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Intuitions
Sur la route du retour, mon portable a sonné. Le cœur rempli d’espoir, j’ai pensé
qu’il s’agissait de Léo Ursharft. Je me suis garée sur l’aire de dégagement, mais j’ai
poussé un soupir de déception en lisant le nom d’Evita sur le cadran.
J’ai dit :
- Oui ?
- Je dois te voir, a-t-elle fait d’un ton mal assuré. J’ai… j’ai un truc à te dire. C’est
important. Je t’attends devant chez toi.
Elle a raccroché sans me laisser le temps d’ajouter un mot, me laissant sur une
impression de malaise. Ce n’était guère son style de manquer d’assurance. J’ai
repris la route.
Elle m’attendait effectivement, adossée à sa Mustang, fumant avec nervosité. Je
lui ai demandé ce qui n’allait pas, elle a simplement répondu :
- Rentrons, on ne va pas discuter de ça sur le trottoir.
Une fois dans le salon, elle est allée droit au bar pour se verser une sévère
rasade de tequila. Ses doigts tremblaient.
- J’ai beaucoup réfléchi à tout ça depuis la dernière fois, a-t-elle lâché. Un peu
trop peut-être… En tout cas, une idée m’a traversé l’esprit. Une espèce
d’illumination… Je n’ai pas pu m’empêcher de suivre le fil, et peu à peu la trame s’est
tissée toute seule. Presque contre mon gré. Ça s’est imposé à moi… Il fallait que je
t’en fasse part, ça m’étouffait. Tu vas sans doute me traiter de folle, mais je crois que
tu devrais réfléchir sérieusement à ce que je vais te dire.
Elle commençait à m’inquiéter.
- Où veux-tu en venir ? me suis-je impatientée. De quoi parles-tu ?
- Calme-toi. N’oublie pas que je suis médium. Les gens de ma sorte sont
souvent sujets à des intuitions apparemment irrationnelles. Des flashes qui
s’imposent brusquement, par le biais d’un rêve ou d’une hallucination…
- Abrège ! l’ai-je coupée, car son baratin occulte m’horripilait.
- D’accord, a-t-elle soupiré avec un geste fataliste. Pour résumer, je crois que
nous nous sommes fait posséder, toi, moi, et tous les autres. C’était un coup monté
et nous sommes tombées dans le panneau.
- Tu peux préciser ?
- Je veux parler de l’assassinat de Tobbey et de sa famille, de l’enlèvement de
Sarah Jane… Tu veux connaître ma théorie, oui ou non ?
- Oui.
- Alors ne m’interromps pas toutes les dix secondes. Voilà comment je vois les
choses : tout commence avec Willa, quand elle découvre que la vie sauvage en
compagnie de Burton n’a rien de romantique. Il la frappe, il la réduit au rôle de
souillon. Il la force à accoucher dans de mauvaises conditions et elle perd son bébé.
À partir de cet instant, elle se met à le haïr… Une haine féroce mais secrète, qu’elle
se garde bien d’exprimer. Elle englobe dans cette haine tous ceux qui l’ont
condamnée à ce destin, son père, sa mère, sa famille tout entière. Elle les tient pour
responsables de son malheur. Elle les condamne en bloc, eux et leurs théories
imbéciles. Un temps, elle espère s’enfuir avec Vince Vaughan, qui rôde aux
alentours, animé par des idées de revanche ; elle s’imagine en sa compagnie,