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tuyaux en caoutchouc des masques respiratoires étaient en partie dissous. À chaque
tournant, je m’attendais à buter sur « l’habitant des lieux », un troglodyte hirsute, un
homme des cavernes ignorant tout de la civilisation extérieure, sachant à peine
parler, mais Ursharft avait dit la vérité. L’abri n’avait jamais été occupé. Aucun des
officiers présents lors du massacre n’avait eu le temps d’y trouver refuge.
En atteignant les premières chambres, j’ai aperçu des taches de sang sur le sol.
Sarah Jane était tout au fond, dans la dernière pièce, étendue sur un lit de camp,
le torse emmitouflé dans des linges rougis. La fièvre lui faisait un visage écarlate et
bouffi. Elle était inconsciente, vautrée dans une puanteur de sueur et d’urine. Je me
suis agenouillée pour l’examiner. Elle n’avait qu’une blessure en séton à l’épaule
gauche. Une estafilade superficielle. Hélas, la plaie, mal soignée, avait généré une
infection qui s’était généralisée au fil des jours, prenant peu à peu la forme d’une
septicémie.
Mon premier réflexe a été d’attraper mon cellulaire. C’était stupide. Je ne
capterais pas le réseau en cet endroit du désert ; quant au radio-émetteur du ranch,
il avait été détruit la nuit du massacre. La seule possibilité qui s’offrait à moi était de
transporter Sarah Jane à Mount Sierra. Pour cela, il fallait d’abord la ramener à la
surface. J’ai touché son visage en prononçant son nom. Sa peau m’a brûlé le bout
des doigts. Sa température dépassait les 40°. Il émanait d’elle une odeur de
pourrissement. J’ai aussitôt pensé à la gangrène. Un chaos de pansements sales, de
bouteilles vides et d’emballages de biscuits encerclait le lit. Elle avait dû tenter de
s’alimenter en puisant dans les réserves de l’abri, ce qui n’avait contribué qu’à
l’intoxiquer un peu plus.
Evita avait vu juste. Willa avait tenté d’abattre sa sœur, mais elle avait raté son
coup, et la gamine lui avait échappé. Blessée, titubante, en état de choc, elle avait
trouvé refuge au cœur de l’œuf de plomb, cette cachette dont elle était seule à
connaître l’existence.
Brusquement, Sarah Jane a ouvert les yeux et m’a dévisagée avec stupeur. Sa
figure était marbrée, ses pupilles dilatées.
- Je savais pas…, a-t-elle balbutié. Je savais pas qu’elle allait tous les tuer…
C’était pas ça qui était prévu. On avait dit… on avait dit…
Je lui ai conseillé de se taire, mais elle semblait habitée par une rage intérieure,
mélange de peur, de honte et de haine.
- Willa m’a dit qu’on ferait croire à papa que Vaughan m’avait enlevée… et qu’il
réclamait une rançon. Avec l’argent, on partirait, elle et moi… on irait vivre ailleurs,
loin d’ici… Elle disait qu’elle ne voulait pas que je subisse ce qu’elle avait subi.
Qu’elle le faisait pour moi. Je devais juste me cacher dans le garage à robots, le
temps que le fric soit versé. C’était… c’était ce qui était prévu. Tu dois me croire…
J’ai essayé de lui remettre ses chaussures. Elle était lourde. Je n’étais pas
certaine d’avoir la force de la porter. Il faudrait qu’elle y mette du sien. En serait-elle
capable ?
- Vaughan était mort depuis six mois, tu comprends ? a-t-elle poursuivi. Mais
personne ne le savait. Willa m’a dit de raconter à tout le monde que je le voyais dans
les ruines… de m’arranger pour faire croire qu’il était encore en vie. Le truc, c’était
d’exploiter le désir de vengeance de Vince… Willa m’a incisé le bras pour récupérer
la balise émettrice. On a fait ça dans l’infirmerie du bunker. On se donnait rendezvous
la nuit, quand les parents et les robots étaient couchés.