25.06.2013 Views

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

SHOW MORE
SHOW LESS

Create successful ePaper yourself

Turn your PDF publications into a flip-book with our unique Google optimized e-Paper software.

La tête commençait à me tourner, l’angoisse à me serrer la gorge. Mon malaise<br />

provenait en grande partie de la physionomie trop convaincante des mannequins.<br />

Toutes ces rides, ces cicatrices, ces sourires dévoilant des dents en mauvais état…<br />

On n’était pas dans un magasin de vêtements, entouré de figures en plâtre, non,<br />

c’était… autre chose. Une obsession qui confinait à la folie. Soudain, j’ai perçu un<br />

mouvement sur ma droite et j’ai failli hur<strong>le</strong>r, persuadée que <strong>le</strong>s statues bougeaient<br />

dans mon dos. Mais non, c’était Evita. El<strong>le</strong> me saisit par la main et m’entraîna à sa<br />

suite d’un pas rapide.<br />

- Il ne faut pas rester là, murmura-t-el<strong>le</strong> avec véhémence. C’est dangereux. Je<br />

l’ai dit à Tobbey mais il n’a pas voulu m’écouter. Mode<strong>le</strong>r des mannequins à l’effigie<br />

de personnes ayant existé, c’est carrément inviter <strong>le</strong>s fantômes à sa tab<strong>le</strong>. Les<br />

Égyptiens de l’Antiquité <strong>le</strong> savaient. Tous <strong>le</strong>s esprits sont tenaillés par l’obsession de<br />

récupérer <strong>le</strong>ur corps d’origine. Peu importe si ce corps est en cire ou en résine, c’est<br />

toujours une enveloppe solide, et ils s’y instal<strong>le</strong>nt avec jubilation. Ces ga<strong>le</strong>ries sont<br />

hantées. J’ai constaté, à plusieurs reprises, que <strong>le</strong>s statues bougeaient à chaque<br />

nouvel<strong>le</strong> lune. Les danseurs changent de partenaires. J’ai des photos qui <strong>le</strong><br />

prouvent. Je te <strong>le</strong>s montrerai.<br />

Je n’avais pas envie d’entendre ça.<br />

- Arrête ! Lançai-je, ça suffit.<br />

- Ne joue pas <strong>le</strong>s esprits forts, siffla-t-el<strong>le</strong> en me broyant <strong>le</strong> poignet. Tu l’as senti<br />

toi aussi, sinon tu ne serais pas en ce moment aussi pâ<strong>le</strong> qu’un lavabo.<br />

Je me dégageai d’une secousse. Nous étions arrivées au seuil d’une roseraie,<br />

immense, el<strong>le</strong> aussi. Dans cette baraque, tout était surdimensionné. Je me laissai<br />

tomber sur un banc en fer forgé, entre deux massifs. Le parfum des f<strong>le</strong>urs aurait<br />

flanqué la migraine à un cactus.<br />

- Il va falloir se montrer prudentes dans <strong>le</strong>s jours à venir, chuchota Evita en me<br />

rejoignant. Je crois que <strong>le</strong> fantôme du colonel est furieux du tour que nous lui avons<br />

joué. Il pourrait nous <strong>le</strong> faire payer.<br />

Me saisissant la main, el<strong>le</strong> déposa quelque chose au creux de ma paume. Une<br />

espèce de bijou grossier composé de cuir et de plumes. Plutôt joli. Un talisman ?<br />

- Je sais que tu n’y crois pas, fit-el<strong>le</strong> sans me regarder, mais ne t’en sépare<br />

jamais. Il peut dévier <strong>le</strong> choc en retour.<br />

- De quoi par<strong>le</strong>s-tu ?<br />

- Vois cela comme un paratonnerre. Si la foudre te frappe, il déviera l’énergie<br />

maléfique qui ricochera… et touchera quelqu’un d’autre.<br />

- Qui donc ?<br />

Evita haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

- Je l’ignore. Jenny, peut-être ?<br />

Et el<strong>le</strong> pouffa nerveusement. Je ne pus m’empêcher de l’imiter.<br />

- Si el<strong>le</strong> va rejoindre Elvis, hoquetai-je, au moins ça m’évitera de reconstruire<br />

Graceland !<br />

Je feignais de trouver la chose cocasse mais, dans mon esprit, une voix<br />

répétait : Et si <strong>le</strong> ricochet frappait Sarah Jane, hein ? Tu y as pensé ?<br />

Je m’ébrouai. On devient rapidement fou à vivre avec <strong>le</strong>s fous. Je devais<br />

résister, me prémunir contre la dinguerie ambiante.<br />

- À propos, hasardai-je, Sarah Jane, l’aînée des fil<strong>le</strong>s Zufrau-Clarkson, m’a dit<br />

quelque chose de bizarre cet après-midi…<br />

En trois phrases, j’évoquai l’histoire des « primes » offertes aux soldats, et je<br />

terminai par <strong>le</strong> traditionnel :<br />

- Rassure-moi, el<strong>le</strong> se payait ma tête, n’est-ce pas ?

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!