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lorsque les flics l’interrogeraient. Elle ne pouvait courir le risque de voir la gamine
s’effondrer et tout déballer. Elle a pu se dire que Sarah Jane serait incapable de
supporter le choc psychologique du massacre. C’est une chose d’écrire dans son
journal intime « je déteste ma famille, je voudrais tous les voir morts… » et d’assister
pour de bon à son exécution. À mon avis, cette dernière hypothèse me semble la
plus crédible. Willa a traîné sa sœur jusqu’au garage des robots. La gosse était en
état de choc. Arrivée là, Willa l’a abattue. Elle savait que personne ne parviendrait à
en forcer l’entrée. Les androïdes feraient bonne garde. Et elle a eu raison. Le SWAT
a dû battre en retraite après avoir subi des pertes non négligeables. De toute
manière, Willa comptait sur le coyote pour créer une diversion. Elle n’ignorait pas
qu’au premier balbutiement de la balise, les flics lèveraient le camp pour se ruer à la
poursuite de la bestiole. Et c’est ce qui s’est produit.
Le silence s’est installé. Nous avons échangé un regard. Nous avions toutes
deux la respiration courte.
L’argumentation d’Evita était solide, pourtant je continuais à m’accrocher à la
théorie de l’œuf de plomb. Par sentimentalisme, sans doute, parce que je ne pouvais
me résoudre à imaginer Sarah Jane sous les traits d’une criminelle.
- Nous avons eu affaire à deux menteuses, a martelé Evita. Elles nous ont
bernées dans les grandes largeurs. La seule erreur de Willa, c’est de n’avoir pas su
prévoir que tu finirais par découvrir le cadavre de Vaughan.
- Tu vas prévenir la police ? Ai-je demandé.
- Non, a rétorqué Evita avec un haussement d’épaules. De toute manière,
Dogson ne nous croirait pas. Nous ne disposons d’aucune preuve pour étayer cette
théorie. Willa a superbement manœuvré et je pense qu’on ne peut plus rien pour
Sarah Jane. À la place de sa sœur aînée, je n’aurais pas pris le risque de la laisser
en vie. Je vais te dire ce qui va se passer, ce n’est pas difficile à prévoir. D’ici deux
ou trois semaines, faute de nouvelle piste, les flics vont laisser tomber. La thèse
officielle sera que Sarah Jane a été kidnappée par l’un des stagiaires de Tobbey. Un
soldat parmi tant d’autres, mais dont on ne parvient pas à déterminer l’identité. Les
avis de recherche punaisés sur les tableaux des postes de police seront bientôt
recouverts par d’autres avis de recherche… et l’on finira par tirer un trait sur cette
affaire. Il y a tellement de gens qui disparaissent dans ce pays ! Willa va se remettre
de sa blessure. Ne connaissant rien à la finance, elle laissera Stanley-Mitchell diriger
la boîte et se contentera d’empocher les dividendes. Probable qu’elle quittera les
USA pour aller s’installer dans un quelconque paradis terrestre… Je ne suis pas flic,
je ne veux pas m’en mêler, et je te conseille de suivre mon exemple. Stanley-Mitchell
ne nous laissera pas attaquer sa protégée, il aurait trop à y perdre. Nous ne pesons
pas grand-chose face à lui, et il lui sera facile de nous créer beaucoup d’ennuis. Je
ne me sens aucune vocation de détective. Tout ça, ce sont des histoires de riches, et
elles ne me concernent guère. Qu’ils s’entre-tuent si ça leur chante, je m’en fous.
Elle a ramassé son sac et s’est dirigée vers la porte. Au moment de poser la
main sur la poignée, elle s’est retournée pour me dire :
- À ta tête, je devine que tu vas faire une connerie. Je ne tiens pas à être là
quand ça se produira. Je t’aurai prévenue, tu n’as aucune chance contre ces gens-là.
Sur ce, elle est partie. J’ai eu le pressentiment que nous ne nous reverrions
jamais ; ça m’a attristée.
Je suis restée immobile, à fixer le vide. La thèse d’Evita se défendait. A priori, il
n’y avait aucune raison pour que Willa ait épargné sa sœur. Comme toutes les
adolescentes, Sarah Jane était fantasque, imprévisible, passant par mille sentiments
et opinions contradictoires au cours d’une même journée. Ce n’était guère la