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Il l’avait ramenée dans l’œuf de plomb. Voilà pourquoi elle demeurait introuvable.
Toutefois, inquiet à l’idée que quelqu’un pourrait sonder les murs du bunker, le
criminel avait préféré égarer les recherches en greffant sur un coyote la puce retirée
de la peau de Sarah Jane. J’avais le souvenir qu’elle s’en était plainte devant moi,
alors que nous étions toutes deux à l’intérieur du blockhaus. Le survivant, à l’écoute,
n’avait rien perdu de cet échange.
J’ai poussé le climatiseur à fond pour faire baisser la fièvre qui me dévorait.
J’étais certaine de tenir la solution ! Le seul problème, c’est que personne ne
voudrait l’accepter. On me taxerait de folie, c’était inévitable.
Bien sûr, ma reconstitution restait approximative, elle comportait des failles, des
lacunes. Quoi de plus normal puisque je ne disposais pas de tous les éléments !
Néanmoins, mon raisonnement se tenait, et il expliquait bien des choses. À la
lumière de ma théorie, on comprenait enfin pourquoi Sarah Jane avait été enlevée et
sa famille massacrée.
Seul Vaughan aurait eu un mobile, mais il était mort depuis six mois au moment
du kidnapping. Les autres soldats ? Je n’y croyais pas. Ils vénéraient trop Tobbey
pour oser lui porter préjudice. Non, le seul suspect envisageable, c’était l’homme qui
se dissimulait à l’intérieur de l’œuf de plomb.
Je disais l’« homme », mais qu’en savais-je ? Peut-être étaient-ils deux ou
trois… Étaient-ils vieux ou jeunes ? Celui qui avait enlevé Sarah Jane et tué les
occupants du ranch était probablement en bonne forme physique. Sans doute le fils
d’un couple formé par les premiers survivants. Il ne pouvait envisager de vivre à
l’extérieur du bunker. Il avait peur du dehors, et les propos tenus par la gamine
n’avaient nullement contribué à le rassurer. Il devait se représenter le monde sous la
forme d’un gigantesque pandémonium où il lui serait impossible de survivre plus de
vingt-quatre heures. Somme toute, il se sentait bien dans l’œuf de plomb, il y avait
ses habitudes… Ne lui manquait qu’une compagnie féminine. En observant Sarah
Jane au moyen d’un judas, des idées lui étaient venues. Des idées qui me faisaient
froid dans le dos.
N’y tenant plus, il était sorti se chercher une fiancée. Les vieillards qui
partageaient sa claustration l’y avaient encouragé, estimant que cela leur ferait
toujours une distraction.
Oui, Sarah Jane était là-bas, prisonnière de l’emboîtement gigogne des bunkers.
Et je n’avais aucune idée de la manière dont j’allais la sauver.
Je suis restée longtemps pétrifiée, à ressasser des images déplaisantes. Le film
des événements se déroulait en boucle dans mon esprit. Le visage du survivant ne
cessait de se modifier. Tantôt, c’était celui d’un homme des cavernes, submergé de
pilosité, où brillaient des yeux hagards, tantôt c’était la trogne d’un idiot difforme,
caricatural. J’ai eu conscience de sombrer dans le délire et suis allée prendre une
douche froide pour me calmer. Pas question de bondir sur le téléphone pour sonner
le branle-bas de combat. À tout prix éviter d’être considérée comme une cinglée ! Si
je voulais arriver à quelque chose, il me fallait manœuvrer en douceur.
J’ai confectionné un litre de café et je l’ai avalé, tasse après tasse, en
réfléchissant. J’ai décidé d’aller à la pêche aux renseignements. Après tout, ça ne
mangeait pas de pain. Attrapant le téléphone, j’ai appelé Stanley-Mitchell. Willa allait
de mieux en mieux, les actions remontaient, il était ravi.
J’ai profité de sa bonne humeur pour attaquer.
- Tobbey vous a-t-il laissé en dépôt des documents se rapportant au bunker ? Aije
demandé. Des originaux, qu’il aurait préféré ne pas emporter au ranch…