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Lire le livre - Bibliothèque

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J’ai fait quelques pas dans ce décor d’un autre âge où tant d’hommes s’étaient<br />

préparés au pire en guettant, à l’horizon, l’éclosion éblouissante du fameux<br />

champignon atomique annonçant la fin des temps. Les bâtiments avaient subi<br />

l’érosion des tempêtes de sab<strong>le</strong>. Toutes <strong>le</strong>s inscriptions en avaient été effacées. Au<br />

sommet de la tour de contrô<strong>le</strong>, <strong>le</strong>s antennes radars pendaient de guingois, tels <strong>le</strong>s<br />

sque<strong>le</strong>ttes d’araignées mortes depuis des sièc<strong>le</strong>s. Jadis, ce lieu avait bouillonné<br />

d’activité, des bombardiers géants s’y posaient, des mécaniciens, des pilotes,<br />

couraient en tous sens… Il ne subsistait rien de ce scramb<strong>le</strong> 11 permanent que des<br />

bâtisses vides, des carcasses bétonnées servant de caisse de résonance au vent.<br />

Accroché au réseau de barbelés, un panneau de fer grinçait dans <strong>le</strong>s rafa<strong>le</strong>s. Le<br />

sab<strong>le</strong> ne l’avait pas entièrement poncé, et on pouvait encore y déchiffrer ces<br />

phrases, lourdes de menace :<br />

Warning ! US Military Installations. Do Not Enter ! Restricted Area. Use of deadly<br />

force is authorized !<br />

Evita m’a rappelée à la réalité en me touchant <strong>le</strong> bras.<br />

- C’est par là que ça se passe ! A-t-el<strong>le</strong> crié en désignant l’autre côté de la piste.<br />

Pivotant sur mes talons, j’ai découvert qu’une gigantesque oasis se dressait à la<br />

frontière du désert. Entre ces deux univers, <strong>le</strong> tarmac étirait la ligne frontière de son<br />

ruban bétonné.<br />

- C’est <strong>le</strong> ranch, a expliqué Evita. Tobbey a fait irriguer <strong>le</strong>s collines. La végétation<br />

s’est développée là où, il y a dix ans, ne poussaient que des cailloux. À présent,<br />

l’herbe ne cesse de gagner du terrain. Il y a même une orangeraie.<br />

Ledit Tobbey nous attendait près d’un Dodge Weapon Carrier 51 12 en parfait état<br />

de conservation. Il s’impatientait. Nous avons dû courir prendre place dans <strong>le</strong><br />

véhicu<strong>le</strong>. Tournant <strong>le</strong> dos à l’aérodrome fantôme, nous avons emprunté une route<br />

bordée de palmiers. Au sommet d’une colline, se dressait une immense maison de<br />

sty<strong>le</strong> baroque hispanique. Une hacienda pour western hollywoodien des sixties. Un<br />

rempart en adobe blanchi à la chaux l’entourait. Des cactus candélabres proliféraient<br />

au long de la murail<strong>le</strong>, armée végéta<strong>le</strong> hérissée de piquants.<br />

Le Beep 13 nous a lâchés dans la cour. Des serviteurs se sont précipités à notre<br />

rencontre. Vestes blanches à col officier, gants de la même cou<strong>le</strong>ur, crânes tondus.<br />

Le sol était pavé de tommettes mexicaines rouge piment. La sal<strong>le</strong> commune, basse,<br />

était structurée par une architecture de poutres énormes, scarifiées par <strong>le</strong>s sièc<strong>le</strong>s.<br />

Une plaque de cuivre expliquait qu’il s’agissait d’anciens mâts récupérés sur des<br />

navires cabotant jadis au long de la Barbary Coast. Au-dessus de la cheminée<br />

colossa<strong>le</strong> trônait l’inévitab<strong>le</strong> portrait du colonel. Mince, hautain, <strong>le</strong>s cheveux longs, il<br />

n’entretenait guère de ressemblance avec Tobbey. On devinait en lui <strong>le</strong> vrai<br />

gentilhomme sudiste, enraciné dans ses privilèges et résolument rebel<strong>le</strong> à tout<br />

changement. En regardant sa tail<strong>le</strong> fine, assurément trop mince pour un homme, je<br />

me suis rappelé que, à cette époque, <strong>le</strong>s mâ<strong>le</strong>s de l’aristocratie avaient l’habitude de<br />

porter des corsets afin de paraître plus élancés lors des soirées de la bonne société.<br />

Les murs de la pièce étaient couverts de vitrines dédiées à la guerre de<br />

Sécession et dans <strong>le</strong>squel<strong>le</strong>s on avait entassé un bric-à-brac d’uniformes mités, de<br />

sabres rouillés et autres arquebuses que <strong>le</strong>s mecs ont plaisir à col<strong>le</strong>ctionner depuis<br />

11 - Argot de pilote intraduisib<strong>le</strong> désignant un état d’a<strong>le</strong>rte.<br />

12 - Véhicu<strong>le</strong> de transport de troupes qui participa au débarquement en Normandie.<br />

13 - Surnom du Dodge WC 51.

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