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Lire le livre - Bibliothèque

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Ça n’avait rien de rassurant. L’odeur de la terre éventrée sautait aux narines,<br />

mélange de pourriture et de moisi.<br />

- Bien que <strong>le</strong> site ait été souvent visité, a commenté Tobbey, il recè<strong>le</strong> quantité de<br />

vestiges : boutons de tunique, insignes, bal<strong>le</strong> Minié, fusil Enfield… Tout cela est en<br />

très mauvais état, bien sûr, mais démontre qu’on ne peut effacer <strong>le</strong> passé aussi<br />

faci<strong>le</strong>ment que <strong>le</strong> souhaiteraient <strong>le</strong>s gens qui siègent à Washington, et <strong>le</strong>s<br />

révisionnistes qui réécrivent la guerre civi<strong>le</strong> au détriment du Sud.<br />

Dès que nous fûmes au bord du trou, il parut oublier mon existence. Il se pencha<br />

afin d’examiner de menus débris exhumés par <strong>le</strong>s jeunes gens couverts de boue qui<br />

piochaient au fond de l’excavation. Pour moi, ce n’étaient que des morceaux de<br />

métal rongés de rouil<strong>le</strong> ; mais il identifia une bouc<strong>le</strong> de ceinturon et un insigne d’un<br />

quelconque régiment carolinien. Evita <strong>le</strong> dévorait du regard, <strong>le</strong>s lèvres frémissantes.<br />

El<strong>le</strong> tenait à deux mains une espèce de fourche de coudrier comme en utilisent <strong>le</strong>s<br />

sourciers. El<strong>le</strong> avait probab<strong>le</strong>ment découvert <strong>le</strong> « gisement » grâce à ses dons et<br />

mendiait un compliment du maître. Quand Tobbey s’éloigna, l’ignorant, el<strong>le</strong> parut au<br />

bord des larmes.<br />

« Bon sang ! Me suis-je dit, ne deviens surtout pas comme el<strong>le</strong> ! Fuis cet homme<br />

comme la peste. »<br />

Le reste de la journée s’écoula dans <strong>le</strong> désœuvrement et l’ennui. Tobbey avait<br />

disparu et je commençais à me demander ce que je fichais ici. Pour tromper l’attente,<br />

je visitai <strong>le</strong> « musée » improvisé sous une grande tente. On y avait rassemblé sur<br />

une immense tab<strong>le</strong> à tréteaux <strong>le</strong>s trouvail<strong>le</strong>s exhumées depuis <strong>le</strong> début des fouil<strong>le</strong>s.<br />

Beaucoup de bal<strong>le</strong>s Minié, des tronçons de baïonnettes, des insignes de calot, des<br />

éperons, des gourdes, des mors, des étriers. Parfois, un lambeau d’étoffe que la<br />

glaise avait protégé de la corruption. Le clou de la col<strong>le</strong>ction, c’était une botte<br />

déchiquetée par un shrapnell, ce qui sous-entendait que son propriétaire avait eu la<br />

jambe coupée. J’imaginai <strong>le</strong> membre sectionné, pourrissant à l’intérieur de la<br />

godasse, et la nausée me prit.<br />

- C’est triste, n’est-ce pas ? fit la voix d’Evita dans mon dos. Ils étaient souvent<br />

très jeunes, engagés sur un coup de tête, par romantisme ado<strong>le</strong>scent, persuadés<br />

que la guerre serait courte. Ils voulaient bril<strong>le</strong>r aux yeux des fil<strong>le</strong>s, revenir en héros.<br />

La légende voulait que <strong>le</strong>s gens du Nord soient des lâches, des ouvriers abrutis par<br />

<strong>le</strong> travail en usine, sans vraie patrie, n’ayant aucune vraie raison de mourir.<br />

- Contrairement aux Sudistes… complétai-je.<br />

- Oui, approuva Evita. Les Confédérés avaient réel<strong>le</strong>ment l’amour de <strong>le</strong>ur terre,<br />

ils voyaient <strong>le</strong> Sud comme un paradis.<br />

- Et <strong>le</strong>s esclaves, qu’en pensaient-ils, eux ?<br />

- Les grands propriétaires terriens répétaient que <strong>le</strong>s Noirs étaient chez eux<br />

mieux traités que <strong>le</strong>s Blancs de l’Union. Au Nord, disait-on, <strong>le</strong>s Blancs sont <strong>le</strong>s<br />

esclaves des industriels, ils s’épuisent dans <strong>le</strong>s usines, dans des conditions<br />

épouvantab<strong>le</strong>s. Au Sud, <strong>le</strong>s Noirs vivent au bon air, au so<strong>le</strong>il, ils ne croupissent pas<br />

dans des masures insalubres envahies par <strong>le</strong>s rats. On riait en déclarant que, en<br />

réalité, <strong>le</strong>s esclaves blancs jalousaient <strong>le</strong> sort des esclaves noirs.<br />

- Cela me semb<strong>le</strong> tiré par <strong>le</strong>s cheveux.<br />

Evita haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s.<br />

- Je pense qu’ils y croyaient, sincèrement. Il n’y avait pas que de mauvais<br />

maîtres. Pensez que, dans certains États, la moitié de la population était constituée<br />

d’esclaves. La main-d’œuvre servi<strong>le</strong> coûtait cher, on ne pouvait se permettre de<br />

l’abîmer. Même <strong>le</strong>s paysans pauvres possédaient un ou deux esclaves. Dans ce cas

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