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- Enfin merde ! Je vous dis que c’est pas moi, ni mes sœurs. On n’est pas
complètement folles. Vous imaginez ce que papa nous passerait si on se faisait
piquer ?
Elle semblait sincère, mais je la connaissais mal et je la sentais tout à fait
capable de m’emberlificoter.
- Alors qui ? Martelai-je.
- Evita ? proposa-t-elle. Elle gagne sa vie avec ce genre de trucs. Elle aurait tout
intérêt à entretenir les délires de papa.
- Impossible, elle était avec nous dans le fortin. Le mannequin ne s’est pas hissé
en selle tout seul. Il a bien fallu que quelqu’un sorte le cheval de l’écurie et l’équipe.
Sarah Jane claqua des doigts, de cette manière théâtrale qu’adoptent les
adolescentes lorsqu’elles se savent le point de mire d’une assemblée.
- Je sais qui a pu faire ça, chuchota-t-elle en se rapprochant de moi. Vince
Vaughan.
- Et qui est ce Vince Vaughan ?
Soudain volubile, elle prit une attitude de comploteuse pour m’expliquer :
- Ça s’est passé il y a deux ans, quand mon père a décrété que ma sœur aînée
Willa serait attribuée comme récompense au major de la promotion. Il y avait deux
types en compétition pour la première place. Vince Vaughan et Burton MacGraw. Ils
avaient en gros des scores identiques, mais papa a préféré Burton pour je ne sais
quelle raison. Il lui a donné Willa, et ils sont partis vivre tous les deux dans les
collines, dans un campement de vétérans. C’est ce qui m’arrivera bientôt. Je quitterai
la maison avec le major de la promo et je deviendrai sa femme. Il aura le droit de me
baiser, et tout et tout… Je serai sa squaw, quoi. C’est pour ça que j’étudie la manière
de fabriquer des explosifs… et des livres de cuisine, aussi, car je ne suis pas très
forte question bouffe, et les hommes, ça aime grailler.
Elle parut réaliser qu’elle s’égarait, car elle reprit :
- Bref, le soir de la remise des trophées, Vince a piqué une colère épouvantable.
Il a sauté sur Burton pour essayer de l’étrangler. Ça s’est transformé en bagarre
générale. Selon lui, papa avait truqué les résultats. Il était le meilleur et Willa lui
revenait. Ils ont tout cassé dans le réfectoire, c’était marrant. Le lendemain, papa a
exclu Vince de son armée. Il l’a chassé du camp en lui ordonnant de ne jamais
remettre les pieds dans l’enceinte du ranch. Seulement ça ne s’est pas passé
comme ça.
- Oui ?
- Vince n’est pas parti. Depuis deux ans, il vit caché dans les ruines du vieil
aérodrome. Je l’ai surpris à plusieurs reprises. Il ne m’a pas vue. Il change tout le
temps de cachette. De temps en temps, il vient voler des conserves aux cuisines.
- Tu ne l’as pas dénoncé ?
- C’est pas mes oignons. Et puis je trouve ça plutôt mignon qu’il en pince à ce
point pour ma sœur Willa. Vous vous rendez compte ? Deux ans à vivre camouflé, à
bouffer du coyote ou du serpent. On dirait un vrai sauvage. La barbe, les cheveux
longs, toute la panoplie, quoi.
- Que veut-il, selon toi ?
- Se venger, tiens ! Il n’a jamais pardonné à papa de l’avoir évincé. Si quelqu’un
a monté cette combine de faux fantôme, ce ne peut être que lui. Il a été formé aux
opérations de commando, il sait se glisser partout, ouvrir les serrures. Et il connaît
les fantasmes de mon père. Le colonel, tous ces trucs de vaudou.
L’hypothèse tenait la route. Instinctivement, je m’approchai de la fenêtre pour
scruter le paysage de l’aérodrome désaffecté. Ainsi, ces ruines abritaient un