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La guerre en mon jardin<br />
Au moment de rentrer dans ma tente, j’ai cédé à une impulsion et je me suis<br />
carrément invitée chez Evita. El<strong>le</strong> ne dormait pas. Nue, étendue sur <strong>le</strong> dos, el<strong>le</strong><br />
fumait un petit cigare, un briquet chromé posé entre <strong>le</strong>s seins. El<strong>le</strong> était très bel<strong>le</strong>,<br />
avec sa peau mate, luisante de sueur.<br />
- Alors, a-t-el<strong>le</strong> attaqué, il t’a baisée toi aussi ? Non, je ne crois pas, sinon tu<br />
aurais l’air plus cool. Il est excel<strong>le</strong>nt dans son genre. Je te conseil<strong>le</strong> de sauter sur<br />
l’occasion.<br />
El<strong>le</strong> ne m’impressionnait pas : en préventive, j’ai côtoyé des pétasses d’un autre<br />
calibre.<br />
- Arrête tes conneries, ai-je lancé. Il faut que cette dinguerie prenne fin. Tu n’as<br />
qu’à lui annoncer, demain matin, que tu as découvert <strong>le</strong>s restes du colonel et l’on<br />
pourra enfin plier bagage. Merde ! N’importe quel débris de ferrail<strong>le</strong> fera l’affaire. Il va<br />
finir par se tuer à force d’ava<strong>le</strong>r ces saloperies de drogues.<br />
- Tu veux que je mente ! A aboyé Evita. Que je joue la comédie ? Je suis une<br />
vraie médium, pas une saltimbanque. Raconter des bobards ne servirait à rien<br />
puisque l’âme du colonel ne serait toujours pas en paix. El<strong>le</strong> rattrapera Tobbey où<br />
qu’il ail<strong>le</strong>… même au pô<strong>le</strong> Sud. Les fantômes n’ont pas <strong>le</strong> mal de l’air ! Ils voyagent<br />
vite, sans se soucier de la grève des aiguil<strong>le</strong>urs du ciel !<br />
El<strong>le</strong> me gonflait. J’ai tourné <strong>le</strong>s talons pour regagner mes quartiers. J’étais<br />
ennuyée à l’idée que Tobbey Zufrau-Clarkson puisse nous faire une crise cardiaque<br />
avant que j’aie commencé mon travail. Le bunker représentait pour moi un défi<br />
passionnant, et c’était l’occasion d’une remise en sel<strong>le</strong> qui pouvait effacer ma<br />
mauvaise réputation. J’avais hâte de m’y col<strong>le</strong>r, il y avait trop longtemps que je me<br />
tournais <strong>le</strong>s pouces. Je ne voulais pas finir « architecte d’intérieur » chez un<br />
entrepreneur spécialisé dans la remise en état des bungalows en aluminium pour<br />
camp de trai<strong>le</strong>rs.<br />
Le sommeil s’est fait attendre.<br />
Au matin, <strong>le</strong> train-train a repris. Petit déjeuner de crêpes au sirop d’érab<strong>le</strong>, œufssaucisses<br />
et café noir. Puis tout <strong>le</strong> monde a gagné la plaine pour creuser de<br />
nouveaux trous avec entrain. Comme Tobbey ne se montrait pas, la nervosité s’est<br />
emparée de moi. Je l’imaginais, couché sur son lit de camp, décapité par son ultime<br />
cauchemar. Ces fadaises devenaient contagieuses.<br />
Deux heures plus tard, j’ai perçu l’écho d’une agitation au centre de la prairie.<br />
Très vite, la rumeur est remontée jusqu’au camp : Evita avait enfin localisé la<br />
dépouil<strong>le</strong> du colonel !<br />
Trop beau pour être vrai.<br />
« Tiens donc ! Ai-je pensé, on dirait que mes conseils ne sont pas tombés dans<br />
l’oreil<strong>le</strong> d’une sourde. »<br />
Quelqu’un a couru prévenir Tobbey qui a émergé de sa tente en titubant, l’air<br />
hagard. Il avait toujours la tête sur <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s, c’était déjà ça.<br />
Je lui ai emboîté <strong>le</strong> pas. Evita, très pâ<strong>le</strong>, se tenait au bord d’une fosse<br />
fraîchement ouverte. Au fond du trou gisaient de menus débris de ferrail<strong>le</strong> rongés par