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Lire le livre - Bibliothèque

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- Quatorze ans. Je sais, je fais davantage. On tient toutes ça de notre mère ; el<strong>le</strong><br />

ne cesse de répéter qu’à quatorze ans el<strong>le</strong> en paraissait dix-huit. Bizarrement,<br />

aujourd’hui c’est <strong>le</strong> contraire, el<strong>le</strong> dit qu’el<strong>le</strong> en fait dix de moins. Al<strong>le</strong>z y comprendre<br />

quelque chose !<br />

- Tu prétends que ton père vous cède à ses soldats comme des trophées, à la<br />

fin d’une compétition ? Ai-je grogné, méfiante.<br />

- Oui, a renchéri l’ado<strong>le</strong>scente. Ça galvanise <strong>le</strong>s troupes. Ça <strong>le</strong>ur donne envie de<br />

se sortir <strong>le</strong>s tripes… c’est comme ça qu’il dit. Partir avec la fil<strong>le</strong> du chef, c’est une<br />

sacrée récompense, non ? Il nous a expliqué que c’était pareil chez <strong>le</strong>s Vikings, et<br />

qu’il fallait s’en sentir honorée. La fil<strong>le</strong> du chef est toujours offerte au meil<strong>le</strong>ur<br />

guerrier. Depuis la nuit des temps.<br />

Je m’efforçais au calme. Cette petite dinde n’était-el<strong>le</strong> pas en train de me rou<strong>le</strong>r<br />

dans la farine ? Je risquais de me couvrir de ridicu<strong>le</strong> en déc<strong>le</strong>nchant un esclandre.<br />

N’était-ce pas ce qu’el<strong>le</strong> souhaitait ? Avait-el<strong>le</strong> parié avec ses sœurs qu’el<strong>le</strong> arriverait<br />

à me faire gober <strong>le</strong>s pires faribo<strong>le</strong>s ?<br />

Jenny Zufrau-Clarkson, qui s’impatientait, me tira de l’embarras en revenant à<br />

l’assaut, ses dossiers sous <strong>le</strong> bras. El<strong>le</strong> tenait à me montrer ce qu’el<strong>le</strong> souhaitait<br />

obtenir de moi. Dans ce but, el<strong>le</strong> avait découpé trois cents photos dans des<br />

magazines. El<strong>le</strong> espérait que je m’en inspirerais pour concevoir <strong>le</strong> décor final.<br />

Les deux heures qui suivirent furent atroces. Son projet consistait à transformer<br />

l’abri en une réplique de Graceland, la maison d’Elvis Pres<strong>le</strong>y, qui lui avait fait forte<br />

impression lorsqu’el<strong>le</strong> l’avait visitée en compagnie de son team de pom-pom girls. Je<br />

fus à deux doigts de lui dire que c’était impossib<strong>le</strong> car Elvis avait probab<strong>le</strong>ment fait<br />

appel à un décorateur extraterrestre. Seul un alien, en effet, serait capab<strong>le</strong> de<br />

concevoir pareil<strong>le</strong> abomination. Un alien, ou bien <strong>le</strong> décorateur de Plan nine from<br />

outer Space…<br />

Je n’étais ni l’un ni l’autre.<br />

La discussion s’enlisa ; Jenny finit par se retirer, maussade, me laissant plus<br />

<strong>le</strong>ssivée qu’après un match de catch dans la boue.<br />

Un verre de Southern Comfort à la main, j’entrepris de déambu<strong>le</strong>r à travers la<br />

maison, qui était immense. Un truc dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> de la veuve Winchester, à Frisco.<br />

Plus j’avançais, plus j’étais gagnée par l’impression de m’être égarée dans un<br />

musée. Des sal<strong>le</strong>s entières étaient consacrées à la guerre de Sécession. On <strong>le</strong>s<br />

avait remplies de mannequins revêtus d’uniformes et brandissant des armes. Il y<br />

avait même des canons et des chevaux empaillés entre <strong>le</strong>squels je dus me faufi<strong>le</strong>r.<br />

Les mannequins me mirent vite mal à l’aise car on <strong>le</strong>s avait modelés de manière<br />

hyperréaliste, d’après (ainsi que <strong>le</strong> précisait une plaque de cuivre) <strong>le</strong>s photographies<br />

de combattants ayant réel<strong>le</strong>ment pris part au conflit. Les barbes, <strong>le</strong>s cheveux,<br />

implantés poil par poil dans la résine, contribuaient à donner l’illusion de la vie. À<br />

force de zigzaguer entre toutes ces baïonnettes je devenais nerveuse. Certaines<br />

sal<strong>le</strong>s offraient à la contemplation des scènes de massacre trop fignolées à mon<br />

goût. (Dieu ! ces tripes dégoulinant des ventres cisaillés !) D’autres, au contraire,<br />

donnaient accès à des tab<strong>le</strong>aux plus intimistes intitulés : Les Adieux des fiancés, ou<br />

La Lettre tant redoutée. On nageait en p<strong>le</strong>in mélo, mais la vie est tel<strong>le</strong>ment riche en<br />

mélodrames que je ne me sentais pas <strong>le</strong> droit de ricaner. Dans l’ai<strong>le</strong> ouest de la<br />

maison se tenait un bal où paradaient militaires en grande tenue et demoisel<strong>le</strong>s en<br />

crinoline. Rien n’avait été oublié, pas même <strong>le</strong>s serviteurs noirs costumés en va<strong>le</strong>ts à<br />

la française, et qui brandissaient des chandeliers d’argent.

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