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Lire le livre - Bibliothèque

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Je me <strong>le</strong>vai, me fit une tasse de café serré, puis, repoussant <strong>le</strong>s images<br />

déplaisantes qui stagnaient dans mon esprit, j’allumai mon ordinateur et commençai<br />

à ébaucher un devis approximatif des premiers travaux de réfection. Cette tâche<br />

ingrate me fit du bien. Puis j’appelai Mulloney pour lui demander d’al<strong>le</strong>r acheter dans<br />

une librairie quelques ouvrages de base sur la guerre de Sécession afin de ne pas<br />

paraître tota<strong>le</strong>ment ignare. Ayant grandi en Suisse et en France, je n’avais que de<br />

vagues notions d’histoire américaine. Sans doute parce que mon père, durant mon<br />

enfance, n’avait cessé de me répéter que c’était un pays invivab<strong>le</strong>, un enfer de<br />

conformisme et d’hypocrisie, une nation de fauteurs de guerre et de massacreurs<br />

d’Indiens. Petite fil<strong>le</strong>, j’avais pris cette profession de foi au pied de la <strong>le</strong>ttre et m’étais<br />

fait un devoir de n’en jamais dévier. Plus tard, l’antiaméricanisme viscéral professé<br />

par <strong>le</strong>s Français n’avait fait que me conforter dans mon a priori. Dans <strong>le</strong> milieu<br />

estudiantin qui, par ail<strong>le</strong>urs, ne se nourrissait que de produits culturels made in<br />

USA !, il était de bon ton de dénigrer tout ce qui provenait du pays de l’Onc<strong>le</strong> Sam, et<br />

l’on ne s’était pas privé de me reprocher mes origines.<br />

J’ai travaillé trois heures d’affilée, crayonnant des esquisses préparatoires que je<br />

demanderai ensuite à l’ordinateur de modéliser en images de synthèse afin d’obtenir<br />

une présentation aussi réaliste que possib<strong>le</strong> du projet. Le côté excitant du problème,<br />

c’était <strong>le</strong> défi qu’impliquait l’installation d’une illusion de p<strong>le</strong>in air dans un espace<br />

hermétiquement clos. Ce genre de paradoxe me passionnait car il re<strong>le</strong>vait du tour de<br />

prestidigitation. Ce n’était plus de la décoration mais de l’illusionnisme. J’avais<br />

l’impression de sortir des lapins blancs d’un chapeau. Et j’étais douée pour ça.<br />

Foutrement douée : c’était ce qu’on appel<strong>le</strong> aujourd’hui mon « domaine de<br />

compétence ».<br />

J’ai fini par perdre la notion du temps. Quand j’ai éteint l’écran, la nuit était<br />

tombée. Devereaux était rentré chez lui. Où ? Je n’en avais pas la moindre idée !<br />

Parfois, je l’imaginais vivant avec sa vieil<strong>le</strong> maman, à d’autres moments, je <strong>le</strong> voyais<br />

partageant son existence avec un jeune surfer adepte du SM, et dont il était l’esclave<br />

sexuel insatiab<strong>le</strong>.<br />

Mulloney avait laissé un paquet de <strong>livre</strong>s sur <strong>le</strong> coin d’un bureau. Je <strong>le</strong>s ai<br />

fourrés dans mon sac, avec mon disque dur portatif, et j’ai pris <strong>le</strong> chemin de mon<br />

appartement. Depuis mon entrée à l’Agence 13, j’avais quitté <strong>le</strong> motel pour<br />

m’instal<strong>le</strong>r dans un condominium assez charmant, construit dans <strong>le</strong> sty<strong>le</strong> hispanotexan,<br />

ce qui me donnait l’impression d’évoluer en permanence dans <strong>le</strong> décor d’un<br />

épisode de Zorro. En regard des prestations fournies, <strong>le</strong> loyer en était bizarrement<br />

peu é<strong>le</strong>vé, et je soupçonnais <strong>le</strong> local d’appartenir au cheptel des « paradis<br />

inhabitab<strong>le</strong>s » de mon employeur. Sans doute quelque star<strong>le</strong>tte y avait-el<strong>le</strong> été<br />

coupée en morceaux par son agent, un soir où ils étaient tous deux défoncés à la<br />

poudre d’ange ? Je préférais ne pas trop réfléchir à cet aspect de la question.<br />

Comme on dit : « À cheval donné… »<br />

Trop énervée pour dormir, je me suis remise au travail, noircissant <strong>le</strong>s feuil<strong>le</strong>s de<br />

mon carnet de croquis. L’idée, c’était de truquer <strong>le</strong>s perspectives en utilisant des<br />

astuces de cinéma, de créer des décors en trompe-l’œil, de jouer sur <strong>le</strong>s variations<br />

lumineuses en fabriquant un microclimat de fantaisie.<br />

Il convenait surtout de rompre l’uniformité. Faire que <strong>le</strong>s occupants de l’abri ne<br />

sachent jamais à quoi s’attendre en se <strong>le</strong>vant <strong>le</strong> matin. Ferait-il beau ou mauvais ?<br />

Auraient-ils chaud ou froid ? P<strong>le</strong>uvrait-il ?<br />

Oui, faire p<strong>le</strong>uvoir dans un appartement… C’était dans ce sens que je devais<br />

al<strong>le</strong>r. Abolir la notion d’extérieur/intérieur. Faire tomber de la neige du plafond !

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