Lire le livre - Bibliothèque

- J’ai désactivé le mode nocturne des chasseurs, a-t-il expliqué. Cette nuit, au
lieu de rentrer au garage, les robots vont continuer à patrouiller la zone de combat.
Je pense qu’ils auront assez d’autonomie pour rester actifs jusqu’aux alentours de
deux heures du matin. Ainsi, quand le fantôme pointera le bout de son nez, il sera
accueilli par une salve de balles qui lui montrera ma façon de penser. Puisqu’il ne
comprend que la force, autant lui parler le seul langage qu’il connaît.
J’ai dû devenir aussi blême que le foutu cheval dont il avait si peur. Ma montre
indiquait minuit moins dix. Dans un quart d’heure tout au plus, Sarah Jane allait
enfourcher sa monture pour se lancer à l’assaut de la colline. Je ne pouvais lui
laisser courir ce risque. J’ai failli tout déballer ; la crainte des conséquences m’en a
empêchée. Dieu sait quelle punition s’abattrait sur la pauvre gamine ! Tobbey
n’accepterait pas de gaieté de cœur d’avoir été ridiculisé devant ses troupes, il
voudrait laver cet affront par un châtiment exemplaire ; et cinglé comme il l’était, il
fallait s’attendre au pire.
- Ce n’est peut-être pas une bonne idée, ai-je plaidé d’une voix hésitante. Le
colonel pourrait mal le prendre… À mon avis, vous devriez mettre les machines hors
circuit. Votre attitude a tout d’une déclaration de guerre.
- Je ne vous demande pas votre avis, a-t-il sifflé d’un ton menaçant. Il est temps
que je lui montre qui est le maître ici.
Un doute m’a effleurée. À qui voulait-il donner une leçon, au fantôme ou au
mauvais plaisant qui l’avait humilié ? Était-il vraiment dupe des manifestations
spectrales ? Je n’en étais plus aussi certaine. Probablement soupçonnait-il l’un de
ses soldats et entendait-il le châtier d’une manière exemplaire, à l’instar de ces
généraux de la Rome antique qui exécutaient un légionnaire sur dix pour étouffer
dans l’œuf toute velléité de rébellion. À ce petit jeu, cet abruti risquait fort de tuer
l’une de ses filles.
Comme j’insistais, il m’a rabrouée et ordonné de ficher le camp. Les minutes
filaient. Je suis redescendue. Tout le monde était déjà couché. Le fortin étant une
zone « hors feu », aucune sentinelle n’avait été postée. Je n’ai pas réfléchi, je
l’avoue. Sur un coup de tête, je me suis faufilée dans l’entrebâillement de la grande
porte et j’ai couru dans la nuit, droit devant moi. Je devais à tout prix trouver Sarah
Jane avant les machines de mort, et lui crier de faire demi-tour.
Par chance, j’ai une bonne vision nocturne, et j’ai pu sans trop de mal repérer le
chemin que nous avions emprunté à la montée. Je courais courbée, en espérant que
l’énergie en partie épuisée des robots ralentirait leurs capacités de détection. Après
tout, ces horribles trucs s’étaient donnés à fond au cours de la journée, et leurs
accus devaient être presque vides. C’est du moins ce que je souhaitais.
J’ai galopé, m’attendant à tout moment à prendre une balle entre les omoplates.
Chaque fois que c’était possible, je m’aplatissais derrière un rocher pour reprendre
mon souffle et scruter les alentours. La lune était pleine, et le sable blanc amplifiait
sa lumière. Une « lessiveuse » s’est pointée. Le cœur battant, j’ai dû attendre qu’elle
s’éloigne en cahotant.
De saut de puce en saut de puce, j’ai effectué en sens inverse le parcours sur
lequel nous avions tant peiné quelques heures plus tôt.
Mettant en pratique ce que j’avais appris au cours de l’après-midi, j’ai réussi à
déjouer la vigilance des patrouilleurs cybernétiques. À bout de nerfs, je me suis
rapprochée du pied de la colline sans m’écarter du chemin principal. Je misais sur le
fait que Sarah Jane emprunterait cette voie d’accès qui avait le mérite de lui offrir
une retraite aisée si les choses tournaient mal.