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Mais la tension est redevenue palpable au crépuscule, quand Tobbey a grimpé
sur le chemin de ronde pour inspecter les alentours à la jumelle. Nous savions tous
qu’il guettait l’arrivée du colonel.
Une pensée gênante m’a soudain traversé l’esprit : « Si le fantôme relevait d’une
simple supercherie, il aurait dû être dégommé par les robots, non ? » Un homme
monté sur un cheval constituait une sacrée cible pour les détecteurs. Fallait-il en
déduire que nous nous trouvions en présence d’un véritable spectre ?
Pour m’en assurer, j’ai demandé à l’un des garçons si les machines patrouillaient
toute la nuit.
- Non, m’dame, m’a-t-il répondu. Faut bien qu’elles rechargent leurs batteries. À
partir de minuit, elles rentrent au garage pour se connecter sur les prises
d’alimentation. Tout est automatisé. Elles ne ressortent qu’au lever du jour. Leurs
panneaux solaires prennent alors le relais, compensant l’énergie qu’elles bouffent en
crapahutant.
J’étais rassurée. Le fantôme, prudent, se manifestait une fois les dangereuses
mécaniques parties se coucher. Ma théorie était donc la bonne. Quelqu’un se
déguisait en colonel pour effrayer Tobbey. Tout se résumait à une machination
puérile. Une machination sortie d’un esprit enfantin…
J’ai frissonné, soudain visitée par un mauvais pressentiment.
Oui, c’était typiquement là une vengeance de gosse… un plan tordu de gamin…
ou de gamine. J’ai alors pensé à Sarah Jane et à ses sœurs. Bien sûr ! C’était le
moyen qu’avaient imaginé les filles de Tobbey pour se venger d’un père qui les
distribuait comme des trophées de concours agricole. Elles avaient dû comploter ce
traquenard avec force gloussements, au bord de l’hystérie, se réjouissant par avance
de l’effet produit.
Une fois minuit sonné, elles sortaient un cheval des écuries et l’une d’elles
s’engageait au petit trot sur la colline. Sarah Jane était grande et mince, plate
comme une limande, elle n’avait aucun mal à endosser l’un des uniformes récupéré
dans les réserves du musée. Un chapeau, un brin de maquillage, et l’illusion
devenait complète. La peur de Tobbey faisait le reste, peaufinant le tableau.
Mais oui ! J’avais été idiote de ne pas y penser plus tôt.
Hélas, la blague pouvait tourner au drame. Il suffisait que l’un des gars,
aiguillonné par la superstition, saisisse une arme et ouvre le feu sur le fantôme pour
que Sarah Jane s’écroule, la poitrine transpercée. J’ai laissé mon regard courir sur
les jeunes gens rassemblés autour du feu de camp. C’étaient des êtres solides et
frustes. Courageux devant le danger quand il s’agissait d’affronter les balles et les
explosions, mais qui devenaient singulièrement nerveux et incontrôlables dès lors
qu’ils se heurtaient à l’incompréhensible, aux créatures de la nuit. Je me suis agitée,
ne sachant quelle attitude adopter. Il n’était pas question pour moi de moucharder
Sarah Jane, alors que faire ?
Sur une impulsion, je suis montée rejoindre Tobbey sur le chemin de ronde où il
se tenait planté. Il arborait une expression colérique qui ne présageait rien de bon.
- Alors ? Ai-je lancé platement. Ça se présente comment ?
Il tripotait une espèce de gros téléphone cellulaire sur lequel il pianotait un code.
- J’ai décidé de ne pas me laisser intimider, dit-il enfin. J’ai dépensé des fortunes
pour satisfaire les exigences du colonel, je n’apprécie guère ses reproches.
J’entends le lui faire comprendre dès ce soir.
J’ai grimacé :
- Et de quelle manière comptez-vous lui envoyer le message ?
Il a brandi le boîtier de télécommande.