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Accroupie derrière un bloc de pierre, j’ai attendu. Il était une heure du matin. Le<br />
froid nocturne me faisait grelotter. J’espérais de toutes mes forces que la gosse<br />
n’aurait pas la mauvaise idée de sortir cette nuit. Sitôt de retour au ranch, je<br />
m’empresserais de provoquer une explication avec el<strong>le</strong>, et de lui apprendre à quoi<br />
el<strong>le</strong> avait échappé. M’écouterait-el<strong>le</strong> ? Ça, c’était moins sûr : avec <strong>le</strong>s ados, on<br />
prêche <strong>le</strong> plus souvent dans <strong>le</strong> désert.<br />
Une longue demi-heure s’est écoulée. Je commençais à reprendre confiance<br />
quand un bruit de sabots m’a fait tressaillir. Ça venait dans ma direction, d’un pas<br />
tranquil<strong>le</strong>. Mon premier réf<strong>le</strong>xe a été de me re<strong>le</strong>ver, c’était une erreur, je m’en suis<br />
rendu compte et j’ai vite replongé derrière mon rocher.<br />
Tout à coup, dans une trouée de la végétation, <strong>le</strong> cavalier a surgi, éclairé par la<br />
lune. Un officier de la Confédération en grand uniforme, raide sur son cheval, <strong>le</strong><br />
regard vide, <strong>le</strong> sabre au côté. Une queue de renard accrochée à son feutre.<br />
J’ai ouvert la bouche pour crier « Sarah Jane, demi-tour, vite ! Les robots n’ont<br />
pas été désactivés ! ». Mais <strong>le</strong>s mots n’ont pas franchi mes lèvres. La créature qui<br />
chevauchait dans la nuit ne pouvait en aucun cas être une ado<strong>le</strong>scente de seize ans,<br />
même grimée. Pas avec ce visage ridé, cette physionomie de vieillard hautain. J’ai<br />
connu deux secondes d’intense panique. Dans ma tête, une voix hurlait : C’est <strong>le</strong><br />
colonel ! C’est lui ! Fiche <strong>le</strong> camp avant qu’il ne te tranche la tête !<br />
J’ai failli tourner <strong>le</strong>s talons et m’enfuir, mais je me suis reprise ; faisant face à<br />
l’apparition, j’ai crié :<br />
- Sarah Jane, ôte ce masque et descends tout de suite de cheval ! Ton père n’a<br />
pas désactivé <strong>le</strong>s robots !<br />
Oui, un masque, ce ne pouvait être que ça ! Je m’étais presque fait avoir.<br />
J’ai tendu la main pour saisir <strong>le</strong> cheval par la bride. Au même moment, <strong>le</strong>s<br />
détonations ont éclaté, toutes proches. J’ai vu trois trous s’ouvrir sur la tunique de<br />
Sarah Jane, au milieu de la poitrine, juste avant qu’el<strong>le</strong> ne vide <strong>le</strong>s étriers. La<br />
monture, terrorisée par <strong>le</strong> bruit, s’est cabrée avant de faire demi-tour.<br />
Je n’ai pu retenir un cri en me jetant sur <strong>le</strong> sol, puis j’ai rampé en direction de<br />
l’ado<strong>le</strong>scente. J’ai tout compris lorsque ma main a touché la sienne. Ce n’était pas<br />
Sarah Jane mais l’un des mannequins du musée. L’un de ces personnages<br />
hyperréalistes qui trônaient dans la sal<strong>le</strong> de bal. Les gamines s’étaient amusées à <strong>le</strong><br />
fice<strong>le</strong>r sur la sel<strong>le</strong> avant d’expédier <strong>le</strong> cheval, d’une tape sur la croupe, en direction<br />
de la colline. Oui, c’est ainsi qu’el<strong>le</strong>s avaient procédé lors des précédentes<br />
« apparitions ». Au bout d’un moment, l’animal, las de cette promenade sans but,<br />
rentrait à l’écurie de sa propre initiative, comme cela arrive souvent avec <strong>le</strong>s chevaux<br />
quand on cesse de <strong>le</strong>ur donner des ordres. Les ado<strong>le</strong>scentes n’avaient plus alors<br />
qu’à récupérer <strong>le</strong> mannequin pour <strong>le</strong> cacher dans une remise, dans l’attente d’une<br />
prochaine manifestation spectra<strong>le</strong>.<br />
La statue avait eu <strong>le</strong> torse déchiqueté par <strong>le</strong>s bal<strong>le</strong>s. J’ai hésité sur la conduite à<br />
tenir. Devais-je l’abandonner là ou la faire disparaître ? Si Tobbey la découvrait, il ne<br />
lui faudrait pas longtemps pour comprendre qui tirait <strong>le</strong>s ficel<strong>le</strong>s. J’ai donc décidé de<br />
la mettre en pièces et de dissimu<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s morceaux dans la végétation. J’étais furieuse<br />
d’avoir pris tant de risques pour rien. J’avais manqué de me faire trouer la peau pour<br />
cette petite conne de Sarah Jane ! El<strong>le</strong> allait en entendre par<strong>le</strong>r, la garce !<br />
Après avoir éparpillé <strong>le</strong> pantin dans <strong>le</strong>s fourrés, j’ai regagné l’abri du rocher.<br />
Tobbey estimait que <strong>le</strong>s robots tomberaient en panne aux a<strong>le</strong>ntours de deux heures,<br />
je n’avais qu’à attendre sagement que ce délai soit écoulé. Une fois <strong>le</strong>s<br />
« <strong>le</strong>ssiveuses » HS, je me faufi<strong>le</strong>rais dans <strong>le</strong> fortin en espérant qu’on n’aurait pas<br />
remarqué mon absence. Si l’on me posait des questions gênantes, je prétendrais