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Lire le livre - Bibliothèque

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L’œil du cyclone<br />

J’ai retrouvé Evita à l’aérodrome privé. El<strong>le</strong> avait aussi mauvaise mine que moi.<br />

Le pilote nous a jeté un regard goguenard. Nous devions avoir l’air de deux putes<br />

sortant d’une nuit d’orgie en compagnie d’une équipe de foot. J’ai éprouvé une<br />

bouffée de haine envers moi-même. Comment avais-je pu à ce point perdre <strong>le</strong><br />

contrô<strong>le</strong> ? Ce n’était pas mon genre. J’en venais à penser qu’on avait pu verser du<br />

GHB dans mon verre. Foutu dragueur ! Encore un requin de bar pour célibataires.<br />

Le vacarme du rotor a décuplé ma migraine. Ratatinée dans son coin, Evita<br />

grimaçait en se comprimant <strong>le</strong>s tempes à deux mains, comme si on essayait de lui<br />

extraire <strong>le</strong> cerveau par <strong>le</strong>s narines. Pendant <strong>le</strong> voyage, j’ai vérifié à plusieurs reprises<br />

que j’étais convenab<strong>le</strong>ment habillée. J’avais quitté mon appartement dans une tel<strong>le</strong><br />

confusion menta<strong>le</strong> que je redoutais d’avoir oublié d’enfi<strong>le</strong>r une pièce de vêtement.<br />

M’étais-je coiffée ? Avais-je bien deux chaussures de la même cou<strong>le</strong>ur ?<br />

J’ai tâtonné dans mon sac, à la recherche du flacon d’Anacin. Quand je l’ai<br />

débouché, Evita a tendu la main vers moi, paume ouverte.<br />

Le reste du trajet s’est passé à attendre que <strong>le</strong>s pulsations douloureuses qui<br />

distendaient mon crâne s’apaisent. J’avais honte. Qu’est-ce que Tobbey allait penser<br />

de nous ?<br />

Enfin, l’hélico s’est posé sur la piste désaffectée. Il n’y avait personne pour nous<br />

accueillir. Je m’en suis étonnée auprès du pilote qui a haussé <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

- J’sais pas, m’dame, a-t-il bougonné. J’ai pas réussi à établir <strong>le</strong> contact avec <strong>le</strong><br />

ranch. Possib<strong>le</strong> qu’ils aient une panne de récepteur. Ça arrive quand <strong>le</strong> vent de sab<strong>le</strong><br />

se lève. Ça couche <strong>le</strong>s antennes. Y a peut-être une voiture au bord de la piste.<br />

Sinon, faudra que vous montiez à pied. Un peu d’exercice, c’est pas mauvais, ça<br />

vous fera de bel<strong>le</strong>s cuisses.<br />

Il s’en foutait. Je n’ai pas insisté. Trop fatiguée pour chercher querel<strong>le</strong>. Evita sur<br />

mes talons, j’ai gagné <strong>le</strong> bout du tarmac. Il faisait déjà horrib<strong>le</strong>ment chaud et je<br />

n’avais pas envie de crapahuter à flanc de colline jusqu’au ranch. Par chance, deux<br />

voiturettes blanches attendaient au parking. Je me suis glissée au volant en prenant<br />

garde à ne pas toucher la tô<strong>le</strong> du capot sur laquel<strong>le</strong> on aurait pu faire frire un<br />

espadon. Je trouvais bizarre que Tobbey n’ait dépêché aucun domestique pour nous<br />

réceptionner. C’était inhabituel pour quelqu’un qui mettait tant d’application à jouer<br />

<strong>le</strong>s gent<strong>le</strong>men du Sud.<br />

Evita s’est laissé tomber à mes côtés et j’ai lancé la mini à l’assaut de la colline.<br />

Les cahots ont réveillé migraine et nausée. C’était un jour à s’enfermer dans un<br />

sarcophage en attendant l’avènement d’un nouveau millénaire.<br />

Lorsque nous avons franchi <strong>le</strong> portail du ranch, j’ai été frappée par <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce et<br />

l’inactivité des lieux. La baraque, où, d’habitude, évoluait une nuée de domestiques<br />

véloces, avait l’air abandonnée.<br />

Je ne sais pourquoi, mais une pensée étrange m’a traversé l’esprit : « Il n’y a<br />

plus personne de vivant là-dedans. »<br />

Une fois la voiture garée à l’ombre, j’ai avancé vers la véranda d’un pas hésitant.<br />

Une voix intérieure me criait de tourner <strong>le</strong>s talons et de m’enfuir sans regarder<br />

derrière moi.

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