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Lire le livre - Bibliothèque

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choses, des images… Des avions qui vo<strong>le</strong>nt au ras du plafond, des soldats japonais<br />

qui nous chargent à la baïonnette. On se bat dans <strong>le</strong>s tranchées, au corps à corps.<br />

Un ours sort des douches, il a dévidé tout <strong>le</strong> papier-cul. Dieu est coincé dans<br />

l’infirmerie, il hur<strong>le</strong> parce que <strong>le</strong> toubib lui arrache une dent. Il dit : « C’est <strong>le</strong>s clous<br />

dans mes mains que vous deviez arracher, pas cette molaire ! » Quelqu’un a repeint<br />

<strong>le</strong>s murs en rouge, du travail bâclé, il a flanqué des éclaboussures jusque sur <strong>le</strong><br />

plafond. Rouge, rouge, rouge…<br />

Il s’est mis à répéter ce mot comme une litanie, et sa main droite, si maigre, s’est<br />

refermée sur mon poignet, <strong>le</strong> serrant à <strong>le</strong> broyer. Jamais je n’aurais soupçonné une<br />

tel<strong>le</strong> force chez un vieillard. J’ai eu mal. J’avais peur qu’il ne pique une crise, qu’il ne<br />

décide soudain de me crever <strong>le</strong>s yeux. Rouge, rouge, rouge…<br />

Il m’a semblé… il m’a semblé qu’il mimait des mouvements de mastication et de<br />

déglutition, comme s’il dévorait quelque chose d’invisib<strong>le</strong>. La chair de pou<strong>le</strong> m’a<br />

hérissé <strong>le</strong> poil sur <strong>le</strong>s avant-bras. Je me suis libérée de son étreinte, ça l’a remis sur<br />

<strong>le</strong>s rails. Ses épau<strong>le</strong>s se sont affaissées. La brusque montée d’adrénaline l’avait<br />

vidé.<br />

- Et après ? Ai-je répété.<br />

Il a bredouillé :<br />

- Sais plus… me suis réveillé dans un lit d’hôpital. Ces salopards m’avaient<br />

attaché avec des courroies… C’était… C’était il y a longtemps. Ils m’ont dit que<br />

j’avais été très malade. Une sorte d’infection. Pendant des années, je n’ai plus<br />

supporté la cou<strong>le</strong>ur rouge. Dès que je l’apercevais, sur un vêtement, un magazine,<br />

j’avais une crise. Même chose pour la viande, je ne pouvais plus en manger. Rien<br />

que d’en sentir l’odeur, je vomissais. Je suis devenu végétarien. Il paraît que c’est<br />

très bon pour la santé, je mange des légumes, toutes sortes de légumes, sauf des<br />

tomates. Les tomates sont mauvaises, méchantes. Il ne faut pas y toucher. El<strong>le</strong>s ont<br />

été créées par Satan. C’est écrit dans la Bib<strong>le</strong>.<br />

Après quelques essais infructueux, j’ai renoncé. Je ne tirerais plus rien de<br />

Scallia. Il était irrécupérab<strong>le</strong>. J’ai pris congé avec soulagement. Cet affreux petit<br />

vieillard m’avait flanqué la nausée. Pendant que je roulais en direction de Santa<br />

Monica, je n’ai cessé de revoir en pensée <strong>le</strong>s mouvements de mastication de sa<br />

bouche édentée. Tout ce que m’avait raconté Sarah Jane se confirmait. Les actes de<br />

cannibalisme dont <strong>le</strong> bunker avait été <strong>le</strong> théâtre s’étaient réel<strong>le</strong>ment produits.<br />

La maison de retraite du Royaume F<strong>le</strong>uri se dressait au milieu d’un parc à la<br />

végétation luxuriante. Il y avait là une flopée de massifs et de statues fichées sur des<br />

piédestaux. Assez curieusement, ces effigies représentaient des personnalités du<br />

show-biz disparues : Clark Gab<strong>le</strong>, Marilyn Monroe, Douglas Fairbanks, Mary<br />

Pickford, Bing Crosby, Dean Martin, Frank Sinatra… J’ai même repéré un James<br />

Dean très ressemblant, son fusil en travers des épau<strong>le</strong>s, tel qu’il apparaît sur l’affiche<br />

de Géant, ainsi qu’un Marlon Brando costumé en motard de L’Équipée sauvage.<br />

Curieux, certes, mais <strong>le</strong>s USA m’avaient habituée à de tel<strong>le</strong>s excentricités.<br />

À la réception, j’ai demandé à rencontrer Leo Ursharft, quatre-vingt-huit ans,<br />

ingénieur retraité de l’Air Force. Encore une fois, la carte de visite du cabinet<br />

Stan<strong>le</strong>y-Mitchell a joué son rô<strong>le</strong> de sésame. Quand j’ai parlé d’une succession dont<br />

Ursharft serait <strong>le</strong> bénéficiaire, l’infirmier a franchement ricané.<br />

- Un héritage ! A-t-il glapi. Comme on dit : mieux vaut tard que jamais ! Enfin, ça<br />

fera au moins un pensionnaire qui n’aura pas de mal à rég<strong>le</strong>r ses mensualités.<br />

Il m’a donné un badge et guidée à travers des couloirs moquettés. L’ensemb<strong>le</strong><br />

était classieux. Il fallait avoir de l’argent pour résider ici. Beaucoup d’argent. Après

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