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Lire le livre - Bibliothèque

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Au seuil du hall, j’ai été suffoquée par l’incroyab<strong>le</strong> quantité de mouches qui<br />

bourdonnaient dans l’air. Puis j’ai aperçu <strong>le</strong>s pieds de Jordan, l’un des serviteurs, qui<br />

dépassaient de l’encoignure d’une porte. Jordan lui-même était couché sur <strong>le</strong> sol, la<br />

veste et <strong>le</strong>s gants blancs qu’il portait pendant son service étaient rouges. Derrière<br />

moi, Evita a poussé un gargouil<strong>le</strong>ment un peu ridicu<strong>le</strong>. J’ai continué à marcher, <strong>le</strong>s<br />

jambes mol<strong>le</strong>s.<br />

Ils étaient tous là, dans la sal<strong>le</strong> à manger, réunis pour <strong>le</strong> repas familial. Tobbey<br />

trônait au bout de la tab<strong>le</strong>, calé entre <strong>le</strong>s accoudoirs de son fauteuil espagnol. La<br />

moitié supérieure de son crâne avait disparu. Sa tête s’arrêtait à deux centimètres<br />

au-dessus des sourcils, tel un melon décalotté. Jenny s’était abattue sur la tab<strong>le</strong>. Le<br />

sang coulant de son visage fracassé avait rempli son assiette avant de déborder sur<br />

la nappe.<br />

Les fil<strong>le</strong>s, el<strong>le</strong>s, gisaient sur <strong>le</strong> sol, <strong>le</strong>urs sièges renversés, comme si el<strong>le</strong>s<br />

avaient eu <strong>le</strong> réf<strong>le</strong>xe de prendre la fuite. Le carrelage de la sal<strong>le</strong> évoquait une piscine<br />

remplie de sang. Le brouillard de mouches emplissait la pièce. Je <strong>le</strong>vai la main pour<br />

me protéger des insectes qui martelaient mon visage.<br />

La seconde d’après, je me détournai pour vomir. Evita, blême, s’était accroupie<br />

sur <strong>le</strong> sol. Paralysée par la peur, el<strong>le</strong> avait uriné sur ses chaussures.<br />

J’ai pensé : « C’est <strong>le</strong> colonel… Il est venu se venger. Il <strong>le</strong>s a tous tués. C’est <strong>le</strong><br />

colonel… »<br />

J’ai couru vers la sortie, incapab<strong>le</strong> de supporter une minute de plus <strong>le</strong> contact<br />

des insectes sur ma peau.<br />

Après…<br />

Après, j’avoue avoir perdu <strong>le</strong> fil pendant plusieurs minutes. Je me revois en train<br />

de courir en rond dans <strong>le</strong> patio. Je ne pensais plus qu’à une chose, à ces mouches<br />

aux pattes trempées de sang qui s’étaient promenées sur ma figure. J’étais<br />

persuadée que des dizaines de minuscu<strong>le</strong>s taches rouges maculaient mes<br />

pommettes, à la façon d’un essaim d’éphélides. Je crois que je me suis ruée sur la<br />

fontaine pour m’asperger <strong>le</strong> visage. Quand je me suis re<strong>le</strong>vée, ma robe trempée me<br />

collait au corps. Alors j’ai revu Tobbey, scalpé au ras des sourcils, là où <strong>le</strong> sabre du<br />

colonel l’avait frappé… et Jenny, se vidant de son sang dans son assiette… et <strong>le</strong>s<br />

fil<strong>le</strong>s, gisant sur <strong>le</strong> sol, <strong>le</strong>s jambes emmêlées au pied des chaises sur <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s el<strong>le</strong>s<br />

étaient assises une seconde plus tôt.<br />

Evita m’a saisie aux épau<strong>le</strong>s et secouée de toutes ses forces.<br />

- Tais-toi ! a-t-el<strong>le</strong> crié.<br />

Alors, seu<strong>le</strong>ment, j’ai réalisé que je hurlais de façon continue sans en avoir<br />

conscience.<br />

- La ligne téléphonique a été coupée et <strong>le</strong> radio-émetteur saccagé, a-t-el<strong>le</strong><br />

expliqué d’une voix sourde. Les cellulaires ne fonctionnent pas ici, nous sommes trop<br />

loin du réseau. Il faut retourner à l’hélicoptère et demander au pilote d’appe<strong>le</strong>r <strong>le</strong><br />

shérif du b<strong>le</strong>d voisin.<br />

Je me suis laissé traîner jusqu’à la voiturette blanche. Evita s’est glissée au<br />

volant. Très pâ<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> semblait néanmoins avoir <strong>le</strong> contrô<strong>le</strong> de ses nerfs. Nous avons<br />

dévalé la pente jusqu’à la piste. Il n’y avait personne dans l’hélico. Nous avons perdu<br />

un quart d’heure à fouil<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s bâtiments pour découvrir <strong>le</strong> pilote, allongé dans un<br />

hamac, tétant un pétard, des écouteurs sur <strong>le</strong>s oreil<strong>le</strong>s, occupé à se carboniser <strong>le</strong>s<br />

neurones à l’heavy metal. Il lui a fallu pas mal de temps pour comprendre que nous<br />

n’avions pas viré cinglées et <strong>le</strong> décider à grimper dans <strong>le</strong> cockpit pour allumer la<br />

VHF.

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