25.06.2013 Views

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

Lire le livre - Bibliothèque

SHOW MORE
SHOW LESS

You also want an ePaper? Increase the reach of your titles

YUMPU automatically turns print PDFs into web optimized ePapers that Google loves.

À 2 heures du matin, la fatigue m’est tombée dessus. J’ai arraché mes<br />

vêtements pour me glisser dans mon lit. Hélas, <strong>le</strong>s mauvais rêves m’ont vite<br />

rattrapée. Je n’ai pas tardé à me voir dans l’abri, au milieu de la fou<strong>le</strong> en délire.<br />

J’étais écrasée, compressée par la cohue, encerclée de visages haineux ou<br />

distendus par la terreur. Tout <strong>le</strong> monde hurlait, se frappait, se griffait. J’étais en<br />

lambeaux, suffocante, piétinée, incapab<strong>le</strong> de comprendre comment cela avait<br />

démarré. La population du bunker ne formait plus qu’une bou<strong>le</strong> vociférante, un<br />

magma de membres brisés, un enchevêtrement dont plus personne ne pouvait<br />

s’extraire. Je savais que j’étais en train de mourir. Mon bras gauche avait été arraché<br />

à la hauteur de l’épau<strong>le</strong> et l’on m’avait tel<strong>le</strong>ment bourrée de coups que je n’avais plus<br />

une côte intacte. Les poumons perforés, j’étouffais dans mon sang.<br />

Je me réveillai en sueur, entortillée dans ma couette, <strong>le</strong> cœur battant à tout<br />

rompre.<br />

Incapab<strong>le</strong> de bouger, je restais là, étendue sur <strong>le</strong> dos, à fixer <strong>le</strong> plafond,<br />

attendant que la transpiration sèche sur ma peau.<br />

J’étais troublée. Le cauchemar était affreux, certes, mais, l’espace d’un moment,<br />

il m’avait permis d’approcher la vérité… Oui, durant une fraction de seconde, j’avais<br />

été sur <strong>le</strong> point de comprendre <strong>le</strong> pourquoi de cette abomination. Hélas, je m’étais<br />

réveillée trop tôt. Au fond de ma tête, une voix dont je n’identifiais pas <strong>le</strong> timbre,<br />

répétait : Tu dois comprendre. C’est important, du moins si tu ne veux pas que ça se<br />

reproduise…<br />

Le <strong>le</strong>ndemain, j’ai voulu soumettre mes esquisses à Devereaux mais il m’a<br />

déclaré sans détour que ce n’était pas sa partie. C’était Tobbey Zufrau-Clarkson que<br />

je devais convaincre, pas lui.<br />

- Chacun son secteur, ma chère, a-t-il conclu. Moi je cherche <strong>le</strong>s clients, à vous<br />

de <strong>le</strong>s contenter. Si vous parvenez à <strong>le</strong>s satisfaire, nous resterons bons amis. Dans<br />

<strong>le</strong> cas contraire…<br />

Je me suis remise au dessin. Je voulais être prête à toute éventualité. Mon<br />

passage chez Madame Lucil<strong>le</strong> m’avait appris que <strong>le</strong>s clients sont capab<strong>le</strong>s de<br />

saboter <strong>le</strong>s plus beaux projets en imposant des idées saugrenues dont on se<br />

demande de quel cerveau débi<strong>le</strong> el<strong>le</strong>s ont bien pu sortir. L’important, c’était de<br />

conserver son sang-froid et de sourire.<br />

Le soir, épuisée, j’ai tout rangé dans mon attaché-case et préparé un sac de<br />

voyage.<br />

- Ne vous chargez pas, m’avait conseillé Devereaux. S’il vous manque quelque<br />

chose, Tobbey enverra l’un de ses sbires l’acheter. Vous êtes son invitée. Il est<br />

possib<strong>le</strong> qu’il vous garde quinze jours. Vous êtes habituée à ces caprices d’homme<br />

riche. Soyez patiente.<br />

J’ai mal dormi. Trop nerveuse. Pour vaincre l’insomnie, j’ai parcouru <strong>le</strong>s<br />

ouvrages sur la guerre de Sécession que m’avait procurés Paddy Mulloney. Ce<br />

n’étaient que famines, montagnes de corps mutilés, jeunes gens transformés en<br />

charpie par la mitrail<strong>le</strong> des pièces d’artil<strong>le</strong>rie, fantassins qui chargeaient, baïonnette<br />

au canon, en piétinant <strong>le</strong>s b<strong>le</strong>ssés démembrés couchés sur <strong>le</strong> champ de batail<strong>le</strong>. Les<br />

chiffres énoncés faisaient dresser <strong>le</strong>s cheveux : 30 000 morts en quarante-huit<br />

heures, 15 000 en douze heures… et ainsi de suite. J’ai fermé <strong>le</strong> bouquin et attendu<br />

stoïquement que <strong>le</strong> jour se lève en scrutant <strong>le</strong> plafond. Dans <strong>le</strong> ciel de L.A., <strong>le</strong>s<br />

hélicoptères de la police menaient un bal<strong>le</strong>t incessant, évoquant cette fois une autre<br />

guerre, cel<strong>le</strong> du Viêtnam.

Hooray! Your file is uploaded and ready to be published.

Saved successfully!

Ooh no, something went wrong!