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appelait ça des « répétitions ». Ça m’avait souvent amenée au bord des larmes, mais
j’avais fini par m’endurcir. De ce point de vue-là, j’étais tout sauf une novice.
Il a fini par jeter l’éponge. Un autre l’a remplacé, plus âgé, plus élégant.
Distinguished grey. Une espèce d’ersatz de George Clooney. Il s’est présenté : Dave
Dogson.
- D’après vous, a-t-il attaqué, qui pouvait en vouloir assez à Tobbey Zufrau-
Clarkson pour l’abattre, lui et sa famille, d’une rafale de fusil-mitrailleur ?
J’ai sursauté. Dans mon esprit, le massacre avait été perpétré à l’arme blanche.
Au sabre, plus précisément. J’ai réalisé que je m’étais laissé influencer par cette
stupide histoire de colonel fantôme.
J’ai bêtement répété :
- Fusil-mitrailleur ?
- Oui, a confirmé Dave Dogson. Vous n’avez pas vu les impacts ? Les murs en
sont criblés. Celui qui a fait ça était animé d’une rage démentielle. On dirait qu’il avait
l’intention de tout détruire autour de lui. Par ailleurs, quelles relations entreteniezvous
avec Sarah Jane ? M lle Chavez y Goyaz y Nopales dit qu’une certaine
complicité s’était établie entre vous. Tout ce que vous pourrez dire nous sera utile
pour la retrouver.
- La retrouver ? ai-je balbutié. Elle n’a pas été tuée ?
- Non, du moins, on le suppose. Ses trois sœurs ont été abattues, c’est vrai,
mais pas elle. On ignore ce qu’elle est devenue.
Lorsque je m’étais arrêtée au seuil de la salle à manger, j’avais été trop horrifiée
pour dévisager les cadavres des gamines, au demeurant barbouillées de sang.
J’étais partie du principe que la famille tout entière avait été massacrée. J’éprouvais
un réel soulagement à l’idée que Sarah Jane était peut-être encore vivante. Et
soudain, tout s’est mis en place. Les pièces du puzzle se sont emboîtées.
Vince Vaughan ! Mais oui ! Pourquoi n’y avais-je pas pensé plus tôt ?
- Je crois savoir ce qui s’est passé, ai-je haleté. Ça remonte à deux ans. Sarah
Jane m’en avait parlé.
Et j’ai raconté l’histoire de la querelle opposant les deux soldats qui convoitaient
Willa, la fille aînée de Tobbey. Dogson a froncé les sourcils quand j’ai expliqué le
système de la « fiancée » offerte en récompense au major de la promotion.
- Bon sang, a-t-il grogné, vous prétendez que ce gars utilisait ses propres filles
comme des trophées de concours ?
- Oui, tout le monde vous le confirmera. D’ailleurs, dans la maison, vous
trouverez placardé sur un mur une espèce de tableau d’honneur affichant le
classement des hommes.
- Donc, ce Vince Vaughan campait dans les ruines de l’ancien aérodrome, et
cela depuis deux ans ?
- C’est ce que prétendait Sarah Jane. Elle avait l’air de bien l’aimer. En tout cas,
elle ne l’a jamais dénoncé. Elle disait aussi qu’il attendait l’occasion de se venger.
Je me suis interrompue pour reprendre mon souffle. Je voyais que Dogson avait
du mal à me suivre dans cette direction.
- Tobbey était barjot, ai-je soupiré, gagnée par la lassitude. Il croyait à des trucs
dingues. La guerre raciale, la fin du monde, les fantômes, les mutants… C’était un
festival de légendes urbaines à lui tout seul. Il a fini par s’entourer de gens aussi
cinglés que lui. Vous savez comment ça se passe, non ? L’illusion groupale, vous
avez entendu parler ? Vous n’allez pas prétendre que vous n’avez jamais eu vent de
ce qui se passait ici !
Il est resté silencieux, à caresser ses cheveux argentés d’un geste machinal.