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accepté de vous rencontrer. Les Nordistes ont massacré sa famil<strong>le</strong>. Presque tous<br />

ses ancêtres ont péri dans l’incendie d’Atlanta allumé par <strong>le</strong> général Sherman <strong>le</strong><br />

15 novembre 1864.<br />

- C’était il y a longtemps… fis-je observer. Vous en par<strong>le</strong>z comme si cela s’était<br />

passé il y a trois semaines.<br />

Evita haussa <strong>le</strong>s épau<strong>le</strong>s. El<strong>le</strong> soupira :<br />

- Trois semaines ou deux sièc<strong>le</strong>s et demi, vous savez, pour Tobbey Zufrau-<br />

Clarkson, c’est du pareil au même.<br />

Je flottais un peu, décontenancée. Certes, dans <strong>le</strong> passé, j’avais eu affaire à des<br />

hurluberlus de la jetset, mais aucun ne se croyait possédé par l’esprit d’un colonel<br />

sudiste mort à Shiloh, <strong>le</strong> 6 avril 1862 lors de la batail<strong>le</strong> qui opposa Johnston et<br />

Beauregard, champions de la Confédération, à Grant, Sherman et Buell, défenseurs<br />

de l’Union.<br />

Je me suis penchée à mon tour vers mon interlocutrice. Nos fronts se touchaient<br />

presque. Dans mon dos, <strong>le</strong> taux de testostérone s’est é<strong>le</strong>vé de plusieurs degrés. Les<br />

mecs devaient s’attendre à ce que nous nous prenions la bouche. J’ai soufflé :<br />

- Pouvez-vous me dire très exactement ce que vous fichez ici ?<br />

Evita a baissé <strong>le</strong>s yeux.<br />

- Je suis une médium renommée, a-t-el<strong>le</strong> lâché, <strong>le</strong> nez dans son gobe<strong>le</strong>t de café.<br />

J’ai plusieurs fois collaboré avec la police pour localiser des disparus. Morts ou<br />

vivants. Mon pourcentage de réussite est plutôt exceptionnel. Je n’ai rien d’une<br />

arnaqueuse, si c’est ce que vous vou<strong>le</strong>z savoir. Tobbey en est convaincu. Il m’a<br />

engagée il y a six mois pour retrouver la dépouil<strong>le</strong> de son ancêtre, <strong>le</strong> colonel.<br />

- Parce que vous croyez qu’il reste quelque chose du cadavre ? Ai-je dit d’une<br />

voix saccadée. Après deux sièc<strong>le</strong>s et demi d’ensevelissement dans une terre aussi<br />

grasse, habitée par des millions d’insectes nécrophages ?<br />

Evita s’est raidie. El<strong>le</strong> m’a dévisagée, <strong>le</strong>s yeux brillant de colère.<br />

- Vous n’y connaissez rien, a-t-el<strong>le</strong> craché. Il reste toujours quelque chose.<br />

Même si <strong>le</strong>s nécrophages ont dévoré <strong>le</strong>s matières organiques, chair et os, subsistent<br />

<strong>le</strong>s objets : des boutons de tunique, une bouc<strong>le</strong> de ceinture, un pisto<strong>le</strong>t, un sabre…<br />

L’âme du défunt est autant présente en eux qu’el<strong>le</strong> l’était dans son corps. On peut<br />

établir <strong>le</strong> contact avec <strong>le</strong> mort par <strong>le</strong> truchement de ces résidus. C’est pourquoi nous<br />

quadrillons <strong>le</strong> terrain avec une minutie d’archéologue. Mon boulot consiste à<br />

déterminer l’endroit où est tombé <strong>le</strong> colonel. Je travail<strong>le</strong> à la manière des sourciers.<br />

Je guette la vibration qui jaillira du sol.<br />

El<strong>le</strong> plongea la main dans sa poche et tira un minuscu<strong>le</strong> débris d’étoffe décoloré,<br />

cuit par <strong>le</strong> temps.<br />

- C’est un morceau d’une tunique ayant appartenu au colonel, fit-el<strong>le</strong>. Imprégné<br />

de sa sueur, de sa colère, de sa rage. Lorsque je parcours la prairie, je <strong>le</strong> serre au<br />

creux de ma paume. Je sais que, lorsque je passerai à la vertica<strong>le</strong> de l’endroit où<br />

repose sa dépouil<strong>le</strong>, un courant é<strong>le</strong>ctrique me traversera <strong>le</strong> corps. C’est toujours<br />

ainsi que ça se passe. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien.<br />

J’ai hoché la tête. El<strong>le</strong> avait l’air d’y croire. Je n’étais pas là pour entamer une<br />

polémique sur <strong>le</strong>s pouvoirs extrasensoriels, je ne faisais pas autorité en la matière.<br />

Une interrogation demeurait, toutefois : dans quel<strong>le</strong> mesure ces fantasmagories<br />

allaient-el<strong>le</strong>s influer sur mon boulot de décoratrice ?<br />

J’étais venue transformer un ancien abri antiatomique en jardin d’Éden, pas faire<br />

tourner <strong>le</strong>s tab<strong>le</strong>s.<br />

- Pourquoi est-ce si important pour Tobbey Zufrau-Clarkson de retrouver ce qui<br />

subsiste de son ancêtre ? Ai-je lâché d’un ton aussi neutre que possib<strong>le</strong>.

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