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Lire le livre - Bibliothèque

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lockhaus ou d’un abri antiatomique : <strong>le</strong> truc confiné, <strong>le</strong> cauchemar de<br />

claustrophobe… <strong>le</strong> caveau où l’on doit se recroquevil<strong>le</strong>r… Non. C’était immense.<br />

Assez vaste en tout cas pour abriter la zone pavillonnaire d’une banlieue. Le<br />

plafond culminait à sept mètres. Il avait été badigeonné en b<strong>le</strong>u layette et parsemé<br />

de nuages. On se serait cru dans une illustration de <strong>livre</strong> pour enfants. C’était d’une<br />

époustouflante naïveté. Ça évoquait la déco de ces services pédiatriques hospitaliers<br />

censés calmer l’angoisse des jeunes malades.<br />

Sur <strong>le</strong>s murs, s’étalaient des paysages enso<strong>le</strong>illés barbouillés dans un sty<strong>le</strong><br />

analogue. Avec <strong>le</strong>s années, <strong>le</strong>s pigments avaient pâli, si bien que <strong>le</strong>s dessins<br />

semblaient s’évanouir au sein d’un brouillard spectral. L’antichambre du Walhalla, <strong>le</strong><br />

palais où <strong>le</strong>s dieux nordiques accueillaient <strong>le</strong>s guerriers morts au combat, <strong>le</strong>s armes<br />

à la main.<br />

J’ai réalisé tout à coup que ce qui s’étalait sous mes yeux ne correspondait<br />

absolument pas au paysage d’épouvante décrit par <strong>le</strong>s photos que m’avait remises<br />

Devereaux. Où donc étaient passés <strong>le</strong>s décombres ?<br />

Dans mon dos, Jenny pérorait mais je ne l’écoutais plus. Instinctivement, mes<br />

yeux furetaient de-ci de-là, à la recherche de traces de sang.<br />

- Il n’y a plus rien, avertit Sarah Jane qui trottinait à présent à ma droite. Ils ont<br />

tout nettoyé, tout remis en ordre avant de condamner l’abri. Ils ne voulaient pas<br />

laisser de traces accablantes. Néanmoins, à deux endroits, on peut voir que la<br />

peinture a été lacérée à coups d’ong<strong>le</strong>s. Il y a aussi cinq graffitis.<br />

Je la regardai. El<strong>le</strong> m’opposa <strong>le</strong>s yeux d’insecte que lui faisaient <strong>le</strong>s lunettes<br />

noires. El<strong>le</strong> avait l’air d’une petite ido<strong>le</strong>. Figée, minéra<strong>le</strong>. À peine vivante.<br />

Agacée du peu d’intérêt que je portais à ses commentaires, Jenny Zufrau-<br />

Clarkson se tut et demeura en arrière, boudeuse. S’asseyant sur une chaise en fer,<br />

el<strong>le</strong> entreprit de se masser <strong>le</strong>s pieds après avoir grogné :<br />

- Je vous laisse faire <strong>le</strong> tour des lieux, nous discuterons ensuite.<br />

- Tu viens souvent ici ? Chuchotai-je à l’intention de Sarah Jane.<br />

- Oui, fit-el<strong>le</strong>. Quand mes parents et mes sœurs sont couchés. Je prends mon<br />

vélo pour ne pas faire de bruit. C’est cool de rou<strong>le</strong>r dans <strong>le</strong> désert et faire s’enfuir <strong>le</strong>s<br />

coyotes.<br />

- Tu n’as pas peur, ici, toute seu<strong>le</strong> ?<br />

- Non, je me suis aménagé un petit coin, là-bas, dans <strong>le</strong> fond, près des<br />

anciennes douches. Vous comprenez, il y a une atmosphère ici… Des vibrations. On<br />

se sent connectée. J’écris.<br />

- Des poèmes ? Ton journal intime ?<br />

El<strong>le</strong> me dévisagea comme si j’avais proféré une insulte. Durant trois secondes,<br />

el<strong>le</strong> hésita visib<strong>le</strong>ment sur la conduite à tenir. Devait-el<strong>le</strong> tourner <strong>le</strong>s talons et me<br />

planter là, comme la grosse conne que j’étais ?<br />

- Les poèmes et <strong>le</strong>s journaux intimes, c’est bon pour <strong>le</strong>s pucel<strong>le</strong>s, cracha-t-el<strong>le</strong><br />

entre ses dents. Non, j’essaye de raconter ce qui s’est passé ici… lorsqu’ils se sont<br />

entre-tués. Je me mets à <strong>le</strong>ur place, dans <strong>le</strong>ur peau. J’imagine ce qu’ils ont pu<br />

ressentir. Leur terreur a été tel<strong>le</strong> qu’el<strong>le</strong> est restée imprégnée dans <strong>le</strong>s murs, vous<br />

savez ?<br />

Allons bon ! On était reparti pour un tour de manège.<br />

Je pris garde à ne pas la froisser. El<strong>le</strong> me rappelait cel<strong>le</strong> que j’avais été, à quinze<br />

ans, lorsque je peignais une Venise de pacotil<strong>le</strong> sur <strong>le</strong>s murs de mon grenier. Et puis,<br />

d’une certaine manière, el<strong>le</strong> avait raison. Une atmosphère étrange régnait ici. Il était<br />

diffici<strong>le</strong> d’oublier que trois cents personnes s’étaient jetées <strong>le</strong>s unes sur <strong>le</strong>s autres<br />

pour se massacrer sans qu’on sache pourquoi.

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