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Esclaves de ses poussées hormonales, elle changeait dix fois d’humeur et de
certitudes en l’espace de trois minutes. Comme tous les ados, elle était fascinée par
l’extrême, le hors norme. Dans ce domaine, avec ses parents, elle était servie ! Ce
n’est pas un hasard si les dictateurs ont toujours recruté leurs plus fidèles alliés
parmi les gosses ; les Jeunesses hitlériennes en sont un bon exemple. Malgré tout,
sous son arrogance, palpitait quelque chose de fragile, d’apeuré. L’angoisse de ne
pas être à la hauteur, sans doute. J’aurais préféré découvrir en elle une rebelle
dénigrant les théories familiales, mais ce n’était pas le cas. De toute évidence, elle
épousait les thèses paternelles avec un enthousiasme inquiétant.
Le viseur collé à l’œil, j’ai entrepris de filmer l’abri sous toutes les coutures. Une
fois de retour à Los Angeles, j’aurais besoin de ces documents pour obtenir un devis
approximatif auprès de mon entrepreneur. Je voulais que Tobbey sache à quoi il
s’engageait financièrement parlant. Au demeurant, la structure était saine. Elle
n’avait pas bougé en soixante ans. Nous étions dans le désert, il n’y avait donc
aucun problème d’humidité. Le danger aurait pu venir des tremblements de terre,
fréquents dans cette région, mais le bunker avait été enchâssé dans un caisson
antisismique qui absorbait les secousses. Le gros, le très gros casse-tête serait de
localiser le réservoir d’eau potable, et les génératrices d’électricité. Tobbey
possédait-il des plans ? Les ingénieurs se débrouilleraient. En ce qui me concernait,
mon boulot s’arrêtait à la conception décorative. J’étais là pour créer une illusion de
bonheur, de paix et de sérénité en un lieu qui, a priori, évoquait tout le contraire.
C’était le côté excitant de l’affaire. Le défi. La mission impossible qui fait saliver tout
décorateur professionnel.
Quand je me suis retournée, Sarah Jane était plantée près de son pupitre et se
grattait furieusement l’avant-bras gauche.
- Allergie ? Ai-je demandé.
- Non, a-t-elle ricané. Puce.
- Quoi ? Tu as attrapé des puces ici ?
Avec un sourire de commisération, elle a tendu son bras vers moi. Une
minuscule protubérance, à peine décelable, déformait son épiderme, vingt
centimètres au-dessus du poignet. Ça pouvait passer pour une cloque ou une
verrue.
- Puce informatique. Papa nous a fait greffer des balises émettrices, au cas où
nous serions kidnappées. Avec ce système, on nous retrouvera où que nous soyons.
C’est une bonne idée, mais parfois ça me démange.
Je connaissais le système. À L.A., les stars du show-biz en abusaient. Certaines
faisaient même implanter des balises sur leur chien, au cas où il lui prendrait l’idée
de se sauver. À plusieurs reprises, on avait retrouvé la puce dans l’estomac du
coyote qui avait bouffé le clébard ! C’était courant dans les collines. Les coyotes
avaient vite pigé que les chiens-chiens et les gentils chats des villas huppées
constituaient d’excellents casse-croûte.
- J’ai fini, je remonte, ai-je annoncé. Je vais probablement rentrer à L.A. pour
quelques jours, veux-tu que je te ramène quelque chose de là-bas ? Des CD, des
DVD ?
- Non, merci. Papa tient à ce qu’on se déshabitue du progrès. Quand on sera
dans l’abri, il faudra apprendre à gérer son ennui et à développer ses richesses
intérieures. Alors je m’entraîne. L’écriture est un bon moyen de passer le temps. Mes
sœurs apprennent à jouer du violon et de la guitare, mais je n’ai aucun don pour la