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En bas
J’ai décidé de ne pas prévenir Evita et calculé qu’en prenant la route sur-lechamp
j’atteindrais l’hacienda avant le coucher du soleil.
Le voyage m’a paru long et lugubre. Le désert, au crépuscule, n’est envoûtant
qu’au cinéma. Dans la réalité, on tremble à l’idée de tomber en panne au milieu de
cette immensité ténébreuse. Je n’avais qu’une hâte, atteindre l’ancien aérodrome.
Parvenue au terme de mon voyage, j’ai constaté qu’aucune lumière n’éclairait le
ranch. Stanley-Mitchell avait fait vider les écuries. Il n’y avait plus âme qui vive sur
toute l’étendue du domaine, et seuls les robots chasseurs continuaient à patrouiller
dans la jungle artificielle couvrant les collines. Il en irait ainsi jusqu’à ce qu’ils
tombent en panne, l’un après l’autre. Je me suis garée sur le tarmac. Alors que je
mettais pied à terre, un buisson de genévrier sec, arraché par le vent, est venu
m’écorcher les chevilles en guise de bienvenue.
Je me suis dirigée vers l’ancienne tour de contrôle. Une fois à l’intérieur, j’ai
rassemblé mon courage pour partir à l’assaut du bunker. Je ne faisais que très
moyennement confiance à Leo Ursharft quand il assurait que l’œuf de plomb était
vide de tout occupant. Des images de film gore continuaient à me harceler. Je ne
pouvais m’empêcher de visualiser le carnage généré par la fameuse
« expérience »… La cachette abritait-elle les descendants de ceux qui avaient eu la
chance de survivre au massacre ? Si cela était, dans quel état psychologique se
trouvaient-ils aujourd’hui ? Allais-je devoir affronter une tribu dégénérée à force
d’accouplements consanguins ? Non, c’était grotesque, ça relevait du film d’horreur
pour ados ! Il ne fallait pas céder au délire. L’abri serait vide. Alors pourquoi avais-je
si peur ?
Quand j’ai franchi le seuil du bunker, mes mains tremblaient. Les projecteurs
éclairaient l’immense esplanade sans parvenir à instaurer un climat de sécurité. Quoi
qu’on fasse, cet espace resterait à jamais hanté. Aucun artifice de décoration ne
parviendrait à masquer son passé. C’était un lieu de mort, au sens où l’entend Sun
Tzu, un tombeau gigantesque, creusé non pour un seul homme mais pour une
armée. Mes talons claquaient sur le béton sans parvenir à me rassurer. Je grelottais
de nervosité. Au moment d’entrer dans l’infirmerie, j’ai failli craquer, faire demi-tour et
prendre la fuite.
J’ai serré les mâchoires et poussé la porte frappée en son centre d’une croix
rouge défraîchie. J’avais déjà visité l’endroit en compagnie de Sarah Jane mais je
n’avais pas pris conscience, alors, de l’aspect vieillot des appareils médicaux
entassés dans le réduit. Rien n’avait rouillé nous étions dans le désert mais les
peintures, les chromes s’étaient ternis, donnant à l’infirmerie l’apparence d’un bloc
expérimental dans un camp de la mort. Un autel nickelé pour charcutages
anatomiques. Il m’a semblé que l’air vibrait de présences invisibles, que de l’autre
côté de la porte, le carnage allait recommencer… que j’en serais bientôt victime.
Dans une espèce de flash hallucinatoire, je me suis vue nue, en train de me dévorer
la main droite…
Je me suis ébrouée. L’appareil de radioscopie se dressait devant moi. J’ai
effleuré le pupitre de commande du bout des doigts.