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Comme un fantôme<br />
Je n’ai pas revu Evita. El<strong>le</strong> n’a pas cherché à me téléphoner. Quelque chose<br />
s’était brisé entre nous. J’ai repris mon travail à l’Agence 13, redécorant des villas et<br />
des appartements dont je me faisais un devoir d’ignorer <strong>le</strong> passé. Devereaux se<br />
déclarait satisfait de mes services.<br />
Un matin, en parcourant <strong>le</strong> journal au diner du coin de la rue, je suis tombée sur<br />
un artic<strong>le</strong> qui m’a flanqué la chair de pou<strong>le</strong>. Une médium fort connue avait été<br />
renversée par un chauffard dans <strong>le</strong> courant de la nuit, dans <strong>le</strong> secteur de Sierra<br />
Bonita. Evita Chavez y Goyaz y Nopa<strong>le</strong>s puisque c’était d’el<strong>le</strong> qu’il s’agissait, avait<br />
été tuée sur <strong>le</strong> coup. Le conducteur avait pris la fuite.<br />
J’ai compris que Willa venait de rayer un nouveau nom sur sa liste noire. Ne<br />
restait que <strong>le</strong> mien. Mon tour ne tarderait pas à venir, j’étais en danger.<br />
J’ai quitté mon appartement pour emménager à l’hôtel. Je m’y sentais moins<br />
vulnérab<strong>le</strong>. J’ai acheté des dispositifs d’alarme que j’installais <strong>le</strong> soir sur ma porte et<br />
ma fenêtre ; de cette manière, personne ne pouvait pénétrer chez moi sans<br />
déc<strong>le</strong>ncher d’épouvantab<strong>le</strong>s meug<strong>le</strong>ments de sirène.<br />
Pendant deux semaines, j’ai vécu dans un état de stress permanent, dormant<br />
peu, hésitant à traverser la rue, me retournant mil<strong>le</strong> fois pour m’assurer qu’on ne<br />
m’avait pas prise en filature. Dès qu’un inconnu s’approchait, je faisais un bond en<br />
arrière. Je surveillais <strong>le</strong>s voitures du coin de l’œil. À plusieurs reprises, j’ai eu<br />
l’impression d’être suivie.<br />
J’ai demandé à Paddy Mulloney, mon vieil Irlandais d’assistant, de me procurer<br />
une arme. Il n’a fait montre d’aucun étonnement ; un soir, il m’a simp<strong>le</strong>ment remis un<br />
vieux colt Web<strong>le</strong>y de l’armée britannique enveloppé dans un chiffon. « Prise de<br />
guerre de l’IRA », a-t-il ricané en guise d’explication. C’était un revolver énorme,<br />
malcommode, mais qui m’apportait un certain réconfort. Je <strong>le</strong> posais sur mon lit, à<br />
côté de moi, au moment où je m’allongeais pour affronter une nouvel<strong>le</strong> nuit<br />
d’insomnie.<br />
J’ignorais comment Willa comptait s’y prendre pour me supprimer. De toute<br />
évidence, mon élimination prendrait la forme d’un accident ; dans cette catégorie, <strong>le</strong><br />
champ des possibilités restait fort étendu. Je pouvais glisser dans ma douche,<br />
tomber par la fenêtre, m’é<strong>le</strong>ctrocuter dans la baignoire avec mon sèche-cheveux…<br />
Je ne pensais pas qu’el<strong>le</strong> agirait el<strong>le</strong>-même, el<strong>le</strong> était désormais trop riche pour se<br />
salir <strong>le</strong>s mains. Stan<strong>le</strong>y-Mitchell se chargerait de cette opération de nettoyage, cela<br />
faisait partie de ses attributions et lui donnait un formidab<strong>le</strong> moyen de pression sur<br />
sa protégée.<br />
Je souffrais de l’absence d’Evita. Je n’avais désormais plus personne avec qui<br />
partager mes craintes, personne avec qui évoquer l’étrange affaire du bunker.<br />
Je me sentais seu<strong>le</strong>.<br />
Un matin, alors que j’arrivais à l’agence, nauséeuse et épuisée par ma nuit<br />
blanche, Devereaux bondit hors de son bureau comme un diab<strong>le</strong>.<br />
- Vous avez vu ? Glapit-il, <strong>le</strong>s yeux hors de la tête. Willa et Stan<strong>le</strong>y-Mitchell sont<br />
morts… Leur limousine a explosé.<br />
Il m’a tendu un journal que je n’ai pas regardé.