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Pyjama partie
Je ne sais comment l’idée absurde d’une pyjama partie est née dans l’esprit de
Jenny. Quoi qu’il en soit, au petit déjeuner, on nous a annoncé tout à trac que nous,
les filles, étions priées le soir même de nous réunir autour d’un feu de camp au fond
du bunker.
Le but de la manœuvre était, je pense, de laver l’abri antiatomique de son aura
sulfureuse et de lui rendre un aspect convivial, ce qui, à mon sens, relevait de la
gageure. Autant peindre une potence en vert et prétendre qu’il s’agit d’un arbre de
Noël.
Les sœurs de Sarah Jane se montraient enthousiastes à l’idée de camper sous
la terre et de griller de la guimauve en se racontant des histoires de fantômes,
comme il est de mise lors des camps d’été. Toutefois, c’était de leur âge.
J’étais loin de partager cette excitation mais l’on me fit comprendre qu’il serait
mal vu de me dérober à cette initiative maternelle, et qu’en cas d’absence au rendezvous,
mon séjour au ranch pourrait s’en trouver sérieusement écourté. Jenny
possédait l’art de distiller la menace en l’enveloppant de sourires désarmants.
Le breakfast expédié, j’attirai Evita à l’écart pour lui soutirer une explication. Elle
se contenta de hausser les épaules.
- Je n’y suis pour rien, grommela-t-elle. C’est Jenny qui a tout manigancé. Elle
veut que je procède à une cérémonie d’exorcisme. Quelque chose qui apaiserait
l’âme des défunts. Une sorte de purification des lieux, si tu préfères.
- Et tu vas le faire ?
- Je suis là pour ça.
Je l’ai sentie fuyante, plutôt mal à l’aise.
- Tu crois que ça va marcher ? Ai-je insisté.
Elle a baissé les yeux.
- Ce n’est peut-être pas une bonne idée, a-t-elle fini par murmurer.
L’imprégnation des lieux est très forte. On ne rendra pas sa virginité au bunker en
prononçant trois formules magiques. Ce n’est pas comme ça que ça fonctionne.
Jenny est bien gentille mais un peu naïve. On risque même d’indisposer la force qui
dort en ces murs… voire de carrément l’exaspérer. Un peu comme si on réveillait un
pit-bull qui somnole au fond de sa niche en lui gueulant dessus.
J’ai gardé le silence. Ce fatras occulte ne me convainquait guère mais
j’éprouvais un mauvais pressentiment à la perspective de descendre dans le bunker ;
somme toute, c’était comme si nous nous préparions à griller des saucisses au
milieu d’un cimetière. Cette pseudo-fête avait quelque chose de blasphématoire. Elle
empestait la provocation. À la place des morts, je n’aurais guère apprécié.
Toutefois, il a fallu obtempérer.
Le soir venu, nous avons pris le chemin de l’aéroport abandonné. Au cours de
l’après-midi, Jenny et ses filles s’étaient activées pour préparer le terrain. Trois
tentes avaient été installées au milieu du dortoir de béton. Une pour les gamines, la
deuxième pour l’épouse de Tobbey, la dernière pour nous, les employées. Il y avait
des lampions, une balançoire, des chaises longues, et même vingt mètres carrés de
moquette en gazon synthétique pour parfaire l’illusion.