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Ronde de nuit<br />
La tente était divisée par une cloison de toi<strong>le</strong> translucide formant deux chambres<br />
rudimentaires. J’occupais cel<strong>le</strong> de gauche. Evita me souhaita bonne nuit et se retira<br />
dans ses quartiers. À la lueur de la lampe é<strong>le</strong>ctrique, je la vis se déshabil<strong>le</strong>r en<br />
ombre chinoise puis se glisser dans son sac de couchage. Je décidai de l’imiter. Des<br />
diffuseurs d’essence de citronnel<strong>le</strong> bourdonnaient aussi fort que <strong>le</strong>s moustiques. À<br />
travers la toi<strong>le</strong>, je distinguais <strong>le</strong> balisage des allées du camp. Ça évoquait une piste<br />
d’atterrissage miniature pour très petits voyageurs du cosmos. Je m’étais préparée à<br />
affronter une insomnie tenace mais, contre toute attente, je sombrai dans <strong>le</strong> sommeil<br />
au bout de trois minutes.<br />
Je fus réveillée, aux a<strong>le</strong>ntours de minuit, par des gémissements. Je crus d’abord<br />
que ma voisine était malade, puis je compris qu’el<strong>le</strong> était en train de faire l’amour car<br />
des grognements masculins caractéristiques sourdaient, en écho à ses plaintes.<br />
Sans doute s’agissait-il de Tobbey… Ce salaud était venu la rejoindre alors<br />
même qu’il savait la tente occupée par une invitée. Cela ne l’avait pas gêné. Peutêtre<br />
même en avait-il conçu une excitation louche. J’essayai de me boucher <strong>le</strong>s<br />
oreil<strong>le</strong>s en mâchouillant des injures. Pour un peu, j’aurais expédié une godasse dans<br />
la cloison de toi<strong>le</strong> séparant <strong>le</strong>s deux chambres. Puis <strong>le</strong>s geignements s’estompèrent<br />
et je me rendormis. Ce répit fut de courte durée, je m’éveillai de nouveau en sursaut,<br />
a<strong>le</strong>rtée par une sensation de présence à mes côtés. Une odeur de sueur, de tabac et<br />
de sperme flottait dans l’air. J’ouvris <strong>le</strong>s yeux. Tobbey se tenait assis à mon chevet,<br />
sur un tabouret, entièrement nu. Sa peau luisait de transpiration à la lueur de la<br />
veil<strong>le</strong>use b<strong>le</strong>uâtre disposée à l’entrée de la tente.<br />
- Ne craignez rien, murmura-t-il avec cet accent <strong>le</strong>nt et chantant des natifs du<br />
Sud. Je ne suis pas là pour vous vio<strong>le</strong>r. J’ai eu mon compte avec Evita. Cette petite<br />
est une sauvageonne de la pire espèce. Jadis, si el<strong>le</strong> avait ramassé <strong>le</strong> coton, el<strong>le</strong><br />
serait devenue la concubine en titre du maître, et la reine de la plantation.<br />
Je me redressai sur un coude. Par chance, j’étais décente. Mon expérience des<br />
motels m’a guérie de l’habitude de dormir nue. Depuis, je m’enveloppe dans un<br />
maillot des Dodgers, six tail<strong>le</strong>s trop grand, et qui me couvre <strong>le</strong>s genoux. Je me suis<br />
appliquée à ne pas regarder son pénis qu’il exposait en devanture, sty<strong>le</strong> « Un plat du<br />
jour, un ! ».<br />
- Je sais, ai-je rétorqué, vous vou<strong>le</strong>z voir mes croquis du bunker ! Et vous étiez si<br />
impatient que vous avez négligé d’enfi<strong>le</strong>r un ca<strong>le</strong>çon. Je comprends ça, j’ai vraiment<br />
fait du bon travail.<br />
- Non, a-t-il répondu sans même sourire, c’est moi qui voulais vous faire voir<br />
quelque chose.<br />
- Eh bien, je crois que c’est fait, non ? Que vous faut-il de plus ? Une note ? Une<br />
appréciation ?<br />
Il s’est <strong>le</strong>vé, de mauvaise humeur.<br />
- Bon sang ! Je ne par<strong>le</strong> pas de ma queue, mais de ça… et de ça…<br />
Du pouce, il soulignait, sur sa chair, de longues boursouflures blêmes. J’ai<br />
réalisé qu’il s’agissait de cicatrices.<br />
- Je sais que vous me prenez pour un affabulateur, a-t-il repris. Il fallait donc que<br />
je vous fasse toucher du doigt la réalité de la menace. Regardez bien ! La cuisse…