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umeurs ont commencé à circu<strong>le</strong>r, comme quoi <strong>le</strong> séjour serait considéré comme<br />
session R & R 30 , et que <strong>le</strong>s officiers présents se contenteraient du rô<strong>le</strong> d’observateur.<br />
Ça laissait envisager des ouvertures. Et puis, ça rompait avec la monotonie de la vie<br />
sur la base. On s’emmerdait ferme dans ce trou perdu.<br />
- Vous êtes donc descendus dans l’abri, ai-je murmuré. Ça s’est passé<br />
comment ?<br />
- Bien… a-t-il grommelé. Enfin, si on peut dire. Trop correct à mon goût. La<br />
présence des officiers cassait l’ambiance, on n’osait pas se laisser al<strong>le</strong>r. C’était<br />
guindé, quoi. On a été surpris de découvrir un blockhaus de cette tail<strong>le</strong>. Même <strong>le</strong>s<br />
vétérans, qui avaient fait la guerre en France, n’en avaient jamais vu d’aussi grands,<br />
et pourtant <strong>le</strong>s Boches étaient des spécialistes en matière de fortifications. Ça, on se<br />
marchait pas sur <strong>le</strong>s pieds, c’est sûr ! Y avait de la place pour un corps d’armée,<br />
véhicu<strong>le</strong>s compris. Ils avaient partagé l’espace avec des paravents de toi<strong>le</strong>, comme<br />
dans <strong>le</strong>s hôpitaux. Une suite de dortoirs, quoi… On n’était pas en chambrée, chacun<br />
disposait de son coin à lui, avec un lit de camp, une tab<strong>le</strong>, une chaise. Bref, on<br />
pouvait s’iso<strong>le</strong>r. Au début, ça m’a semblé super. J’ai échangé des clins d’œil avec <strong>le</strong>s<br />
copains. C’était comme si on nous avait préparé <strong>le</strong> terrain pour embal<strong>le</strong>r <strong>le</strong>s<br />
nénettes. Sauf que…<br />
- Sauf que ?<br />
- Ça ne s’est pas passé comme on l’espérait. Il y avait deux dortoirs séparés, <strong>le</strong>s<br />
gars d’un côté, <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s de l’autre. Au fond, dans une grande tente, se tenaient <strong>le</strong>s<br />
observateurs. Deux sous-lieutenants, deux lieutenants, un capitaine. Il y avait deux<br />
femmes des services de santé avec eux. Et puis, avec nous, quatre sergents de la<br />
police militaire. Trois mecs et une fil<strong>le</strong> bâtie comme une catcheuse. Ils ne se mêlaient<br />
pas à nous, mais on sentait qu’ils nous avaient à l’œil. Pour dége<strong>le</strong>r l’atmosphère, ils<br />
ont commencé par projeter des films. Les Ai<strong>le</strong>s de la gloire, Tant qu’il y aura des<br />
hommes, Les Ponts de Toko-Ri… des trucs de guerre et d’amour. Des John Wayne,<br />
aussi. Puis on a enchaîné sur une espèce de garden-party à la noix. Du papotage,<br />
pour faire connaissance, sauf qu’on n’y servait que des jus de fruits, et que ça n’a<br />
jamais aidé personne à se lâcher. J’avais l’impression de participer à une rencontre<br />
matrimonia<strong>le</strong> organisée par <strong>le</strong> pasteur de mon b<strong>le</strong>d. Les copains tiraient la tronche.<br />
On nous avait fouillés au moment de la descente, et <strong>le</strong>s flasques de whisky qu’on<br />
avait essayé de passer en douce avaient été confisquées. On se retrouvait au<br />
régime sec.<br />
Il s’animait, ébauchant de ses mains grê<strong>le</strong>s des gestes avortés à la signification<br />
mystérieuse. Je me suis gardée de l’interrompre. Il évoquait maintenant l’ennui des<br />
jours suivants. Les flirts trop convenab<strong>le</strong>s, <strong>le</strong> dancing où il était interdit de col<strong>le</strong>r son<br />
ventre contre celui de sa cavalière. Il avait fallu faire contre mauvaise fortune bon<br />
cœur. L’absence d’alcool évitait <strong>le</strong>s dérapages. On fumait, on jouait aux cartes.<br />
L’espace ne manquant pas, <strong>le</strong>s hommes avaient décidé de créer des équipes et<br />
d’entamer un tournoi de base-ball. D’autres avaient préféré construire un ring pour y<br />
disputer des matches de boxe.<br />
- On prenait des paris, m’a expliqué Scallia. Sur des bouts de papier. Les<br />
sergents nous distribuaient éga<strong>le</strong>ment tous <strong>le</strong>s magazines qu’on désirait. On fumait<br />
énormément, <strong>le</strong>s fil<strong>le</strong>s comme <strong>le</strong>s gars. On f<strong>le</strong>mmardait mais on ne s’amusait pas<br />
vraiment. Une permission sans une bonne saou<strong>le</strong>rie, c’est pas une permission. Au<br />
bout d’une semaine, aucun type n’avait encore réussi à coucher. Les nanas avaient<br />
la trouil<strong>le</strong> des officiers. El<strong>le</strong>s disaient que c’était un test pour nous virer de l’armée.<br />
30 - Rest and Recreation. Permission de détente.