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Elle s’est mise à marcher le long de la muraille en caressant le béton. Elle avait
fermé les yeux pour mieux concentrer son attention sur les messages tactiles que lui
transmettait le bout de ses doigts. Elle avait dû voir ça dans une série télé. Je ne
savais que penser de la fable qu’elle venait de me servir. S’agissait-il d’une légende
urbaine ? Des lieux comme celui-ci génèrent toujours des mythes grotesques, des
histoires de loup-garou moderne qui font le délice des adolescents.
Brutalement, elle s’est retournée, le visage illuminé d’une joie malsaine.
- Et s’il restait des survivants ? A-t-elle haleté. Vous y avez pensé ?
- C’est impossible, ai-je soupiré. Comment auraient-ils pu survivre cinquante ans
dans ce trou à rats ? Et même, en l’admettant, ils seraient aujourd’hui presque
centenaires !
Sarah Jane s’est rapprochée de moi, trop près à mon goût. Je pouvais sentir son
odeur, sueur et parfum mêlés.
- Vous ne réfléchissez pas assez, a-t-elle chuchoté comme si quelqu’un, l’oreille
collée au mur, était en train de nous écouter. D’abord, en ce qui concerne la
nourriture, l’abri contenait probablement d’importantes réserves de bouffe
déshydratée. Assez en tout cas pour tenir soixante ans, jusqu’à ce que le taux de
radiations soit devenu acceptable. Pour l’eau, il y a une citerne cachée. Un véritable
lac souterrain destiné à alimenter les survivants pendant toute la durée de leur
emprisonnement. Venez voir.
Elle m’a traînée dans les douches et ouvert l’un des robinets surplombant les
lavabos d’acier inoxydable. Un jet couleur de sang a jailli. Au bout d’un moment, une
fois la rouille éliminée, l’eau s’est clarifiée.
- Vous voyez ! A triomphé Sarah Jane. La flotte ne vient pas de l’extérieur. Ils ne
pouvaient pas se permettre de boire de l’eau contaminée par les radiations
atomiques. Ça monte des profondeurs. D’un lac artificiel spécialement créé pour
alimenter le bunker.
J’ai capitulé :
- D’accord, j’admets qu’ils ont pu se nourrir de soupe en sachet pendant
cinquante ans, mais ça ne change rien en ce qui concerne leur âge.
- Vous êtes idiote ou quoi ? S’est impatientée la gosse. Parmi ces officiers, il y
avait des femmes. Je le sais, mon père a réussi à se procurer la liste de tous ceux
qui ont participé à l’expérience. Des femmes… vous pigez ? Une fois bouclés dans
l’œuf, des couples se sont forcément constitués ; ça a produit des mioches. Des
mioches qui, aujourd’hui, doivent frôler les cinquante ans, et qui, eux aussi, ont pu
engendrer des bébés…
La tête me tournait. À première vue, ça relevait du scénario de science-fiction,
mais ça restait néanmoins envisageable. Si l’on poussait la logique jusqu’au bout,
rien n’interdisait de penser que la deuxième génération de survivants en avait
engendré une troisième ! Des jeunes dont les plus âgés approchaient de la trentaine.
- Ils ont pu continuer à vivre et à se reproduire, a insisté Sarah Jane. Pour cela, il
leur suffisait d’une femme. D’une seule. Elle a servi d’épouse à tous les rejetons de
la seconde génération. Et de mère unique à ceux de la troisième… Une nouvelle
Ève.
L’hypothèse l’excitait. Elle avait les pupilles aussi dilatées que celles d’un chat
tapi dans un coin sombre.
- On ne peut pas savoir, a-t-elle repris. Est-ce qu’ils nous entendent ? Est-ce
qu’ils nous observent ?
Elle tournait sur elle-même en désignant les murs, comme si elle espérait
découvrir des micros ou des caméras cachés. Je n’y croyais pas. La technologie des