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Lire le livre - Bibliothèque

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L’esprit en désordre, j’arpentai <strong>le</strong> béton en feignant de repérer <strong>le</strong>s lieux, pour me<br />

donner une contenance. Contrairement à ce qui se passe d’ordinaire dans <strong>le</strong>s films<br />

d’épouvante, <strong>le</strong> bunker ne recelait aucun coin d’ombre. Les projecteurs avaient été<br />

installés de manière à anéantir <strong>le</strong>s ténèbres. On était aussi bien éclairé que dans une<br />

sal<strong>le</strong> de chirurgie.<br />

Je fis un effort pour redonner à mes pensées un tour professionnel. Des<br />

casemates se dressaient çà et là sur ce parking souterrain. El<strong>le</strong>s abritaient des<br />

dortoirs à couchettes superposées, des douches, des WC, des cuisines et des<br />

réserves de nourriture.<br />

- À l’origine, m’expliqua Sarah Jane, ils voulaient que <strong>le</strong>s gens restent ici<br />

pendant cinquante-six ans, <strong>le</strong> temps que <strong>le</strong>s radiations cessent d’être dangereuses.<br />

Ils avaient prévu grand, parce qu’ils pensaient que <strong>le</strong>s survivants ne pourraient pas<br />

s’empêcher de baiser, et que, forcément, <strong>le</strong>s nanas tomberaient enceintes, et<br />

qu’el<strong>le</strong>s accoucheraient… Venez voir ! Je vais vous montrer un truc marrant.<br />

Sa petite main froide s’empara de la mienne, me tirant en avant. El<strong>le</strong> me<br />

conduisit au seuil d’une nouvel<strong>le</strong> casemate.<br />

- Ça, c’était <strong>le</strong> bloc chirurgical, annonça-t-el<strong>le</strong>. Il y avait des étagères avec un tas<br />

de manuels pour <strong>le</strong>ur apprendre à se soigner eux-mêmes. Comment s’opérer de<br />

l’appendicite, comment accoucher… Le Do It Yourself de la chirurgie ! Ils étaient<br />

censés se former tout seuls, comme des naufragés sur une î<strong>le</strong> déserte.<br />

- Il n’y avait pas de médecin parmi eux ?<br />

- Si, mais fallait prévoir que <strong>le</strong> toubib pouvait mourir, et donc apprendre à se<br />

débrouil<strong>le</strong>r par soi-même.<br />

La tab<strong>le</strong> d’intervention et <strong>le</strong> Scialytique étaient toujours en place, mais <strong>le</strong>s<br />

instruments avaient en partie disparu. Les manuels, en revanche, achevaient de<br />

jaunir sur <strong>le</strong>s étagères. Je m’emparai de l’un d’eux et <strong>le</strong> feuil<strong>le</strong>tai. Je vis défi<strong>le</strong>r des<br />

croquis numérotés. Il s’agissait de la manière dont on devait pratiquer une<br />

césarienne avec <strong>le</strong>s moyens du bord lorsque votre bagage médical se réduisait à la<br />

préparation de la dinde de Thanksgiving. La chair de pou<strong>le</strong> me remonta l’échine. Je<br />

reposai <strong>le</strong> fascicu<strong>le</strong> à sa place.<br />

- Il y en a p<strong>le</strong>in, insista Sarah Jane. Je <strong>le</strong>s ai tous lus. L’amputation de la jambe,<br />

la trépanation, l’ablation de la rate… Ça me rassure. Je me dis que, sachant tout ça,<br />

je serai capab<strong>le</strong> de me démerder seu<strong>le</strong> dans la vie.<br />

- Tu devrais peut-être envisager des études de médecine, non ? Hasardai-je.<br />

- Non, riposta-t-el<strong>le</strong> aussitôt. Je suis une fil<strong>le</strong>. Chez <strong>le</strong>s Zufrau-Clarkson <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s<br />

ne font pas d’études. On <strong>le</strong>s donne aux soldats.<br />

- Quoi ? Hoquetai-je, fusillée par la stupeur.<br />

Sarah Jane haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

- C’est comme ça, soupira-t-el<strong>le</strong>. Il faut bien qu’on serve à quelque chose. Si on<br />

était des garçons, on deviendrait des combattants, mais mon père ne croit pas aux<br />

femmes soldats. Il dit qu’el<strong>le</strong>s ne feront jamais de bonnes tueuses, qu’el<strong>le</strong>s sont trop<br />

« du côté de la vie » pour apprendre à devenir sans pitié. Alors on est là pour assurer<br />

<strong>le</strong> repos du guerrier.<br />

- Qu’est-ce que tu racontes ? Bredouillai-je. Tu te fiches de moi, c’est ça ?<br />

- Non, s’entêta Sarah Jane. À seize ans, on est offerte au meil<strong>le</strong>ur combattant de<br />

l’année, celui dont <strong>le</strong> nom est inscrit sur <strong>le</strong> wall of fame de la caserne, celui qui a<br />

triomphé de toutes <strong>le</strong>s épreuves de formation. On devient sa femme, et on part vivre<br />

avec lui sur <strong>le</strong> champ de manœuvres. C’est comme ça que ma sœur Willa nous a<br />

quittés, il y a deux ans.<br />

- Mais quel âge as-tu ?

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