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- Hélas non, murmura Evita. Tout est vrai. Dès que l’une de ses gamines atteint<br />
sa seizième année, il l’offre en récompense au meil<strong>le</strong>ur élément de son armée<br />
privée. C’est ce qu’il a fait avec Willa, il y a deux ans. Il l’a donnée au major de la<br />
promotion, et el<strong>le</strong> est partie vivre avec lui, dans <strong>le</strong>s collines, comme une squaw. On<br />
ne l’a jamais revue. El<strong>le</strong> doit lui graisser ses fusils, tanner <strong>le</strong>s peaux et coudre des<br />
mocassins. Si ça se trouve, il lui a déjà fait deux gosses.<br />
- Tu déconnes ?<br />
- Pas du tout. Obtenir la fil<strong>le</strong> du chef en récompense, ça galvanise <strong>le</strong>s hommes.<br />
Pour y arriver, ils se sortent <strong>le</strong>s tripes comme pas possib<strong>le</strong>. Bientôt viendra <strong>le</strong> tour de<br />
Sarah Jane. Puis de ses sœurs.<br />
- Mais qu’en pense Jenny ? Ça ne la révolte pas ? Merde ! Il s’agit de ses fil<strong>le</strong>s !<br />
Evita eut un geste empreint de fatalisme.<br />
- Tu n’as pas encore pigé ? Jenny est dans <strong>le</strong> même trip que Tobbey : la guerre<br />
civi<strong>le</strong> inévitab<strong>le</strong> et imminente ; <strong>le</strong> retour du chaos, l’affrontement ethnique,<br />
l’apocalypse. El<strong>le</strong> vit, el<strong>le</strong> aussi, comme à l’époque de la Sécession, quand il n’y<br />
avait pas de plus grand honneur pour une mère que de donner sa fil<strong>le</strong> à un soldat de<br />
la Confédération. Tu ne dois pas être dupe de ses sourires. Sous son air mou, c’est<br />
une fanatique.<br />
J’étais anéantie.<br />
- Fais très attention, ajouta encore Evita. Tu te déplaces en terrain miné. Ne te<br />
mê<strong>le</strong> surtout pas de <strong>le</strong>urs affaires de famil<strong>le</strong>. Fais ton boulot et tire-toi.<br />
- Mais on ne peut pas tolérer ce genre de choses de nos jours ! Protestai-je.<br />
Evita me plaqua sa main sur la bouche.<br />
- Tais-toi ! ordonna-t-el<strong>le</strong>. Tu ne sais pas de quoi tu par<strong>le</strong>s. Tu crois qu’il <strong>le</strong>ur<br />
serait diffici<strong>le</strong> de se débarrasser de nous ? Fais un pas de travers et tu disparaîtras<br />
de la surface de la terre en un clin d’œil. On ne te tuera pas, non, mais peut-être bien<br />
qu’on te coupera la langue avant de te céder à la troupe. Ça te plairait de devenir la<br />
putain de ces gars-là ? Je regrette, mais je n’ai pas envie de finir attachée sur un lit<br />
de camp, quelque part dans <strong>le</strong>s collines, à me faire tring<strong>le</strong>r vingt fois par jour par des<br />
bidasses en rut. Je ne plaisante pas. Le danger est réel. C’est un monde à part, ici.<br />
Avec ses lois propres. Ton patron ne t’a donc pas mise au courant ? Il y a beaucoup<br />
de fric à prendre à condition de porter des œillères et de marcher droit. L’Agence 13<br />
a l’habitude de ce genre de deal. Si el<strong>le</strong> t’a recrutée, c’est parce qu’el<strong>le</strong> savait que tu<br />
ne peux pas te payer <strong>le</strong> luxe de faire la fine bouche. Je me trompe ?<br />
J’ai retenu mon souff<strong>le</strong>. J’étais prise au piège.<br />
- Bon, ça suffit, a conclu Evita. Cette conversation n’a jamais eu lieu. Je préfère<br />
t’avertir : je ne serai pas complice de tes conneries, je tiens à ma peau.<br />
El<strong>le</strong> me guida hors de la roseraie sans un mot, comme si el<strong>le</strong> prenait déjà ses<br />
distances.<br />
Je me retrouvai dehors, dans la cha<strong>le</strong>ur du désert. Je n’avais plus qu’une idée,<br />
faire mes valises et ficher <strong>le</strong> camp. Hélas, c’était impossib<strong>le</strong>.