>s aman<strong>de</strong>s <strong>de</strong> karité.<br />

Les gouttes mitraillaient la cuv<strong>et</strong>te <strong>et</strong> les<br />

épaules. Les Soleils 79.<br />

En consultation chez son marabout Abdoulaye, Salimata, Impressionnée par la<br />

métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail <strong>de</strong> l'homme, est comme tétanisée:<br />

Ex ')<br />

J : Salimata traversée, ailée, était<br />

fusillée par les jurons <strong>et</strong> les évocations( ... ).<br />

Les Soleils: 69.<br />

La femme vient d'essuyer une tentative d'abus sexuel <strong>de</strong> la part <strong>du</strong> marabout.<br />

Grâce à sa pugnacité, elle a réUSSI à m<strong>et</strong>tre son agresseur hors d'état <strong>de</strong> nuire:<br />

Ex 4 : (... ) elle hurla la rage <strong>et</strong> la fureur <strong>et</strong> se<br />

redressa frénétique, possédée, arracha, rammassa<br />

un tabour<strong>et</strong>, un sortilège, une calebasse, en<br />

bombarda le marabout effrayé( ... ).Les Soleils:<br />

79.<br />

Balla a signé un pacte avec un génie chasseur. Les clauses en sont l'acquIsition<br />

d'une célébrité en échange <strong>de</strong> la vie <strong>de</strong> l'homme à une date dont seul. le génie


302<br />

détient le secr<strong>et</strong> On comprend alors l'extrême angoisse qUI étremt l'homme à<br />

chaque partie <strong>de</strong> chasse:<br />

Ex 5 : A chaque sortie, le cœur <strong>de</strong> Balla<br />

pilonnait, son ventre bouillait, elle pouvait<br />

être la <strong>de</strong>rnière sortie. Les Soleils: 130.<br />

Dans c<strong>et</strong> énoncé, pi lonnait peut être interprété <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux manières Soit li est<br />

employé <strong>dans</strong> son sens militaire - Il rejoindrait alors les anomalies déjà notées,<br />

puisque <strong>dans</strong> ce cas, le verbe doit être suivi d'un complément d'obJ<strong>et</strong>- soit il est<br />

employé <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>uxième sens métaphorique. Dans c<strong>et</strong>te hypothèse, Il fait<br />

allusion au mouvement <strong>de</strong> va-<strong>et</strong>-vient d'une pileuse. C'est c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>rnière<br />

interprétation suggérant l'idée d'un rythme rapi<strong>de</strong> qui emporterait notre agrément<br />

car elle est plus compatible avec le contexte. Ces verbes <strong>et</strong> expressions verbales<br />

empruntés à l'art militaire peuvent être rapprochés d'autres emploIs verbaux qui<br />

tra<strong>du</strong>isent quant à eux, l'activité militaire elle-même. C'est le cas <strong>de</strong>s verbes<br />

comme enflammer, exploser <strong>et</strong> surtout éclater:<br />

Ex 6 : Les premières gouttes mitraillèrent <strong>et</strong> se<br />

cassèrent sur le minar<strong>et</strong>( ... ).Le tonnerre cassa<br />

le ciel, enflamma l'univers <strong>et</strong> ébranla la terre<br />

<strong>et</strong> la mosquée. Les Soleils: 25.<br />

Toute l'hyperbole se perçoit à travers la puissance <strong>et</strong> la portée <strong>du</strong> coup <strong>de</strong><br />

tonnerre: l'incendie qu'il provoque - ce qui en soi, n'a déjà <strong>de</strong> logique<br />

qu'hyperbolique - ne fait pas <strong>de</strong> quartier puisqu'il va à l'assaut <strong>de</strong> l'univers tout<br />

entier. Dans certains cas, c'est l'atmosphère <strong>de</strong> guerre, mieux, la fusilla<strong>de</strong> elle­<br />

même que les mots expriment. ce qui entraîne un déplacement fondamental <strong>de</strong><br />

l'Orientation <strong>de</strong> la glose comme on le verra bientôt:<br />

Ex 7 Des slogans antigouvernementaux apparurent


303<br />

sur les murs <strong>de</strong> la capitale. Des ordres <strong>de</strong> grève<br />

circulaient. Une nuit Llne bombe éclata, Lies<br />

incendies s'allumèrent <strong>dans</strong> les poudrières<br />

environnantes. Les Soleils: 163.<br />

Ex 8: Des inconnus chapardaient <strong>dans</strong> les champs<br />

<strong>et</strong> les greniers lorsque, juste au lever <strong>de</strong> -'- a<br />

lune, <strong>de</strong>ux coups <strong>de</strong> fusil éclatèrent (. )<br />

Monnè : 253.<br />

Ex 9 : En dépit <strong>de</strong>s coups <strong>de</strong> feu qUl partout:.<br />

éclataient, (Moussokoro) quitta Soba à pied<br />

pour « <strong>de</strong>vancer » son maître <strong>et</strong> époux Djigui à<br />

Toukoro( ... ). Monnè : 286.<br />

Il existe une nuance d'expressIvité entre les énoncés qui viennent d'être<br />

proposés ( Ex? à Ex9) <strong>et</strong> ceux que nous avons cités antérieurement Celte nuance<br />

tient pour l'essentiel, <strong>dans</strong> un cas, au respect <strong>de</strong>s principes <strong>de</strong> la combinatoire·<br />

sémantique entre le verbe <strong>et</strong> son suj<strong>et</strong>. Dans l'autre cas au contraire (les verbes<br />

d'emploi métaphorique), il n'existe aucune compatibilité sémantique entre les<br />

traits combinatoires <strong>du</strong> verbe <strong>et</strong> ceux <strong>de</strong> son suj<strong>et</strong>. De fait. cest c<strong>et</strong>te<br />

incompatibilité qUI crée la métaphore hyperbolique. En eff<strong>et</strong>. d'après l'hypothèse<br />

<strong>de</strong> départ, les verbes <strong>et</strong> expression verbale empruntés à la terminologie militaire<br />

possè<strong>de</strong>nt tous le même trait sémantique « arme à feu » au niveau <strong>du</strong> sUJ<strong>et</strong>.<br />

Cela Signifie qu'il doit être inscrit <strong>dans</strong> le sémantisme <strong>de</strong> leurs suj<strong>et</strong>s, <strong>de</strong>s<br />

caractéristiques qui s'accommo<strong>de</strong>nt avec ce trait pour respecter les exigences <strong>de</strong><br />

la communication logique. Or tel n'est pas le cas puisque les substantifs gouttes,<br />

jurons <strong>et</strong> évocations respectivement suj<strong>et</strong> <strong>et</strong> agent <strong>de</strong> mitraillaient (Ex2 <strong>et</strong><br />

Ex3) <strong>et</strong> était fusillé d'une part, les substantifs tabour<strong>et</strong>. sortilège <strong>et</strong><br />

calebasse, compléments <strong>de</strong> moyen <strong>de</strong> bombarda (Ex4) d'autre part. nentrent<br />

pas <strong>dans</strong> la caractéristique combinatoire « arme à feu » <strong>de</strong> ces verbes. De c<strong>et</strong>te<br />

dichotomie structurale, vient le caractère opératoire <strong>de</strong>s emplois considérés <strong>dans</strong>


304<br />

<strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré au moyen <strong>de</strong> la métaphore hyperbolique. AinsI. au lieu<br />

<strong>de</strong> «les gouttes tombèrent drues », «Salimata était stupéfaite par les Jurons <strong>et</strong><br />

évocations ». <strong>et</strong>« elle en assomma le marabout », l'auteur a préféré les<br />

em plais métaphoriques cités pour mieux toucher affectivement Au contraire.<br />

lorsqu!1 eXiste une parfaite compatibilité entre les traits sémantiques <strong>du</strong> sUj<strong>et</strong> <strong>et</strong> <strong>du</strong><br />

verbe. nous nous situons sur le plan idéal <strong>de</strong> la communication logique. les mots<br />

pris <strong>dans</strong> leur sens propre inhibant à la base toute formation métaphorique. Tel est<br />

le cas <strong>de</strong>s énoncés <strong>de</strong> sens non figuré (Ex? à Ex9) avec éclater <strong>et</strong> ses différents<br />

suj<strong>et</strong>s qui ajoutent au trait précé<strong>de</strong>nt, celui <strong>de</strong> « déflagration » ou <strong>de</strong> « bruit<br />

tonitruant». Plus loin, nous verrons que le verbe éclater qui n'a ici aucune<br />

énergie sémantique particulière acquiert une expressivité remarquable <strong>dans</strong><br />

d'autres contextes. Terminons pour l'heure avec une observation qui intéresse la<br />

valeur hyperbolique <strong>de</strong>s emplois métaphoriques. En eff<strong>et</strong>. ils possè<strong>de</strong>nt tous une<br />

plus-value d'expressivité qui tient à leur valeur hyperbolique. Cela pourrait laisser<br />

penser que c<strong>et</strong>te valeur est absolue pour tout emploI métaphorique, que les<br />

emplois métaphoriques ont systématiquement valeur d'hyperbole. Rien nest<br />

mOllls certain, car il existe <strong>de</strong>s verbes (rares certes) <strong>de</strong> sens militaire qui restent<br />

en-<strong>de</strong>çà <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te plus-value d'expressivité. L'exemple patent en est patrouiller:<br />

Ex 10 : Les tisserins gazouillaient <strong>dans</strong> les<br />

feuillages <strong>de</strong>s fromagers <strong>et</strong> <strong>de</strong>s manguiers, alors<br />

que très <strong>haut</strong> <strong>dans</strong> les nuages, les charognards<br />

<strong>et</strong> les éperviers patrouillaient poursupervlser<br />

le vacarme. Les Soleils: 202.<br />

On r<strong>et</strong>rouve <strong>dans</strong> c<strong>et</strong> extrait, l'anthropocentrisme littéraire que la rhétorique<br />

traditionnelle nomme personnification: le vol aérien <strong>de</strong>s oiseaux est comparé à un<br />

mouvement <strong>de</strong> soldats effectuant une mission <strong>de</strong> surveillance. Mais là s'arrête la<br />

valeur <strong>de</strong> patroui 11er. Elle n'atteint pas l'hyperbole <strong>et</strong> le verbe n'entre pas, par<br />

conséquent, <strong>dans</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. Ce qui suscIte la question suivante.


305<br />

PourquoI, en dépit <strong>de</strong> la dichotomie combinatoire réelle. patroui 11er sarrête-t-il<br />

au seuil <strong>de</strong> la métaphore? Le rapport <strong>de</strong> charognards <strong>et</strong> éperviers à patrouiller<br />

est en eff<strong>et</strong> i<strong>de</strong>ntIque à celui <strong>de</strong> gouttes à mitrailler. Du fait <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te i<strong>de</strong>ntité<br />

structurale, les observations que nous avons précé<strong>de</strong>mment faites pour l'un<br />

<strong>de</strong>vraient être valables pour l'autre. En l'occurrence, la relation entre patrouiller<br />

<strong>et</strong> ses suj<strong>et</strong>s aurait dû être <strong>de</strong> nature hyperbolique. Or tel n'est pas le cas<br />

L'argument strictement linguistique étant ici IIld\scutablement irrecevable<br />

l'explication doit en être trouvée ailleurs, par exemple, <strong>du</strong> côté <strong>de</strong> l'anthropologie.<br />

Pourquoi? En eff<strong>et</strong>. à moins <strong>de</strong> considérer <strong>de</strong>s raisons stylistiques particulières. la<br />

probabilité que <strong>de</strong>s gouttes <strong>de</strong> pluie, par nature incapables <strong>de</strong> mouvement<br />

conscient <strong>et</strong> réfléchi puissent mitrailler <strong>de</strong>s indiVi<strong>du</strong>s, est absolument nulle. Au<br />

contraire, les animaux <strong>et</strong> les humains ont en commun le trait « animé », ce qui<br />

ré<strong>du</strong>it en quelque sorte le <strong>de</strong>gré d'improbabilité <strong>du</strong> rapprochement <strong>et</strong> consoli<strong>de</strong><br />

d'autant la personnification Oans le premier cas, l'étrang<strong>et</strong>é <strong>du</strong> processus<br />

d'i<strong>de</strong>ntification amenée par la métaphore ne repose sur aucun fon<strong>de</strong>ment logique.<br />

aussi précaire soit-il. Dans le second en revanche, la raison <strong>de</strong> la différence <strong>de</strong><br />

valeur entre les énoncés 1 <strong>et</strong> 2 d'une part. <strong>et</strong> l'énoncé 10 d'autre part. tient au<br />

<strong>de</strong>gré d'écart <strong>de</strong> probabilité entre les faits considérés <strong>dans</strong> chaque cas. Des<br />

verbes à évocation <strong>du</strong> milieu non spécifié que nous appelons verbes <strong>de</strong> sens<br />

"inflationniste" , ont également une allure hyperbolique.<br />

111-2-2-1-2-1-2 Verbes <strong>de</strong> sens "inflationniste"<br />

Nous avons précé<strong>de</strong>mment noté que par suite <strong>de</strong> la subversion <strong>du</strong> schème<br />

syntaxique <strong>de</strong> certains verbes, l'auteur aboutissait à une espèce <strong>de</strong> néologismes<br />

dont le caractère manifestement abusif <strong>de</strong> leur sens, les intégrait aux procédés<br />

intensifs. Les verbes <strong>de</strong> sens inflationniste ont ceci en commun avec les premiers<br />

qu'ils sont en général pris <strong>dans</strong> un sens contextuel. Toutefois. une différence<br />

notable les sépare. En eff<strong>et</strong>, contrairement aux premiers néologismes contextuels.


306<br />

les verbes <strong>de</strong> sens inflationniste ne sont soumis à aucune transgression<br />

syntaxique. Leur caractère excessif provient plutôt <strong>de</strong> la distance surréaliste entre<br />

eux <strong>et</strong> leurs sUJ<strong>et</strong>s. Autrement dit. l'inflation sémantique naît <strong>de</strong> l'abime entre<br />

l'événement décrit <strong>et</strong> le terme préposé à c<strong>et</strong>te <strong>de</strong>scription, Les énoncés qUI<br />

sUivent par la transgression qu'ils opèrent sur les présupposés linguistiques <strong>de</strong> la<br />

<strong>fonction</strong> combinatoire, Illustrent bien c<strong>et</strong>te inflation sémantique:<br />

Ex 1 Le ciel avait promené <strong>de</strong>s éclaircies à<br />

l'horizon quelques temps, puis la lune avait<br />

éclaté (... ). Les Soleils : 47.<br />

Ex 2 :Salimata admirait. L'admiration montait<br />

par son échine ( ... ) éclatait <strong>dans</strong> ses oreilles<br />

en tam-tam <strong>de</strong> joie. Les Soleils: 70.<br />

Dans le passage à venir, Fama est en plein délire onirique. C'est un rêve<br />

éminemment important <strong>dans</strong> la mesure où il a valeur <strong>de</strong> prémonition <strong>et</strong> lUI donne<br />

par la même occasion, en le m<strong>et</strong>tant au pinacle, <strong>de</strong>s raisons d'espérer en un<br />

len<strong>de</strong>main meilleur:<br />

Ex 3 : Un matin, quelques instants avant le<br />

réveil, un songe éclata <strong>de</strong>vant ses yeux.Et quel<br />

songe! On lui cria:« Regar<strong>de</strong>-toi! Regar<strong>de</strong>-toi!<br />

Tu es vivant <strong>et</strong> fort! Tu es grand ». Les<br />

Soleils: 178.<br />

Nous avons montré plus tôt que le sémantisme d'éclater Imposait une restriction<br />

discriminante quant aux suj<strong>et</strong>s possibles. Par conséquent, pour pouvoir se<br />

construire avec ce verbe en <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> sUJ<strong>et</strong>, tout substantif dOit possé<strong>de</strong>r au<br />

moins les traits sémantiques minimaux sUivants: «obj<strong>et</strong> concr<strong>et</strong>>>. « susceptible<br />

d'explosion» En eff<strong>et</strong>, éclater suppose une action soudaine <strong>et</strong> brutale qUI se<br />

pro<strong>du</strong>it avec un accompagnement sonore parfaitement audible Or aucun <strong>de</strong> ses


307<br />

suj<strong>et</strong>s ne répond à ces exigences sémantiques <strong>de</strong> la <strong>fonction</strong> combinatoire. Par<br />

conséquent, cela pose un problème. Pour mieux Juger <strong>de</strong> la situation selon les<br />

règles <strong>de</strong> la sélection sémantiques. revenons aux exemples proposés plus <strong>haut</strong><br />

Dans 1 énoncé 1, avait éclaté a pour sUj<strong>et</strong> lune. Or. la lumière diffusée par c<strong>et</strong><br />

astre est en général d'intensité progressive <strong>et</strong>. même SI tout se passe relativement<br />

vite, 1 éclat <strong>de</strong> la lune n'est que l'aboutissement d'un certain processus. AussI.<br />

pour en rendre compte, c'est un verbe exprimant une action moins soudaille <strong>et</strong><br />

brusque qu'il aurait fallu. Dans c<strong>et</strong>te logique, apparaît conviendrait davantage à<br />

la situation, ce d'autant mieux que l'apparition <strong>de</strong> la lune est visuelle <strong>et</strong> non<br />

sonore. C<strong>et</strong>te remarque vaut également pour le substantif admiration qUI est<br />

en <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> suj<strong>et</strong> auprès <strong>du</strong> même verbe (Ex2). En eff<strong>et</strong>, admiration est un<br />

substantif abstrait matériellement inquantifiable <strong>et</strong> qui, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

immatérialité, peut difficilement faire l'obj<strong>et</strong> d'une explosion au sens physique <strong>du</strong><br />

terme C'est que l'admiration est <strong>du</strong> domaine <strong>de</strong> l'affectivité <strong>et</strong> ne peut sapprécier<br />

que <strong>de</strong> manière discrète, personnelle <strong>et</strong> Intime par le sUj<strong>et</strong> admirateur. N'est-ce<br />

pas ce qui explique que pour faire sentir au lecteur le <strong>de</strong>gré d'admiration <strong>de</strong><br />

Salimata pour le marabout, l'auteur intro<strong>du</strong>it c<strong>et</strong>te comparaison avec le tam-tam?<br />

En eff<strong>et</strong>, la séquence comparative « en tam-tam <strong>de</strong> joie » sert <strong>de</strong> terme<br />

exponentiel à la dose <strong>de</strong> sentiment <strong>de</strong> Salimata, sentiment dont il eût été diffiCile<br />

<strong>de</strong> juger exactement sans c<strong>et</strong>te séquence. L'énoncé 3 s'inscrit <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te même<br />

logique <strong>de</strong> narration hyperbolisante. Ainsi Fama en détention ne fait-il pas un rêve<br />

comme le commun <strong>de</strong>s mortels. C'eût été reconnaître en eff<strong>et</strong> le caractère banal<br />

<strong>de</strong> la chose <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa quotidienn<strong>et</strong>é. Or , il s'agit précisément <strong>de</strong> m<strong>et</strong>tre en relief<br />

le caractère extraordinaire supposé <strong>du</strong> phénomène <strong>et</strong> le signifiant dOit rendre le<br />

plus fidèlement possible compte <strong>de</strong> sa nature étrange. Ainsi le songe éblouit-II<br />

littéralement Fama comme quelque chose d'une intense luminosité qUI lui serait<br />

Imposé brusquement <strong>de</strong> l'extérieur, sans qu'il s'y attendît le mOins <strong>du</strong> mon<strong>de</strong>. Ce<br />

qu'exprime par conséquent le verbe n'est rien moins que l'excellence <strong>de</strong> la qualité<br />

<strong>du</strong> rêve. un rêve qui plus est, concerne personnellement Fama. Il arrive que


308<br />

l'emploi d'éclater soit <strong>de</strong>stiné à éviter la répétition. Cela n'enlève cependant<br />

absolument rien à sa force expressive. Fama vient d'apprendre la mort <strong>de</strong> son<br />

cousin Lacina <strong>dans</strong> le Horodougou. Il en in<strong>forme</strong> ses coreligionnaires <strong>de</strong> la<br />

capitale pour réunir les moyens d'effectuer le voyage en vue <strong>de</strong> prendre part aux<br />

obsèques:<br />

Ex 4 (Fama) parcourut toutes les concessions<br />

malinké <strong>de</strong> la capitale pour faire éclater la<br />

nouvelle <strong>du</strong> décès <strong>du</strong> cousin <strong>et</strong> annoncer son<br />

voyage. Les Soleils : 83.<br />

Ex 5 Le féticheur jurait que le soleil ne<br />

brillait pas sur le village tant que ses<br />

fétiches restaient.o exposés ( ... ) . Les fétiches<br />

rengainés, entrés <strong>et</strong> enfermés, le soleil<br />

réussissait à se libérer( ... ). D'un coup il<br />

éclatait. Les Soleils: 125.<br />

Deux hypothèses sont à considérer en ce qui concerne l'énoncé 40 La première<br />

pose qu'éclater précédé <strong>du</strong> factitif faire à valeur <strong>de</strong> semi-auxlliaire. a pour<br />

synonyme annoncer. On s'aperçoit alors qu'il n'existait qu'une alternative pour<br />

l'auteur. Faire un double emploi d'annoncer au risque <strong>de</strong> créer une Inélégance<br />

expressive <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> la répétition, car l'énoncé reviendrait à « ... pour annoncer<br />

la nouvelle <strong>du</strong> décès <strong>du</strong> cousin <strong>et</strong> annoncer son voyage ». Certes. les mêmes<br />

raisons <strong>de</strong> style auraient empêché la répétition grâce à l'ellipse sur le verbe <strong>dans</strong><br />

sa <strong>de</strong>uxième occurrence. On aurait alors « .. pour annoncer la nouvelle <strong>du</strong> décès<br />

<strong>du</strong> cousin <strong>et</strong> son voyage », ce qui, sémantiquement n'est pas différent <strong>de</strong><br />

l'énoncé originel. Cela nous rapproche justement <strong>du</strong> <strong>de</strong>uxième terme <strong>de</strong><br />

l'alternative. L'auteur semble en eff<strong>et</strong> avoir préféré éviter la répétition. non par<br />

suppression-ellipse, mais par ce qu'on pourrait appeler le procédé <strong>de</strong><br />

«synonymisation» en optant pour faire éclater. Quelle peut être la motivation<br />

d'un tel choix? Existe-HI même une quelconque motivation? La réponse à ces


309<br />

Interrogations nous situe <strong>de</strong> facto <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>uxième hypothèse. Là encore. nous<br />

sommes <strong>dans</strong> l'obligation <strong>de</strong> référer au contexte sltuatlonnel pour tenter <strong>de</strong> trouver<br />

une explication satisfaisante. Prenons pour point <strong>de</strong> départ. l'obj<strong>et</strong>-cause <strong>du</strong><br />

message, c'est-à-dire le décès dont l'information à communiquer constitue la<br />

substance principale. En eff<strong>et</strong>, <strong>dans</strong> la société malinké où le sentiment <strong>de</strong> la<br />

communauté religieuse en ajoute à la confraternité naturelle <strong>et</strong> aux relations <strong>de</strong><br />

bon voisinage, la disparition d'un indivi<strong>du</strong> afflige tOUjours el1 quelque façon<br />

l'ensemble <strong>de</strong> la communauté Comme corollaire aux réactions <strong>de</strong> sympathie<br />

attristée qui s'ensuit, on peut citer <strong>de</strong>s cris <strong>de</strong> douleur <strong>et</strong> <strong>de</strong>s pleurs. Dès lors. il est<br />

permis <strong>de</strong> supposer que c'est en présumant <strong>de</strong> l'eff<strong>et</strong> consécutif à l'annonce <strong>de</strong> la<br />

triste nouvelle que l'auteur emploie à <strong>de</strong>sselll faire éclater au lieu <strong>du</strong> synonyme<br />

annoncer. quand celui-ci est réservé au voyage à effectuer par la sUite. En<br />

termes différents, le choix <strong>de</strong> l'auteur ne semble pas obéir seulement à une simple<br />

question <strong>de</strong> style consistant à éviter le désagrément <strong>de</strong> la répétition Au-<strong>de</strong>là <strong>de</strong> ce<br />

SOUCI. sa motivation principale, pensons-nous, doit être trouvée <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te réalité<br />

sociologique liée à la mort. Comme l'effectuation <strong>du</strong> voyage après l'élan <strong>de</strong><br />

solidarité <strong>de</strong>s coreligionnaires - leur contribution financière. <strong>du</strong> fait <strong>de</strong><br />

l'insolvabilité chronique <strong>du</strong> prince éploré est l'implicite <strong>de</strong> la démarche <strong>de</strong> celui­<br />

CI- ne fait aucun doute, annoncer suffit à la communication. Comparé à faire<br />

éclater <strong>dans</strong> ce contexte en eff<strong>et</strong>, annoncer exprime un fait banal. une chose<br />

considérée comme acquise, en un mot, une certitu<strong>de</strong>. Quant à 1énoncé 5 où le<br />

soleil après aVOir été longtemps empêché <strong>de</strong> luire brille enfin. il vient simplement<br />

porter témoignage <strong>de</strong> ce que le sémantisme d'éclater suppose une action<br />

brutale, soudaine, même <strong>de</strong> manière abstraite. A ce titre, le groupe « d'un<br />

coup» qui précè<strong>de</strong> le verbe est très significatif. Mais outre éclater, d'autres<br />

verbes procè<strong>de</strong>nt également par grossissement sémantique excessif. Ce sont :<br />

ricocher, jaillir, bouillir, cracher. Le contexte ici pèse également <strong>de</strong> tout son<br />

poids <strong>et</strong> gui<strong>de</strong> la démarche interprétative<br />

La métho<strong>de</strong> <strong>de</strong> travail <strong>du</strong> marabout Abdoulaye est vraiment impressionnante,


311<br />

Comme on peut le voir, par la magie <strong>de</strong>s mots <strong>et</strong> leur pUissance mystique,<br />

l'inanimé prend corps, acquiert mouvement <strong>et</strong> sanime quand l'abstrait. lui. <strong>de</strong>vient<br />

par transmutation, obj<strong>et</strong> concr<strong>et</strong>, chose matériellement préhensible. Autrement. les<br />

mots qUi, par nature, n'ont aucune consistance matérielle ni par conséquent le trait<br />

sémantique « soli<strong>de</strong> » ne pourraient pas ricocher sur les murs La<br />

caractéristique combinatoire <strong>de</strong> ce verbe <strong>de</strong>man<strong>de</strong> en eff<strong>et</strong> comme suj<strong>et</strong>, un obj<strong>et</strong><br />

ayant une matérialité physique. C'est la condition sémantique minimale pour que<br />

le signifié <strong>du</strong> verbe qui suggère l'idée d'une percussion ou le choc violent <strong>de</strong> <strong>de</strong>ux<br />

obj<strong>et</strong>s consistants, soit logiquement acceptable. Mais nous savons déjà quel<br />

souffl<strong>et</strong> royal administre à la logique, le langage littéraire <strong>et</strong> en particulier. la<br />

narration hyperbolisante <strong>dans</strong> le style kouroumien. Les extraits qui suivent<br />

l'illustrent parfaitement. On se rappelle les clauses <strong>du</strong> pacte entre le chasseur<br />

Balla en quête <strong>de</strong> réputation <strong>et</strong> le génie chasseur. Chaque séance <strong>de</strong> chasse<br />

étant ainsi un péril constant pour lUI, on comprend que Balla ait SI grand peur <strong>et</strong><br />

que son cœur batte à un rythme anormalement rapi<strong>de</strong>:<br />

Ex 9 A chaque sortie, le cœur <strong>de</strong> Balla<br />

pilonnait, son ventre bouillait, elle pouvait<br />

être la <strong>de</strong>rnière sortie. Les Soleils: 130.<br />

Qu'on imagine seulement une eau portée à ébullition <strong>et</strong> le mouvement <strong>de</strong>s bulles<br />

<strong>et</strong> on comprendra la force <strong>de</strong> l'image <strong>et</strong> réalisera par ce fait même, l'Intenslté <strong>de</strong> la<br />

peur <strong>de</strong> Balla <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te attente angoissée. Vivant, le chasseur était un mort en<br />

sursIs soumis à une pression psychologique dautant plus pernicieuse quelle lUi<br />

était indomptable. L'exemple qui suit se situe sur un autre plan sans être pour<br />

autant différent <strong>du</strong> précé<strong>de</strong>nt.<br />

Le tout Togobala couvait une agitation particulière en prévision <strong>de</strong> la<br />

non moins inhabituelle rencontre politique entre les représentants locaux <strong>du</strong> parti<br />

au pouvoir. leurs partisans <strong>et</strong> Fama, soutenu par les siens. L'heure était donc<br />

grave. Mais revenu <strong>dans</strong> son village après vingt ans d'exil, Fama ne semblait pas


312<br />

tout à fait apprécier la gravité <strong>de</strong> la situation Le griot Oiamourou se fait fort <strong>de</strong> l'en<br />

instruire:<br />

Ex 10 Un lundi matin Diamourou l'avait tiré en<br />

<strong>de</strong>hors <strong>du</strong> cercle <strong>de</strong>s causeurs, s'était penché<br />

pour lui cracher <strong>dans</strong> l'oreille le secr<strong>et</strong>. Les<br />

Soleils : 136.<br />

Deux observations capitales sont à faire, L'une, d'ordre spatial, concerne la<br />

position <strong>de</strong> Oiamourou <strong>et</strong> son maître Fama. L'autre. <strong>de</strong> nature sémantique, est la<br />

sUite logique, ou, plus exactement, la sUite illogique <strong>de</strong> la première, En eff<strong>et</strong>, le<br />

griot <strong>et</strong> son maître sont en aparté, hors <strong>de</strong> toute oreille indiscrète: « "Oiamourou<br />

l'avait tiré en <strong>de</strong>hors <strong>du</strong> cercle <strong>de</strong>s causeurs, .. », Les <strong>de</strong>ux hommes étant par<br />

conséquent réuniS en toute intimité <strong>et</strong> les risques <strong>de</strong> déperdition <strong>de</strong> la confi<strong>de</strong>nce<br />

ainsi minimisés, voire inexistants, on pouvait logiquement s'attendre à ce que<br />

l'information salt livrée en toute sérénité <strong>et</strong> avec délicatesse, Mais tel ne semble<br />

pas être le cas puisque le message n'est pas dit, mais plutôt « craché » <strong>et</strong> c'est<br />

précisément ce qUI fait problème <strong>et</strong> nous amène à la <strong>de</strong>uxième observation,<br />

Le contenu notionnel <strong>de</strong> cracher suggère en eff<strong>et</strong> un mouvement qui, sil n'est<br />

pas violent, est <strong>du</strong> moins assez sec <strong>et</strong> exécuté avec rapidité <strong>du</strong> fait <strong>de</strong> sa brièv<strong>et</strong>é<br />

<strong>et</strong> sa concision, C'est un J<strong>et</strong> ponctuel, une projection <strong>de</strong> soi vers l'ailleurs (la<br />

nature en général), Ce j<strong>et</strong>, c<strong>et</strong>te projection suppose donc une certaine distance<br />

entre la personne qui effectue le mouvement <strong>et</strong> le lieu où la matière atterrit Or, le<br />

texte le dit clairement, Oiamourou <strong>et</strong> Fama étalent l'un près <strong>de</strong> l'autre, <strong>et</strong> c'est bien<br />

ce qui explique que le premier ait pu se pencher sur le second pour l'in<strong>forme</strong>r,<br />

Dès lors, n'eût-il pas été plus logique <strong>de</strong> dire: « Oiamourou s'était penché pour<br />

lui souffler / dIre à l'oreille le secr<strong>et</strong> »? En eff<strong>et</strong>, la situation d'intimité où se<br />

trouvent les <strong>de</strong>ux confi<strong>de</strong>nts est très peu compatible avec le verbe cracher en<br />

raison <strong>du</strong> signifié <strong>de</strong> celui-ci. Mais sans doute faut-il chercher à résoudre


314<br />

L'exagération est indiscutable. En eff<strong>et</strong>. quelle que SOit l'intensité <strong>du</strong> grincement <strong>et</strong><br />

le désagrément auditif qu'on peut en éprouver, Il est absolument Impensable quil<br />

puisse m<strong>et</strong>tre en lambeaux les oreilles qui insupportent ce bruIt. Le caractère<br />

Infernal <strong>du</strong> grincement peut être exaspérant, même nOCif, mais pas au point <strong>de</strong><br />

lacérer carrément les parties auditives. Ce que déc h ira i t exprime pal<br />

conséquent, c'est à la fois la gran<strong>de</strong> intensité <strong>du</strong> bruit <strong>et</strong> l'extrême nocIvité qUI en<br />

découle pour la personne qui le subit. C<strong>et</strong>te remarque nous rapproche <strong>de</strong> l'étu<strong>de</strong><br />

d'autres anomalies.<br />

111-2-2-1-3 Autres "anomalies" syntaxiques<br />

111-2-2-1-3 -1-1 Réalisation <strong>de</strong> l'obj<strong>et</strong> interne<br />

La notion d'obj<strong>et</strong> interne est une notion linguistique (grammaticale) qui<br />

Intéresse la question <strong>de</strong> la complémentatlon dont nous avons vu <strong>de</strong>s réalisations<br />

avec les extraits proposés précé<strong>de</strong>mment. Donnons-en encore quelques<br />

exemples hors-texte :<br />

1- Isabelle mange un chocolat.<br />

2- Au clair <strong>de</strong> lune, les jeunes filles chantent souvent <strong>de</strong>s chansons grivoises en<br />

Afrique<br />

Les substantifs chocolat <strong>et</strong> chansons sont en <strong>fonction</strong> <strong>de</strong> complément d'obj<strong>et</strong><br />

auprès <strong>de</strong> mange <strong>et</strong> chantent. Leur présence perm<strong>et</strong> la réalisation parfaite <strong>du</strong><br />

schème <strong>de</strong>s verbes qu'ils suivent. Une différence sémantique les sépare<br />

cependant qui est liée au contenu notionnel <strong>de</strong> chaque verbe Le signifié <strong>de</strong><br />

mange réfère à un élément extérieur <strong>et</strong> pour ainsi dire, extrinsèque à lui.<br />

Autrement dit, le fait « mange » se porte sur c<strong>et</strong> élément <strong>du</strong> mon<strong>de</strong> extérieur qUI,<br />

non seulement n'est pas Inclus <strong>dans</strong> le signifié <strong>du</strong> verbe, mais mieux, ne peut<br />

même y être Inclus. Le substantif chocolat est donc le prototype <strong>du</strong> complément<br />

d'obj<strong>et</strong> direct classique Ouant à la relation entre chantent <strong>et</strong> chansons, elle est<br />

spéciale, <strong>dans</strong> la mesure où le substantif se trouve naturellement Intégré au


315<br />

sémantlsme même <strong>du</strong> verbe. On chante nécessairement une chanson. non une<br />

mangue, un verre, la mer, Bien sûr, nous ne parlons pas iCI <strong>du</strong> thème <strong>de</strong> la<br />

chanson car à ce niveau, le choix <strong>et</strong> la motIvation sont ouverts <strong>et</strong> chacun peut<br />

librement donner cours à son lyrisme. Ce que nous voulons souligner au<br />

contraire, c'est que chansons est le résultat exclusif inscrit à l'intérieur Illêllle <strong>de</strong><br />

l'action chantent. Et c'est là le fon<strong>de</strong>ment même <strong>de</strong> la différence entre 1obj<strong>et</strong><br />

classloue <strong>et</strong> l'obj<strong>et</strong> -interne celui-ci est unique. celui-là pluri<strong>forme</strong> <strong>et</strong> variable.<br />

Prévenons une autre objection pour terminer c<strong>et</strong>te partie définitionnelle<br />

L'oppOSition obj<strong>et</strong> Interne- obj<strong>et</strong> externe sur les critères d'unité <strong>et</strong> <strong>de</strong> variabilité<br />

est strictement fondée sur une base logico-sémantique excluant les possibilités <strong>de</strong><br />

réalisatIon structuralistes. Il est certain en eff<strong>et</strong> que sur l'axe paradigmatique <strong>de</strong>s<br />

substitutions, les critères que nous venons <strong>de</strong> citer perdraient leur valeur, tant la<br />

substituabilité est illimitée, infinie. Sur c<strong>et</strong>te base <strong>et</strong> au propre, on pourrait aussI<br />

bien manger un téléphone, une cass<strong>et</strong>te vidéo... que chanter une chaussure. un<br />

lampadaire, ... Certes, d'un point <strong>de</strong> vue grammatical, ces énoncés seraient<br />

corrects puisqu'ils ont une syntaxe tout à fait con<strong>forme</strong> à la structure <strong>de</strong> base<br />

sUJ<strong>et</strong>+verbe (+ obj<strong>et</strong>). Dans ce sens, ils rejoignent les constructions anomales dont<br />

nous avons déjà évoqué une <strong>forme</strong>. Mais nos critères ici sont d'abord fondés sur<br />

<strong>de</strong>s présupposés anthropologiques qui priorltisent le facteur probabilité <strong>de</strong>s<br />

événements décrits. Après ces vues théoriques, tournons-nous <strong>du</strong> côté <strong>de</strong>s<br />

romans <strong>de</strong> Kourouma pour passer el1 revue les cas <strong>de</strong> réalisation <strong>du</strong> complément<br />

d'obj<strong>et</strong> Interne. Notons tout <strong>de</strong> suite que <strong>de</strong>ux sortes d'obj<strong>et</strong> Interne sont à<br />

distinguer. D'un côté, les obj<strong>et</strong>s internes propres, <strong>de</strong> l'autre, les obj<strong>et</strong>s internes<br />

analogiques. Pour mieux m<strong>et</strong>tre en relief la relation entre les verbes <strong>et</strong> leurs<br />

obj<strong>et</strong>s. nous soulignons l'un <strong>et</strong> l'autre.<br />

111-2-2-1-3- 1-1 Obj<strong>et</strong> interne pur<br />

Dans le premier énoncé, c'est le substantif salut qui est en <strong>fonction</strong> d'obj<strong>et</strong>


316<br />

Interne propre On remarquera la synonymie entre salut <strong>et</strong> prière dont l'éviction<br />

par l'auteur rend discrète la répétition <strong>et</strong> en amOindrit d'autant l'eff<strong>et</strong>:<br />

Ex 1 Fama était parti à la mosquée, il y<br />

priait chaque matin son premier salut à Allah.<br />

Les Soleils: 44.<br />

Un couple verbe-obj<strong>et</strong> interne propre est courant sous la plume <strong>de</strong> Kourouma.<br />

C'est celui composé <strong>de</strong> marcher <strong>et</strong> voyage ou <strong>de</strong>s substantifs assimilables. Au<br />

len<strong>de</strong>main <strong>de</strong>s funérailles réussies <strong>de</strong> Lacina, Fama prit la ferme décision <strong>de</strong><br />

r<strong>et</strong>ourner s'installer à la capitale, ce, non seulement en dépit <strong>de</strong> sérieux atouts à<br />

sa disposition à Togobala, mais encore, <strong>de</strong>s tentatives Insistantes <strong>de</strong> Balla pour le<br />

persua<strong>de</strong>r <strong>de</strong> renoncer au voyage. Exaspérante obstination d'autant mOins<br />

compréhensible que le voyage n'était pas placé sous les meilleurs auspices:<br />

Ex 2 : Qu'allait-il chercher ailleurs? Il avait<br />

sous ses mains, à ses pieds, à Togobala,<br />

l'honneur (membre <strong>du</strong> comité <strong>et</strong> chef coutumier),<br />

l'argent (Balla <strong>et</strong> Diamourou payaient) <strong>et</strong> le<br />

mariage (une jeune femme fécon<strong>de</strong> en Mariam).<br />

Pourquoi tourner le dos a tout cela pour<br />

marcher un mauvais voyage? Les Soleils: 152.<br />

Ex 3 : D'ailleurs l'interprète sortait<br />

sauf la nuit ou il marchait les<br />

promena<strong>de</strong>s dont nous avons parlé,<br />

mal que nous savons. Monnè : 115.<br />

très peu,<br />

longues<br />

a cause <strong>du</strong><br />

Le roi Djigui vient <strong>de</strong> recevoir, non sans gran<strong>de</strong> surprise, le commandant Héraud<br />

<strong>et</strong> ses amis. Parmi ceUX-CI, Kélétigul, le propre fils <strong>du</strong> rOI qUI fut <strong>de</strong>sllerlte <strong>et</strong> banni<br />

<strong>de</strong> Soba pour crime <strong>de</strong> lèse-majesté. Dialogue<br />

Ex 4 : - C'est moi le Commandant Héraud.<br />

- A vous la bienvenue, Commandant Héraud.


318<br />

long chemin marché jusqu'à nous. Monnè 230.<br />

La même <strong>forme</strong> se r<strong>et</strong>rouve <strong>dans</strong> l'extrait suivant où la vieille femme accomplit, à<br />

force dobstination <strong>et</strong> <strong>de</strong> patience, la mission que lui ont confiée son mari <strong>et</strong> son<br />

fils, tous <strong>de</strong>ux tués par les travaux forcés. C<strong>et</strong>te mission consiste à exprimer le<br />

sentiment <strong>de</strong> gratitu<strong>de</strong> <strong>de</strong>s défunts aux députés pour la suppression <strong>de</strong>s travaux<br />

forcés·<br />

Ex 6 : « Mes compliments! Mes compliments pour<br />

les chemins marchés, pour l'harassant<br />

travail ( ... »>. Monnè : 239.<br />

Sur le modèle <strong>de</strong> la réalisation <strong>de</strong> l'obj<strong>et</strong> Interne tel que nous venons <strong>de</strong> le VOir, on<br />

rencontre d'autres constructions qui extériorisent la relation virtuelle eXistant entre<br />

le verbe <strong>et</strong> le substantif correspondant. Nous appelons obj<strong>et</strong>s internes<br />

analogiques, par opposition aux premiers, ces substantifs réalisés par analogie<br />

au moyen <strong>de</strong> ce procédé <strong>de</strong> complémentatlon peu ordinaire.<br />

111-2-2-1-3-1-2 Obj<strong>et</strong> interne analogique<br />

Il s'agit <strong>de</strong> Djigui qui effectue une tournée avec ses sUJ<strong>et</strong>s:<br />

Ex 1 : Le<br />

compagnons<br />

habitants<br />

soir l'avait surprls avec ses<br />

<strong>dans</strong> un village <strong>de</strong> montagne où les<br />

les avaient accueilis <strong>et</strong> avaient<br />

courbé avec eux la <strong>de</strong>rnière prière. Monnè :16.<br />

Ex 2 : La quatrième prière arriva trop tôt, mais<br />

on la courba très scrupuleusement, PUlS la<br />

nuit vint. Les Soleils: 140.<br />

Ex 3 : Pour encourager <strong>et</strong> honorer notre rOl, <strong>de</strong>s<br />

villageois spontanément vinrent à la mosquée,<br />

courbèrent la prière <strong>du</strong> combattant( ... ).


Monné 188.<br />

319<br />

La nouvelle complémentation illustrée par les extraits ci-<strong>de</strong>ssus est assez<br />

significative <strong>du</strong> point <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la gestuelle religieuse. <strong>et</strong> spécifiquement<br />

musulmane. En eff<strong>et</strong>, le fidèle musulman alterne différents mouvements au cours<br />

<strong>de</strong> l'adoration <strong>de</strong> l'Etre suprême: station <strong>de</strong>bout, accroupissement. génuflexion.<br />

prosternation Jusqu'au contact <strong>du</strong> front avec le sol, ... sont les principales postures<br />

qu'adopte le musulman lors <strong>de</strong> la prière. C'est ainsI que la prière, chose abstraite<br />

en réalité. acquiert une certaine matérialité au moyen <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te désignation<br />

métonymique où les différentes positions <strong>de</strong>viennent, <strong>de</strong> partie d'un tout quelles<br />

étaient le tout lui-même. Il en découle une économie <strong>du</strong> matériau IlI1gulstiaue<br />

génératrice d'expressivité grâce à sa <strong>forme</strong> concise. Le passage sUivant où la<br />

gestuelle est détaillée par l'auteur lui-même corrobore nos vues en ce qUI<br />

concerne l'économie <strong>et</strong> l'expressivité <strong>de</strong> courber la prière. Comparez<br />

«Fama se ressaisit <strong>et</strong> se livra tout entier à la prière. Par quatre fOIS Il se courba..<br />

s'agenouilla, cogna le sol <strong>du</strong> front, se releva, s'assit, croisa les pieds » ( Les<br />

Soleils: 26 ) Courber la prière concentre donc l'ensemble <strong>de</strong>s mouvements<br />

accomplis par le croyant, mouvements dont la <strong>de</strong>scription ci-<strong>de</strong>ssus perm<strong>et</strong><br />

d'apprécier la volonté <strong>de</strong> concrétisation <strong>de</strong> la chose immatérielle prière. Une fois<br />

obtenue c<strong>et</strong>te concrétisation, l'étape <strong>de</strong> pronomll1alisation métaphOrique nest<br />

plus lOin, par laquelle l'acte prier se trouve proposé à l'attention à travers se<br />

courber. En voici une Illustration:<br />

Ex 4 L' heure <strong>de</strong> la premlere prière avait<br />

passé, il aurai t été ridicule <strong>de</strong> se courber,<br />

par un soleil aUSSl loin. Les Soleils 179.<br />

Ex 5 : Comme il se doit, la première prlere <strong>de</strong><br />

l'aube <strong>et</strong> les suivantes <strong>de</strong> la journée, si on le<br />

pouvait, se courbaient ensemble à la mosquée.<br />

Nonnè : 187.


321<br />

mouvement <strong>de</strong> la personne éplorée. S'il est abusif <strong>de</strong> parler <strong>du</strong>ne rupture totale<br />

avec le mon<strong>de</strong> extérieur, il ne s'en faut pas <strong>de</strong> beaucoup pour que la situation y<br />

ressemble. Et parce que la formule copulative claSSique « être en <strong>de</strong>uil » à<br />

valeur constatative ne semblait pas pouvoir fidèlement rendre compte <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te<br />

Situation <strong>de</strong> privation partielle <strong>de</strong> liberté, l'auteur lUI a préféré une <strong>forme</strong><br />

particulièrement expressive <strong>du</strong> faIt <strong>de</strong> son caractère Inhabituel. Asseoir le <strong>de</strong>uil<br />

tra<strong>du</strong>it par conséquent toute une réalité culturelle consacrée par une pratique<br />

multlséculaire ayant ses contraintes propres: l'indivi<strong>du</strong> éploré dOit être le plus<br />

sobre, discr<strong>et</strong> <strong>et</strong> casanier possible. C'est ainsi qu'il reçoit à domicile toutes les<br />

manifestations <strong>de</strong> compassion <strong>de</strong>s autres membres <strong>de</strong> la communauté. On<br />

comprend alors parfaitement que <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te société phallocratique. la Situation<br />

<strong>de</strong>s veuves par rapport à la pratique <strong>du</strong> <strong>de</strong>uil confine à la claustration. ce qui peut<br />

faire penser à une assignation à rési<strong>de</strong>nce pour le profane. L'Intention <strong>de</strong> l'auteur,<br />

en employant inaccoutumièrement asseoir touche également l'aspect collectif <strong>du</strong><br />

mouvement référé par le Signifié <strong>du</strong> verbe. AinSI, pour expnmer avec exactitu<strong>de</strong> le<br />

cercle <strong>de</strong>s mangeurs qui se <strong>forme</strong> à l'heure <strong>et</strong> autour <strong>de</strong>s repas, l'auteur risque<br />

une pronominalisation sur le verbe dont l'impropriété n'a d'égal que toute la<br />

richesse expressive <strong>de</strong>s constructions précé<strong>de</strong>ntes, L'extrait sUivant en témoigne:<br />

Ex : Les histoires <strong>de</strong> chasse perm<strong>et</strong>taient <strong>de</strong><br />

parcourir facilement les journées.Rapi<strong>de</strong>ment le<br />

soleil montait au-<strong>de</strong>ssus <strong>de</strong>s têtes <strong>et</strong> le repas<br />

s'asseyait autour <strong>de</strong> calebasses communes. Les<br />

Soleils: 130.<br />

La volonté <strong>de</strong> l'auteur <strong>de</strong> matérialiser le mouvement exprimé par le contenu<br />

notionnel d'asseoir d'une part, <strong>et</strong> d'en exploiter consubstantiellement. la<br />

clrculanté implicite d'autre part, est sans limite pUisqu'elle inclut Jusqu'aux notions<br />

abstraites telles que palabre'<br />

Ex Salimata, en allégresse, courut à la


322<br />

rencontre <strong>et</strong> salua fama. Dans l'après-midi un<br />

palabre fut convoqué <strong>et</strong> assis. Les Soleils :<br />

157<br />

On le voit, l'obj<strong>et</strong>-cause qui motive la convocation <strong>de</strong> l'assemblée <strong>de</strong>vient par eff<strong>et</strong><br />

synecdochique, l'assemblée elle-même: le palabre qui est assis réfère au niveau<br />

extra-linguistique, aux personnes qui constituent l'assemblée <strong>et</strong> qUI vont débattre<br />

d'un ordre <strong>du</strong> jour Quant à l'autre construction, <strong>dans</strong>er + substantif. elle est<br />

assez différente <strong>de</strong>s précé<strong>de</strong>ntes, quoique répondant comme elles à un besoin<br />

d'expressivité. En eff<strong>et</strong>, à une époque coloniale faite <strong>de</strong> corvées <strong>de</strong> toute nature,<br />

avec pour corollaire la raréfaction Inéluctable <strong>de</strong>s fêtes populaires <strong>dans</strong> une<br />

société naguère émotionnellement exubérante, une bonne nouvelle est une<br />

éclairicle <strong>dans</strong> la grisaille eXistentielle. Et comme telle, elle doit être célébrée avec<br />

faste. rythme (<strong>dans</strong>es, chants,.) <strong>et</strong> couleur, toutes choses indissociables <strong>et</strong> faisant<br />

partie intégrante <strong>de</strong> l'accueil <strong>et</strong> <strong>de</strong> la fête. C'est par conséquent toute c<strong>et</strong>te<br />

générosité émotionnelle, ce bouillonnement rythmique <strong>haut</strong> en couleur que<br />

tra<strong>du</strong>isent tour à tour, les expressions <strong>dans</strong>ait un accueil <strong>et</strong> <strong>dans</strong>ions <strong>haut</strong><br />

<strong>et</strong> fort les fêtes, ... En eff<strong>et</strong>, <strong>de</strong>s fêtes privées <strong>de</strong> chants <strong>et</strong> <strong>dans</strong>es nen sont pas.<br />

<strong>et</strong> on ne peut concevoir d'accueil public chaleureux sans quelques prestations <strong>de</strong><br />

<strong>dans</strong>es. Ainsi, est-ce par un CUrieux paradoxe que ce qUI se présente à première<br />

vue sous les apparences d'une impropriété revêt en définitive un intérêt certain <strong>du</strong><br />

point <strong>de</strong> vue <strong>du</strong> ren<strong>de</strong>ment expressif. Terminons <strong>dans</strong> ce sens avec d'autres<br />

constructions d'une particularité encore plus frappante. Il s'agit entre autres, <strong>de</strong>s<br />

verbes dormir <strong>et</strong> coucher qui ont pour obj<strong>et</strong> le substantif nuit. <strong>de</strong> tuer avec<br />

pour obj<strong>et</strong>, sacrifices, d'entendre une o<strong>de</strong>ur<br />

Section 3-111-2-3 Nouvelle rection directe<br />

La notion <strong>de</strong> rection est relative aux propriétés syntaxiques <strong>du</strong> verbe.<br />

Selon le Dictionnaire <strong>de</strong> linguistique en eff<strong>et</strong>, elle qualifie« la propriété


323<br />

qu'a un verbe d'être accompagné d'un complément dont le mo<strong>de</strong><br />

d'intro<strong>du</strong>ction est déterminé ».8 Ainsi un verbe transitif est à rection<br />

directe SI son obj<strong>et</strong> est intro<strong>du</strong>it sans préposition. En fait. la rection n·est quune<br />

variante <strong>de</strong> la transitivité puisqu'un verbe dit transitif direct réfère exactement à la<br />

même réalité linguistique qu'un verbe à rection directe. Mais ce qUI mérite surtout<br />

d'être noté, c'est l'exploitation par Kourouma <strong>de</strong> la réalité linguistique elle-même.<br />

On observe en eff<strong>et</strong> la "création" d'une nouvelle rection directe, SOit pour <strong>de</strong>s<br />

verbes qui d'ordinaire s'employaient peu transitivement. soit pour <strong>de</strong>s verbes<br />

transitifs directs mais qui reçoivent un obj<strong>et</strong> inatten<strong>du</strong>. Certains se sitU€nt <strong>dans</strong> le<br />

prolongement <strong>de</strong> <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré, d'autres, <strong>de</strong> loin les plus nombreux.<br />

s'arrétent au seuil <strong>de</strong> l'idée intensive. Commençons par les premiers.<br />

111-2-3-1 Rection directe à valeur intensive<br />

Le marabout vient d'égorger le coq pour le sacrifice <strong>de</strong>vant conjurer le<br />

mauvais sort qui menace Salimata <strong>et</strong> son mari. La volaille se débat<br />

vigoureusement avant <strong>de</strong> mourir. L'extrait que nous proposons, montre le tableau<br />

saisissant <strong>de</strong> la scène:<br />

Ex l : Comme une gousse <strong>de</strong> baobab l'oiseau frappa<br />

le sol <strong>et</strong> se croyant libéré se proj<strong>et</strong>a vers le<br />

ciel, une fois, <strong>de</strong>ux fois, trois fois, s'efforça<br />

<strong>de</strong> s'élever en vain; le bec <strong>et</strong> la tête ne<br />

décollèrent pas <strong>du</strong> sol. Alors il siffla la<br />

douleur <strong>et</strong> la mort (... ). Les Solei 1 s : 75.<br />

La tentative d'abus sexuel perpétré par Abdoulaye sur la personne <strong>de</strong> Salimata a<br />

échoué. Blessée <strong>dans</strong> son amour propre, la femme a non seulement réagi avec<br />

promptitu<strong>de</strong>, mais encore, avec une fougue Insoupçonnée par le victimaire.


324<br />

Ex 2 : (. .. ) la femme fut proj<strong>et</strong>ée, dispersée <strong>et</strong><br />

ouverte sur le lit; il ne restait qu'à sauter<br />

<strong>de</strong>ssus. Il ne le put; car elle hurla la rage<br />

<strong>et</strong> la fureur <strong>et</strong> se redressa frénétique ( ... ) .<br />

Les Soleils :79.<br />

Ainsi transie <strong>de</strong> fureur vindicative, Salimata vient d'asséner un violent coup <strong>de</strong><br />

couteau à son agresseur. L'extrait qui suit décrit la réaction <strong>de</strong> celui-ci:<br />

Ex 3 : Dans les yeux <strong>de</strong> Salimata éclatèrent le<br />

viol, le sang <strong>et</strong> Tiécoura, <strong>et</strong> sa poitrine se<br />

gonfla <strong>de</strong> la colère <strong>de</strong> la vengeance. Et la lame<br />

recourbée frappa <strong>dans</strong> l'épaule gauche. L'homme à<br />

son tour hurla le fauve, gronda le<br />

tonnerre. Les Soleils: 79.<br />

Des similitu<strong>de</strong>s <strong>forme</strong>lles fondées sur le sentiment linguistique <strong>et</strong> le contexte<br />

peuvent être dégagées au niveau sémantique entre ·Ies énoncés mis en relief <strong>et</strong><br />

d'autres locutions verbales. Il siffla la douleur <strong>et</strong> la mort peut ainsi<br />

s'entendre, faute <strong>de</strong> mieux, au sens <strong>de</strong> «II siffla <strong>de</strong> douleur» Elle hurla la<br />

rage <strong>et</strong> la fureur signifie « Elle hurla <strong>de</strong> rage <strong>et</strong> <strong>de</strong> fureur » tandis que<br />

«hurla comme un fauve, gronda cOlTlme un tonnerre » possè<strong>de</strong> le même<br />

signifié que hurla le fauve, gronda le tonnerre. Quelle nuance sépare-t-elle<br />

alors ces expressions qui justifie la préférence <strong>du</strong> romancier? Les équations<br />

sémantiques ci-<strong>de</strong>ssus montrent que la différence entre ces expressions n'est que<br />

<strong>de</strong> <strong>de</strong>gré, non <strong>de</strong> nature Or justement, l'intention <strong>de</strong> l'auteur semble être sous­<br />

ten<strong>du</strong>e par la conscience <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te nuance <strong>de</strong> <strong>de</strong>gré, c'est-à-dire l'expressivité <strong>de</strong>s<br />

<strong>forme</strong>s choisies pour mieux faire sentir au lecteur les événements décrits. L'usage<br />

ayant en eff<strong>et</strong> affadi les expressions courantes, celles-ci sont presque les<br />

euphémismes <strong>de</strong>s <strong>forme</strong>s choisies par l'auteur. C'est ainSI qu'elles accè<strong>de</strong>nt en<br />

définitive <strong>et</strong> <strong>de</strong> manière symbolique au sta<strong>de</strong> <strong>de</strong>s moyens d'expression <strong>du</strong> <strong>haut</strong><br />

<strong>de</strong>gré grâce à leur expressivité, tributaire elle-même <strong>du</strong> caractère inhabituel <strong>de</strong>


325<br />

leur syntaxe. A côté <strong>de</strong> ces verbes à rection directe marquant l'intensité, on trouve<br />

d'autres verbes dont l'expressivité n'atteint pas l'idée intensive, L·étu<strong>de</strong> <strong>de</strong> ces<br />

verbes que nous avons voulu succincte parce que n'ayant pas d'intérêt réel <strong>dans</strong><br />

le cadre <strong>de</strong> notre travail, m<strong>et</strong>tra un terme à l'étu<strong>de</strong> générale <strong>de</strong>s anomalies<br />

syntaxiques.<br />

111-2-3-2 Rection directe simple<br />

La modification syntaxique ( par l'emploi <strong>de</strong> compléments inhabituels) <strong>de</strong>s<br />

verbes à rection simple entraîne un transfert <strong>de</strong> sens qui crée une certaine<br />

polysémie. On remarquera que <strong>de</strong> ce point <strong>de</strong> vue. le mécanisme tropologique en<br />

cause est i<strong>de</strong>ntique, quant au résultat, à celui <strong>de</strong> l'emploI absolu <strong>de</strong>s verbes<br />

tranSitifs déjà étudiés. A propos <strong>du</strong> sang, le narrateur assure, sentencieux:<br />

Ex 1( .. ) vous ne le savez pas parce que vous<br />

n'êtes pas Hal inké, le sang es t prodigieux,<br />

criard <strong>et</strong> enivrant. De loin, <strong>de</strong> très loin, les<br />

Olseaux le voient flamboyer, les morts<br />

l'enten<strong>de</strong>nt. Les Soleils: 147.<br />

D'après le passage, l'exhalaison <strong>du</strong> sang sacrificiel n'est pas perçu par l'attribut<br />

humain naturellement commis à la tâche olfactive, puisque les morts ne sentent<br />

pas l'o<strong>de</strong>ur <strong>du</strong> sang, mais « l'enten<strong>de</strong>nt >>. La modification <strong>fonction</strong>nelle au<br />

niveau <strong>de</strong>s facultés sensorielles est-elle alors dépendante <strong>de</strong>s statuts (vivant!<br />

mort) <strong>de</strong>s suj<strong>et</strong>s qui en sont dotés, ou sont censés en faire usage? Une telle<br />

hypothèse serait assez commo<strong>de</strong> pour expliquer la redistribution <strong>de</strong>s sens, sans<br />

doute trop commo<strong>de</strong> même pour être plausible. Aussi. pensons-nous que c<strong>et</strong>te<br />

<strong>forme</strong>, autre manquement à la combinatoire sémantique doit être Justifiée<br />

autrement,· en nous situant par exemple <strong>du</strong> côté <strong>de</strong> la langue rnalinké. En eff<strong>et</strong>, en<br />

malinké comme <strong>dans</strong> nombre <strong>de</strong> langues africaines, <strong>l'expression</strong> <strong>de</strong>s activités<br />

olfactive <strong>et</strong> auditive est assurée par le même terme: on « entend » une


326<br />

exhalaison, un parfum quelconque comme on entend une musique. la voix <strong>de</strong><br />

quelqu un. Cela signifie que la distinction sémantique établie par le français n'est<br />

souvent perçue <strong>dans</strong> certaines langues africaines <strong>et</strong> singulièrement en mallnke.<br />

que d'après le contexte. Autrement dIt, la <strong>forme</strong> en cause Ici. entendre une<br />

o<strong>de</strong>ur est une influence <strong>du</strong> malinké sur le français <strong>et</strong> Il faut comprendre en réalité<br />

« les morts le sentent ». Mais en dépit <strong>du</strong> fait que les contextes sont en général<br />

assez explicites pour ne laisser subsister aucun doute quant à 1interprétation. on<br />

hésite parfois à dire si certaines constructions doivent être imputées aux<br />

interférences linguistiques, ou SI elles ne ressortiraient pas davantage à une <strong>forme</strong><br />

spécifique <strong>de</strong>s créations personnelles <strong>de</strong> l'écrivain. En fait, vu l'improbabilité <strong>de</strong><br />

l'argument par les interférences linguistiques, seule la <strong>de</strong>uxième hypotnèse paraît<br />

plausible. Nous <strong>de</strong>vinons les questions qu'un tel parti-pris peut susciter. Existe-t-il<br />

<strong>de</strong>s critères objectifs perm<strong>et</strong>tant <strong>de</strong> distinguer n<strong>et</strong>tement entre la nature <strong>de</strong>s<br />

constructions? Dans l'affirmative, quels sont-ils <strong>et</strong> comment opèrent-Ils? Pour<br />

donner <strong>de</strong>s réponses tranchées, l'idéal eût sans doute été d'entreprendre une<br />

étu<strong>de</strong> contrastive complète <strong>du</strong> français <strong>et</strong> <strong>du</strong> malinké, encore que, mème <strong>dans</strong><br />

c<strong>et</strong>te perspective, le résultat pourrait n'être pas absolument garantI. vu les écueils<br />

inévitables liés à la tra<strong>du</strong>ction. Mais là <strong>du</strong> moins, <strong>de</strong>s résultats probants seraient<br />

obtenus. Une telle étu<strong>de</strong> qui répondra à <strong>de</strong>s exigences spécifiques excè<strong>de</strong>rait le<br />

but <strong>de</strong> ce travail. Toutefois, nous ne nous déroberons pas aux interrogations<br />

formulées plus <strong>haut</strong>. Pour y répondre, citons quelques extraits tirés <strong>de</strong> Les<br />

Soleils. On accor<strong>de</strong>ra un intérêt tout particulier à dormir <strong>et</strong> tuer <strong>et</strong> leurs<br />

compléments. Salimata n'a pas eu une nuit reposante, préoccuppée qu'elle était<br />

par sa stérilité:<br />

Ex 1 : Et c<strong>et</strong>te journée-là débuta par un réveil<br />

trop matinal à la suite <strong>de</strong> la nuit mal dormie.<br />

Elle tournait <strong>dans</strong> le lit, le matin était encore<br />

loin( ). Les Soleils: JO.


328<br />

Ex 3 : Fama pouvait vivre sans inquiétu<strong>de</strong>, tant<br />

Cj u e jJ cl 11 cl S 0 Il cl t 1: r Cl Ilcil 1. l'e spi.r cl 1. l. Se u l e 11\e Il t ,<br />

Fama <strong>de</strong>vait tuer <strong>de</strong>s sacrifices aux mànes <strong>de</strong>s<br />

aïeux. Les Soleils :123.<br />

Comme Fama. Djigui conjure le mauvais sort par <strong>de</strong>s sacrifices après un<br />

cauchemar:<br />

Ex 4 Cinq requlns happèrent Djigui qui dégagea<br />

ses jambes tuméfiées par <strong>de</strong>s chiques<br />

grouillantes <strong>et</strong> sautillantes ( ... ). Il cria au<br />

secours, tua <strong>de</strong>s sacrifices; Monné: 89.<br />

Ex 5 . Toutes les mamans Doumbouya versaient <strong>de</strong>s<br />

libations, tuaient <strong>de</strong>s sacrifices pour que <strong>de</strong><br />

leur giron <strong>de</strong>scendît l'enfant qui serait le chef<br />

<strong>de</strong> la dynastie. Les Soleils: 92.<br />

La relation entre tuer <strong>et</strong> sacrifices corrobore ce qui a été dit plus tôt <strong>de</strong> la<br />

complémentation entre dormir <strong>et</strong> nuit. Et c'est précisément ce qUI pose<br />

problème, car l'énoncé n'autorise d'interprétation recevable pour sacrifices que<br />

celle qUI voit <strong>dans</strong> le substantif, au niveau extra··llnguistique. ia bête quon tue. En<br />

termes différents, il faut entendre par ce substantif, non pas l'offran<strong>de</strong> rituelle. la<br />

cérémonie au cours <strong>de</strong> laquelle l'animal est tué, mais tout se passe plutôt comme<br />

si la bête se transmutait entièrement en la cérémonie, incarnait absolument celle-<br />

ci. Aussi peut-on dire que <strong>de</strong> l'abstrait qu'il est d'ordinaire, sacrifices <strong>de</strong>vient en<br />

quelque sorte un obj<strong>et</strong> matériel préhensible grâce à c<strong>et</strong>te construction. Quel<br />

intérêt peut avoir une telle observation par rapport à l'interrogation principale?<br />

Tuer un sacrifice pour « faire un sacrifice » <strong>dans</strong> le sens propre d'immolation<br />

ne semble pas être imputable à une interférence linguistique comme par exemple.<br />

marier <strong>dans</strong> le sens d'épouser. Il en va <strong>de</strong> même <strong>de</strong> dormir une nuit. Dans ces<br />

conditions, il est loisible d'ém<strong>et</strong>tre d'autres hypothèses <strong>et</strong> nous pensons que ce::


330<br />

le, parce qu'Allah aime le vrai! Elle était belle.<br />

ensorcelante( ... ). Les Soleils: 134.<br />

La réticence <strong>de</strong> Fama à prendre Mariam pour secon<strong>de</strong> femme alors même que<br />

Salimata est victime d'une stérilité irrémédiable, exaspère ceux <strong>de</strong> Togobala <strong>et</strong> les<br />

critiques <strong>et</strong> médisances ne se dissimulent plus:<br />

Ex 4 : Fama avait refusé Mariam parce qu'il<br />

n'avait ni les reins ni l'argent. Au village, on<br />

avait juré, protesté, médit <strong>de</strong> Fama: un<br />

légitime, un fils <strong>de</strong> chef qui courbait la tête<br />

sous les ailes d'une femme stérile, un dévoyé!<br />

Les Soleils: 93.<br />

Tout le mon<strong>de</strong> a fait preuve d'une gran<strong>de</strong> générosité compatissante pour la famille<br />

éplorée à l'occasion <strong>de</strong>s funérailles <strong>de</strong> Koné Ibrahima. A preuve:<br />

Ex 5 : Les amis, les parents <strong>et</strong> même <strong>de</strong> simples<br />

passants déposèrent <strong>de</strong>s offran<strong>de</strong>s <strong>et</strong> sacrifices<br />

qui furent repartagés <strong>et</strong> attribués aux venus <strong>et</strong><br />

aux gran<strong>de</strong>s familles malinké <strong>de</strong> la capitale. Les<br />

Soleils 9.<br />

Ex 6 Et chaque Jour le cercle autour <strong>de</strong>s<br />

calebasses <strong>de</strong> tô s'était élargi <strong>de</strong>s camara<strong>de</strong>s <strong>de</strong><br />

classe d'âge qUl avaient choisi l'heure <strong>de</strong><br />

l'assise <strong>de</strong>s repas pour ven_lr saluer. Les<br />

Soleils 131.<br />

111-2-4-2 Par création verbale impropre<br />

La création verbale suit elle aussi un processus néologique quasI I<strong>de</strong>ntique<br />

à celui <strong>de</strong> la substantivation. La différence vient <strong>du</strong> fait qu'au niveau <strong>de</strong>s verbes,


331<br />

on peut distinguer entre néologismes par pronomillaiisation <strong>et</strong> néologismes non<br />

pronomillaux. ToutefoIs, les <strong>de</strong>ux <strong>forme</strong>s <strong>de</strong> néologismes se rejoignent par leur<br />

impropriété<br />

111-2-4-2-1 Néologismes simples<br />

Dans c<strong>et</strong>te <strong>forme</strong> néologique, la création verbale exploite <strong>de</strong>s substantifs<br />

déjà eXistants tels que nuit, contreban<strong>de</strong>, marLlbout, ... Aucune autre<br />

explication que celle d'un désir stylistique iconoclaste Ile semble pouvoir être<br />

justiCiable <strong>de</strong> ce néologisme excessif. Mais on a pu montrer au cours <strong>de</strong> nos<br />

développements antérieurs, que ce style qui se veut LIn véritable autodafé <strong>de</strong> la<br />

<strong>forme</strong> littéraire classique était sous-ten<strong>du</strong> par la recherche <strong>et</strong> le goût d'une<br />

expressivité tout aussi inaccoutumée, modalité <strong>de</strong> l'esthétique romanesque<br />

kouroumienne globale. Les exemples ne manquent pas:<br />

Ex l Même s'il nuitait <strong>dans</strong> les Cleux,<br />

restait un enfant. Les Soleils 67.<br />

Ex 2 : C' était pour atténuer les rigueurs <strong>du</strong><br />

socialisme qu'il hantait les frontières,<br />

trafiquait ( ... ) <strong>et</strong> contrebandait les<br />

marchandises. Les Soleils: 98.<br />

Dans l'extrait suivant, il s'agit <strong>du</strong> très pieux Yacouba dont le couple royal ( <strong>et</strong><br />

surtout la préférée <strong>du</strong> souverain Djigui ) est tombé en admiration:<br />

Ex 3 : Moussokoro avait estimé qu'il meritait<br />

d'être appelé au Bolloda même s'il ne<br />

maraboutait pas. C'est ce que Djigui faisait en<br />

évoquant le dévot <strong>dans</strong> un <strong>de</strong>mi-sommeil. Nonnè :<br />

161.


332<br />

111-2-4-2-2 Néologismes par pronorninalisation<br />

Les verbes issus d'une pronominalisatlon impropre dérivent également<br />

pour la plupart d'autres verbes déjà existants. C'est le cas <strong>de</strong> s'enrager, se<br />

découcher, s'excé<strong>de</strong>r. Mais on peut Joindre à c<strong>et</strong>te liste Iflexhaustive, le<br />

néologisme s'étranger qUI, lui, s'appUie plutôt sur l'adjectif étrange En vOici<br />

quelques exemples:<br />

Ex 1: Moussokoro était née dévoyée, dès onze<br />

ans, elle multipliait les fugues, se<br />

découchait <strong>et</strong> mentait. Monné: 142.<br />

Ex 2:( ... ) le firmament s'élevait, s'éloignait,<br />

bleuissait <strong>et</strong> s' étrangeait même pour les<br />

hiron<strong>de</strong>lles. Monnè : 202.<br />

Ex 3 Fama <strong>de</strong>vait jouer a 1.' empres sé <strong>et</strong><br />

consommer <strong>du</strong> Salimata chaud ( ... ) sinon, sinon<br />

les orageuses <strong>et</strong> inquiétantes<br />

Salimata! Elle s'enrageait,<br />

griffait ( ... ). Les Soleils: 29<br />

Ex 4 Dehors, le vent <strong>et</strong><br />

s'enrageaient. Les Soleils: ï8.<br />

fougues <strong>de</strong><br />

déchirait,<br />

la pluie<br />

EX 5: ( ... ) les Malinkés ont beaucoup <strong>de</strong><br />

méchanc<strong>et</strong>és <strong>et</strong> Allah se fatigue d'assouvir leur<br />

malveillance; beaucoup <strong>de</strong> malheurs, <strong>et</strong> Allah<br />

s'excè<strong>de</strong> <strong>de</strong> les guérir, <strong>de</strong> les soulager. Les<br />

Soleils: 116.<br />

Ces exemples achèvent l'étu<strong>de</strong> consacrée aux énoncés anomaux <strong>dans</strong> leur<br />

rapport à <strong>l'expression</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré. Nous pouvons ainsi revenir à l'interrogation<br />

initiale <strong>du</strong> paradoxe apparent suscité par ce que nous appelons « esthétique <strong>de</strong><br />

l'anomalie » Pour ne pas créer une mystique Iflcongrue par la prolongation


333<br />

inopportune <strong>du</strong> débat sur la question, tranchons-la définitivement en notant ce qUI<br />

suit.


Conclusion<br />

334<br />

Les anomalies linguistiques telles qu'elles viennent d'être décrites. doivent<br />

être évidées <strong>du</strong> jugement <strong>de</strong> valeur dont elles sont s/ souvent affublées. Le<br />

raisonnement différentIel traditionnel sous-tendant le dyptique oppositif bon<br />

usage- mauvais usage est tout à fait révélateur <strong>de</strong> ce jugement <strong>de</strong> valeur. Or. les<br />

énoncés anomaux répon<strong>de</strong>nt tous chez l'auteur, à une intention stylistique <strong>dans</strong> la<br />

mesure où ils participent <strong>de</strong> l'ensemble <strong>de</strong> sa <strong>forme</strong> littéraire AinsI se dissipe le<br />

malaise qu'a pu susciter la détermination caractérisante Citée plus <strong>haut</strong> <strong>et</strong>, par<br />

extension, le sentiment <strong>de</strong> paradoxe apparent aussi En termes différents. cela<br />

signifie que les <strong>forme</strong>s anomales analysées acquièrent un certain statut <strong>de</strong> beauté<br />

<strong>dans</strong> la mesure où elles s'insèrent harmonieusement <strong>dans</strong> l'ensemble <strong>de</strong><br />

l'esthétique romanesque <strong>de</strong> l'écrivain, spécialement en ce qUI concerne les<br />

procédés d'intensification. Le mérite <strong>de</strong> Kourouma rési<strong>de</strong> <strong>dans</strong> la création d'une<br />

<strong>forme</strong> littéraire issue en partie <strong>de</strong> la déstructuration <strong>de</strong> la langue normative. C<strong>et</strong>te<br />

déstructuration est pluri<strong>forme</strong>. Elle procè<strong>de</strong> tantôt par "intransltivisatlon' par effel<br />

<strong>de</strong> contamination, tantôt par "intransitivisation" absolue. Dans les <strong>de</strong>ux cas. la<br />

suspension <strong>de</strong>s schèmes verbaux crée un sens nouveau qUI tra<strong>du</strong>it<br />

symboliquement l'Idée d'Intensité. A ce titre, l'emploi <strong>de</strong>s verbes comme donner,<br />

écraser. débiter <strong>et</strong> surtout <strong>de</strong> pouvoir est très significatif. D'autres verbes<br />

également d'emploi métaphorique tels mitrailler, enflammer, éclater,. au<br />

pouvoir expressif. participent tout aussi avantageusement à <strong>l'expression</strong><br />

hyperbolique. Dans ce sens, une mention spéciale doit être faite à propos<br />

d'éclater <strong>et</strong> <strong>de</strong> ricocher pour leur polysémie en tant que verbes "inflationnistes".<br />

Ils sont en eff<strong>et</strong> parfaitement représentatifs <strong>de</strong>s anomalies sémantiques <strong>de</strong> nature<br />

métaphorique. Avec le premier, <strong>de</strong>s notIons abstraites prennent une consistance<br />

matérielle, <strong>de</strong>s obj<strong>et</strong>s intrinsèquement non mobiles s'animent AinSI par exemple.<br />

la lune, \e songe, l'admiration éclatent-ils. C'est également le cas <strong>du</strong> second qui a<br />

pour sUj<strong>et</strong> les substantifs jurons <strong>et</strong> paroles. La complémentation faite à courber


335<br />

(courber la prière), marcher ( marcher le voyage / les prornena<strong>de</strong>s , ), <strong>dans</strong>er<br />

<strong>dans</strong>er un accueuil), asseoir (asseoir le <strong>de</strong>uil), .. sont également l'une <strong>de</strong>s<br />

innovations principales <strong>de</strong> l'écriture kouroumienne <strong>dans</strong> la recherche d'une plus<br />

gran<strong>de</strong> expressivité, Enfin, il faut signaler le procédé d'enrichissement lexical avec<br />

les néologismes impropres, qu'ils soient <strong>de</strong> nature substantive ou verbale.<br />

Pro<strong>du</strong>it d'un bilinguisme novateur, l'écriture kouroumienne initie une véritable<br />

révolution <strong>dans</strong> la <strong>forme</strong> <strong>du</strong> roman. Si elle a choqué la critique normative, c est<br />

sans aucun doute parce qu'elle redéfinit en <strong>de</strong>s termes nouveaux, le rapport <strong>de</strong><br />

l'écrivain africain à la langue française. En laissant toutefois un goût d'inachevé<br />

aux irré<strong>du</strong>ctibles <strong>de</strong> l'avènement d'une littérature spécifiquement africaine dont le<br />

critère fondamental seraient les langues locales, Kourouma ne pose-t-li pas là ie<br />

soubassement stylistique <strong>de</strong> ce qui pourrait être une école littéraire?


336<br />

1 - G. Mounin Dictionnaire <strong>de</strong> la linguistique. Presses Universitaires <strong>de</strong><br />

France, 1974, P 29.<br />

2 - J. C. Chevalier. La notion <strong>de</strong> complément chez les grammairiens.<br />

Etu<strong>de</strong> <strong>de</strong> grammaire française. Droz, 1968, p 55.<br />

3 - J. Dubois. Grammaire structurale <strong>du</strong> français. Larousse. 1967. p 22.<br />

4 - M. Yaguello. Alice au pays <strong>du</strong> langage. Pour comprendre la<br />

linguistique. Seuil, 1981, P 155.<br />

5 - Notre démarche s'inspire <strong>de</strong> Todorov <strong>dans</strong> son article intitulé: « Les<br />

anomalies sémantiques » paru <strong>dans</strong> la revue Langages, mars 1966, na 1, P<br />

100-123.<br />

6 - Du Marsais. Traité <strong>de</strong>s tropes. Le Nouveau commerce, 1977, p 25.<br />

7 - I<strong>de</strong>m p 112.<br />

8 - J. Dubois, M. Giacomo, L. Guespin <strong>et</strong> al. Dictionnaire <strong>de</strong> linguistique.<br />

Larousse, 1989 p 407.


338<br />

à la question vitale <strong>de</strong> l'intégration inter-africaine. Il faut bien dire en eff<strong>et</strong> que la<br />

question <strong>de</strong> l'i<strong>de</strong>ntité culturelle africalfle qUI sous-tend c<strong>et</strong>te littérature on ne peut<br />

hypothétique encore, ne mérite d'être posée que <strong>dans</strong> la mesure oü elle sera<br />

formulée en termes d'efficacité <strong>de</strong> développement solidaire <strong>et</strong> non plus<br />

autarcique. En outre, c<strong>et</strong>te littérature ne sera vraiment viable que par opposition à<br />

la littérature <strong>de</strong> support linguistique français actuelle qui ne <strong>de</strong>vra ni ne pourra être<br />

vouée aux gémonies, car le propre <strong>de</strong> l'art, c'est précisément d'être libre. Entre<br />

ces <strong>de</strong>ux <strong>forme</strong>s littéraires ( <strong>dans</strong> l'hypothèse optimiste que le rêve <strong>de</strong>vienne<br />

réalité) parallèles, une troisième est déjà élaborée qui ne laisse point indifférent:<br />

l'esthétique romanesque kouroumienne.<br />

En eff<strong>et</strong>, suscitée par une insatisfaction profon<strong>de</strong> vis-à-vis <strong>de</strong>s normes<br />

conventionnelles en matière <strong>de</strong> pro<strong>du</strong>ction romanesque en général. <strong>et</strong> en<br />

particulier, vis-à-vis <strong>de</strong> l'incapacité <strong>du</strong> français à exprimer fidèlement, <strong>du</strong> fait <strong>de</strong><br />

son caractère coercitif, la pensée africaine, l'écriture kouroumlenne trouve sa<br />

spécificité <strong>dans</strong> la rupture avec la langue <strong>de</strong> convention. Dans ces conditions, la<br />

distorsion <strong>du</strong> français idéalisé était nécessaire à la restitution <strong>du</strong> « rythme<br />

africain» à travers les structures propres à la langue malinké. C'est que le<br />

discours romanesque <strong>de</strong> Kourouma se présente comme une tentative <strong>de</strong><br />

recentrage <strong>de</strong> la crise i<strong>de</strong>ntitaire générale en <strong>de</strong>s termes différents, ou comme une<br />

proposition <strong>de</strong> redéfinition <strong>du</strong> rapport <strong>de</strong> l'écrivain africain à la langue française.<br />

Comment faire une jonction intelligente entre <strong>de</strong>ux <strong>forme</strong>s <strong>de</strong> discours aux réalités<br />

souvent irréconciliables, l'un, d'importation, le roman <strong>et</strong> l'autre, autochtone, la<br />

littérature orale traditionnelle? Comment trouver sa propre esthétique romanesque<br />

en s'affranchissant <strong>du</strong> modèle littéraire occi<strong>de</strong>ntal sans porter atteinte à<br />

1universalité <strong>de</strong> l'œuvre pro<strong>du</strong>ite? Autrement dit, quel langage faut-Ii adopter <strong>dans</strong><br />

l'œuvre qui puisse répondre à la question <strong>de</strong> la crédibilité <strong>du</strong> discours<br />

romanesque africain, corollaire elle-même <strong>de</strong> la quête i<strong>de</strong>ntitaire? Telles étaient<br />

les ambitions <strong>et</strong> les motivations profon<strong>de</strong>s <strong>de</strong> l'écriture kouroumienne Si elle a<br />

éveillé la double hostilité d'une certaine critique d'esthètes défenseurs d'un


339<br />

académisme à tout crin cJ'une part, <strong>et</strong> celle <strong>de</strong>s partlséllls irre<strong>du</strong>ctibles <strong>de</strong> 1,\<br />

nécessité d'une littérature spécifiquement afncame d'autre part, cest en raison <strong>de</strong><br />

ses ambitions mêmes <strong>et</strong> <strong>de</strong> leurs exigences. Les mterférences à l'origine <strong>de</strong>s<br />

nombreuses anomalies linguistiques, mais aussi tous les malinkismes ne sont que<br />

le corrélatif préVisible <strong>de</strong> c<strong>et</strong>te recherche <strong>de</strong> crédibilité discursive <strong>et</strong> <strong>de</strong><br />

l'adaptation à l'œuvre romanesque <strong>de</strong> la littérature orale africaine. La création<br />

d'une Instance narrative au statut <strong>de</strong> griot-conteur traditionnel d'une part.<br />

l'intégration <strong>du</strong> contage <strong>et</strong> l'illusion allocutaire qui en découlent d'autre part.<br />

s'inscrivent <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te logique <strong>de</strong> quête <strong>de</strong> réalisme linguistique. En outre,<br />

l'omniprésence <strong>du</strong> merveilleux <strong>dans</strong> la littérature orale <strong>et</strong> spécialement <strong>dans</strong> les<br />

contes, <strong>et</strong> la logique é<strong>du</strong>cationnelle implicite qUI en sous-tend la fmallté<br />

sociologique, justifient la tendance hyperbolique <strong>de</strong>s anecdotes <strong>et</strong> leur narration.<br />

Dans ces conditions, la dominante <strong>de</strong> l'inl'Iation sémantique <strong>dans</strong> l'éCrlture<br />

kouroumienne ne surprend guère, l'illogisme <strong>de</strong>s constructions hyperboliques<br />

aussi, puisqu'il répond autant à L1ne visée impressionniste qu'à une exigence<br />

intérieure d'expressivité. A ce titre, l'écriture kouroumienne n'est pas seulement<br />

une écriture <strong>de</strong> rupture, elle se veut également une écriture <strong>de</strong> céltharsis car elle<br />

se présente à la fois comme acte d'expurgation d'un certain malaise <strong>et</strong> acte<br />

d'auto-réconciliation culturelle. L'étu<strong>de</strong> <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré à travers le dispositif<br />

d'intensification en atteste parfaitement, non pas tant au niveau <strong>de</strong> sa <strong>forme</strong> qu'à<br />

celui <strong>de</strong> son exploitation C'est que, comme indivi<strong>du</strong>, f


340<br />

motivés en -ment. <strong>de</strong>s adverbes comme lour<strong>de</strong>ment. gravement. acqulèrent­<br />

Ils par analogie, une pleine valeur contextuelle <strong>de</strong> modalités lexicales Intensives.<br />

A fortiori, les structures décommensuratives naturellement Ilyperboliques ne<br />

pouvaient manquer <strong>de</strong> jouer un rôle important au niveau pictural à travers la<br />

caractérisation sous ses différentes <strong>forme</strong>s. Ainsi, qu'il sagisse <strong>de</strong>s procédés<br />

logiques à double valeur ou <strong>de</strong>s procédés métaphoriques <strong>et</strong> comparatifs. tous<br />

obéissent à ce besoin obsédant <strong>de</strong> surenchère sémantique qui fait <strong>de</strong> l'hyperbole.<br />

la matrice scripturale <strong>de</strong> l'esthétique romanesque kouroumienne. C'est bien ce qui<br />

explique <strong>dans</strong> la comparaison intensive par exemple, le goût <strong>du</strong> narrateur pour les<br />

rapprochements aussi inatten<strong>du</strong>s qu'insolites. Ainsi (les handicaps physiques tels<br />

la surdi-mutité, la défaillance visuelle, ... <strong>de</strong>viennent-ils <strong>de</strong> nouveaux étalons<br />

d'évaluation <strong>du</strong> <strong>de</strong>gré <strong>de</strong> pigmentation <strong>de</strong> la peau <strong>et</strong> d'une incurie <strong>de</strong> mensonge.<br />

C'est également <strong>dans</strong> c<strong>et</strong>te logique autotélique toute spéCiale. que l'ill<strong>et</strong>rlsme <strong>du</strong><br />

prince Fama est comparé à l'analphabétisme <strong>de</strong> la queue d'un âne, comme si<br />

celui-ci était susceptible <strong>de</strong> scolarisation. L'exclamation où l'intonation tient une<br />

place importante participe aussi très étroitement à l'énonciation intensive chez<br />

Kourouma. Dans un procédé qui a une <strong>fonction</strong> d'intensification essentiellement<br />

symbolique comme l'exclamation <strong>et</strong> où le facteur affectif domine. Il convient<br />

dinsister sur l'importance <strong>du</strong> contexte <strong>et</strong> <strong>de</strong> la situation <strong>de</strong> communication. Mais<br />

l'une <strong>de</strong>s gran<strong>de</strong>s innovations <strong>de</strong> l'écrivain est sans doute à chercher <strong>du</strong> côté <strong>du</strong><br />

"renouvellement" syntaxique <strong>et</strong> <strong>du</strong> procédé inhabituel d'enrichissement lexical par<br />

les trangressions contre les normes conventionnelles <strong>de</strong> la <strong>fonction</strong> combinatoire<br />

Les nouvelles expressions verbales telles que courber la prière. asseoir le<br />

<strong>de</strong>uil, marcher le voyage (l'expédition ou l'excursion), <strong>dans</strong>er un<br />

accueil, dormir une nuit,. qui sont autant d'interférences, tiennent d'une<br />

certaine esthétique <strong>de</strong> l'anomalie qui contribue avantageuselTlent à l'miginalité <strong>du</strong><br />

style <strong>de</strong> Kourouma. En d'autres termes, toutes les agrammaticalités délibérées qui<br />

violent les présupposés lingUistiques les plus élémentaires, s'intègrent <strong>et</strong> se<br />

réhabilitent <strong>dans</strong> l'esthétique kouroumienne où elles ont une <strong>fonction</strong> essentielle


341<br />

D'un strict point <strong>de</strong> vue méthodologique cependant" faut noter que le<br />

pro<strong>du</strong>it <strong>de</strong> bilinguisme qu'est le langage kouroumlen n'est pas toujours aisé à<br />

analyser. En eff<strong>et</strong>, la complexité même <strong>de</strong> ce langage-tampon crée les conditions<br />

d'une polysémie <strong>du</strong> dispositif énonciatif <strong>de</strong> nature intensive, <strong>et</strong> prédispose celui-ci<br />

a une lecture sémantique plurielle. En outre, le fait que nous ne soyons pas nous­<br />

même d'expression mallnké a pu influencer inconsciemment notre <strong>de</strong>scription<br />

sémantique. Mais l'impossible unanimisme théorique. conceptuel <strong>et</strong><br />

méthodologique entre linguistes en général, <strong>et</strong> entre IlTlguistes sémanticiens en<br />

particulier, en dépit <strong>de</strong>s problèmes qu'il soulève, est très utile. vOire Indispensable<br />

à une meilleure connaissance <strong>de</strong> la langue <strong>et</strong> <strong>de</strong> son <strong>fonction</strong>nement Cest ainsi<br />

en eff<strong>et</strong> qu'une sémantique <strong>de</strong> l'énonciation comme la nôtre. gar<strong>de</strong> toute sa<br />

légitimité malgré ses lacunes possibles Ainsi par exemple, notre préférence<br />

méthodologique pour une procé<strong>du</strong>re d'analyse variable selon les types d·énoncés<br />

au détriment d'une métho<strong>de</strong> <strong>de</strong>scriptive monoliHlique se justifie-t-elle par la<br />

diversité <strong>et</strong> la spécificité même <strong>de</strong>s énoncés décrits. Dans ces conditions, la prise<br />

en compte <strong>de</strong>s paramètres extra-linguistiques <strong>dans</strong> la <strong>de</strong>scription apparaissait<br />

comme un corollaire indispensable à l'ancrage <strong>de</strong> l'écriture kouroumlenne <strong>dans</strong> le<br />

terroir malinke. Si l'intégration <strong>de</strong> ces paramètres était inévitable <strong>dans</strong> la mesure<br />

où Ils <strong>de</strong>vaient contribuer à l'efficacité <strong>de</strong> la <strong>de</strong>scription sémantique. il serait<br />

erroné <strong>de</strong> penser que celle-CI a épuisé la totalité <strong>de</strong>s interprétations recevables.<br />

En eff<strong>et</strong>, notre tentative d'élucidation <strong>de</strong>s énoncés décrits <strong>et</strong> les Interprétations<br />

proposées, ne sont qu'une lecture possible sur l'esthétique kouroumlenne. Ou<br />

strict point <strong>de</strong> vue <strong>du</strong> vocabulaire, la diversité <strong>du</strong> procédé d'enrichissement lexical<br />

doit être notée. On y compte une tentative <strong>de</strong> resémantisation <strong>de</strong> certains termes<br />

Vieillis ou peu usités qUI font érudition. Mais la <strong>forme</strong> d'enrichissement la plus<br />

dominante est la création néologique. C'est ainsi que <strong>de</strong>s néologismes comme<br />

négritie, nazér/sme, déhonté, honterie font leur apparition <strong>dans</strong> le <strong>de</strong>uxième<br />

roman <strong>de</strong> l'écrivain <strong>et</strong> que par une création verbale inhabituelle. nuiter,<br />

contreban<strong>de</strong>r, s'enrager, se découcher, s'étranger <strong>et</strong> s'excé<strong>de</strong>r viennent étoffer


342<br />

son vocabulaire. Enfin. l'exploitation abusive <strong>de</strong> la substantivation qu'on remarque<br />

avec <strong>de</strong>s adjectifs tels que vrai, légitime mais aussi <strong>de</strong>s participes comme venu <strong>et</strong><br />

assis. contribue à asseoir une <strong>forme</strong> romanesque toute originale. D'une façon<br />

générale par conséquent, les <strong>de</strong>ux ouvrages <strong>de</strong> Kourouma se situent <strong>dans</strong> une<br />

continuité esthétique voulue par l'écrivain. Toutefois, il est à noter une légère<br />

modification <strong>dans</strong> le niveau <strong>de</strong> langue. La resémantlsation <strong>de</strong> certains termes que<br />

nous avons précé<strong>de</strong>mment cités en constitue un exemple. En outre, les anecdotes<br />

<strong>et</strong> les propos grivois sont quantitativement moins importants <strong>dans</strong> Monnè,<br />

Outrages <strong>et</strong> Défis que <strong>dans</strong> Les Soleils <strong>de</strong>s Indépendances. Comment peut-on<br />

Justifier c<strong>et</strong>te modification? L'exil <strong>de</strong> Kourouma pour <strong>de</strong>s raisons professionnelles<br />

<strong>et</strong> le manque d'exercice linguistique, son corollaire d'une part. la rupture <strong>de</strong><br />

contact avec les nouvelles réalités d'une société en mutation permanente d'autre<br />

part, peuvent-Ils être considérés comme <strong>de</strong>s facteurs déterminants? C<strong>et</strong>te<br />

nouvelle démarche stylistique est-elle passagère ou présage-telle au contraire un<br />

changement radical? Telles sont les questions auxquelles <strong>de</strong>vront perm<strong>et</strong>tre <strong>de</strong><br />

répondre les prochaines publications romanesques <strong>de</strong> l'écrivain. Mais par-<strong>de</strong>ssus<br />

tout. la question <strong>de</strong> la fortune <strong>de</strong> l'esthétique romanesque kouroumienne en terme<br />

d'émules en Afrique, <strong>et</strong> les difficultés qu'exige son élaboration, sont une<br />

orientation <strong>de</strong> travail intéressante qu'une étu<strong>de</strong> ultérieure <strong>de</strong>vra éluci<strong>de</strong>r C<strong>et</strong>te<br />

étu<strong>de</strong> perm<strong>et</strong>trait <strong>de</strong> savoir si l'esthétique kourournienne est en voie ou non <strong>de</strong><br />

constituer une école littéraire. Elle pourra également appr.ofondir l'étu<strong>de</strong><br />

d'intertextualité que nous avons succinctement abordée <strong>dans</strong> la première partie<br />

<strong>de</strong> notre travail pour tenter <strong>de</strong> préciser quelles sont les sources d'influence <strong>de</strong><br />

Kourouma. l\Jous pensons notamment aux éCflvains <strong>de</strong> noton<strong>et</strong>é qUI, <strong>dans</strong> la<br />

pro<strong>du</strong>ction romanesque, ont une antériorité incontestable sur Kourouma. En<br />

attendant que ce travail ne soit entrepris, nous <strong>de</strong>vons ém<strong>et</strong>tre un avis sans<br />

équivoque sur l'écriture <strong>de</strong> Kourouma <strong>dans</strong> sa <strong>forme</strong> actuelle, En eff<strong>et</strong>. <strong>du</strong> strict<br />

pOint <strong>de</strong> vue <strong>de</strong> la recherche linguistique. l'esHlétlque kouroumlenne telle que<br />

nous venons d'en proposer une <strong>de</strong>scription, est une rlct"'lesse ce l'téllf',e, ToutefOla,


1- TEXTES DE BASE<br />

344<br />

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Problème <strong>de</strong> linguistique générale Paris Gallimard. Coll<br />

"Tel" 47, 1985.<br />

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contemporain<br />

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L'expression <strong>du</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>g ré en français<br />

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Bordinas Marcel A.« L'adjectif <strong>et</strong> les rapports entre sémantique <strong>et</strong> grammaire»<br />

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Bouverot Danielle. «Comparaison <strong>et</strong> métaphore »In Le français<br />

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Brunot Ferdinand. La pensée <strong>et</strong> la langue. 2èrne éd. Paris: Masson <strong>et</strong> Cie.<br />

1926.Tome XXXVI.<br />

Histoire <strong>de</strong> la langue française <strong>de</strong>s origines à nos jours.<br />

Nouv. éd. Pans: A. Colin, 1966.<br />

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357<br />

Section 3 - Il - 1 - 3 Caractérisation intensive par l'adverbe<br />

Il - 1 - 3 - 1 L'intensif primitif Très<br />

Il - 1 - 3 - 2 L'intensité par les concurrents <strong>de</strong> Très<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 1 L'adverbe motivé en - ment<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 1 - 1 1ntensif d'un adjectif<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 2 Intensif d'un verbe<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 Autres adverbes intensifs<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 1 Tout à fait<br />

11-1-3-2-2-2 Tout - Fort<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 3 Aussi<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 4 Si - Tant<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 5 Assez - Trop<br />

Il - 1 - 3 - 2 - 2 - 6 Bien<br />

section 4 - Il - 1 - 4 Caractérisation intensive par l'adjectif<br />

Conclusion<br />

Il - 1- 4 - 1 Caractérisation distinctive à valeur intensive<br />

Il - 1 - 4 - 1 - 1 A.S en complément prépositionnel<br />

Il - 1 - 4 - 1 - 2 A. S précédé d'actualisateur<br />

Il - 1 - 4 - 2 Autres caractérisants intensifs<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 1 Antéposition<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 1 - 1 Très grand 1 gros + S<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 1 - 2 Très nombreux + S<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 1 - 3 S <strong>de</strong>s S<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 2 Postposition<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 3 Sans limite 1 pareil<br />

Il - 1 - 4 - 2 - 4 Syntagmes nominaux intensifs<br />

107<br />

107<br />

109<br />

109<br />

112<br />

117<br />

120<br />

120<br />

121<br />

123<br />

125<br />

127<br />

130<br />

131<br />

131<br />

133<br />

134<br />

136<br />

139<br />

139<br />

140<br />

141<br />

142<br />

146<br />

148<br />

151


358<br />

Ch. 2 La caractérisation complexe d'intensité 155<br />

Intro<strong>du</strong>ction 155<br />

Section 1- Il - 2 - 1 Les procédés conjonctifs <strong>de</strong> <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré 157<br />

Il - 2 -1 - 1 Si que 159<br />

Il - 2 - 1- 2 Si bien que 160<br />

11-2-1-3Telque 161<br />

Il - 2 - 1 - 4 De sorte que 162<br />

Il - 2 - 2 Autres procédés locutionnels intensifs 165<br />

11-2-2-1 Avec point 165<br />

Il - 2 - 2 - 1- 1 Au point que 166<br />

Il - 2 - 2 - 1 - 2 A tel point que 167<br />

Il - 2 - 2 - 2 Avec jusque 169<br />

Il - 2 - 2 - 2 - 1 Jusqu'à + proposition 169<br />

Il - 2 - 2 - 2 - 2 Jusqu'à + substantif 171.<br />

Il - 2 - 2 - 2 - 3 Jusqu'à + infinitif 172<br />

Section 2 - Il - 2 - 2 A propos <strong>de</strong> à + infinitif 173<br />

Il - 2 - 2 - 1 A + infinitif <strong>dans</strong> les <strong>œuvres</strong> 176<br />

" - 2 - 2 - 1 - 1 Adjectif + à + infinitif 176<br />

Il - 2 - 2 - 1- 2 Substantif + à + infinitif 177<br />

Il - 2 - 2 - 1 - 3 Verbe + à + infinitif 178<br />

Il - 2 - 2 - 2 Regroupement logique 180<br />

Il - 2 - 2 .. 2 - 1 Des conséquences impossibles 181<br />

11-2-2-2-2 Des conséquences réalisables 181<br />

Il - 2 - 2 - 2 - 3 Des conséquences réelles 182<br />

Section 3 - Il - 2 - 3 Proposition à <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré implicite 183<br />

Il - 2 - 3 - 1 Propositions négatives 184


359<br />

" - 2 - 3 - 1 - 1 Obj<strong>et</strong> concr<strong>et</strong> 186<br />

Il - 2 - 3 - 1 - 2 Obj<strong>et</strong> abstrait 188<br />

Il - 2 - 3 - 2 Propositions positives 190<br />

Section 4 - Il - 2 - 4 Autres <strong>forme</strong>s intensives 194<br />

Il - 2 - 4 - 1 Formes verbales. . 194<br />

Il - 2 - 4 - 1- 1 Construites avec à 194<br />

Il - 2 - 4 - 1- 2 Construites avec <strong>de</strong> 196<br />

Il - 2 - 4 - 1- 3 Construites avec être 198<br />

Il - 2 - 4 - 2 Rien <strong>de</strong> + substantif 202<br />

Conclusion 204<br />

Ch. 3 La caractérisation intensive par les énoncés comparatifs 207<br />

Intro<strong>du</strong>ction 207<br />

Section 1- Il - 3 - 1 Les énoncés d'analogie... 211<br />

Il - 3 - 1- 1 Amenée par comme 211<br />

Il - 3 - 1 - 1- 1 Analogie intensive sur l'adJec[lf 211<br />

Il - 3 - 1- 1- 2 Analogie intensive sur le verbe 214<br />

Il - 3 - 1 - 2 Amenée par les substituts <strong>de</strong> comme 217<br />

Il - 3 - 1 - 2 - 1 Aussi que 217<br />

11-3-1-2-2Autantque 220<br />

Il - 3 - 1 - 3 De comme à aussi que 222<br />

Il - 3 - 1 - 4 Renouvellement <strong>de</strong>s énoncés stéréotypés 226<br />

Section 2 - Il - 3 - 2 Les énoncés <strong>de</strong> décommensuration 229<br />

Il - 3 - 2 - 1 Décommensuration intensive par les procédés<br />

analytiques 230<br />

Il - 3 - 2 - 1- 1 Le plus adj. + complément 231


361<br />

III - 1 - 2 - 2 - 2 - 2 C<strong>et</strong>te fuite 1 269<br />

Section 3 - III - 1 - 3 Insistance semi-intensive par même 273<br />

Conclusion 281<br />

Ch. 2 L'esthétique <strong>de</strong> l'anomalie syntaxique <strong>dans</strong> le <strong>haut</strong> <strong>de</strong>gré 284<br />

Intro<strong>du</strong>ction 284<br />

Section 1- III - 2 - 1 De l'anomalie en général 286<br />

III - 2 - 1 - 1 Anomalie <strong>et</strong> correction 286<br />

III - 2 - 1 - 2 Présupposés <strong>de</strong> combinatoire sémantique 290<br />

Section 2 - III - 2 - 2 Des "anomalies" syntaxiques chez Kourouma 291<br />

III - 2 - 2 - 1 "Renouvellement" syntaxique 291<br />

III - 2 - 2 - 1 - 1 Verbes "intransitivisés"... 291<br />

III - 2 - 2 - 1 - 1 - 1 Par eff<strong>et</strong> <strong>de</strong> contamination 291<br />

III - 2 - 2 - 1 - 1 - 2 Par "intransitivisation" aLÎsolue 294<br />

III - 2 - 2 - 1 - 2 Verbes d'emploI métaphorique 299<br />

III - 2 - 2 - 1 - 2 - 1 Verbes <strong>de</strong> sens hyperbolique 300<br />

III - 2 - 2 - 1 - 2 - 1 - 1 Verbes <strong>de</strong> sens militaire 301<br />

III - 2 - 2 - 1 - 2 - 1 - 2 Verbes <strong>de</strong> sens "inflationniste" 305<br />

III - 2 - 2 - 1 - 3 Autres "anomalies" syntaxiques 314<br />

III - 2 - 2 - 1 - 3 - 1 Réalisation <strong>de</strong> l'obj<strong>et</strong> interne 314<br />

III - 2 - 2 - 1 - 3 - 1 - 1 Obj<strong>et</strong> interne pur 315<br />

III - 2 - 2 - 1 - 3 - 1 - 2 Obj<strong>et</strong> Interne analogique 318<br />

Section 3 - III - 2 - 3 Nouvelle rection directe 322<br />

III - 2 • 3 • 1 R@ction dirGlcta à vmlaLir intonoiVG ;323<br />

III - 2 - 3 - 2 Rection directe simple 325


362<br />

Section 4 - III - 2 - 4 Néologismes particuliers<br />

Conclusion<br />

III - 2 - 4 - 1 Par substantivation impropre<br />

III - 2 - 4 - 2 Par création verbale impropre<br />

III - 2 - 4 - 2 - 1 Néologismes simples<br />

III - 2 - 4 - 2 - 2 l\léologismes par pronomillalisation<br />

CONCLUSION GENERALE<br />

TABLE DES MATIERES<br />

329<br />

329<br />

330<br />

331<br />

332<br />

334<br />

337<br />

344<br />

355

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