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des bandes de copines, <strong>le</strong>s confidences cochonnes et <strong>le</strong>s gloussements d’ados<br />
attardées sty<strong>le</strong> Sex and the City m’ont toujours mise mal à l’aise.<br />
Mon estomac criant famine, je suis allée à la roulante réclamer une assiette de<br />
plat du jour. Du bœuf aux haricots-tomate. Manifestement, Tobbey ne donnait pas<br />
dans l’obsession nutritionniste, tofu et épeautre. C’était un bon point pour lui. J’en<br />
avais p<strong>le</strong>in <strong>le</strong> dos des Californiens et de <strong>le</strong>ur obsession du bio.<br />
Une fois mon assiette saucée, un jeune homme au cou de taureau m’a guidée<br />
jusqu’à la tente des fil<strong>le</strong>s où j’ai abandonné mon matériel, book et ordinateur. Sur <strong>le</strong><br />
lit de sang<strong>le</strong>s qui m’était réservé, on avait déposé un treillis propre, une casquette de<br />
G.I. et des rangers. On attendait de toute évidence que je me joigne au carnaval.<br />
Avais-je <strong>le</strong> choix ? Mes sti<strong>le</strong>ttos 8 et mon tail<strong>le</strong>ur n’étaient guère adaptés aux fouil<strong>le</strong>s<br />
et je voulais éviter de passer d’emblée pour une Nordiste prétentieuse.<br />
Je me suis changée rapidement avant de ressortir. Le camp de toi<strong>le</strong> était désert,<br />
toute l’équipe ayant rejoint <strong>le</strong> chantier de fouil<strong>le</strong>. Je ne savais quel<strong>le</strong> attitude adopter.<br />
Devais-je rester à l’écart ou tenter de me mê<strong>le</strong>r au groupe pour m’en faire accepter ?<br />
Tobbey m’avait fait venir pour me tester. Il était <strong>le</strong> maître, j’étais <strong>le</strong> caniche. Il allait<br />
sortir un sucre de sa poche, dire « hop » et j’allais devoir sauter, bien gentiment, pour<br />
l’attraper.<br />
Jadis, j’avais eu une cliente qui me téléphonait à cinq heures du matin pour que<br />
je vienne illico prendre <strong>le</strong> petit déjeuner avec el<strong>le</strong>. Nous étions censées examiner<br />
mes projets ; en fait, el<strong>le</strong> se contentait, entre deux croissants, de lire Variety en<br />
commentant <strong>le</strong>s potins du jour. Petit jeu de pouvoir. Plaisir de riches. Je connaissais<br />
ça.<br />
J’ai escaladé un monticu<strong>le</strong> pour contemp<strong>le</strong>r la prairie. C’était étrange de penser<br />
que tant d’hommes avaient trouvé la mort sur cette étendue d’herbe où flottait <strong>le</strong><br />
parfum du chèvrefeuil<strong>le</strong>. J’essayai d’imaginer la batail<strong>le</strong>, <strong>le</strong> chaos, <strong>le</strong>s hur<strong>le</strong>ments, <strong>le</strong><br />
vacarme des déflagrations. Je savais que deux canonnières yankees, ancrées sur <strong>le</strong><br />
f<strong>le</strong>uve, avaient pilonné <strong>le</strong> terrain, causant des ravages dans <strong>le</strong>s rangs confédérés.<br />
« Il p<strong>le</strong>uvait des bras et des jambes coupés », avait écrit à son frère l’un des<br />
survivants de l’affrontement.<br />
Tout à coup, j’ai perçu une présence dans mon dos. D’instinct, j’ai su qu’il<br />
s’agissait de Tobbey. Je n’ai pas bougé. J’aurais dû m’attendre à tomber dans une<br />
embuscade. Quel<strong>le</strong> gourde ! Il m’avait probab<strong>le</strong>ment prise en filature dès ma<br />
descente d’hélicoptère. En m’attirant sur son terrain, il s’assurait l’avantage.<br />
Immobi<strong>le</strong>, je me <strong>le</strong> suis imaginé sty<strong>le</strong> Rambo, torse nu, <strong>le</strong>s pectoraux badigeonnés à<br />
l’hui<strong>le</strong> de friture, une serpillière nouée autour de la tête.<br />
- Dans <strong>le</strong>s dernières années de la guerre, a-t-il fait d’une voix sourde et <strong>le</strong>nte, <strong>le</strong>s<br />
soldats du Sud survivaient avec une poignée de cacahuètes par jour. Ils portaient<br />
des chaussures en carton qui se délayaient dans la boue à la première averse. Leurs<br />
uniformes étaient en loques. C’était une armée de mendiants, mais qui se battait<br />
avec un courage qu’aucun revers n’entamait.<br />
Ayant rassemblé mes forces, je me suis enfin tournée vers lui. Il était affublé de<br />
l’une de ces tenues de parachutiste popularisées par Tempête du Désert. Malgré son<br />
affreux petit bouc, il restait bel homme. Massif, une gueu<strong>le</strong> minéra<strong>le</strong>, <strong>le</strong> crâne tondu à<br />
un millimètre. Quelque chose entre <strong>le</strong> Marlon Brando d’Apocalypse Now et <strong>le</strong> Bruce<br />
8 - Le sti<strong>le</strong>tto est un escarpin dont <strong>le</strong> talon fin mesure plus de 10 cm. Son origine<br />
étymologique. Sti<strong>le</strong>tto vient de l'Italien « stilo », qui veut dire petit couteau met<br />
l’accent sur <strong>le</strong> talon aiguil<strong>le</strong> vertigineux qui caractérise cette chaussure pour femme.