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intérieure, de s’équiper de masques respiratoires, ont été débordés, frappés,<br />
lynchés, mis en pièces. Par l’entremise des écrans de contrô<strong>le</strong>, nous avons assisté à<br />
des scènes atroces. Un carnage innommab<strong>le</strong>. Les gens se battaient pour accéder à<br />
la sortie, se piétinaient, se démembraient. Des animaux. En deux minutes, ils avaient<br />
régressé. Le psychotrope <strong>le</strong>s avait fait disjoncter. J’ai vomi sur mon bureau. Mon<br />
assistante s’est évanouie. Nous étions horrifiés. En dépit de la ventilation, l’effet du<br />
gaz a perduré, et <strong>le</strong> massacre a duré deux heures, prenant des proportions<br />
dantesques. Certains s’automutilaient, se mangeaient <strong>le</strong>s mains, <strong>le</strong>s pieds… d’autres<br />
dévoraient <strong>le</strong>s cadavres. J’ai toujours en tête l’image d’une femme enroulant autour<br />
de son cou, comme s’il s’agissait de colliers de per<strong>le</strong>s, <strong>le</strong>s intestins tirés de<br />
l’abdomen de sa victime. C’était abominab<strong>le</strong>. Indescriptib<strong>le</strong>. L’un des militaires<br />
présents a éteint <strong>le</strong>s écrans et s’est isolé pour appe<strong>le</strong>r l’état-major sur une ligne<br />
sécurisée. C’est à ce moment-là que j’ai vraiment eu peur. J’ai pensé qu’ils allaient<br />
nous abattre, pour s’assurer de notre si<strong>le</strong>nce. Mais <strong>le</strong>s choses n’ont pas évolué en ce<br />
sens. On nous a fait signer une déclaration de confidentialité lourde de menaces. La<br />
simp<strong>le</strong> évocation du drame, même en termes voilés, était assimilée à un crime<br />
fédéral et passib<strong>le</strong> d’une condamnation à perpétuité dans une prison militaire. Puis<br />
on nous a placés au secret. Pendant une semaine, notre sort est resté incertain. Je<br />
m’attendais à tout moment à ce qu’on me tire du cachot pour me fusil<strong>le</strong>r.<br />
Heureusement, la situation internationa<strong>le</strong> s’est apaisée. Les bolcheviques ont fait<br />
marche arrière. On nous a libérés. Un haut fonctionnaire m’a fait comprendre qu’à<br />
titre de dédommagement ma carrière bénéficierait d’un sérieux coup de pouce… à<br />
condition, bien sûr, que je garde <strong>le</strong> si<strong>le</strong>nce. Les années ont passé, et ils ont tenu<br />
paro<strong>le</strong>. Mon parcours professionnel a été exceptionnel. J’ai joui de toutes <strong>le</strong>s<br />
facilités, primes et emprunts imaginab<strong>le</strong>s. Mais, pendant tout ce temps, mon<br />
téléphone est resté sur écoute et mon courrier a été surveillé. Je ne me suis jamais<br />
marié. J’ai lutté en secret contre la pire des dépressions. J’ai plus d’une fois passé la<br />
nuit à contemp<strong>le</strong>r mon revolver d’ordonnance, une bal<strong>le</strong> engagée dans la chambre<br />
de tir. Je ne parvenais à trouver <strong>le</strong> sommeil qu’au moyen d’hypnotiques puissants.<br />
J’ai souvent pensé que la CIA, me jugeant trop instab<strong>le</strong>, me ferait abattre un soir, et<br />
maquil<strong>le</strong>rait mon exécution en crime crapu<strong>le</strong>ux, mais cela ne s’est jamais produit. Je<br />
crois qu’au fil du temps, on a fini par m’oublier.<br />
J’ai décidé d’interrompre ses lamentations pour aborder <strong>le</strong> sujet qui m’avait<br />
amenée chez lui.<br />
- On m’a parlé d’une cachette aménagée à l’intérieur du bunker, ai-je lâché. Une<br />
sorte de chambre secrète, de canot de sauvetage à l’usage des galonnés. Voyezvous<br />
à quoi je fais allusion ? On m’a éga<strong>le</strong>ment dit que certains des officiers présents<br />
lors du massacre s’y seraient retranchés pour n’en jamais ressortir. Qu’en pensezvous<br />
?<br />
Leo Ursharft s’est ébroué, recouvrant en une seconde toute sa morgue.<br />
- De la foutaise. Il n’y a jamais eu de chambre secrète à l’intérieur du bunker.<br />
C’est un conte à dormir debout. Tous <strong>le</strong>s officiers ont été tués au cours des<br />
premières minutes du carnage, dès qu’ils ont essayé de s’interposer. Il y a eu très<br />
peu de survivants, et <strong>le</strong> gaz <strong>le</strong>ur a détruit <strong>le</strong> cerveau, engendrant chez eux des<br />
comportements psychotiques incurab<strong>le</strong>s. Je suis même surpris que Scallia soit<br />
encore vivant. Il faut dire que, dans sa jeunesse, ce type était un bœuf. Un véritab<strong>le</strong><br />
concentré de force et de santé. Un imbéci<strong>le</strong> aussi.<br />
J’ai insisté. Sa réponse ne me satisfaisait pas. J’étais certaine qu’il mentait. Il a<br />
fini par se mettre en colère.