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années soixante ignorait encore tout de la miniaturisation. Les premières caméras<br />
vidéo avaient la tail<strong>le</strong> d’une valise. En outre, il était peu vraisemblab<strong>le</strong> que <strong>le</strong> matériel<br />
é<strong>le</strong>ctronique de l’époque ne soit pas tombé en panne. S’il existait des survivants, ce<br />
que je ne souhaitais pas !, ils devaient aujourd’hui vivre dans l’obscurité. Peut-être<br />
même étaient-ils aveug<strong>le</strong>s…<br />
Lisant dans mes pensées, Sarah Jane murmura :<br />
- Ils doivent nous détester. Vous imaginez un peu ? Nous <strong>le</strong>s avons condamnés<br />
à mener une existence d’hommes des cavernes. S’ils découvrent un jour <strong>le</strong> moyen<br />
de sortir de <strong>le</strong>ur prison, ils nous massacreront.<br />
El<strong>le</strong> a posé la main sur mon épau<strong>le</strong>, comme si nous étions copines de collège,<br />
puis s’est mise à jouer avec une mèche de mes cheveux. J’ai détesté l’intimité<br />
ambiguë qu’el<strong>le</strong> essayait d’instal<strong>le</strong>r entre nous.<br />
- Je regrette de vous avoir effrayée, a-t-el<strong>le</strong> chuchoté, mais il fallait que vous <strong>le</strong><br />
sachiez puisque vous al<strong>le</strong>z reconstruire l’abri. Je suis bien certaine que mon père a<br />
oublié de mentionner ce détail, n’est-ce pas ? Le petit paradis que vous nous<br />
mitonnez est pourri à cœur. Il y a un ver dans la pomme. Quand nous serons<br />
enfermés ici, il faudra compter avec cet ennemi intérieur. Ces fous qui vivent dans<br />
nos murs.<br />
J’en avais assez. J’ai rompu <strong>le</strong> contact.<br />
- Tu en as parlé à ton père ?<br />
- Il n’écoute personne, a-t-el<strong>le</strong> soupiré. Il dit que ce sont des bobards de<br />
trouillards. Que l’œuf de plomb est une légende, qu’on n’en trouve trace nul<strong>le</strong> part.<br />
Moi, je sais que c’est vrai. Les survivants de l’expérience en par<strong>le</strong>nt. J’ai lu <strong>le</strong>s<br />
comptes rendus psychiatriques. L’un des gars raconte qu’il a vu l’un des murs<br />
s’ouvrir et <strong>le</strong>s officiers s’engager dans ce passage. Bien sûr, on a prétendu qu’il<br />
s’agissait d’une hallucination.<br />
- Si l’on nie l’existence du second abri, comment explique-t-on officiel<strong>le</strong>ment la<br />
disparition de certains corps ?<br />
- Erreur d’écriture. La plupart des cadavres étaient défigurés. Il y aurait eu<br />
confusion. Les nettoyeurs, traumatisés par <strong>le</strong> spectac<strong>le</strong>, se seraient trompés lors du<br />
dénombrement… bref, des conneries.<br />
Le si<strong>le</strong>nce s’est fait pesant. Nous sommes restées là, face à face, à écouter nos<br />
respirations. J’avais la désagréab<strong>le</strong> impression qu’on m’observait depuis des<br />
dizaines de trous percés dans <strong>le</strong>s murs, comme cela m’était souvent arrivé dans <strong>le</strong>s<br />
motels pourris que j’avais fréquentés <strong>le</strong>s deux dernières années.<br />
- C’est pour ça que je viens ici, a conclu Sarah Jane. Je <strong>le</strong>ur par<strong>le</strong>. J’essaye de<br />
calmer <strong>le</strong>ur colère. De <strong>le</strong>ur faire comprendre que nous ne sommes pour rien dans<br />
<strong>le</strong>ur calvaire. Je voudrais éviter qu’ils ne soient tentés de nous trancher la gorge s’ils<br />
parviennent un jour à sortir. Mais c’est peut-être inuti<strong>le</strong>… Qui sait s’ils n’ont pas déjà<br />
régressé au point d’avoir oublié notre langue ?<br />
OK, dans une minute el<strong>le</strong> allait me rejouer La Planète des singes. J’ai décidé de<br />
mettre fin à l’intermède « coucou fais-moi peur ! ».<br />
- Bon, ai-je déclaré en déballant mes appareils, c’est pas tout ça, en attendant<br />
j’ai du boulot.<br />
Un éclair de mépris a fusé dans son regard mais je me suis éloignée. Je ne<br />
voulais pas devenir <strong>le</strong> cobaye de ses petites manipulations menta<strong>le</strong>s.<br />
Cette gamine était un concentré toxique d’ado<strong>le</strong>scence. Paranoïaque,<br />
mégalomane, persuadée d’être différente des autres et hautement supérieure à 99,9<br />
% de la population mondia<strong>le</strong>. Dès qu’el<strong>le</strong> se retrouvait seu<strong>le</strong>, el<strong>le</strong> passait des heures<br />
plantée devant son miroir à se décréter tour à tour très jolie ou moche à faire peur.